L’Union européenne au Proche-Orient

Il est temps pour l’Europe de remettre en cause ses approches politiques, réorienter ses activités et chercher une meilleure coordination avec l’administration américaine.

Muriel Asseburg

Depuis les conférences de paix de Madrid (1991) et Washington (1991-93), les européens ont accru leur participation politique au Proche-Orient. Dans une large mesure, la motivation était liée à la proximité géographique et aux considérations géopolitiques – en particulier, la crainte des menaces contre la sécurité émanant du voisinage de l’Europe (un débordement du conflit sous forme de terrorisme, crime organisé, migrations et prolifération d’armes de destruction massive), la sécurité d’Israël et l’accès aux ressources énergétiques dans la région. L’hypothèse de départ est que la meilleure façon de réconcilier les différents intérêts européens est d’aboutir à la paix entre Israël et ses voisins (et qu’il n’y ait donc pas d’intérêts contradictoires entre de bonnes relations entre l’Union européenne et Israël d’une part, et de bonnes relations entre l’UE et la région riche en ressources en général d’autre part) et dévelelopper un environnement où les populations de la Méditerranée et du Proche-Orient trouvent dans leurs pays des bonnes conditions de vie. En fait, pendant les 15 dernières années, les européens se sont surtout consacrés à chercher une solution à deux Etats au conflit israélo-palestinien, qu’ils considèrent l’épicentre de l’instabilité de la région. En second lieu, ils ont cherché une paix générale entre Israël et ses voisins. Et dans un troisième temps, l’Europe a tenté de créer un environnement propice à la paix et d’écarter ce qui était perçu (et l’est toujours) comme un risque pour la sécurité qui émane de la région – dans le cadre du Partenariat euroméditerranéen, de la politique européenne de voisinage, et dernièrement de l’Union pour la Méditerranée.

Bilan général des efforts européens

Bien que l’UE et ses Etats membres aient poursuivi surtout des objectifs politiques, ils se sont tout d’abord montrés réticents à une implication active dans les négociations politiques directes entre les parties en conflit au Proche-Orient ainsi que dans les aspects relatif à la sécurité, laissant aux Etats-Unis le domaine de la gestion et de la résolution du conflit. Depuis quelques années cependant, cela a changé, surtout en raison de l’ambition de l’UE de devenir un acteur global. En effet, l’UE et ses Etats membres sont devenus plus actifs dans la gestion des conflits dans la région. Les missions de l’UE sur les territoires palestiniens en constituent un exemple : c’est le cas de la Mission d’assistance frontalière de l’UE à la frontière entre Gaza et l’Egypte (EU BAM Rafah) et de la mission policière de l’UE pour les territoires palestiniens (EUPOL COPPS), ainsi que de la participation européenne dans la sécurité du Liban et des territoires palestiniens, et de la forte implication européenne dans la Force provisoire des Nations unies au Liban (FPNUL) récemment renforcée. Certains Etats européens ont également participé aux efforts de médiation dans la crise entre Israël et la Palestine pendant la deuxième Intifada, et ont facilité les conversations entre les factions libanaises. De plus, l’UE et ses Etats membres ont participé aux tentatives de résolution du conflit, surtout dans le cadre du Quartet (USA, UE, Russie et ONU). De fait, le plan de travail adopté en 2003 était le fruit d’une initiative européenne. Les européens ont également poussé l’administration Bush à déployer des efforts de médiation en 2006, après la guerre entre Israël et le Liban. Au lieu d’essayer d’influencer et d’altérer substantiellement l’approche de l’administration Bush dans la région, les européens se sont généralement contentés de jouer un rôle complémentaire à celui des USA et ont suivi leurs instructions vis-à-vis du conflit arabo-israélien et des principales forces étatiques (par exemple, la Syrie) et non étatiques (le Hamas et, dans une moindre mesure, le Hezbollah). Par l’adoption des approches isolationnistes et exclusives de Bush, les politiques européennes sont entrées de plus en plus en contradiction avec leurs valeurs européennes et leurs objectifs à long terme. Ainsi, même si les efforts européens ont été essentiels pour reprendre les négociations entre Israël et la Palestine dans le cadre du processus d’Annapolis et pour échapper à un véritable effondrement de l’Autorité palestinienne, ils n’ont pas été capables d’éviter la reprise de la violence. Plus encore, l’approche occidentale a exacerbé, au lieu de contribuer à les empêcher, les divisions au sein de la société palestinienne et de sa classe politique. Avec deux systèmes autoritaires palestiniens antagonistes en phase de consolidation, la solution à deux Etats est de moins en moins probable. D’autre part, les européens ont perdu leur chance de pacifier la région dans la mesure où ils n’ont pas participé activement à la stabilisation ni à la résolution du conflit après le retrait d’Israël et de la Syrie du Liban (mai 2000 et avril 2005, respectivement). Ils ont simplement engagé des efforts pour renforcer l’Etat libanais et ses institutions après la guerre de l’été 2006. Jusqu’à très récemment, les relations syrio-égyptiennes de haut niveau étaient au plus bas, en raison de considérations géopolitiques (en particulier le rôle de surcroit de la Syrie au Liban et en Irak), et les européens ont paralysé la ratification de l’accord d’association avec la Syrie après le mois d’octobre 2004. Ainsi on a encourgé la Syrie afin qu’elle ne s’allie pas de façon plus étroite avec l’Iran. Les européens n’ont disposé que de peu d’instruments pour encourager et appuyer une réforme de fond en Syrie. Cette situation a cependant changé depuis juin 2008. Quoi qu’il en soit, les européens ont échoué dans leur lutte contre les facteurs risquant d’aggraver et d’amalgamer les différents conflits dans la région, et surtout la difficile situation non résolue des réfugiés iraquiens.

Priorités et approches

Après la guerre de Gaza, les possibilités de gestion et de résolution du conflit ne se sont pas améliorées. Les forces extrémistes se sont renforcées aussi bien en Israël que sur les territoires palestiniens. En Israël, le gouvernement de droite n’octroie aucune priorité à la recherche d’une solution à deux Etats. D’autre part, la division territoriale et politique entre les factions palestiniennes constitue aussi une menace. A ce jour, les conversations de réconciliation entre les factions palestiniennes sous la médiation de l’Egypte n’ont donné aucun résultat tangible, faute, entre autres, d’encouragement de la part de la communauté internationale pour l’unité nationale. En effet, les USA, l’UE et Israël ont posé l’adoption des trois « critères du Quartet » comme condition préalable aux conversations et à la coopération avec un quelconque nouveau gouvernement palestinien ou organisme provisoire. Trois mois après la guerre, aucun progrès n’a été fait concernant un cessez-le-feu permanent et l’ouverture des carrefours frontaliers de Gaza. A l’inverse, Gaza est restée pratiquement enfermée. Les travaux de reconstruction n’ont pas commencé et la situation humanitaire reste inquiétante. Le président Barack Obama a annoncé son intention de participer « agressivement » au Proche-Orient et a effectué des premiers pas encourageants dans cette direction. Il serait cependant illusoire de penser qu’il sera capable de résoudre tous les problèmes à lui seul. Les européens devraient cesser de revendiquer leur rôle de simple « joueur » et participer résolument à la politique. En ce sens, il est temps de remettre en question les approches politiques, de réorienter les activités et de chercher une coordination et une répartition plus efficace du travail avec la nouvelle administration américaine. Avec Obama à la Maison blanche, on dispose d’un président pret à travailler avec l’UE et ses Etats membres pour parvenir à une solution à deux Etats, et à une paix globale au Proche-Orient. Pour que l’Europe ait un rôle plus actif, il ne suffit pas d’une étroite coordination avec le nouveau président des USA, il faut aussi compter sur la volonté et la capacité des européens à assumer conjointement cette responsabilité, dans le cadre d’un Quartet amélioré qui se réunirait régulièrement et se coordonnerait avec le « Quartet arabe ». En ce qui concerne le processus israélo-palestinien, trois nouvelles approches sont nécessaires.

  • Assurer la répartition du pouvoir palestinien au lieu d’isoler le Hamas Les efforts menés pour la gestion du conflit déboucheront difficilement sur un résultat positif si les européens poursuivent leur tâche sans tenir compte du Hamas et posent comme condition préalable au dialogue et à la coopération l’adoption des critères du Quartet. Au lieu de cela, ils devraient se montrer clairement favorables à un nouvel accord de partage du pouvoir entre le Hamas et Al Fatah, en vue de défricher le terrain pour la préparation des élections, de renouveler leur soutien au président pour les négociations et d’adopter un accord sur la surveillance des frontières au niveau de la bande de Gaza. Cet accord serait une des conditions nécessaires à la réouverture des carrefours, à l’éventuelle réorganisation de la mission EU BAM Rafah et à la reconstruction. D’autre part, ni la création d’institutions, ni la stabilité de la situation en matière de sécurité, ni le développement économique ne peuvent produire de progrès durables tant que persistera la division au sein de l’Autorité palestinienne. Aussi le soutien européen aux efforts de médiation de l’Egypte entre les différentes factions palestiniennes devrait-il être plus explicite : les européens doivent faire état de leur nette préférence à coopérer avec un organisme palestinien (provisoire) soutenu par les factions pertinentes, et supprimer toute condition préalable au contact avec le Hamas. S’il était possible de convaincre l’administration américaine de s’orienter vers cette approche, le message aurait plus de poids.
  • Revoir l’idée de « la Cisjordanie avant tout » Penser que l’on peut atteindre la stabilisation ou la paix sans la bande de Gaza est une utopie. Les européens et les américains doivent appuyer et encourager les efforts de médiation de l’Egypte entre Israël et le Hamas pour un cessez-le-feu mutuel et l’exécution de l’accord de 2005 sur les déplacements et l’accès à celle-ci (qui devrait protéger la circulation des personnes et des marchandises entrant et sortant de la bande de Gaza et maintenir les connexions entre Gaza et la Cisjordanie). Comme le soulignent la Banque mondiale et d’autres institutions financières internationales, il ne peut y avoir de récupération économique sans lever le blocus sur la bande de Gaza et sans supprimer les restrictions de mouvement en Cisjordanie.
  • Passer de la gestion des conflits à la résolution des conflits Les européens devraient encourager une perspective politique, à savoir l’application d’un accord de paix global sans lequel il est probable qu’une prochaine vague de violence éclate bientôt dans la région. En ce sens, il leur faudra envisager une approche plus efficace incorporant l’Initiative de paix arabe de 2002. Et ce qui est plus important, une telle approche signifierait que l’on passe de la gestion de la crise à la résolution du conflit israélo-palestinien. En effet, les parties en présence ne seront pas capables d’échapper par elles-mêmes à ce cercle vicieux de violence et de méfiance mutuelle. C’est précisément parce qu’elles ont démontré leur incapacité à parvenir à un accord final que la communauté internationale devrait intervenir et insuffler un peu d’espoir. De fait, pour vaincre leurs différences, les parties ont besoin d’une médiation externe beaucoup plus forte et active, accompagnant le processus et incluant : – une proposition de rapprochement ou un plan pour le document du statut définitif (c’est-à-dire un projet d’accord ébauchant les principaux éléments d’une solution reposant sur les résolutions de l’ONU et découlant de négociations antérieures, en laissant les parties négocier les détails et non pas des principes d’accord) ; – le suivi du respect, par les parties, des engagements provisoires susceptibles de conduire à une solution définitive et à l’application de sanctions en cas de manquement ; – des offres concrètes visant à garantir la sécurité, une présence sur le terrain pour superviser l’application de l’accord sur le statut définitif et le soutien nécessaire pour faire face à d’autres questions telle que celle des réfugiés. Pour cela, il faut que les partenaires du Quartet soient prêts à appuyer les négociations sur les détails d’un accord de statut final et à sanctionner tout manquement et usage de la force. Dans un tel contexte, les européens et américains devraient penser à des incitants et des entraves visant à influencer le comportement des parties. De la part de l’UE, cela signifierait, par exemple, de conditionner l’amélioration des relations décidée en principe au mois de décembre 2008 à la cessation complète d’implantations israéliens.

Les processus Syrie-Israël, Liban-Israël

Dans le processus syrio-israélien, plusieurs réunions de négociations indirectes ont été menées en 2008 sous la médiation de la Turquie. Les conversations – et autres signes favorables envoyés par Damas dans le contexte de l’accord de Doha en mai 2008, au sommet de Paris en juillet et au sommet de Damas en août – ont déjà eu des répercussions secondaires positives pour la Syrie, dont l’isolement international s’est amoindri. On n’attend cependant aucun progrès substantiel des conversations de paix tant qu’elles se tiendront de façon indirecte et que les USA ne s’y impliqueront pas. Tout comme dans le cas du conflit israélo-palestinien, les européens peuvent jouer un rôle de soutien et de plate-forme pour faire avancer les conversations, mais ils ne sont pas en mesure de remplacer les USA dans leur rôle de médiateurs et de garants de la sécurité. Il faut cependant éviter d’être trop optimiste à l’égard de ces progrès : même si les deux parties sont intéressées et que l’enjeu entre Israël et la Syrie est moins complexe et difficile que celui du conflit israélo-palestinien, il y a peu d’incitants susceptibles de pousser les dirigeants israéliens à ouvrir rapidement des négociations en vue de parvenir à un accord. Il faudrait réfléchir à des alternatives permettant d’atteindre une solution pacifique dans le cadre de négociations directes. De plus, tant que les relations syriolibanaises ne s’amélioreront pas et que le consensus national au Liban restera fragile, il n’y a aucune raison d’encourager les négociations directes sur le conflit israélo-libanais, contrairement à ce que certains européens et américains ont proposé. En même temps, il est important de renforcer les efforts de gestion et de mitigation des conflits – par exemple, dans le comité tripartite ONU, Israël et Liban – et de soutenir la médiation des Nations unies pour une solution provisoire pour Ghajar et une proposition en deux étapes pour la question des fermes de Shebaa. Les européens devraient également profiter des premiers progrès dans les relations syrio-libanaises pour travailler sur un contrôle conjoint de la frontière.