Union européenne – Algérie : partenaires mais pas voisins

Julia Anglès, IEMed

La spécificité algérienne est une expression enracinée dans le monde académique et politique. Dans ce sens et après d’analyser ses relations avec l’Union européenne (UE) : l’Algérie est-elle un pays sui generis par rapport à ses voisins maghrébins et méditerranéens ? La réponse est oui : depuis les débuts de la Communauté économique européenne (CEE) jusqu’à présent.

Début des relations

Le 1er janvier 1958, date d’entrée en vigueur du Traité Constitutif de la CEE (TCEE), l’Algérie, pour lors colonie française, profitait aussi des provisions destinées aux Etats membres (article 227.2 du TCEE). Elle a joui de ce statut spécial jusqu’en 1965, année où ce statut commercial préférentiel prit fin à cause de divergences communautaires d’ordre interne sur la politique agricole commune (PAC) d’un côté, et du coup d’Etat de Houari Boumediene cette année-là. Aucun autre pays tiers méditerranéen ne jouit des prévisions de l’article 227.2. Les relations euro-algériennes ne furent recodifiées qu’en avril 1976, lorsqu’on arriva, dans le cadre de la nouvelle politique globale méditerranéenne de la CEE (1972), à un accord de coopération de durée ilimitée, incluant quelques unes des revendications effectuées par l’Algérie pendant plus de 10 ans (1965-76). Parmi celles-ci, le transfert de technologie, la coopération technique, environnementale et financière, ainsi que des dispositions sur le travail.

L’UE face à la crise algérienne

Alors que l’analyste du German Marshall Fund, Ian O. Lesser, qualifit la position adoptée par l’UE lors de la crise algérienne de « politique de contention », le chercheur Iván Martín parlait d’« embargo moral » dans un article dans Algeria-Watch. Ces deux expressions résument l’ambiguïté de l’Europe politique récemment étrennée. Tiraillée entre la logique de la sécurité et celle de la préservation des droits de l’homme, celle-ci choisit finalement la première. En effet, l’UE décida d’appuyer le régime militaire au nom de la contention d’un effet domino qui déstabiliserait le Maghreb et qui, donc, menacerait sa propre sécurité. En ce sens, son manque d’engagement dans la tentative d’arriver à une solution pacifique de la guerre algérienne, organisée par la Communauté de Sant’Egidio à Rome en janvier 1995, est montré comme un exemple de cet embargo moral. Lesser qualifie de succès la gestion de la crise algérienne par l’UE. Cinq points le conduisent à cette conclusion : l’Algérie n’a pas plongé dans le chaos et l’anarchie ; aucun effet de contagion ne s’est produit et le Maghreb n’a pas été déstabilisé ; il n’y a pas eu d’interruptions dans l’approvisionnement de gaz algérien vers l’Europe ; il n’y a pas eu un mouvement massif de réfugiés ; et la violence politique ne s’est pas répandue en dehors de l’Algérie. Le conflit armé algérien est un exemple du changement d’air que supposèrent les années quatre-vingt-dix sur la scène internationale. Avec la fin de la guerre froide, l’agenda de sécurité internationale vécut un virage de 180 degrés. Tel qu’il était signalé dans l’Acte final de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe, qui eut lieu à Helsinki en 1975, l’origine de la menace passait d’être simplement d’origine militaire (hard security) à non militaire (soft security). Ce nouveau genre de sécurité inclut une large variété de menaces : terrorisme, violations des droits de l’homme, concurrence en matière de ressources rares, dégradation environnementale, crime transrégional, instabilité économique et politique, etcétéra. Ainsi, il n’est pas étonnant que la possibilité de voir un gouvernement islamiste s’installer aux portes de l’Europe soit perçue comme une menace en bonne et due forme pour la sécurité de l’UE. Et pour preuve, les initiatives de dialogue et coopération qui surgiront pour tenter de créer une zone de paix, prospérité et échange culturel : Dialogue 5+5 (1990), Forum- Med (1994), Dialogue Méditerranéen de l’OTAN (1994), Partenariat euroméditerranéen (PEM) (1995).

L’accord d’association

Conclure l’accord d’association UE-Algérie ne fut pas une mince affaire. Les négociations débutèrent en juin 1997, mais elles n’aboutirent qu’en décembre 2001. Et ceci pour deux raisons : en premier lieu, l’intensité de la violence en Algérie obligea les autorités à se centrer sur les questions internes et laisser de côté leur politique étrangère. Deuxièmement, les attentats du 11-S, permirent d’inclure dans l’accord la question de la lutte contre le terrorisme qui intéressait tellement l’Algérie. L’accord d’association, signé à Valence en avril 2002, n’entra en vigueur qu’en septembre 2005. Ce retard s’explique aussi par deux raisons domestiques : le programme d’amnistie mis en marche en 2002, ainsi que les élections législatives et présidentielles de 2004 qui occupèrent l’attention des dirigeants algériens. L’accord a substitué celui de 1976 et sa durée est indéfinie. Selon les données du Bureau économique et commercial d’Espagne à Alger,  l’Algérie est un pays monoexportateur d’hydrocarbures : en 2006 et 2007 les exportations d’hydrocarbures représentaient 98 % du volume total de ses exportations. Si l’on observe que les produits industriels jouissaient déjà de la suppression des droits de douane signée dans l’accord de coopération de 1976, on peut se demander quelle est la valeur ajoutée de l’accord euromed. De même, le démantèlement des importants droits de douane algériens, en plus de produire une perte de recettes qui n’est pas compensée par l’instrument MEDA, et actuellement par l’Instrument européen de voisinage et association (IEVA), a laissé l’industrie algérienne sans protection face aux produits européens plus compétitifs. L’opposition à l’accord des syndicats des travailleurs et des patrons n’est donc pas étonnante. Cependant, les avantages pour l’UE sont évidents : accès préférentiel aux marchés algériens, clause de réadmission en matière d’immigration irrégulière algérienne (article 84) et engagement de suivre les principes démocratiques et des droits de l’homme auxquels adhère l’UE (titre I). Tel que le signalent Iván Martín et Hakim Darbouche, chercheur en politiques euroméditerranéennes, peutêtre doit-on chercher les bénéfices pour l’Algérie dans le domaine politique. Effectivement, l’accord d’association contient un paragraphe dédié à la lutte contre le terrorisme. De plus, à ce momentlà, signer un accord d’association représentait le retour sur la scène internationale, après une décennie d’isolement. Néanmoins, une réunion UEAlgérie est prévue en 2010 afin de réviser l’accord et corriger ses anomalies.

Le Non algérien à la PEV

L’Algérie est le seul partenaire méditerranéen ayant ouvertement dit « non » à la politique européenne de voisinage (PEV). Il existe plusieurs arguments pour expliquer ce refus. En premier lieu, lorsque l’UE lança la PEV, l’accord d’association n’avait pas encore été ratifié. Il n’est donc pas étonnant que les autorités algériennes aient voulu se concentrer d’abord sur l’application de l’accord et voir son impact sur les secteurs économiques du pays. L’approche eurocentriste de la PEV est un autre argument. Tandis que dans le cas du PEM, les partenaires méditerranéens ont participé dans la configuration de la politique, pour ce qui est de la PEV, les pays voisins ont eu à faire à une politique élaborée à l’avance par l’UE. De plus, la notion de « voisinage » n’est pas exempte de problèmes pour les critiques : il s’agit d’un concept unidirectionnel ne reflétant ni coresponsabilité ni réciprocité. En ce qui concerne le nouveau paysage des relations internationales, l’Algérie voit dans la philosophie de cette politique une logique étroite de sécurité et non pas de développement. De plus, on pourrait alléguer que, en termes économiques, l’Algérie de 2005 possède d’abondantes réserves de devises, inexistantes en 1995. En matière de participation dans le marché unique européen, quels avantages pourrait obtenir l’Algérie si ses exportations de produits manufacturés et agricoles sont insignifiantes ? En dernier lieu, la logique conditionnelle en matière de droits de l’homme de la PEV est une affaire particulièrement délicate pour un régime sortant d’une sanglante guerre civile. D’un autre côté, Darbouche se demande pourquoi l’Algérie accepte le Partenariat et non la PEV si, finalement, le premier présente aussi une teinte normative, une clause de conditionnalité politique en matière de droits de l’homme et un mécanisme financier (MEDA) dont l’absorption a été assez limitée. La réponse est d’ordre politique : alors que le PEM se présente à un moment où la priorité dans la politique étrangère était d’améliorer l’image de l’Algérie dans la communauté internationale et d’offrir crédibilité et légitimité au régime, la PEV, par contre, est lancée lorsque l’Algérie est en position d’obtenir plus de ce que lui propose l’UE.

Vers un partenariat stratégique d’énergie ? De même qu’elle s’est clairement manifestée contre la PEV, l’Algérie a proposé en 2006 à une UE plongée dans la crise du gaz entre la Russie et l’Ukraine, un partenariat stratégique d’énergie (SEP, selon les sigles anglaises). Cette proposition ne pouvait arriver à un meilleur moment : l’UE rêve d’un approvisionnement énergétique moins dépendant de l’Est. Preuve en est que la Commission européenne élabora rapidement une ébauche de Mémorandum d’Entente en avril 2006, soumis à la discussion et l’approbation de l’Algérie en mai 2006, à l’occasion du premier Comité d’association. A partir d’août 2006 un distancement s’est produit entre les deux parties à cause de la conclusion d’un Mémorandum d’Entente entre l’algérienne Sonatrach et la russe Gazprom et de la dispute entre l’Algérie et l’Espagne en mars 2007 (l’Algérie annonça une augmentation du prix du gaz de 20 % à l’Espagne quelques semaines après que ce pays avait appuyé le plan d’autonomie pour le Sahara Occidental). Ainsi, le rapprochement entre la Russie et l’Algérie fait très peur à une UE qui craint la formation d’une OPEP du gaz provoquant une augmentation des prix. Cependant, le SEP a été repris dans l’agenda algérien à la fin 2007. Lors du troisième Conseil d’association UEAlgérie de mars 2008, les diplomates algériens ont critiqué le pauvre potentiel économique et commercial de l’accord d’association signé en 2002 et ils ont proposé de passer du strictement commercial à un partenariat global.