Les problèmes migratoires entre le nord et le sud de la Méditerranée sont croissants, et d’une incroyable complexité. Nous autres journalistes, toujours prêts à tout, sommes les seuls à résumer un problème d’une telle ampleur avec une telle décontraction, en deux ou trois pages. Nous ne voudrions pas tomber dans une simplification abusive, mais seulement souligner trois idées, en toute modestie.
Il n’y a pas de politique de l’immigration sans politique de l’émigration. C’est-à-dire que la rive qui envoie doit forcément parvenir à un accord avec celle qui reçoit : un accord qui se traduise par des instruments juridiques et des pratiques politiques. Un véritable accord doit reposer sur une assise transparente, et surtout être utile aux parties, dans un cadre d’égalité. En ce sens, des efforts régionaux et multilatéraux tels que le « 5+5 » constituent l’occasion d’approcher ce dossier sous l’angle des responsabilités et des sensibilités partagées en Méditerranée occidentale.
En second lieu, et même lorsque les parties ne le reconnaissent pas, les intérêts se rejoignent fréquemment. La démographie de l’Union européenne (UE) ne montre aujourd’hui aucun symptôme de croissance, tandis qu’en Afrique du Nord – d’après le dernier rapport de Femise –, la moitié des jeunes expriment leur désir d’émigrer. Les flux migratoires profitent dans ce cas aux deux sociétés : celle du Sud, qui a besoin d’améliorer – ou tout au moins de stabiliser – son taux de chômage, et celle du Nord, qui a besoin d’employés jeunes, souvent qualifiés.
Mais il s’agit-là – et nous en arrivons au troisième point – d’une politique peu responsable si elle ne s’accompagne pas d’investissements du Nord dans le Sud. Des investissements en infrastructures et en énergie, mais aussi en formation et dans des secteurs susceptibles de créer des emplois. Si elle ne s’accompagne pas d’initiatives de codéveloppement et de progrès dans la connaissance mutuelle. S’il n’y a pas une politique commune focalisée sur ce double objectif, l’effort échouera.
Bien peu de choses peuvent être envisagées aujourd’hui, sur la rive nord, qui ne soient pas à l’échelon de l’UE. Elle est apparue – certes avec maintes hésitations et lenteurs – comme une formidable machine à résoudre les problèmes, une communauté qui, au cours de ces 50 dernières années, a apporté des solutions à des problèmes séculiers. L’Espagne peut et doit diriger l’élaboration d’une véritable politique d’immigration européenne, depuis sa condition de frontière méridionale, dans le contexte des nouvelles politiques de voisinage que l’UE commence à élaborer. Un bref éditorial n’est utile, dans des cas comme celui-ci, que pour signaler, suggérer. La politique d’intégration n’aura lieu qu’à l’échelon européen. Et la politique de contrôle ne sera efficace que si elle se fait à l’échelon européen. Des accords actualisés, rénovés sont nécessaires. La vie est changement mais aussi continuité. Des accords, dans notre cas, avec le Maroc et l’Algérie. Des critères qui se rejoignent, que les européens et les maghrébins doivent traduire en traités.
Les sociétés européennes partagent avec les arabes un problème largement inconnu, que nous appelons terrorisme. Il s’agit-là un problème inextricable, dont les conséquences sont abordées dans d’autres pages de ce numéro d’AFKAR/IDEES. Mais la vie de tous les jours se tisse sur l’effort de millions d’hommes et de femmes ordinaires, à la recherche de meilleurs horizons, de sécurité et de liberté. Et ils ont le droit de les rechercher dans le monde entier. Pour cette raison, les européens (riches) doivent faire un effort soutenu pour investir au Sud. L’échange de biens et de services – ce que l’on appelle commerce depuis plus de 2 000 ans – est essentiel pour la prospérité quotidienne. Même s’il faut vendre de plus en plus à partir d’usines, de laboratoires et de bureaux situés au sud de la Méditerranée. C’est la seule façon que le souhait légitime de millions d’êtres humains, de travailler dans un endroit différent de celui où ils sont nés, puisse être géré raisonnablement, au bénéfice de la sécurité des pays et de la dignité des individus. Nous ne sommes pas, chez AFKAR/IDEES, amateurs de phrases, mais celle-ci, nous semble-t-il, n’en est pas une. Il s’agit plutôt d’une citation utile, de Bertrand Russell : « Souvenez-vous de votre humanité, et oubliez tout le reste ».