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Co-édition avec Estudios de Política Exterior
Immigration et reconnaissance linguistique
L’enseignement de l’arabe est une façon de mettre en œuvre des méthodes d’éducation interculturelle adaptées à la gestion de la diversité à l’école
Laura Mijares, professeur au département des Etudes arabes et islamiques de l’Université Complutense de Madrid.
Les programmes éducatifs d’enseignement des langues et cultures d’origine, plus connus dans le contexte européen sous le nom de programmes ELCO, sont suffisament pour justifier une révision de l’approche de leurs modèles de mise en œuvre. Dans la plupart des pays où ils sont offerts, la forme et le contenu des cours sont l’héritage de conditions déterminées par les caractéristiques des mouvements migratoires vers le nord de l’Europe produits après la Seconde Guerre mondiale. En ce sens, on peut affirmer que la présence en Espagne de cours de langues dites « immigrantes » est davantage le résultat d’un héritage des premières étapes de la migration non communautaire vers les pays du nord de l’Europe, que d’une véritable intention de respecter les droits linguistiques des minorités. L’intention de cet article est de faire un bilan des programmes ELCO en Espagne, en prenant pour modèle les cours de langue arabe qui, organisés par le gouvernement marocain, sont donnés dans certains centres d’enseignement primaire et secondaire.
L’apparition de l’ELCO en Europe
L’importante transformation démographique, économique et sociale soufferte par l’Europe après la Seconde Guerre mondiale s’est vue confirmée par la transformation de nombreux pays de ce continent en pays d’immigration. Des accords de recrutement de main d’œuvre étrangère ont donc été mis en œuvre, fondés sur le caractère transitoire des travailleurs que l’on embauchait. Ce système, connu sous le nom de gastarbeiter, fonctionnait avec un horizon placé sur le retour des travailleurs immigrés une fois leur travail terminé. Le remplacement de l’ancien modèle migratoire, d’implantation à durée indéterminée, par cet autre d’implantation temporaire, a conditionné le statut de ces travailleurs dans les sociétés d’accueil : ils faisaient l’objet de mesures d’emploi, mais ils restaient exclus des autres sous-systèmes sociaux, auxquels ils n’avaient pas le droit de participer. De fait, une procédure comme celle-ci a été précisément créée pour que les étrangers n’interfèrent pas dans la société d’accueil et ne modifient aucune de ses caractéristiques. Du point de vue des infrastructures ce n’était pas compliquée non plus : à l’époque, il suffisait d’aménager quelques baraquements provisoires qui pouvaient être facilement démantelés une fois que le travailleur retournerait dans son pays d’origine. Dans un tel contexte, les familles de ces travailleurs ne faisaient aucunement partie des plans des gouvernements.
Ce n’est qu’à partir de 1973, après la crise du pétrole, que les différents gouvernements décidèrent de freiner l’immigration de main d’œuvre temporaire qui avait été favorisée dans les décennies précédentes. Cette fermeture des frontières à l’immigration professionnelle encouragea l’implantation, sinon définitive, tout au moins prolongée, d’une bonne partie des immigrés destinés à retourner chez eux. Dans un tel état des choses, la présence continue d’enfants favorisa la mise en place, par les différents gouvernements, de mesures visant à gérer leur intégration. L’une des conséquences de cette intention fut précisément la mise en œuvre, à partir des années soixante-dix, de programmes ELCO destinés à un effectif scolaire étranger. La ligne directrice qui les guidait et marquait leur philosophie était la préparation d’un futur retour. Pour cette raison, ils s’organisaient en collaboration avec les gouvernements des pays d’origine de la population immigrée, de sorte que ces derniers avaient une part importante de responsabilité dans l’enseignement de la langue familiale des élèves. Comme c’est encore le cas aujourd’hui, la signature d’accords bilatéraux permet le partage des compétences, même si ce sont les pays d’origine qui se chargent des tâches les plus cruciales : élaboration du matériel scolaire, embauche et rémunération de professeurs à l’origine.
Changement des objectifs, immobilité du programme
La fermeture des frontières, dans les années soixante-dix, ainsi que la constatation qu’en réalité, les immigrés ne retournaient pas dans leurs pays d’origine, a mis en évidence un nouveau besoin à cet égard : celui de gérer, non plus l’arrivée et le départ des immigrés, mais leurs façons de s’incorporer aux différentes sociétés d’accueil. Dès lors, des plans d’intégration des immigrés reposant sur différentes conceptions de la nation ou de la citoyenneté ont été mis en place. A leur tour, ils ont donné lieu à des différents modèles théoriques d’incorporation des immigrés. Pour la première fois, des politiques reconnaissant les droits des travailleurs étrangers et de leurs familles ont commencé à s’appliquer.
Dans le domaine éducatif, de nouveaux apports théoriques commencèrent à souligner l’importance déterminante du milieu social des étudiants dans leurs trajectoires scolaires. La relation entre ces théories et le problème de l’intégration de l’effectif scolaire d’origine immigrée permit l’apparition de nouvelles perspectives plus démocratiques sur l’éducation des étudiants défavorisés, parmi lesquels se trouvaient les enfants des travailleurs étrangers. De même, dans le domaine des études sociolinguistiques, on insista sur le besoin d’encourager la conservation des langues d’origine si l’on voulait parvenir à une éducation équilibrée et garantir la réussite scolaire. Aussi, l’objectif de ce type de mesure linguistique n’étaitil plus de préparer au retour, mais d’exercer un droit susceptible de favoriser l’égalité des chances.
Le cas espagnol
Le fait que l’Espagne soit aujourd’hui un pays d’immigration ne détermine pas, à la différence de ce qui s’est passé dans la plupart des pays du nord de l’Europe, la présence des programmes ELCO. De fait, les deux seuls programmes de ce type qui existent (portugais et marocain) sont le fruit d’accords signés bien avant que l’on puisse imaginer les dimensions que prendrait l’immigration non communautaire aujourd’hui. En ce sens, l’ELCO marocain est le fruit de la Convention de coopération culturelle signée entre l’Espagne et le Maroc en 1980, sa mise en marche à partir du programme d’application de l’accord culturel hispano-marocain de coopération culturelle et éducative se produit en 1992. En réalité, deux aspects différents, mais liés entre eux, favorisent aujourd’hui son existence : à savoir, l’inertie des programmes de conservation linguistique négociés avec les pays d’origine dans les années soixante-dix, associée à l’existence d’une forte et longue relation bilatérale hispano-marocaine. Tout ceci, indépendamment de l’importante présence d’un effectif scolaire d’origine immigrée qui, depuis des années, frappe le système éducatif espagnol.
Aussi convient-il de se demander pourquoi maintenir les caractéristiques de ces programmes, et pourquoi continuer ce système de gestion par les gouvernements étrangers et de mise en œuvre par des professeurs marocains qui, en réalité, ne sont jamais parvenus à s’intégrer pleinement au sein de leurs centres de travail. L’objectif de la préparation au retour étant désormais abandonné, les objectifs de l’ELCO reposent sur l’idée de mettre en pratique un type d’éducation plus adapté à la configuration multiculturelle de l’école. L’enseignement de l’arabe semble une bonne façon de mettre en place des méthodes d’éducation interculturelle considérées plus adéquates, d’un point de vue théorique, pour gérer la diversité à l’école. Et ce, même si la pratique démontre qu’en réalité, la préparation au retour est toujours, pour de nombreux responsables de ce programme, la principale raison de son existence.
Ce qui est sûr, c’est que l’ELCO marocain, tel qu’il est développé, n’a pas été conçu pour respecter les prérogatives de reconnaissance linguistique qui, depuis longtemps déjà, sont recommandées par différentes instances européennes. L’organisation de cours de langues familiales pour l’effectif scolaire d’origine étrangère doit servir à capitaliser la valeur du multilinguisme au sein de la société européenne. La reconnaissance de toutes les langues sur une même échelle de valeur, et plus encore dans le domaine éducatif, est devenue une obligation que tous les membres européens devraient respecter. Cette reconnaissance passe sans aucun doute par la responsabilisation des différents gouvernements et l’implantation de mesures visant à garantir que toutes les langues des enfants soient considérées sur un pied d’égalité. Cependant, le domaine d’intervention de l’ELCO se limite à une part infime de l’effectif scolaire de nationalité marocaine : un peu plus de 2 000 élèves, répartis fondamentalement entre la Catalogne, Madrid et l’Andalousie. Dans la plupart des centres, les cours sont donnés en dehors des heures de classe, bien qu’il existe une modalité intégrée, ce qui démontre la place mineure réservée à l’arabe au sein des plans éducatifs de l’Etat espagnol. Et pourtant, dans certaines communautés autonomes comme Madrid, après l’espagnol, l’arabe est la langue la plus parlée dans les centres éducatifs.
Il faut rappeler l’engagement du gouvernement espagnol vis-à-vis de la reconnaissance linguistique de ses minorités. Il est non seulement signataire des politiques linguistiques dictées par le Conseil de l’Europe, mais encore sa propre configuration plurilingue devrait-elle favoriser l’ouverture vers d’autres langues qui, comme l’arabe, font déjà partie de la société espagnole.