Plan Baker : une proposition pour résoudre le plus vieux conflit du Maghreb

Lurdes Vidal, IEMed

Vingt-huit ans après les accords tripartites de Madrid du 14 novembre 1975, le territoire du Sahara occidental attend toujours la célébration d’un référendum d’autodétermination consacrant son statut final. L’ancienne colonie africaine de l’Espagne se compose des territoires de Seguiet el Hamra au Nord et de Rio de Oro (Oued ed-Dahab) au Sud. Par ces accords, l’Espagne a confié l’administration du territoire au Maroc (Seguiet el Hamra) et à la Mauritanie (Rio de Oro), qui sont les deux pays qui invoquaient des droits sur le territoire, jusqu’à ce que les habitants de celui-ci puissent faire valoir leur autodétermination. 

Le 6 novembre 1975, l’agonie du chef de l’Etat plaçant alors l’Espagne dans une situation interne délicate, le roi Hassan II organisa une marche pacifique de 350 000 volontaires vers ElAaiun, connue sous le nom de “ marche verte ”. Les dernières troupes espagnoles abandonnèrent le territoire le 26 février 1976 ; ceci se traduit par l’occupation immédiate, par le Maroc et la Mauritanie, des parties qui leur avaient été confiées par les accords tripartites. 

Au cours de ce même mois, le Front Polisario, créé en 1973, proclamait la République Arabe Sahraouie Démocratique et entamait une guerre de guérillas contre les troupes mauritaniennes et marocaines. En 1979, la Mauritanie, après avoir signé à Alger un accord de paix avec le Front Polisario, retirait ses troupes de Rio de Oro, à l’exception de la ville de La Güera. Cette opportunité fut immédiatement saisie par le Maroc pour élargir sa présence sur l’ensemble du territoire. 

Après plus d’une décennie de guerre et diverses résolutions de l’ONU et de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA), en 1990, les parties arrivèrent à un accord qui prévoyait le cessez-le feu et la célébration postérieure d’un référendum. A cette fin, l’ONU désigna un représentant spécial pour le Sahara Occidental, et le Conseil de Sécurité créa la Mission des Nations Unies pour l’Organisation d’un Référendum au Sahara Occidental, Minurso. 

Les obstacles à l’élaboration d’un recensement électoral dans un premier temps, et les questions/options que ce référendum poserait/offrirait aux votants – et tout particulièrement celle de l’indépendance du territoire – ont paralysé et empêché la célébration du référendum. Depuis 1991 et jusqu’à ce jour, les propositions de solution (dénommées “ voies ”) ont été nombreuses. En 2003, et sans que les médiations n’aient pu aboutir à un accord entre les parties, le Conseil de Sécurité de l’ONU, qui s’est réuni en juillet, a approuvé la résolution 1513, qu’il qualifie de solution politique optimale, et a renouvelé le mandat de la MINURSO, cette fois-ci jusqu’au mois de janvier 2004, afin de donner le temps aux parties de parvenir à une entente sur son application. La résolution se fonde sur le Plan Baker II, qui maintient que le statut futur du territoire sera décidé par référendum, réitère le caractère de puissance administrative du Maroc, mais établit une période de transition de quatre à cinq ans au cours de laquelle il sera constitué une autorité provisoire autonome, incluant les sahraouis réfugiés et expatriés à cause du conflit. Le territoire restera jusqu’alors sous l’autorité marocaine, mais le plan établit les pouvoirs qu’exercera l’autorité autonome pendant la période transitoire. Dans le processus d’autodétermination final, qui devra être contrôlé par l’ONU, le plan prévoit la participation de toute personne âgée de plus de 18 ans, ayant été admise par la Commission d’Identification de la MINURSO, et ayant résidé sur le territoire depuis décembre 1999. 

Maroc 

Il n’accepte aucune solution susceptible d’être imposée. Il conteste que l’application du plan ne soit pas soumise à l’exécution préalable, de la part des parties signataires, des procédures imposées par leurs systèmes juridiques respectifs. 

Il conteste le statut de l’Algérie d’après le nouveau plan : l’Algérie est désormais qualifiée de pays voisin, alors qu’elle était considérée comme l’une des parties dans le rapport du Secrétaire Général des Nations Unies du 2006-2001 et dans l’Accord Cadre. 

En ce qui concerne les options du référendum, il considère que les parties devraient pouvoir décider du contenu de la consultation. Le Maroc pense que les conditions requises pour pouvoir faire partie du corps électoral qui participera au référendum, sont insuffisamment définies dans le plan, ce qui peut nuire au respect de toutes les garanties d’impartialité. 

Il considère que les Nations Unies devraient spécifier les critères à adopter pour déterminer la validité et la crédibilité des preuves ou des documents présentés afin de justifier la résidence dans la région et ainsi pouvoir faire partie du recensement électoral. 

Il considère que le plan manque de précisions, dans la mesure où il n’explique pas suffisamment qui sera chargé de la gestion du territoire et de ses institutions au cours de la période comprise entre l’entrée en vigueur du plan et l’élection de l’assemblée, puis du pouvoir exécutif qui prendra ensuite en charge l’autorité locale jusqu’à la célébration du référendum. 

L’utilisation de l’expression “ relations extérieures du Sahara occidental ” dans la répartition des compétences ne semble pas appropriée si c’est le Royaume qui se chargera des compétences en matière de relations extérieures ; même s’il est prévu de consulter l’autorité locale ou d’autoriser cette autorité locale afin qu’elle puisse exercer les fonctions de délégation diplomatique et participer aux réunions internationales ayant trait aux questions économiques ou directement liées au Sahara Occidental. 

Il ne juge pas opportun que le chef du pouvoir exécutif soit directement élu par le peuple. Pour éviter des conflits, celui-ci devrait être élu par une majorité au sein de l’Assemblée. 

Il considère qu’il existe un certain nombre de lacunes dans l’élaboration du plan en ce qui concerne le mode de fonctionnement de l’autorité locale. Il argumente qu’il existe une incompatibilité entre la logique de la subsidiarité en faveur de l’autorité locale prévue par le Plan pour des questions de législation et les principes constitutionnels fondamentaux du Royaume et l’approche des Nations Unies. 

Il considère que l’élection de l’autorité locale est antidémocratique, puisque la population qui l’élira appartient à une minorité (il fait référence à la population incluse dans la liste provisoire d’identification du 30-12-1999 ou la liste de rapatriement du Haut-Commissariat pour les Réfugiés du 31-10-2000, avec les réserves émises par le Maroc concernant cette liste). Il conteste l’établissement d’une parité entre le souverain marocain et les institutions locales, à propos du changement de statut du territoire, conditionné par un accord entre le Roi du Maroc, le Chef du pouvoir exécutif et l’Assemblée législative. 

Il considère que les conditions de libération des prisonniers de guerre et des prisonniers politiques à compter de l’entrée en vigueur du plan sont contraires au droit international humanitaire, qui impose la libération des prisonniers de guerre à partir du cessez-le-feu. 

Il exprime son désaccord sur le calendrier de cantonnement des troupes et met en doute le rôle du secrétaire général de l’ONU à la fois juge et partie dans cette affaire. 

Front Polisario 

Il s’oppose à l’existence, selon lui, d’imprécisions susceptibles de donner lieu à un abus de pouvoir de la part du Royaume du Maroc, soit sur le retour des réfugiés, soit sur le maintien des troupes marocaines sur le territoire. 

Il s’oppose à la modification du nom et du mandat de la MINURSO et réclame son maintien afin de veiller au respect du Plan.
Il considère que le Maroc ne peut pas exercer d’attributions en matière de relations extérieures sur un territoire sur lequel sa souveraineté n’a jamais été reconnue par la communauté internationale. Il s’oppose en outre à ce qu’il puisse passer des accords ou des conventions compromettant le territoire ou les richesses du Sahara Occidental, et à ce qu’il puisse déterminer les frontières internationales du territoire. 

Il s’oppose à certains aspects de la répartition des compétences, considérant qu’il doit incomber à l’Autorité du Sahara-Occidental de se charger de l’éducation, la culture, la liberté de culte et des principes devant régir la société et les institutions. Il s’oppose à l’autorité en matière extérieure qui est attribuée au Maroc, dans la mesure où celle-ci peut entraîner un conflit pour le maintien de la sécurité intérieure, de même qu’il s’oppose au maintien de symboles tels que le drapeau et la monnaie. La plupart des objections exprimées sur les compétences font référence en dernière instance à la crainte que le Maroc puisse en profiter pour adopter une position de force vis-à-vis de l’Autorité du Sahara-Occidental. 

Il exprime des réserves quant au contenu et au mode de détermination du recensement pour le référendum final sur le statut définitif du Sahara. Il considère que la composition du recensement est injuste, dans la mesure où elle inclut les colons marocains résidant sur le territoire, qui sont plus nombreux que la population sahraouie. La proposition ne prévoit rien non plus pour empêcher le déplacement massif de marocains vers le Sahara-Occidental. 

Il émet des réserves sur le fait que des garanties suffisantes aient été prises pour assurer le respect du résultat du référendum. Le Front Polisario propose d’introduire des modifications pour la détermination du corps électoral. 

Algérie 

En principe, la position de l’Algérie sur le plan a été favorable au Plan Baker II et à la résolution du Conseil de Sécurité de l’ONU qui le ratifie, mais elle a cependant émis un certain nombre de réserves sur certaines dispositions du Plan. 

La première de ces réserves est que, selon le gouvernement algérien, les dispositions proposées dans le plan ne sont pas suffisantes pour garantir, dans la pratique, un rapatriement de réfugiés organisé et sûr. Elle manifeste également une certaine préoccupation dans le sens où le nouveau plan prévoit le déploiement de forces armées marocaines dans des positions purement défensives, conformément à ses responsabilités en matière de défense extérieure, chose qui, pour l’Algérie, introduirait un facteur de méfiance entre les deux parties et les pays voisins. 

D’autre part, l’Algérie émet également des doutes quant aux dispositions et aux mécanismes visant à prévenir tout incident pendant l’exécution du plan, et tout particulièrement au cours de la période comprise entre l’élection de l’Autorité du Sahara-Occidental et la célébration du référendum sur le statut final du territoire, pour lequel l’Algérie juge nécessaire la détermination exacte du corps électoral immédiatement après l’entrée en vigueur du plan. 

Elle considère finalement que pour garantir la bonne exécution du Plan, la présence des Nations Unies est nécessaire sur le terrain pour veiller au respect des engagements des parties intéressées, des pays voisins et de la communauté internationale, ainsi que des résultats de l’élection de l’Autorité du Sahara Occidental et du référendum sur le statut final. 

L’Union européenne 

L’Union européenne appuie en général les démarches mises en œuvre par le Secrétaire Général des Nations Unies, Kofi Annan, et les résolutions adoptées à propos du conflit du Sahara-Occidental, y compris la dernière résolution du Conseil de Sécurité, de juillet 2003. 

Elle considère également qu’il est essentiel de résoudre ce doyen des conflits en Afrique du Nord, qui paralyse la construction d’un Maghreb uni, empêche la gestion de l’insertion du Maghreb dans la mondialisation et introduit un point d’interrogation sur le futur des relations euro-méditerranéennes, et en particulier sur le projet de Zone de Libre Echange qui doit entrer en fonctionnement à partir de 2010. 

La France est le seul pays membre de l’Union européenne qui, à travers son président Jacques Chirac, semble s’être éloigné de sa position traditionnelle d’équilibre, de neutralité et de soutien aux résolutions de l’ONU. A l’heure actuelle, elle soutient fermement la position du Maroc, qui consiste à exclure toute solution ne prévoyant pas le maintien de la souveraineté marocaine sur le Sahara-Occidental, que Rabat considère définitivement comme partie intégrante du territoire marocain. 

La France considère que le plan de l’ONU ne peut pas être imposé s’il n’y a pas accord entre les deux parties, ce qui signifie, en définitive, qu’elle l’accepterait s’il existait un accord entre les parties à cet égard. 

États-Unis 

Le Plan Baker bénéficie du soutien de Washington. L’administration des États-Unis a suggéré à plusieurs reprises sa volonté de mettre fin définitivement à un conflit qui empêche la mise en valeur des richesses du territoire au profit de la coopération internationale, et évidemment du niveau de vie et du bien-être de ses habitants. 

La position américaine est cohérente avec la relation historique et privilégiée entre les Etats-Unis et le Maroc, ainsi qu’avec la nouvelle vision stratégique des États-Unis, de projection vers le Maghreb, la Méditerranée, le Moyen Orient et l’Afrique en général.