Co-édition avec Estudios de Política Exterior
Publications

IEMed Mediterranean Yearbook 2022

Adrià Rivera Escartin
Chercheur pré-doctorale à l’Institut Barcelona
d’Estudis Internacionals (IBEI)
IEMed Mediterranean Yearbook 2022.
Institut Européen de la Méditerranée.
Barcelone, 2022. 518 p.

 Les crises sont des situations difficiles impliquant des changements brusques et profonds dans la société et la politique et qui, en principe, se définissent par opposition à un temps marqué par l’habitude et la continuité. Pourtant, dans la Méditerranée, la crise est notre normalité, et il est très tentant d’affirmer que la seule constante dans la région, est la certitude d’une instabilité continue. L’IEMed Mediterranean Yearbook met en évidence la futilité des définitions des dictionnaires et, cette année encore, ses auteurs tracent avec intelligence et concision les différentes dynamiques qui touchent la région. Ainsi, l’édition de la fin de la pandémie est devenue celle de la guerre en Ukraine. Il n’y a pas de répit. Si cela est vrai pour le Nord de la Méditerranée, cela l’est encore plus pour le Sud, où aux conflits enracinés (Sahara occidental, Israël-Palestine, Libye, Syrie…) s’ajoutent de nouvelles dynamiques déstabilisantes. Dans le Sud, on s’inquiète de la sécurité alimentaire dans le contexte actuel d’inflation et de dépendance vis-à-vis des céréales en provenance d’Ukraine. Dans le Nord, l’accent est mis sur la sécurité énergétique, l’ascension de l’extrême droite et la nécessité de donner sa propre voix à l’Union européenne à un moment où l’ordre international se redéfinit. Tout cela sans oublier les études de cas : la fin de la démocratie en Tunisie, la paupérisation de la classe moyenne libanaise, les tensions entre le Maroc et l’Algérie… une longue liste de sujets, à laquelle il faut ajouter les analyses sectorielles. Parmi celles-ci, on remarque les chapitres consacrés aux différentes facettes du changement climatique. Il est évident qu’il ne s’agit plus d’une menace lointaine évoquée, dans les rapports scientifiques.

L’IEMed Mediterranean Yearbook, en raison de sa forme de compendium, exige un effort important en termes d’édition, de coordination des auteurs, de compilation des données pour les annexes, nombreuses et très intéressantes, de mise en page… À ce travail s’ajoute la construction d’un récit unificateur qui donne sens à tous les textes qui, par ailleurs, doivent pouvoir être lus de manière autonome. C’est précisément en raison de la nature de ce genre d’ouvrage collectif que le résultat dans son ensemble peut souffrir d’un manque de cohérence. Or, ce n’est pas le cas. Les thèmes sont différents et les approches variées, mais tout au long de l’IEMed Mediterranean Yearbook, nous pouvons suivre un fil conducteur basé sur l’idée de changement, de restructuration et de renégociation des relations entre les États et entre la société et l’État, dans la région. Ainsi, l’IEMed Mediterranean Yearbook s’impose une fois de plus comme un ouvrage de référence pour suivre les tendances de la politique et de la société dans la Méditerranée. Le lecteur trouvera d’abord la section « Clés », qui permet d’identifier les points forts de l’année : les alliances changeantes, l’énergie et la transition énergétique, et l’avenir de la politique dans une région de plus en plus fragmentée. Elle est suivie par le « Dossier » sur les politiques sociales, qui se concentre sur l’impact de la pandémie. Enfin, la section « Panorama » présente un état des lieux par pays et par secteur, notamment la sécurité, l’économie, le territoire, la culture et la société.

Enfin, il est nécessaire d’avertir que la lecture de l’IEMed Mediterranean Yearbook peut laisser un sentiment de tristesse ou de malaise. Aujourd’hui, il semble que la région se définisse davantage par les « challenges », pour ne pas dire les problèmes, que par les « oppor-tunities » : des solutions basées sur les valeurs, les institutions et les identités partagées que le Processus de Barcelone cherchait à promouvoir. En ce sens, deux questions planent sur de nombreux textes : pourquoi la réponse à l’invasion de l’Ukraine par la Russie a-t-elle été si sournoise dans de nombreux États arabes ? Et pourquoi une partie importante du public arabe sympathise-t-elle avec la Russie ? La recherche d’un récit unificateur en Méditerranée qui favoriserait la coopération et les solutions aux problèmes communs s’est heurtée à cette réalité. Peut-être, à tort ou à raison, l’Europe dans son ensemble paie-t-elle aujourd’hui le prix de l’invasion de l’Irak et de l’intervention en Libye en dehors des limites fixées par le Conseil de sécurité ; peut-être la coopération euroméditerranéenne s’est-elle concentrée dans le passé de manière disproportionnée sur les besoins du Nord et pas tellement sur ceux du Sud.

D’autre part, l’IEMed Mediterranean Yearbook souligne que la guerre en Ukraine pourrait avoir des conséquences plus graves et imprévisibles pour les sociétés et la stabilité des régimes dans le Sud de la Méditerranée que dans le Nord. Des émeutes du pain ont déjà secoué la région par le passé, et le contrat social précaire des États non démocratiques – la stabilité en échange du bien-être – pourrait ne pas résister à l’assaut de la flambée des prix due au conflit. À cela s’ajoutent des dynamiques structurelles démographiques, économiques et climatiques. Comme en 2011, une partie de la jeunesse arabe est à nouveau confrontée à la dichotomie entre exode ou révolte. Heureusement, la chanson de Moustaki, un juif grec d’Alexandrie, reste vraie. Même si les choses se présentent mal, nous avons toujours le réconfort d’un bel été qui ne craint pas l’automne.

Publications

Autres numéros