Algérie : un paysage politique divisé

Un système hyper-présidentialiste et une loi asphyxiante affaiblissent les partis politiques algériens et s’opposent à l’existence d’éventuelles coalitions d’alternance.

Rafael Bustos, chercheur en post-doctorat MEC, IREMAM-CNRS.

La loi algérienne des partis est une norme qui cherche à systématiser minutieusement les aspects de la création et du fonctionnement des organisations politiques. Le résultat est relativement asphyxiant et difficile à comprendre si l’on ne tient pas compte du fait que son objectif est de contrôler au maximum la formation de partis, traditionnellement considérés comme suspects en Algérie et tout particulièrement à partir de 1992, lorsque les trois grands fronts (Front de Libération Nationale-FLN, Front Islamique du SalutFIS, et Front des Forces Socialistes-FFS) se sont retournés contre le régime. Non en vain, le Conseil Constitutionnel, à nouveau instauré par la constitution de 1996, a déclaré que la norme franchissait les limites légales dans plusieurs de ses restrictions à l’exercice politique. 

La norme définit ce qu’est un parti politique et stipule les objectifs qu’il doit et ne doit pas poursuivre en vue de sa légalisation. Elle réglemente en détail la procédure de constitution, qui passe par deux étapes : la déclaration constitutive ou création en attente de confirmation (seulement préparatoire) et la reconnaissance, qui lui confère de pleins effets légaux et moraux (définitive). Les exigences à remplir par un parti se réfèrent à ses fondateurs et dirigeants, à ses fins et activités, à la remise de documentation, à l’organisation d’un congrès sous certaines conditions, à l’approbation et à la remise des statuts et au fonctionnement interne. L’enregistrement final d’un parti par le Ministère de l’Intérieur ne se fait qu’après l’évaluation de la conformité de toutes ces contraintes. 

Un parti qui est créé en contrevenant à ces dispositions ou qui les viole une fois créé risque d’être suspendu ou dissous. Dans les deux cas, il existe la possibilité de recourir auprès du Conseil d’Etat. Le Ministère de l’Intérieur est chargé de demander au tribunal la suspension ou dissolution du parti. Malgré cette garantie judiciaire élémentaire, il est regrettable que la loi algérienne ne précise pas quels sont les cas particulièrement graves, répétés et non attribuables à un seul individu susceptibles d’entraîner la suspension ou la dissolution du parti. Elle laisse donc une porte très ouverte à la discrétionalité du pouvoir exécutif. 

Nombreuses sont les dispositions de cette loi qui font référence au FIS ou à tout autre parti analogue susceptible d’être créé. Bien que la loi précédente sur les partis (1988) empêchait déjà l’existence de partis fondés ou agissant sur la base de critères religieux, ethniques, sexuels ou corporatifs et interdisait l’incitation ou l’usage de la violence, la loi actuelle a voulu aller plus loin. Non seulement elle reprend ces interdictions, mais encore énonce-t-elle une série de principes inviolables devant être respectés par tous les partis. En outre, elle fait de la procédure de création une démarche longue et complexe, contrairement à la loi précédente, que l’on accusait de donner trop de facilités. En exigeant un nombre considérable de membres fondateurs (25 au lieu de trois), leur distribution géographique (résidant dans 16 wilayas) et l’organisation d’un congrès qui réunisse un grand nombre de congressistes et d’affiliés (400 et 2 500 respectivement), encore plus répartis sur l’ensemble du territoire national (25 wilayas), la loi complique la formation des partis et augmente le nombre de contrôles du pouvoir exécutif sur ceux-ci. 

La condition de ne pas avoir de casier judiciaire, non seulement pour les fondateurs mais aussi pour tous les dirigeants du parti, vise bien évidemment le FIS. L’interdiction de recevoir des aides directes ou indirectes de l’extérieur, plus stricte que la précédente (seulement directe), rappelle également la polémique sur les origines étrangères des recettes du FIS. Il n’y a plus l’obligation de publier la principale revue du parti dans la langue nationale, l’arabe, mais celle de faire ses communications officielles en arabe, ceci semble également s’adresser à un large électorat arabophone susceptible de se pencher vers un parti islamiste du type FIS. Finalement, l’obligation de tenir le congrès constitutif en Algérie en présence d’un huissier fait également allusion à la possibilité d’une réorganisation du FIS à l’étranger. Les huit articles sur les sanctions pénales sont un rappel final pour ceux qui oseraient y contrevenir. 

Influence de la loi sur le système des partis 

Comment cette loi se répercute-t-elle sur le système actuel des partis algériens ? En premier lieu, nous pouvons affirmer que la loi a renforcé le contrôle du régime sur les partis existants, en les obligeant à rendre des comptes sur leurs changements internes et leur déclaration d’objectifs. En second lieu, elle limite les possibilités d’apparition de nouveaux partis véritablement originaux ou critiques vis-à-vis de l’ordre établi. Non seulement en raison des restrictions formelles créées par la loi mais encore de celles de fond (principes inviolables relatifs à la forme d’Etat et aux valeurs de la nation). De fait, certains hommes politiques comme l’ancien premier ministre Sid Ahmed Ghozali et l’ancien ministre Taleb Ibrahimi se sont vus refuser la formation d’un parti politique. En ce sens, le nombre de partis importants est resté stable, sans qu’ils se soient pour autant consolidés – pour des raisons indépendantes à la loi. Dans la pratique, l’application de la loi aux partis préexistants s’est traduite par un certain nombre de modifications des dénominations, comme celle de HAMAS-Mouvement de la société islamique, qui est devenu Mouvement de la société pour la paix, MSP. En revanche, l’autre parti islamiste, le Mouvement de la renaissance islamique (EnNahda ou MRI) a conservé son nom malgré ses évidentes connotations religieuses. En 1999, après une sécession du leader Djaballah, le Mouvement pour la réforme nationale (MRN ou Islah) s’est séparé d’En-Nahda. 

En troisième lieu, en rendant impossible une nouvelle légalisation du FIS, la loi a accentué la séparation entre les partis favorables à « l’éradication » et les partisans de la « conciliation » des islamistes armés. Heureusement, ce différend semble aujourd’hui résolu avec la fin de la violence, d’autant plus que l’affaire de la re-légalisation a perdu sa consistance. Mais la loi a renforcé l’alignement de partis de part et d’autre de la ligne de séparation, tout spécialement après la conférence de Saint Egidio (1995) ayant rassemblé à Rome les « conciliateurs » (une partie du FLN, le FFS, le FIS, le Parti du Travail-PT, En-Nahda, le Mouvement pour la Démocratie en Algérie-MDA, ainsi que d’autres associations et organisations sociales). 

Caractérisation du système des partis 

Le panorama actuel des partis est caractérisé par quatre familles : nationalistes (FLN, Rassemblement National Démocratique-RND), islamistes (MSP, MRN ou Islah et En-Nahda), kabyles (FFS et Rassemblement Constitutionnel Démocratique-RCD) et de gauche (PT et Mouvement Démocratique et Social-MDS). Les premiers sont des partis de cadres de l’administration, proches du pouvoir, raison pour laquelle on les appele également « officialistes ». Seul le reste possède une base électorale du type commerçant pour les partis islamistes, régional pour les kabyles et intellectuel pour ceux de la gauche. 

Le cas du FLN est atypique puisqu’il s’agit de l’ancien mouvement armé de libération nationale, toujours utile au pouvoir en raison de sa légitimité révolutionnaire, mais également imperméable à une véritable transformation en parti politique. Sa possible fragmentation et normalisation, donnant lieu à un ou plusieurs artis, a été sur le point de se produire, mais elle ne l’a toujours pas fait malgré le célèbre discours du président Abdelaziz Bouteflika appelant à mettre un terme à la « légitimité révolutionnaire ». 

Dans tous les cas, les partis algériens font preuve de fortes carences, aussi bien dans leurs habiletés parlementaires que dans les relations directes avec l’électorat, ce pourquoi ils ont reçu une assistance technique internationale. En général, on ne peut pas parler de partis consolidés, dans la mesure où, par leur jeunesse, pratiquement aucun d’entre eux n’a connu la relève de son fondateur (exception partielle faite du FLN et du MSP), et par le fait que le fonctionnement personnaliste domine le démocratique. 

La fragilité des partis algériens a également un rapport avec le système hyper-présidentialiste et le code électoral sur lequel il est fondé. Bien qu’ils soient à maintes reprises entrés dans le gouvernement, les partis d’opposition ne sont ni importants ni décisifs. Et il en va de même des officialistes ou nationalistes (FLN et RND), puisque le premier ministre ne doit pas forcément provenir du parti le plus voté (cas du premier ministre Ahmed Ouyahia récemment). L’utilisation du référendum pour les questions importantes et de plates-formes présidentielles larges mine encore davantage leur rôle, puisqu’ils dinaturent la fonction de discussion et de débat parlementaire et en les réduisant à plébisciter le candidat « officialiste ».