Discrimination de la communauté musulmane dans le milieu du travail européen

Ada Mullol

La population musulmane en Europe s’est accrue de façon soutenue ces dernières décennies. En 1990, elle représentait 4 % du total de la population et, selon des estimations du Pew Research Center, en 2030 elle atteindra 8 %. Plusieurs études et rapports d’organismes européens et ONG constatent que cette population souffre une discrimination dans de multiples domaines à cause de sa religion, dont l’un des plus importants est le marché du travail. Ceci a des répercussions négatives sur leurs perspectives d’avenir et peut contribuer à leur isolement et leur stigmatisation. Il faut tenir compte du fait que, bien que dans certains États une proportion considérable de la communauté musulmane est de la nationalité du pays, souvent islam et immigration sont interconnectés et les statistiques ne disposent pas toujours de données séparant l’origine ethnique de la religion. Par exemple, le rapport d’Amnistie internationale Choix et Préjugé : Discrimination contre les musulmans en Europe (2012) affirme que, dans de nombreux pays, le taux d’emploi des minorités ethniques est moindre que celui de la population, en général. Bien que les données ne soient pas classées par religion, cette assertion est basée sur le taux d’emploi d’immigrés provenant de pays à majorité musulmane.

– Royaume-Uni

Selon des estimations du Pew Research Center, la population musulmane au Royaume-Uni en 2010 représentait 4 % du total, c’est-à-dire 2,8 millions d’habitants. Selon l’étude « Ethno-religious identities and persisting penalties in the UK labor market », publiée dans The Social Science Journal en 2014, les musulmans représentent le groupe le plus lésé dans le marché du travail du Royaume-Uni. Ceci s’explique parce qu’ils ont été placés dans la catégorie la plus basse du système racial ou ethnoculturel, étant donnée la croissante islamophobie et hostilité à l’égard de ce groupe. Cette étude signale, de plus, que les musulmans sont, avec les noirs africains et caribéens, ceux qui souffrent le plus du chômage. Selon le rapport d’Open Society InstituteMuslims in Europe : a Report on 11 EU cities (2010), deux des communautés à majorité musulmane les plus amples du Royaume- Uni, les Pakistanais et les Bangladais, présentaient en 2009 un taux de chômage de 12,8 % et 19,4 % respectivement, en grand contraste avec la population blanche avec un taux de chômage de 3,8 %. De plus, les musulmans sont ceux qui trouvent le plus de difficultés au moment de garantir leur emploi, en particulier les femmes, et de réussir à trouver un emploi salarié, comme le souligne l’étude sur le marché du travail britannique. Tout cela conduit à parler d’une « pénalisation musulmane » dans le marché du travail.

– Belgique

Selon des estimations du Pew Research Center, la population musulmane en Belgique en 2010 représentait 5,9 % du total. Plus de la moitié (55 %) présente la nationalité belge, selon Amnistie internationale. Selon le rapport de l’European Network Against Racism (ENAR) de 2013, parmi toutes les formes de discrimination enregistrées en Belgique en 2012, celles basées sur des critères raciaux supposaient 37,5 % et celles liées au racisme 55,9 %, tandis que celles basées sur des croyances philosophiques ou religieuses supposaient 18,4 % – parmi ces dernières, 21 % faisaient référence à l’emploi.

En Belgique, l’organisme responsable de l’égalité de traitement est le Center for Equal Opportunities and Opposition to Racism (CEOOR), créé en 1993. Du total des plaintes pour discrimination enregistrées en 2010, 84 % provenaient de musulmans, selon le rapport d’Amnistie. Dans ce pays, la discrimination pour des raisons religieuses se manifeste plus souvent dans l’emploi que dans d’autres domaines. Le rapport de l’ENAR fait mention d’une étude effectuée en 2011 où l’on a interviewé plusieurs responsables de la sélection d’employés, et un sur deux affirmaient que le fait qu’un candidat porte le voile ou un autre symbole extérieur de ses croyances personnelles pouvait influencer sa décision.

Bien que la Belgique présente une ample législation de protection face à la discrimination pour des raisons religieuses dans l’emploi, les différences de traitement sont permises si elles répondent à une exigence professionnelle déterminante. Cependant, Amnistie Internationale souligne que souvent, dans des entreprises privées, ces exigences portent sur l’utilisation de symboles religieux, afin de promouvoir une image corporative concrète et plaire aux clients et aux collègues. D’un autre côté, le rapport de l’ENAR souligne que dans le secteur public ces restrictions s’abritent derrière le principe de neutralité, compris de façon exclusive et non inclusive, selon lequel les employés ne peuvent pas manifester leur religion, croyances ou idéologies pour montrer une impartialité vis-à-vis des clients – ce qui finit par toucher les femmes musulmanes de façon disproportionnée, puisqu’elles manifestent leur identité religieuse avec leur façon de s’habiller. Amnistie signale que selon la Constitution belge ce principe inclut seulement l’éducation et non les fonctionnaires.

– Pays-Bas

Selon le Pew Research Center, la population musulmane dans les Pays-Bas en 2010 représentait 6 % du total. En 2006, le taux d’emploi des femmes néerlandaises n’appartenant pas à des minorités ethniques était de 56 %, tandis qu’Amnistie Internationale soulignait que pour les femmes d’origine turque ou marocaine il était de 31 % et 27 % respectivement. Le rapport de la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI) sur les Pays-Bas de 2013 soulignait à nouveau que ces deux groupes sont les plus vulnérables dans le marché du travail néerlandais, et il exigeait une réponse plus ferme des autorités. Comme le remarque le rapport de l’ENAR sur les Pays-Bas, plusieurs recherches développées par le Netherlands Institute for Social Research (SCP) ont permis de détecter des attitudes discriminatoires dans la sélection du personnel, surtout en ce qui concerne les musulmans. Ainsi, il conclut que les caractéristiques religieuses marquées ont souvent une influence sur le processus de sélection. Porter le voile ou la barbe, ou manifester certaines restrictions en ce qui concerne le contact physique –comme ne pas accepter de serrer la main à des personnes du sexe opposé – est considéré comme quelque chose de problématique. Les entreprises montrent une préférence pour les candidats sans ces caractéristiques. Au total, entre 2008 et 2011, 662 plaintes ont été enregistrées pour discrimination dans l’emploi pour des raisons religieuses, de racisme ou de nationalité. Dans certains cas, des personnes appartenant à ces minorités ethniques ont choisi ne pas demander des postes d’emploi car elles s’attendent à être discriminées.

– Espagne

Selon le Pew Research Center, la population musulmane en Espagne en 2010 représentait 2,1 % du total. Le dernier rapport de l’ECRI sur l’Espagne, de 2011, signale que le domaine du travail est celui où l’on retrouve le plus de discrimination et que la législation anti-discrimination en vigueur n’est pas bien connue. De plus, il souligne que le groupe le plus touché est celui des musulmans d’Afrique du Nord. Selon le rapport de l’ENAR sur l’Espagne de 2013, cette discrimination a lieu aussi bien au moment d’accéder à l’emploi qu’une fois obtenu. Les responsables de la sélection considèrent qu’employer des musulmans pourrait avoir un impact négatif sur leurs clients en raison des préjugés sur cette communauté, et donc ils les refusent souvent indirectement, sous prétexte que le poste est occupé. Selon le rapport de l’ENAR, 18 % des Espagnols considéraient en 2013 que l’expression des croyances religieuses personnelles pouvait placer un candidat dans une position de désavantage lors de l’entretien de travail.

En ce qui concerne la discrimination dans le poste de travail, les musulmans en pâtissent, par exemple, au moment de célébrer les fêtes religieuses. Dans ces cas-là, ils doivent demander des journées de congés pour raisons personnelles ou des heures de permission pour réaliser certaines cérémonies et ils sont souvent critiqués pour cela – le mois de ramadan est l’une des fêtes les plus controversées à ce sujet. D’un autre côté, les musulmans qualifiés travaillent souvent dans des positions très basses et dans de nombreux cas dans des « positions invisibles », c’est-à-dire éloignés du regard des clients. Les femmes musulmanes souffrent aussi dans certains cas d’hostilité et de harcèlement avec des commentaires humiliants du fait de leur apparence. Selon un sondage de ce rapport, seulement 34 % des Espagnols considéraient, en 2013, que les mesures de promotion de la diversité religieuse dans le lieu de travail sont suffisantes, et 67 % croyaient que la crise économique a contribué à l’augmentation de la discrimination dans l’emploi pour des raisons d’origine ethnique. Le rapport Musulmanes en la Unión Europea : Discriminación e islamofobia de Casa Árabe (2007), soulignait que les syndicats en Espagne ont réussi à ce que les entreprises soient plus flexibles avec les différences culturelles. L’ECRI recommandait en 2011, que l’on prenne des mesures pour lutter contre les préjugés qui conduisent à cette discrimination, mais elle a loué la façon dont les autorités ont traité la situation après les attaques terroristes de 2004. n

– Tests de discrimination

Certaines des preuves sur la discrimination dans l’emploi pour des raisons religieuses ont été obtenues à travers les plaintes, des sondages d’opinion et des enquêtes sur la perception d’attitudes discriminatoires. Il faut tenir compte du fait que les victimes de discrimination dans l’emploi souvent ne portent pas plainte, comme l’assure le rapport Racism and Discrimination in Employment in Europe de l’ENAR de 2013. Les raisons sont multiples : la difficulté de prouver cette discrimination, le manque de confiance dans le système judiciaire, le manque de connaissances sur la législation, la durée et le coût des procédures et la peur d’une re-victimisation sont quelques unes. Ainsi donc, seulement un nombre limité de cas de discrimination donne lieu à des plaintes formelles et encore moins à des procédures judiciaires.

Pour prouver la discrimination dans l’emploi on a aussi effectué des expériences sur les pratiques de recrutement, les dits « tests de discrimination », comme le signale le rapport de Casa Árabe. Dans la plupart de ces tests on analyse comment les entreprises tendent à juger de façon différente les demandes de personnes avec des noms occidentaux ou avec des noms appartenant à des minorités ethniques ou religieuses. Au Royaume-Uni, l’émission de radio britannique « Five Live » de la BBC a envoyé en 2004 des demandes d’emploi de six candidats fictifs dont les noms indiquaient leur origine britannique, africaine ou musulmane, à 50 entreprises. Résultat : 23 % des candidats blancs ont été invités à un entretien, tandis que seulement 13 % et 9 % des africains et des musulmans respectivement. Selon le rapport de Casa Árabe, l’Observatoire des Discriminations de l’Université de Paris I, en France, a réalisé cette année-là une expérience semblable et il a conclu que la probabilité d’obtenir une réponse positive était cinq fois moindre pour les candidats maghrébins. Plus récemment, une ample étude effectuée par l’Institut Montaigne, avec Marie-Anne Valfort, qui a répondu à 6.231 offres d’emploi entre 2013 et 2014 dans toute la France, conclut que les demandeurs catholiques pratiquants étaient invités à un entretien dans 20,8 % des cas, tandis que les juifs pratiquants étaient invités dans 15,8 % des cas et finalement les musulmans dans 10,4 % des cas. L’étude conclut aussi que lorsque les musulmans se présentent comme séculiers leurs options augmentent jusqu’à 12,9 %.