afkar/idées
Co-édition avec Estudios de Política Exterior
Le forum Amérique du Sud-Pays arabes
Le forum ASPA, initiative du Brésil, cherche à rapprocher l’Amérique du Sud du MoyenOrient dans le cadre d’une politique extérieure favorisant les relations Sud-Sud
Paulo Botta
En avril se tiendra le Troisième sommet du Forum Amérique du Sud-Pays arabes (ASPA) – prévu pour février à Lima (Pérou), mais ajourné à cause des révoltes au monde arabe – où se réuniront les chefs d’État et de gouvernement des 22 pays membres de la Ligue arabe et des 12 pays de l’Unasur. Les deux éditions précédentes de ce forum à ce niveau (Brésil 2005 et Qatar 2009) ont montré les possibilités et les limitations que ce type d’initiative interrégionale pouvait avoir. L’une de ses principales caractéristiques est sans doute d’associer des aspects politiques, économiques et culturels pour ainsi créer un domaine d’interaction compréhensif ayant contribué à rapprocher les deux régions. Dans le domaine culturel, la création de l’Institut d’études et de recherches sur l’Amérique du Sud (IERAS) à Tanger, la bibliothèque virtuelle ASPA (BibliASPA) à Sao Paolo, le festival sudaméricain de culture arabe dans cette même ville en mars 2010 et le début de la construction de la bibliothèque arabo-sud-américaine à Alger, œuvre de l’architecte brésilien Oscar Niemeyer, sont dignes de mention. C’est toutefois dans les domaines politique et commercial que les principales initiatives, mais aussi les divergences entre les différents interlocuteurs, ont été enregistrées. Alors que les sud-américains insistaient davantage sur les aspects commerciaux, les membres de la Ligue arabe étaient plus intéressés par l’obtention de soutiens vis-à-vis de leur politique. Le traitement réservé à ces deux volets a déclenché certaines méfiances aux USA et en Israël, tandis que du côté sud-américain, cette initiative était présentée comme une tentative de rapprocher les deux régions et non pas d’établir un axe anti-nord-américain.
Relations politiques
Le forum ASPA est une initiative brésilienne qui a vu le jour en 2003 dans le cadre de la tournée présidentielle de Lula da Silva dans les pays du Moyen-Orient, pour finalement déboucher sur le sommet de 2005. En ce sens, elle constitue une tentative de rapprochement entre les deux régions dans le cadre d’une politique extérieure privilégiant les relations SudSud. Parmi les autres initiatives similaires mises en œuvre par le Brésil à cette époque, mentionnons le Forum de dialogue IBSA (Inde, Brésil et Afrique du Sud) ou les sommets Afrique-Amérique du Sud, sans oublier son intérêt pour assurer la médiation, aux côtés de la Turquie, entre l’Iran et le Groupe 5+1. Le statut du Brésil en tant que puissance régionale ayant des ambitions globales justifie son rapprochement de zones d’intérêt qui, bien que géographiquement éloignées, possède une importance d’ordre géopolitique. Les autres pays sud-américains, qui font preuve de moins d’ambitions extrarégionales, ont tenté de limiter l’impact des questions politiques au sein de ce forum. Malgré cela, et sur la base d’initiatives des pays arabes, les déclarations finales des sommets de Brasilia et de Doha ont repris des affaires politiques telles que la question palestinienne, le conflit pour les îles du golfe Arabique avec l’Iran et la question sahraouie. Ainsi, alors que les interlocuteurs arabes se proposaient de développer l’aspect politique du forum, les pays sud-américains, qui n’ont aucun intérêt direct dans ces conflits, préféraient chercher un équilibre et s’orienter vers un langage diplomatiquement acceptable ne portant pas préjudice à leurs relations avec d’autres acteurs de la scène internationale.
Relations économiques
Les pays d’Amérique du Sud ont soutenu ce forum depuis le départ. Le considérant comme une excellente occasion de diversifier leurs marchés internationaux, ils ont cherché à promouvoir l’aspect des liens interrégionaux. Malgré les progrès observés, la relation commerciale avec les pays arabes reste inférieure à 10 % du total du commerce international des pays sudaméricains. Il s’agit donc d’un marché de caractère périphérique, quoique représentant un gigantesque potentiel.
La croissance soutenue des liens commerciaux au cours de ces dernières années ne peut cependant pas être rattachée exclusivement au forum ASPA, la force motrice étant en réalité l’existence d’économies complémentaires. Deux pays notamment, le Brésil et l’Argentine, monopolisent pratiquement la totalité des relations commerciales entre l’Amérique du Sud et les pays MENA. Pour le Brésil, ces pays ne représentent pas d’importants marchés à l’exportation pour ses produits, mais constituent, dans cette région, ses principaux fournisseurs. Le schéma général du commerce bilatéral pourrait s’appeler « combustibles contre aliments » : les principales exportations brésiliennes sont le sucre, la viande et les graisses végétales, tandis que ses importations sont presque exclusivement des combustibles fossiles. Dans le secteur des hydrocarbures algérien et libyen, il existe également une part d’investissements brésiliens qui contribue à renforcer la relation à moyen et long terme. Le Maroc et la Tunisie, quant à eux, exportent des minéraux et des engrais, et importent du soja et de la canne à sucre du Brésil. Pour ce qui est du Maroc, le principal partenaire commercial de Rabat en Amérique du Sud est l’Argentine, où il existe un lien et une collaboration de longue date en matière économique et politique. Les exportations argentines sont constituées par des céréales et des graisses végétales et animales. En 2009 et 2010, les chiffres ont montré un ralentissement attribuable à la crise économique internationale, et non pas à de mauvaises relations bilatérales. Le plus probable est que les liens commerciaux avec les pays du Maghreb s’améliorent, tout au moins dans le cas marocain, à compter de l’entrée en vigueur de l’Accord-cadre de commerce entre le Mercosur et le Maroc en mai 2010 (le texte avait été signé en novembre 2004). Il s’agit d’une étape nécessaire vers l’établissement d’un traité de libre commerce similaire à celui signé avec Israël en 2007 ou avec l’Égypte en 2008. Les relations argentino-algériennes ont évolué au-delà de la vente de produits primaires : des projets technologiques tels que la construction d’un réacteur nucléaire de recherche à la fin des années quatre-vingts du siècle dernier ont servi de base à d’autres initiatives, comme le développement d’un satellite d’observation à haute résolution. Ce type de projets conjoints serait vraisemblablement une voie à suivre pour le développement des relations Sud-Sud. Il convient de souligner que parallèlement aux rencontres politiques et culturelles, les réunions réalisées dans le cadre du forum ASPA s’accompagnent d’activités avec des entreprises (connues sous le nom de CEO Summits), où des représentants des industries et des secteurs d’activité commerciale les plus importants analysent des opportunités d’affaires et de coopération, tandis que les représentants politiques et diplomatiques se concentrent sur les aspects bilatéraux et multilatéraux. Malgré toutes ces avancées, le défi consiste à équilibrer les balances commerciales de façon à ce qu’elles soient bénéfiques à la fois pour les partenaires arabes et sud-américains. L’élargissement de l’offre actuelle des réseaux de transports aériens et maritimes directs entre les deux régions fait également partie des points prioritaires à aborder.
Conclusions
L’un des aspects les plus positifs a été l’inclusion du domaine culturel dans ce nouveau schéma de relations interrégionales. Dans le domaine politique, le rapprochement a mis en évidence les limites ou les contradictions qui pouvaient se poser : l’offensive diplomatique du Maroc, par exemple, pour obtenir des soutiens dans la question du Sahara Occidental, un thème particulièrement sensible pour les pays d’Amérique latine puisque beaucoup d’entre eux maintiennent des relations diplomatiques avec la RASD ou République arabe sahraouie démocratique (les pays sud-américains ayant reconnu la RASD sont la Bolivie, la Colombie, l’Équateur, le Guyana, le Paraguay, le Pérou, le Suriname, l’Uruguay et le Venezuela. Certains d’entre eux, comme le Pérou – 1996, sous le gouvernement d’Alberto Fujimori – ou la Colombie en 2001, lui ont cependant retiré leur soutien). Cela a obligé les pays de la région à chercher un équilibre entre les différents intérêts commerciaux et politiques. La possible incorporation de la question palestinienne au prochain sommet de Lima sera importante non seulement vis-à-vis des pays arabes mais encore pour la propre Unasur, qui devra assurer le rapprochement des différentes positions si elle souhaite faire de l’Amérique du Sud un acteur unifié sur la scène internationale. Dans le domaine économique, cette position commune a été plus facile à atteindre en raison des intérêts similaires des différents États sud-américains, ainsi qu’entre ceux-ci et les pays arabes, dans des aspects comme le soutien à l’Organisation mondiale du commerce et les négociations du Cycle de Doha. Dans le domaine culturel, il convient de souligner que les communautés arabes sudaméricaines ont joué un rôle important. Il est probable que cet effort silencieux mais clé finisse, à long terme, par générer des relations plus étroites et durables, au-delà des divergences politiques et économiques,