Sáhara, democracia y Marruecos: ¿Es posible una reconciliación?
Professeur de plusieurs générations d’universitaires spécialistes du Maghreb et intellectuel public au travail de diffusion et d’activisme inlassable, Bernabé López García a joué pendant des décennies le rôle de verset libre dans le débat espagnol sur le conflit du Sahara occidental. Ses opinions, souvent hétérodoxes, ont contribué à éclairer les points aveugles et les zones d’ombre d’une question généralement affligée, selon lui, d’un « déficit pédagogique » (p. 82), et qui tend à polariser et à cloisonner la pensée, même chez les meilleurs experts. Contrairement aux « tranchées de papier » auxquelles il faisait référence dans un article publié dans El País en 2005 (p. 73), sa position à contre-courant est marquée par la transparence, l’indépendance et la cohérence.
López García explique avec une honnêteté sans détour comment son « point d’observation de ce drame diffère de celui d’autres observateurs » (p. 108) en raison des vicissitudes de sa propre trajectoire de vie, qui l’a placé en semi-exil à Fès à la veille de l’émoi – et de l’émotion – collectif marocain de la Marche verte (p. 177). Il s’agit aussi d’un récit autoréflexif sur les coûts ou les risques de son implication personnelle ultérieure dans ce conflit. « Ils te manipulent », se souvient-il de ce que lui a dit le représentant du Front Polisario auprès de l’ONU, Ahmed Boukhari (p. 24). « Au final, je ne suis qu’un lobbyiste », plaisante-t-il (p. 108). Indépendance, en tout cas, car cette positionnalité ne lui a pas imposé d’oeillères, ni réduit son niveau d’alerte.
Mais l’aspect le plus remarquable de la pensée de López García a été sa cohérence insolite et sa persistance. C’est la principale conclusion que l’on peut tirer de la lecture du livre Sáhara, democracia y Marruecos: ¿Es posible una reconciliación? [Sahara, démocratie et Maroc : la réconciliation est-elle possible ?] qui compile ses articles de presse, ses interventions publiques et quelques travaux plus académiques sur cette question entre 1999 et 2022.
Le point de départ est l’accession au trône de Mohammed VI, qui a coïncidé avec l’abandon formel par le Maroc du Plan de règlement des Nations unies. C’est aussi l’époque de la gestation du concept d’autonomie sous souveraineté marocaine ou, dans le langage des joyeuses années quatre-vingt-dix, de la troisième voie. Défendue à l’origine par l’opposant marxiste marocain Abraham Serfaty – à la mémoire duquel, ainsi que de son épouse Christine Daure, ce volume est dédié – López García a joué un rôle central dans l’amplification et la consolidation de cette idée dans la presse marocaine alors indépendante, comme Le Journal, avant qu’elle ne soit assimilée comme position officielle par les autorités du pays.
Ce n’est qu’à la lumière de ce contexte originel – si différent du contexte actuel – que l’on peut comprendre ce qui a été la thèse centrale, et constante, de tous les écrits de López García depuis plus de deux décennies : ce qu’il appelle le « binôme Sahara-démocratie ». Il s’agit d’une relation causale dans les deux sens, et applicable au passé, au présent et au futur, selon laquelle la (non) résolution du conflit sahraoui aurait conduit à la (non) démocratisation du Maroc, et vice versa. D’une part, la persistance de ce conflit a condamné le Maroc postcolonial à un flou permanent sous la forme d’un processus inachevé de construction de l’État et de la nation, et d’une « peur de la désintégration nationale » presque existentielle – selon les termes de l’historien Abdallah Laroui – qui empêche toute transformation démocratique de son système politique. D’autre part, un Maroc plus démocratique serait en mesure d’offrir aux Sahraouis la pleine reconnaissance de leurs droits humains universels et de leur identité ethnolinguistique spécifique, ce qui constitue une condition nécessaire – et suffisante? – pour la réconciliation souhaitée par López García. Un argument de poids, bien qu’il soit inévitablement circulaire et qu’il comporte peut-être quelques lacunes dans les hypothèses sur les préférences de la plupart des Sahraouis des deux côtés, sur lesquelles, malheureusement, nous manquons de connaissances empiriques.
Ce que Sáhara, democracia y Marruecos offre essentiellement est une histoire immédiate des vicissitudes – la montée et la chute ? – de cette idée du « binôme Sahara-démocratie ». En regardant en arrière, une question qui émerge de façon transversale concerne la temporalité et les « occasions manquées » dans l’histoire, y compris certains raisonnements contrefactuels suggestifs. En regardant en avant, le ton qui traverse les pages du livre est un optimisme gramscien de la volonté. Il ne s’agit pas d’un optimisme aveugle, et il n’est pas non plus à l’abri des désagréments, comme le démontrent la frustration de López García face au rejet du Plan Baker II par le Maroc en 2003 ou ses doutes lucides concernant le Conseil royal consultatif pour les affaires sahariennes (CORCAS) dès le moment de sa création en 2006. Mais c’est l’espoir volontaire du moment qui domine, surtout, dans la défense convaincue du Plan d’autonomie marocain de 2007. López García s’y est impliqué personnellement au point de se prêter à faire partie de l’appareil de diplomatie publique marocaine. Il l’a transmis aussi bien à la Quatrième Commission de l’Assemblée générale des Nations unies (pp. 113-118), qu’à l’opinion publique espagnole toujours réticente, avec l’éloquent article « Repousser l’utopie, défendre la dignité » (pp. 103-106) publié dans El País.
En contraste avec cet enthousiasme de 2007, le désenchantement rapide de López García à l’égard des politiques marocaines envers le Sahara et les Sahraouis dans les années immédiatement suivantes est frappant, et l’on peut dire qu’il marque son passage de l’optimisme de la volonté au pessimisme de la raison. Ce dernier le conduit à admettre avec abattement le « suicide du Maroc » consommé avec le démantèlement violent du camp de protestation sahraoui de Gdeim Izik en novembre 2010 (p. 151-152). Le Maroc « a fini par donner raison à ses détracteurs », lit-on au début de la troisième partie du livre (p. 153). Mise en perspective, l’évolution de la vision de López García à cet égard n’entame pas, mais renforce au contraire la cohérence de son argumentation.
Le seul point sur lequel certaines hésitations ou incohérences sont perceptibles est peut-être la critique abrupte du « fondamentalisme référendaire » du Front Polisario et de ses alliés internationaux. Répétée surtout dans les articles les plus anciens, elle ne cadre pas tout à fait avec d’autres références à « l’organisation d’un référendum pour régler la question une fois pour toutes » (p. 72), ou avec l’affirmation que « le référendum est incontournable » même si son contenu et son processus préalable doivent être renégociés (p. 99). Mais il s’agit là de questions à nuancer ou à reconsidérer.
L’important est que, dans un sujet où le débat public est bridé par une pensée binaire, Sáhara, democracia y Marruecos met les enjeux de la situation actuelle dans une (autre) perspective, rompt les schémas et stimule. Il faut lire López García, que l’on soit d’accord ou – et plus encore –en désaccord avec lui.