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Co-édition avec Estudios de Política Exterior
Des professionnels maghrébins jouent le rôle d’agents de développement
L’apparition ces dernières années de nouveaux profils de migrants et la diversification des flux en provenance des pays du Maghreb se sont accompagnées par l’émergence de nouveaux visages de l’immigration maghrébine en France, voire en Europe. Ces nouveaux visages qui rompent avec les représentations premières de l’immigration maghrébine construisent de « nouveaux espaces » entre les pays d’origine et ceux d’accueil. Mais aussi, ils développent des formes nouvelles d’échanges, de coopération et de participation des populations immigrées entre pays d’accueil et pays d’origine.
En France, une des manifestations de ce nouvel âge de l’immigration maghrébine est la multiplication d’« organisations diasporiques » sous forme d’associations professionnelles, culturelles voire politiques. Il s’agit d’associations (loi 1901) ou de collectifs d’associations auto-organisés d’immigrés ou personnes issues de l’immigration œuvrant ou participant dans le développement, le transfert des savoirs et la modernisation de leurs pays d’origine ou le Maghreb.
Cette nouvelle donne de l’immigration maghrébine qui reste étroitement liée à son histoire récente trouve ces justifications dans les trajectoires des individus et les « nouveaux rapports » qu’établissent ces nouveaux migrants entre leur pays origine et leur pays d’accueil. Elle renvoie également aux rôles et aux formes de participation diversifiées des populations immigrées et des diasporas dans le développement de leurs pays d’origine et la « nouvelle approche » (positive) des migrations dans l’espace méditerranéen, par la valorisation de l’expérience migratoire et la mise en valeur des différentes formes de transfert qui en découle.
Le mouvement associatif issu de l’immigration maghrébine en France ou lié à l’ « histoire plurielle » des populations originaires des pays du Maghreb concerne plus de 5 000 associations. Dans leur ensemble, ces associations sociales, culturelles, professionnels, sportives… par leurs activités reproduisent une continuité entre les mouvements associatifs d’hier et ceux d’aujourd’hui. Par ailleurs, elles sont, plus que jamais marquées par les transformations récentes de l’immigration maghrébine puisqu’on recense, depuis le milieu des années quatre-vingt-dix, la multiplication des associations de « professionnels », (médecins, informaticiens, ingénieurs, avocats, économistes, investisseurs) maghrébins en France. Ces associations, ou ensembles corporatistes, sont souvent composées de migrants (anciens étudiants et diplômées des universités françaises) et de personnes issues de l’immigration maghrébine. Leurs champs de compétences sont diversifiés puisqu’ils concernent l’enseignement, la recherche, la communication, l’action culturelle et artistique, l’engineering, l’aide au développement, la coopération…
Ces nouvelles associations dans leur ensemble rendent compte, d’une part, de la permanence de l’engagement « politique et sociale » des étudiants et des diplômés maghrébins des universités françaises dans les mouvements associatifs issus de l’immigration en France : les étudiants maghrébins « migrants » ont toujours investi le champ associatif issu de l’immigration depuis les années soixante-dix. D’autre part, elles nous renseignent sur les formes de rupture qui s’opèrent à l’intérieur de l’immigration maghrébine et de la nature des liens entre les différentes composantes de cette population en France.
Ce qui caractérise les associations de professionnels maghrébines en France c’est leur distanciation par rapport au champ associatif issu de l’immigration et la rupture avec ces problématiques classiques telles que les questions d’intégration, de discrimination, d’emploi… Ce mode d’organisation nouveau au sein de l’immigration maghrébine rend compte des intérêts, des stratégies et des revendications de catégories socioprofessionnelles précises. Cette structuration nouvelle selon des catégories « professionnelles » apparaît comme une identification collective à un groupe social précis, en démarcation par rapport à l’ensemble de l’immigration maghrébine.
Les associations « professionnelles » maghrébines peuvent concerner une origine nationale telle que l’association des informaticiens marocains de France, des juristes marocains, ou encore avoir une vision régionale telle que l’Amicale des médecins d’origine maghrébine en France (Amonf ) et l’association des ingénieurs maghrébins en France. Nous pensons qu’une telle structuration, Association des médecins d’origine maghrébine, qui associe des personnes des trois « diasporas » maghrébines et qui repose sur une vision régionale, voire globale, rompt avec la diversité des diasporas maghrébines. L’espace d’ « origine » n’est plus le local c’est-àdire le territoire mais l’ensemble des pays du Maghreb.
A travers leurs actions menées ces dernières années, dans les trois pays du Maghreb, ces associations scientifiques et professionnelles participent pleinement de l’amélioration et de la modernisation de l’enseignement supérieur, le transfert et l’actualisation des techniques de recherche, la contribution dans la formation de jeunes chercheurs par leur accueil dans leur laboratoires ou hôpitaux en France et l’établissement d’échanges entre universités et centres de recherche des deux rives. Une autre action mérite d’être soulignée, c’est leur participation réelle au transfert des sciences par le biais des différents séminaires, stages ou journées de formation organisées à ce jour au Maghreb.
Il existe un autre type d’association : il s’agit d’associations à finalités entrepreneuriales. C’est l’évolution de l’appareil commercial et des modes de consommation au Maghreb qui ont donné naissance à ces dernières.
Dans l’ensemble, ces formes nouvelles d’organisation des maghrébins en France, qu’on retrouve chez d’autres « populations immigrées », mettent en évidence leur rôle dans le développement local. Elles réduisent en même temps pour les pays d’origine les pertes induites par la migration et le départ de personnes qualifiées ; tels que les ingénieurs médecins, scientifiques, techniciens…
Par ailleurs, l’organisation interne des communautés nationales à l’étranger peut à partir de capacités de mobilisation défendre les intérêts de groupes « nationaux » voire des intérêts de leurs pays d’origine auprès du pays d’accueil et s’imposer comme agent intermédiaire. Ces organisations peuvent, aussi, constituer un potentiel de pression et favoriser le développement d’une autorité. C’est pour ces raisons que les pays de départ, essayent d’accompagner les différentes formes d’organisation de leur population expatriée. Les pays d’accueil, de leurs côtés, voient dans ces formes nouvelles d’organisation des populations maghrébines des partenaires « crédibles » voire « de nouveaux agents de développement ». C’est à ce titre que se justifie l’intérêt porté par les États d’accueil ces dernières années ; cas de la France à l’ « option diaspora » dans l’approche des migrations internationales. Cette option est plus que jamais l’approche privilégiée dans les formes nouvelles de partenariat avec les pays du Sud. Cette approche est largement confortée par le soutien des organisations internationales aux diasporas scientifiques et techniques originaires du Sud à travers le monde.
La structuration des immigrés maghrébins en France témoigne également de l’attachement au pays ou région d’origine. Ces associations professionnelles apparaissent ainsi comme un nouveau mode de connexion des expatriés avec leur société d’origine. Ainsi, ingénieurs, médecins, chercheurs, techniciens vont par le biais de ces associations participer effectivement au développement de leur pays par le transfert de connaissance et de savoirs sans retour physique, notamment dans l’enseignement, la formation et la recherche. Ce mode d’organisation des « diasporas » maghrébines confirme leur rôle dans les formes nouvelles de la coopération internationale et met aussi, en évidence le poids des « capacités scientifiques et techniques » des pays du Maghreb.