afkar/idées
Co-édition avec Estudios de Política Exterior
Observations diverses sur le nouveau terrorisme
Darío Valcárcel, codirecteur de AFKAR/IDEES et directeur de POLITICA EXTERIOR
Les observations suivantes sont issues de deux longues conversations : avec un haut représentant du gouvernement et un parlementaire du Parti Populaire, séparément, tous deux experts en contre-terrorisme. Nous les soumettons à AFKAR/IDEES dans une sorte de désordre : elles reflètent cependant, à notre avis, des appréciations communes, des critères convergents. Nous publions ces analyses et commentaires sans les attribuer spécifiquement à l’un ou l’autre des interlocuteurs, et suivant un ordre aléatoire.
- Le terrorisme néo-salafiste représente toujours une grande menace pour l’Espagne. Le néo-salafisme est un courant radical, toujours violent, du salafisme. Le salafisme est un courant radical et pacifique de l’islamisme militant. Salafisme provient de salaf, littéralement « ancêtres », « pères fondateurs ». Salafisme équivaut ici à fidélité à la société d’origine.
- Le terrorisme international ne se limite pas à Al Qaida. Mais Al Qaida symbolise le plus grand danger potentiel. Al Qaida a été l’auteur indirect des attentats du 11 septembre 2001 à New York et Washington, de ceux de Bali (12 octobre 2002), Casablanca (16 mai 2003), Istanbul (20 novembre 2003) et Madrid (11 mars 2004).
- Si le salafisme est un rigorisme extrême de la pratique islamique, on appelle néo-salafisme le secteur extrême de l’extrême : celui qui prêche la terreur comme étant la seule méthode pour parvenir à ses fins.
- Le mouvement néo-salafiste global étend ses antennes à travers les cinq pays du Maghreb, de la Mauritanie à la Libye, et 12 pays du Proche-Orient. Plusieurs bases opérationnelles sont également présentes dans des pays non arabes.
- Al Qaida est un moteur destiné à lancer un mouvement international. Le noyau d’Al Qaida n’est pas aussi affaibli qu’on pourrait le penser. Oussama ben Laden n’a pas été capturé.
- Depuis six ans, Al Qaida a insisté sur son objectif : faire un réseau global, élargir le mouvement, ne pas exécuter ses décisions. Le Réseau requiert de nombreuses victimes ; des martyrs ; adapter chaque attentat au contexte, selon un mode opérationnel décentralisé.
- Depuis 1998, les différentes organisations se sont affiliées à ce noyau flexible qu’est Al Qaida, Le Réseau. Un tiers des cibles visées par les mouvements néo-salafistes sont occidentales. Deux tiers sont des pays musulmans.
- Les mouvements wahhabites, de base saoudienne, pénètrent dans les sociétés musulmanes et chrétiennes depuis 1960. Le wahhabisme est une source religieuse, le support intellectuel de la violence néo-salafiste.
- L’alliance des civilisations est un concept qui tarderait de longues années à devenir réellement effectif.
- Dans les attentats de Madrid, il y avait des groupes néosalafistes qui comptaient sur d’anciennes bases en Espagne. Il y avait également des groupes marocains, puis d’autres groupes, coordonnés par Le Réseau. La présence directe ou indirecte d’Al Qaida apparaît dans chaque attentat. Le plan terroriste sur Madrid prévu pour le 11 mars 2004 a été élaboré avant de connaître la date des élections générales espagnoles, qui se sont ensuite tenues le 14 mars.
- D’importants leaders salafistes pakistanais ont été détenus en Catalogne. La cellule espagnole d’Abu Dahdah comptait sur un lien logistique en Indonésie.
- L’Espagne est une cible générique d’Al Qaida depuis 1998. En 2001, elle est devenue une cible spécifique du Réseau.
- Le concept de djihad est strictement belliqueux pour tous les néo-salafistes. La djihad n’est pas interprétée ainsi dans la grande majorité des courants islamiques.
- L’une des organisations les plus dangereuses pour l’Espagne est le Groupe salafiste pour la prédication et le combat, qui possède au moins 14 cellules en Algérie et au Maroc.
- Les groupes faible intérêt pour les problèmes sociaux de la population musulmane, le manque et la mauvaise qualité des services publics, les contrastes économiques avec l’Europe.
- L’attentat de Bombay, qui a fait près de 50 morts (25 août 2003), fut inspiré par Al Qaida.
- Aussi bien la zone déprimée du Sahel que les pays les plus pauvres de l’Asie du Sud-est (Bangladesh, Birmanie, Cambodge, Laos…) sont également des viviers d’Al Qaida.
- En ce qui concerne l’attentat de Beslan, en Tchétchénie (septembre 2004), Al Qaida a été totalement étrangère à sa préparation et à son exécution.
- L’une des réponses de Jamal Zougam, lorsqu’on l’interrogeait sur les gens qui voyageaient dans les trains de Madrid (n’étaient-ce pas des gens comme vous ?) choque par son argumentation, échappant à tout raisonnement : c’étaient des infidèles.
- L’Espagne possède un système sophistiqué et efficace de lutte contre l’ETA. Mais les citoyens espagnols étaient peu protégés contre le néo-salafisme, comme le reconnut l’ancien président du gouvernement, José María Aznar, en écrivant : « ils nous ont pris par surprise ». Depuis avril 2004, le gouvernement actuel a renforcé l’attention, les ressources et les efforts de la police et des services secrets contre cette nouvelle menace.
- Dans la lutte anti-terroriste, la coopération des forces militaires doit être auxiliaire et complémentaire.
- Au moins quatre départements, mis à part le premier responsable du gouvernement espagnol, à savoir le ministère de l’Intérieur, sont impliqués dans la lutte anti-terroriste (Défense, Economie, Affaires étrangères, Justice), mis à part la coordination avec certaines polices régionales (Mossos d’Esquadra, Ertzaintza) relevant de la responsabilité de l’administration publique.
- La nouvelle Commission de surveillance des systèmes financiers du terrorisme possède un rôle quelquefois décisif. Les bases de données constituent un instrument indispensable à la lutte contre la terreur.
- Rien n’est possible si l’on ne renforce pas la coopération dans la lutte anti-terroriste européenne. La coopération avec les USA et le Canada est également indispensable.
- En 2004, a été mis en marche le Centre national de coordination anti-terroriste (CNCA) qui reprend un certain nombre de tâches des services Secrets (CNI).
- Il est impératif d’augmenter la capacité des services secrets (au sein du ministère de l’Intérieur) face au nésalafisme. Seuls 110 spécialistes des services secrets se consacraient à la lutte anti-salafiste en mars 2004. Il est nécessaire de passer à un millier : mais les places ne s’improvisent pas, sont difficiles à créer, exigent des délais.
- Peut-être plus de 5 %, mais moins de 10 %, des attentats terroristes en Irak (2003-05) sont influencés par le réseau d’Al Qaida.
- La Chine et l’Inde, en tant que macroéconomies émergentes, deviendront à court terme des objectifs du terrorisme d’Al Qaida. La localisation de cibles susceptibles de créer des déstabilisations est une nécessité du Réseau.
- Olivier Roy, grand connaisseur de l’islam, expliquait dans Le Monde, au mois de mars 2005, que la religion islamique défend la paix. Il s’agit d’une réduction, si l’on veut, pas totalement fausse, ajoutait Roy. Un secteur minime du monde musulman – et également du monde chrétien – soutient théoriquement les assassinats, même s’il est loin de les pratiquer. Un sous-secteur encore plus exigu de ce secteur minime est organisé pour assassiner, aux USA, en Espagne, en Turquie… Ce sont des assassins de métier qui cherchent une cause dans leur fanatisme. Ce qui n’empêche pas que le christianisme et l’islam soient des religions de tolérance et de paix.