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Co-édition avec Estudios de Política Exterior
L’immigration et son impact socioéconomique
Croissance démographique, rajeunissement de la population ou augmentation des contribuables à la Sécurité sociale, sont quelques-uns des effets positifs de l’immigration
Josep Ma Jordán, professeur d’économie appliquée. Université de Valence.
Le plan d’action accordé au Sommet euroméditerranéen de Barcelone (27-28 novembre 2005) inclut une série d’objectifs et de mesures dans le domaine de l’immigration. En essence, à partir de la proposition présentée conjointement par l’Espagne, la France et le Maroc, l’immigration légale a été jugée de façon positive et l’on a exprimé la volonté de la promouvoir et de la réglementer, tout en précisant l’intention de réduire l’immigration illégale et de lutter contre les mafias qui opèrent dans ce domaine. Il est prévu de tenir une conférence ministérielle euroméditerranéenne sur les migrations, et l’on approuve la conférence euro-africaine sur le même sujet, que l’Espagne et le Maroc veulent tenir cette année.
L’impact socioéconomique de l’immigration en Espagne
Les données sur la population recensée en Espagne en 2005 révèlent l’importance quantitative du phénomène de l’immigration : le pays possède déjà plus de 44 millions d’habitants et les étrangers recensés sont de l’ordre de 3,7 millions, soit 8,4 % de la population totale, c’est-à-dire un pourcentage très similaire à celui d’autres pays de l’Union européenne (UE). Les régions qui rassemblent le plus grand nombre d’immigrés sont la Catalogne, Madrid et la communauté de Valence. En général, tout l’arc méditerranéen espagnol connaît une forte présence d’immigrés, aussi bien en termes absolus que relatifs par rapport à la population régionale.
Le flux migratoire a augmenté avec une grande rapidité au cours des 10 dernières années. Les années quatre-vingts ont marqué le début d’un flux d’immigration résidentielle en provenance des pays de l’UE. L’immigration pour des raisons économiques et de subsistance ne débute que dans les années quatre-vingt-dix et adopte un caractère massif à la fin de cette décennie ; elle provient principalement d’Afrique du nord, d’Amérique latine et d’Europe de l’est.
Il est donc justifié que l’immigration occupe une place importante dans l’agenda politique des gouvernements central et régionaux, mais également dans le Plan d’action euroméditerranéen. La perception de ce phénomène par les citoyens est souvent contradictoire : d’une part le côté humanitaire et d’autre, la préoccupation et la méfiance. Quel est l’impact réel de l’immigration en Espagne ?
Les conséquences démographiques de l’immigration sont importantes, en particulier l’augmentation de la population, son rajeunissement et l’augmentation du taux de fécondité. Tout ceci a bien entendu des répercussions dans les domaines économique et social. Ainsi, par exemple, l’immigration suppose une augmentation de la population active espagnole (rejoignant ainsi la liste des affiliés à la Sécurité sociale et des contribuables) et implique un accroissement de la demande en biens publics (éducation et santé) et privés (logement et biens de consommation divers).
En Espagne, la proportion d’immigrés en situation clandestine a été, jusqu’à ce jour, relativement élevée. Dans l’objectif de la réduire, depuis 1990, sept processus extraordinaires et massifs de régularisation ont été mis en œuvre par les différents gouvernements. Le dernier processus de régularisation extraordinaire d’immigrés, réalisé entre février et mai 2005, avait pour objectif de faire remonter à la surface une grande partie de l’économie « submergée », reposant sur l’embauche frauduleuse d’immigrés clandestins. Ce fut le premier processus de régularisation directement lié à la situation professionnelle de l’immigré illégal et le bilan semble positif, si l’on en croit l’augmentation de l’embauche et des affiliations à la Sécurité sociale.
Parmi les répercussions économiques de l’immigration, il convient de souligner ses effets sur l’emploi, ainsi que sur la consommation. Et dans les deux cas, cela finit par se répercuter au niveau de la croissance économique du pays. De fait, il est difficile d’imaginer que sans les immigrés, il aurait été possible de maintenir les taux de croissance du PIB (de 2,5 % à 3 %) de ces dernières années.
La présence des immigrés sur le marché du travail espagnol se concentre surtout dans quatre secteurs : l’agriculture, les services domestiques, le bâtiment et la restauration. Les immigrés font le travail que les espagnols ne veulent pas faire (les emplois marginaux ou socialement les moins désirés). La plupart des chefs d’entreprise respectent les normes légales, mais d’autres ne le font pas. Ces derniers appartiennent au domaine de l’économie « submergée » ; en rattachant les immigrés à celle-ci, ils empêchent leur contribution à la Sécurité sociale et au Trésor public. En dernière instance, ils empêchent l’intégration professionnelle et sociale des immigrés en les maintenant dans leur situation illégale.
Les immigrés sont des consommateurs de services publics (comme l’éducation ou la santé), mais dans la mesure où ils régularisent ou normalisent leur situation légale, ils rejoignent la liste des affiliés à la Sécurité sociale payent des impôts, et contribuent de façon croissante aux finances publiques.
L’aspect le plus délicat de l’immigration en Espagne est peut-être celui qui découle de son impact social, marqué tout au moins par trois éléments : sa rapidité ; la forte proportion d’immigrés se trouvant en situation illégale ; et la grande diversité des provenances nationales, qui entraîne une forte hétérogénéité sociale et culturelle.
L’immigration clandestine (avec le travail précaire) constitue le facteur essentiel de leur exclusion sociale. Il en résulte que la normalisation de l’immigré est essentielle dans la mesure où il s’agit de sa principale voie d’intégration sociale. En outre, la situation illégale et le travail précaire se traduisent par de mauvaises conditions de vie, qui font des immigrés un collectif très vulnérable, aussi bien dans le milieu rural qu’urbain.
Entre autres causes de ségrégation sociale des immigrés, citons les problèmes de scolarisation – en raison des différences idiomatiques et culturelles –, les difficultés d’accès au logement – qui conduisent dans bien des cas à la sur-occupation ou l’insalubrité – et les problèmes économiques (en raison du besoin, dans bien des cas, de rembourser la dette du voyage et d’aider la famille dans le pays d’origine). Il existe un risque important dans les ghettos que tendent à former les immigrés dans certains quartiers ou certaines régions de notre pays, puisque cela peut aller à l’encontre de leur intégration et conduire à une dualisation de la société. Dans de telles conditions, la sensibilité et la méfiance des citoyens espagnols tendent à croître et les émigrés souffrent de plus en plus de problèmes d’exclusion sociale.
Un autre élément important lié à l’immigration est la diversité culturelle. En réalité, il s’agit d’un défi essentiel pour les citoyens espagnols : apprendre à vivre avec l’immigration. Les immigrés ne sont pas seulement de la main d’œuvre : ce sont des personnes, avec une identité et des liens avec leurs pays d’origine, même s’ils doivent s’adapter également à nos us et coutumes. Se pose donc ici le besoin d’un dialogue interculturel et de construire un nouveau modèle social fondé non pas sur la simple assimilation de ceux qui arrivent, mais sur la prise en charge d’un processus plus complexe d’intégration sociale.
L’école peut et doit devenir le meilleur milieu d’intégration de la population immigrée à travers ses enfants. Elle peut constituer également un moyen pour que les enfants des citoyens espagnols apprennent à vivre dans la diversité de notre société actuelle. En définitive, c’est un aspect essentiel dans la construction du nouveau modèle social. Pour cela, il est très important d’éviter la ghettoïsation des enfants d’immigrés dans certaines écoles publiques et d’encourager la plus grande pluralité possible dans nos salles de classe.
En réalité, l’immigration est un phénomène globalement positif. Mais elle exige l’adoption de politiques de cohésion et d’intégration sérieuses. Une tâche à laquelle doivent contribuer les autorités et les partis politiques, mais aussi les immigrés eux-mêmes et leurs associations, en passant par les syndicats, les ONG, les chefs d’entreprise, les médias, les institutions éducatives et l’ensemble de la société civile.
Il faut également considérer l’immigration comme un moyen pour favoriser une politique de coopération au développement avec les pays d’origine et mettre en œuvre une politique de co-développement reconnaissant les immigrés et leurs associations comme des agents de développement dans leurs communautés d’origine, en dotant les émigrés d’une formation réversible, afin qu’ils puissent la mettre en valeur dans leur pays, et en donnant priorité au financement de projets de coopération auxquels participent les émigrés et leurs associations.