Le développement du marché ‘halal’ européen, une réalité grandissante

18 juillet 2016 | | Français

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Le développement du marché ‘halal’ européen, une réalité grandissante

Le marché ‘halal’ va au-delà de l’alimentation, il inclut des secteurs comme le financier, le tourisme, la mode, les médicaments, les loisirs et les cosmétiques-

Tomás Guerrero Blanco

Halal définit l’ensemble des pratiques, des biens et des services permis aux musulmans. Ce terme apparaît dans le Coran et fait référence à tout ce qui n’est pas interdit par la loi islamique ou par la charia et il signifie donc licite, éthique, sain et non abusif. Son antonyme est haram, ce terme apparaît aussi dans le Coran et traduit tout ce qui est interdit et donc, nuisible, illicite, non éthique ou abusif. Tout ce qui n’est pas expressément interdit, qualifié de haram, est permis, c’est-à-dire halal. Conformément aux règles islamiques sont haram: la chair d’une bête morte, le sang de tout animal, la viande de porc et de sanglier, celle d’animaux non sacrifiés selon le rituel islamique, celle d’animaux carnivores et charognards, celle d’oiseaux à serres, celle d’animaux rampants ou qui s’enterrent, l’alcool, les substances nocives ou vénéneuses, les ingrédients provenant d’animaux haram, tels que les additifs, les conservateurs, les colorants, les arômes, etc., l’intérêt, l’usure, la spéculation abusive, les paris et les jeux de hasard et la pornographie. Cet ensemble d’interdictions détermine la vie quotidienne des musulmans, car elles ont trait à des questions essentielles dans la pratique, comme le sont l’alimentation, l’hygiène ou les relations économiques et commerciales. C’est pourquoi des segments de marché halal ont surgi dans des secteurs comme l’alimentation ou celui des finances et que ce terme et ses implications est assimilé à un mode de vie qui, comme nous le verrons, est de plus en plus séduisant pour les non musulmans.

Actuellement, le terme halal a dépassé les connotations religieuses et même pour beaucoup, non-musulmans inclus, il est synonyme de qualité, de santé et de durabilité. La découverte de la viande de cheval dans certains produits de quatrième et cinquième gamme qui sont commercialisés dans l’Union européenne (UE), l’utilisation massive de clauses abusives de la part d’établissements bancaires et financiers dans les économies développées ou la recherche d’une alimentation bio et/ou healthy, ont amené beaucoup de consommateurs non-musulmans au cours de ces dernières années à demander et à consommer des produits ou des services halal. Une étude menée par l’Institut Halal sur une grande surface commerciale de Madrid a montré que 60 % des consommateurs de produits halal consultés n’étaient pas musulmans. Ils indiquaient que la recherche d’une garantie de qualité extra était la principale raison pour laquelle ils achetaient ces produits. Pour les consommateurs non-musulmans, halal est devenu une garantie de qualité et tout comme pour les musulmans, il englobe tout ce qui est bon et salutaire pour l’être humain.

Les ‘drivers’ du marché ‘halal’

L’ensemble des pratiques halal a permis l’émergence d’opportunités commerciales qui vont plus loin que le secteur de l’alimentation. La demande et la consommation de produits et de services halal non alimentaires a favorisé le développement du reste des secteurs constituant aujourd’hui le marché halal : la finance, le tourisme, les médicaments, les loisirs et les cosmétiques. Ils sont tous en train d’enregistrer des taux de croissance stratosphériques. Mais, quels sont les moteurs de croissance de ces secteurs en particulier et du marché halal en général ?

L’essor du marché halal est dû à la combinaison de trois facteurs qui mettent en place un mécanisme de rétroaction: un grand secteur de la population en pleine croissance, le développement économique des pays à majorité musulmane et l’apparition de la classe moyenne dans ceux-ci.

En 2010, il y avait 1,6 milliard de musulmans, soit 23,4 % de la population mondiale. Selon les dernières estimations, ils représenteront en 2030 plus de 2,2 milliards d’individus, soit 26,4 % de la population totale. Leur taux de croissance est estimé à 37,5 % pour les 20 prochaines années (The Halal Economy and the Islamic Capital Market, KFH Research Ltd, 2014). Cette croissance démographique ne se limitera pas exclusivement aux régions où réside actuellement un plus grand nombre de musulmans, comme le sudest asiatique et la région MENA (acronyme anglais désignant le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord) et qui concentraient environ un milliard et 320 millions d’individus respectivement en 2010, mais elle sera aussi très significative dans autres régions comme l’Afrique subsaharienne, l’Europe et l’Amérique, où il est prévu qu’ils passeront de 243 millions, 44 millions et cinq millions enregistrés en 2010 à près de 386 millions, 58 millions et 11 millions en 2030, respectivement.

Cette fraction importante et grandissante de la population, dont l’âge moyen est de 25 ans (Thomson Reuters, 2015), se concentre dans les régions les plus dynamiques du monde, dans les économies dites émergentes. Pour la période 2015-2019, les dernières projections indiquent que le PIB des 57 pays membres de l’Organisation de la coopération islamique (OCI) devrait augmenter de 5,4 % en moyenne contre 3,6 % de la moyenne mondiale (Islamic Growth Markets Investment Report, Thomson Reuters and DinarStandard, 2015). Récemment, le FMI a révisé ses prévisions, en indiquant le classement des 10 économies qui vont croître le plus en 2016. Parmi elles, se trouvent des pays à majorité musulmane comme l’Irak (7,2 %), le Bangladesh (6,6 %) ou le Sénégal (6,6 %) et des pays comme l’Inde (7,5 %) qui, sans être majoritairement musulmane, est le deuxième du monde qui compte le plus grand nombre de musulmans (140 millions selon le Pew Research Center, 2015).

Les taux de croissance enregistrés dans les pays à majorité musulmane, dont la plupart sont à deux chiffres, sont en train de susciter l’apparition de la classe moyenne ayant plus de pouvoir d’achat et des modes de consommation qui s’approchent vertigineusement de celles des occidentaux. La preuve en est qu’en 2030 66 % de la classe moyenne totale mondiale se concentrera dans la région Asie-pacifique (Hitting the sweet spot: The growth of the middle class in emerging markets y Personas con ingresos diarios entre 10$ y 100$, E&Y, 2013), où les musulmans représentaient presque 25 % en 2014 et ils devraient dépasser 1,3 milliard d’habitants en 2030. Ces trois facteurs, conjugués à la demande accrue de produits et de services halalde la part de consommateurs nonmusulmans, contribuent de façon décisive à la croissance des différents secteurs qui constituent le marché halal.

Au-delà de l’alimentation

Durant des décennies et à la suite du sous-développement du reste des secteurs de production, le marché halal a été lié ou associé à l’alimentation. Et il est vrai qu’aujourd’hui encore, avec la permission de la finance islamique, il est le principal segment du marché halal, même s’il n’est plus le seul.

Ces dernières années, d’autres secteurs comme le touristique ou le pharmaceutique se sont faits une place sur ce marché, en élargissant l’éventail de produits et de services halaldisponibles et en favorisant la création de nouvelles opportunités qui ne sont pas passées inaperçues pour les grandes multinationales et pour les fonds d’investissement.

La valeur des différents secteurs composant le marché halal, y compris le financier et les actifs bancaires islamiques, a dépassé 4,9 billions de dollars en 2014 et tout semble indiquer qu’elle atteindra 8,4 billions de dollars en 2020 (State of the Global Islamic Economy Report 2015/16, Thomson Reuters, 2015). Dans cet ensemble de secteurs que certains experts ont appelé économie islamique globale et au-delà des prévisions des finances islamiques, les actifs bancaires islamiques et l’alimentation halal – qui vont passer de 1,8 billions de dollars, 1,3 billions de dollars et 1,1 billions de dollars respectivement en 2014, à 3,2 billions de dollars, 2,6 billions de dollars et 1,5 billions de dollars en 2020 –, ce qui attire l’attention c’est la croissance et le niveau de développement que vont connaître le tourisme, la mode halal ou modest fashion, les cosmétiques ou les médicaments halal.

Selon les dernières estimations, ces secteurs émergents, stimulés dans une large mesure par le dynamisme de l’alimentation halal (essentiel pour le développement du tourisme halal) et la finance islamique (source de financement alternative) ont atteint 142 milliards de dollars, 230 milliards de dollars, 75 milliards de dollars et 54 milliards de dollars respectivement en 2014. Tout comme dans le cas de l’alimentation halal, la finance et les actifs bancaires islamiques, on s’attend à ce que le taux de croissance annuel composé (TCAC) s’élève dans tous les cas à 5,5 % pour la période 2014-2020 et que pour cette dernière année-là, la valeur de ces secteurs se situe autour de 233 milliards de dollars, 327 milliards de dollars, 106 milliards de dollars et 80 milliards de dollars respectivement.

Le marché ‘halal’ en Europe

Au cours de ces dernières années, on a assisté à une arrivée en masse d’entreprises européennes sur le marché halal. L’immense majorité, attirée par la demande croissante de produits et services halal, vise à exporter leurs biens et services aux pays à majorité musulmane où la liste d’opportunités est longue. Mais elles sont de plus en plus nombreuses à s’intéresser au marché national composé, dans le cas de l’Europe, de près de 50 millions de clients potentiels (nombre approximatif de musulmans vivant ici, y compris 14 millions de musulmans de Russie. Pew Research Center, 2015).

Dans le secteur de l’alimentation halal, dont la valeur oscille en Europe entre 40 et 100 millions d’euros (Doing business in the Halal Market-Products, Trends and Growth Opportunities, Euromonitor, 2015), la forte dépendance de l’extérieur des pays du Maghreb et du Moyen-Orient qui importent de 50 % à 60 % des aliments qu’ils consomment, l’augmentation de la population musulmane en Europe qui se situera aux environs de 60 millions en 2030, et la progression d’arrivées de touristes musulmans au Vieux Continent, a amené des producteurs comme Nestlé, Unilever ou Danone, et à des distributeurs, comme Tesco ou Carrefour, à miser sur ce marché, aussi bien en Europe qu’à l’extérieur. La France et le Royaume- Uni dominent ce secteur, dont les marchés nationaux d’alimentation halal ont enregistré respectivement en 2014 des valeurs de six milliards de dollars et 4,5 milliards de dollars, et ils se situent parmi les principaux exportateurs de viande halal et d’animaux vivants aux pays membres de l’OCI dont les exportations ont représenté en 2014, pour ce qui est de la France, 700 millions de dollars (Salaam Gateway, 2016). Il faut aussi souligner le rôle des entreprises comme Nestlé, qui compte 159 usines et 300 produits certifiés halal, et Tesco qui dispose de linéaires avec un large éventail d’aliments et de boissons halaldans ses surfaces commerciales au Royaume- Uni, en Turquie, en Malaisie et en Inde.

Le reste des secteurs halal n’en sont qu’à un stade embryonnaire et il n’existe pratiquement pas de données ou d’estimations sur leur développement en Europe. Il faut néanmoins souligner des secteurs tels que la finance et la banque commerciale islamique qui sont arrivés à fonctionner naturellement dans des pays comme le Royaume-Uni ou le Luxembourg, après que leurs gouvernements aient apporté les modifications nécessaires à leurs systèmes juridiques (en 2014, le Trésor britannique a émis des obligations islamiques ou sukuks pour financer ses dépenses courantes d’un montant de 200 millions de livres). Il faut aussi signaler le tourisme halal, avec la création de Shaza Hotels, un réseau d’hôtels 100 % halal, de la part de la chaîne allemande Kempinski ou encore le décollage de ce secteur en Espagne, la Croatie ou le Royaume-Uni, où la certification de restaurants et d’hôtels a conduit à un accroissement significatif de l’arrivée de touristes musulmans au cours des années. En 2014, par exemple, les touristes musulmans ont dépensé 3,3 milliards de dollars au Royaume-Uni (CrescentRating, 2015). De même, en ce qui concerne la mode ou la cosmétique halal, nous trouvons des compagnies européennes – comme D&G, qui a lancé une collection de hijabde luxe, ou L’Oréal, qui commercialise des cosmétiques halaldans des pays à majorité musulmane –, qui cherchent à se faire une place sur ce marché.

L’Europe a ainsi une possibilité de capitaliser l’essor de ce marché mais, pour y arriver, ce qui a été fait jusqu’à présent n’est pas assez et voire même insuffisant. Afin de répondre à la forte demande de biens et de services halal, il faudra, en dehors du secteur de l’alimentation, un plus grand nombre d’entreprises certifiées et un éventail plus large de produits et de services halal, ainsi qu’un cadre réglementaire commun qui facilite la certification de nouvelles entreprises et le développement d’un marché halal européen.

Une opportunité pour l’Espagne

En Espagne, septième exportateur mondial de produits agroalimentaires et troisième récepteur de touristes étrangers (Marca España 2016), le décollage de ce marché n’est pas passé inaperçu. La hausse du pouvoir d’achat de 1,6 milliard de musulmans dans le monde et l’existence d’une demande non satisfaite (l’absence d’un large éventail d’aliments halal dans les pays occidentaux a poussé beaucoup de musulmans à consommer casher), ont suscité l’intérêt des entreprises espagnoles pour ce marché.

Actuellement, l’Institut Halal compte près de 300 entreprises certifiées en Espagne. Elles appartiennent à 95 % au secteur de l’alimentation et des boissons. Il n’est donc guère surprenant qu’entre 2012 et 2014, plus de 90 % de la vente d’environ 380 000 tonnes d’aliments et de boissons halal, réalisée par les entreprises espagnoles certifiées, ait porté sur quatre produits à base de viande : poulet, boeuf, dinde et mouton. Au cours de cette période, les exportations d’aliments et de boissons halal ont aussi connu une croissance importante, plus de 82 %, en passant de 11 200 tonnes en 2012 à 20 500 en 2014. L’Algérie a été la principale destination des produits halal exportés en 2014 (52 % du montant total exporté), tandis que le Maroc (10 %) se positionnait comme le deuxième partenaire commercial. Parmi les marchés européens, il y a lieu d’en citer deux : la France, qui représente 8,5 % des exportations espagnoles halal et le Royaume-Uni avec 4 %.

Les possibilités sont infinies et vont au-delà de l’agroalimentaire. Dans le cas du tourisme, des 65 millions de touristes qui ont visité notre pays en 2014, environ deux millions étaient musulmans, une hausse de 18 % par rapport à 2013 (Turespaña, 2015). Il convient de souligner l’augmentation de touristes en provenance d’Indonésie (+118 %), de Jordanie (+90 %), de Turquie (+88 %) et du Kazakhstan (+87 %), ainsi que celle du nombre d’établissements touristiques certifiés par l’Institut Halal, qui, à l’heure actuelle, sont déjà plus d’une dizaine. Car l’Espagne et son héritage andalou séduit les touristes musulmans. La preuve en est que, bien que cette industrie n’en soit qu’à un stade embryonnaire, l’Espagne est passée en une année de la vingtième à la neuvième position du Global Muslim Travel Index, élaboré par MasterCard et CrescentRating, en se plaçant comme l’une des destinations les plus attrayantes (des pays non membres de l’OCI) pour les musulmans.

Au-delà des chiffres qui indiquent incontestablement un horizon prometteur pour les entreprises certifiées, l’aspect le plus important de l’Espagne est qu’elle a tous les atouts nécessaires pour définir un hubd’alimentation et de tourisme halal autour du triangle formé par Cordoue, Malaga et Grenade : un tissu agroalimentaire et touristique dynamique, des produits et des services de qualité, d’excellentes infrastructures pour écouler les marchandises et recevoir des touristes, une marque réputée et facile à reconnaître par les consommateurs (Al-Andalus), l’institution compétente pour délivrer les certifications halal (Institut Halal) et trois villes qui ont des liens culturels et économiques solides avec le monde islamique.

Grâce à l’Institut Halal et à la Mairie de Cordoue, un grand pôle industriel et d’entreprises axé sur l’industrie halal a commencé à se développer à Cordoue qui pourrait constituer la première étape d’un hub global. Il s’agit, sans doute, d’une opportunité extraordinaire pour l’Espagne et ses entreprises.