Programme SwitchMed : soutenir la transition vers une économie circulaire

Michael Barla y Matthew Lagod

La transition entre une approche linéaire et un modèle d’économie circulaire est aujourd’hui reconnue comme un moyen efficace d’accroître la compétitivité commerciale en réduisant le gaspillage et l’utilisation non-productive des ressources, avec pour effet, une diminution des coûts et des impacts néfastes pour l’environnement. En région méditerranéenne, cette transition est indispensable pour permettre d’atteindre les Objectifs de développement durable dans une région où la grande majorité des entreprises sont des petites et moyennes entreprises (PME – 99 % en UE et 90 % dans les pays sud-méditerranéens ) et où les activités humaines et économiques sollicitent fortement les ressources naturelles et les écosystèmes, notamment dans les zones côtières. La population du littoral méditerranéen devrait atteindre 174 millions d’ici à 2025 et les cadences de consommation actuelles dépassent déjà largement les capacités des écosystèmes. Un changement fondamental s’impose donc dans la région, afin de permettre aux populations humaines de subvenir à leurs besoins, actuels et futurs, tout en respectant les limites des écosystèmes méditerranéens, uniques mais fragiles.

Le Programme SwitchMed (http://switchmed.eu) a été créé en 2013 par l’Union européenne, afin d’accélérer la transition vers des modèles de consommation et de production durables dans la région sud-méditerranéenne, notamment par la promotion d’approches d’économie circulaire et en vue de dissocier le développement humain de la dégradation de l’environnement. Ses activités profitent à huit pays : Algérie, Égypte, Israël, Jordanie, Maroc, Liban, Palestine et Tunisie. Le Programme vient en aide aux décideurs politiques ainsi qu’aux PME, industries, jeunes entreprises et entrepreneurs écoinnovants qui font de la création d’emplois et de la protection des ressources naturelles des questions prioritaires indissociables de leur stabilité économique. Le Programme SwitchMed est mis en oeuvre par l’Organisation des Nations unies pour le développement industriel (ONUDI), le Plan d’action pour la Méditerranée-Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE/PAM), le Centre d’activités régionales pour la consommation et la production durables (CAR/CPD) et la Division de l’économie du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE/DTIE). Chaque organisme organisateur apporte son expérience et ses outils spécialisés pour collaborer avec ces huit pays dans le cadre d’activités d’élaboration de politiques, de développement des capacités, de services de soutien opérationnel, de démonstration et de réseautage.

Plus particulièrement, les activités de développement des capacités proposées par SwitchMed ont permis l’excellente assimilation des principes d’économie circulaire par les industriels de la région et la communauté locale d’entrepreneurs.

L’approche TEST

L’utilisation rationnelle des ressources au sein de l’industrie est un élément central du développement durable dès lors qu’elle induit « une amélioration de la rentabilité des énergies, matériaux, machines et effectifs utilisés pour apporter une valeur ajoutée », ce qui est indispensable pour permettre un développement socioéconomique et environnemental efficace. Les industries de la région s’efforcent actuellement d’examiner et de repenser leurs processus de production afin d’y intégrer les principes d’économie circulaire de réduction des déchets et de prévention de la pollution. L’approche TEST (transfert de technologies respectueuses de l’environnement) de l’ONUDI associe des solutions technologiques éco-innovantes à un programme complet de formation et de démonstration, afin de permettre aux acteurs locaux compétents d’améliorer les performances écologiques et concurrentielles des industries.

Au coeur de l’approche TEST se trouvent les éléments essentiels des outils habituellement utilisés pour promouvoir une gestion écologiquement rationnelle, telles que l’Évaluation de production propre (EPP), la Comptabilité des flux de matières (MFCA) ainsi que les Systèmes de gestion environnementale et de l’énergie (SGE). Grâce à ces éléments, l’approche TEST établit un guide méthodique clair qui permet à une équipe d’entreprises d’évaluer le flux de matières et d’énergie ainsi que les coûts y afférents, avant d’élaborer un ensemble de mesures préventives qui serviront de base à la création d’un plan d’action visant à minimiser les opérations non rentables et la pollution dans les domaines prioritaires et qui peuvent être considérablement améliorés au sein de l’entreprise. Dans chacune des industries participant à des projets pilotes, l’équipe d’entreprises est formée à l’utilisation de l’approche TEST et des outils pour en faciliter la mise en oeuvre dans leurs locaux. En appliquant l’approche TEST, les industries verront leur productivité améliorée et leurs coûts de fonctionnement réduits et assisteront à une minimisation de leurs coûts de conformité environnementale, ainsi qu’à une réduction des risques commerciaux. Il en résulte un secteur bien plus compétitif et prêt pour un développement durable à long terme.

Plus de 130 industries de la région ont mis en oeuvre l’approche TEST de l’ONUDI sur leurs chaînes de production. Parmi elles, Siniora, une entreprise multinationale du secteur agroalimentaire, fabrique des produits à base de viande et de volaille en Palestine. Lors de l’évaluation des activités de refroidissement de l’entreprise, l’équipe locale a pu identifier des mesures de conservation de l’eau qui, une fois mises en oeuvre, permettront de réduire de moitié la consommation totale d’eau, et d’économiser ainsi 17 000 m3 d’eau par an. Compte tenu de la rareté des ressources en eau dans la région, ces économies profiteront non seulement à l’entreprise, mais également à l’ensemble de la communauté. Parallèlement, les résultats obtenus par les sept industries ayant appliqué l’approche TEST en Israël indiquent qu’il existe non seulement un potentiel non-négligeable de prévention du gaspillage et de la pollution, mais également d’économie de coûts. Ces sept industries (qui exercent dans les secteurs de la chimie, du plastique, de la mécanique et de l’alimentation) s’estiment en mesure d’économiser plus de deux millions d’euros par an une fois leurs plans d’action mis en oeuvre. Dans chacune des 130 industries pilotes, l’ONUDI s’efforce d’évaluer l’intégralité des économies possibles en termes de coût, de ressources naturelles et de prévention de la pollution.

Les industries ayant mis en oeuvre l’approche TEST envoient un message clair: opter pour des solutions d’économie circulaire est bon pour le commerce, les communautés et l’environnement.

Par ailleurs, les principes d’économie circulaire se retrouvent de plus en plus dans les perspectives d’entreprise des jeunes et des entrepreneurs de la région. Parmi eux, nombreux sont ceux qui formulent des idées intelligentes mais ne disposent pas des connaissances requises pour les transformer en activité viable. C’est pour cette raison que SwitchMed comporte également un programme complet de formation et d’incubation pour apprendre à créer une entreprise verte, animé par le CAR/CPD. Ces activités reposent sur la méthodologie innovante d’entrepreneuriat vert développée par SwitchMed et adaptée au contexte de la région sudméditerranéenne.

Le programme de formation exige des entrepreneurs verts qu’ils réfléchissent sur la façon dont leur idée commerciale pourra apporter de la valeur à l’économie, l’environnement et la communauté. Lors des exercices pratiques, les entrepreneurs doivent, entre autres activités, identifier clairement les problèmes et besoins sous-jacents auxquels ils entendent répondre, élaborer une cartographie de leurs partenaires, s’entretenir avec des clients potentiels, justifier leur mission et leur proposition de valeur écologique et sociale, évaluer les ressources et l’énergie nécessaires pour créer leur produit ou service et réfléchir à un moyen de générer des flux de recettes. L’un des éléments clés du programme pédagogique est le module dédié à l’éco-conception, qui impose aux entrepreneurs d’étudier en profondeur l’intégralité du cycle de vie de leurs produits et services afin d’évaluer et améliorer leurs performances environnementales et de tenter d’intégrer des solutions innovantes à leurs modèles d’entreprise. Les principes d’économie circulaire forment la pierre angulaire de ce module, qui amène les entrepreneurs à se représenter les nombreuses possibilités d’intégration de la viabilité écologique dans leurs produits ou services. Les processus de production peuvent bénéficier d’équipements écoénergétiques et les entrepreneurs peuvent rechercher des sources d’énergie renouvelable pour alimenter ces processus. Les entrepreneurs sont également invités à se préoccuper de ce qu’il advient de leur produit, une fois celui-ci utilisé et éliminé par le consommateur. Le produit peut-il être rénové à des fins de réutilisation ? Le produit contient-il des substances chimiques ou dangereuses qui impliqueront un processus d’élimination particulier ? En répondant à ces questions, les entrepreneurs verts prennent conscience de tous les impacts potentiels de leur produit sur l’environnement. Ils seront alors en mesure de remanier leurs produits en conséquence et de rechercher des solutions innovantes pour minimiser les impacts néfastes, tout en maximisant les avantages pour l’économie locale, l’environnement et les membres de la communauté.

Quelques exemples

Àce jour, le programme de formation à l’entrepreneuriat vert SwitchMed a séduit plus de 1 500 entrepreneurs et a contribué à la création de 150 nouvelles entreprises vertes et de plusieurs centaines d’emplois. La majorité des stagiaires ont indiqué avoir l’intention de créer une entreprise verte dans l’un des trois secteurs suivants : utilisation rationnelle des ressources et gestion des déchets (27 %), alimentation et agriculture biologiques (25 %) et énergie renouvelable et efficacité énergétique (18 %). Les femmes sont bien représentées lors de ces sessions de formation (36 %). D’ici 2018, plus de 2 500 personnes auront été formées avec la méthodologie de formation à l’entrepreneuriat vert et 200 nouvelles entreprises auront été lancées.

Les entrepreneurs verts qui ont suivi le Programme SwitchMed illustrent avec excellence la façon dont les approches d’économie circulaire peuvent donner lieu à des opportunités commerciales et des innovations qui profitent aux populations et à l’environnement. En Égypte, Ahmed Al Masry, fondateur de Hand 2 Hand, a pour but de transformer la ville de Zagazig en un modèle de viabilité, en mettant en place un programme de tri des déchets ménagers qui isole les déchets organiques pour les réutiliser à des fins de compostage et ainsi permettre aux agriculteurs de récupérer et exploiter les terres désertiques. Outre les avantages écologiques, cette initiative entrevoit également des opportunités d’éducation et d’emploi pour les jeunes enfants jusqu’alors impliqués dans les activités de recyclage des ordures de la ville. En reconnaissant la valeur inhérente aux flux de déchets ménagers de Zagazig, cet entrepreneur crée une nouvelle chaîne de valeur qui génèrera des bienfaits importants pour la communauté et l’environnement.

Au Maroc, un autre entrepreneur vert a repéré une opportunité commerciale dans la réutilisation durable des pneus de voiture usagés. Elomari Naoual a créé VDMpneu afin d’inverser une tendance inquiétante qu’elle avait observée dans son pays : chaque année, plus de 256 000 tonnes de pneus usagés sont jetés dans la nature ou brûlés. Après une étude des marchés locaux, elle a déterminé que les pneus recyclés pourraient servir à alimenter de nombreux travaux publics et projets d’ingénierie civile entrepris dans le pays. Elle oeuvre actuellement à sensibiliser la population et à promouvoir la collecte, le traitement et la réutilisation des pneus usagés dans diverses applications, notamment pour construire des pistes d’athlétisme, des surfaces d’amortissement des chocs, des routes, des parois insonorisées et du gazon synthétique. Les avantages écologiques de VDMpneu sont manifestes : la qualité de l’air est préservée en évitant l’incinération des pneus et les pneus usagés sont éliminés de la nature, où ils contaminaient les sols et polluaient l’environement. Elomari évoque également le potentiel non-négligeable de création d’emplois à l’échelle locale comme un atout important.

Dans le cadre de son travail pour former les entrepreneurs verts à promouvoir les principes d’économie circulaire, le CAR/CPD a identifié une autre difficulté de taille : réunir les fonds nécessaires pour leur permettre de franchir la première étape de lancement de leur activité et passer à une phase de croissance durable. Pour ce faire, le CAR/CPD a forgé un partenariat avec la Fédération européenne des banques éthiques et alternatives (FEBEA), afin d’améliorer l’accès des entrepreneurs verts aux financements en région méditerranéenne. Un processus de consultation sur deux ans avec les partenaires concernés (entrepreneurs verts, organismes de financement, investisseurs, fondations, incubateurs et programmes d’aide à l’entrepreneuriat, ainsi que gouvernements) a mis au jour les véritables causes de cette difficulté. Si l’entrepreneuriat vert est bien établi et en plein développement dans certains domaines, il ne dispose toutefois que d’une visibilité limitée et les organismes de financement ne perçoivent pas son potentiel comme un moyen de stimuler l’économie de la région. Par conséquent, les organismes de financement et les investisseurs considèrent les jeunes entreprises vertes comme risquées et insuffisamment rentables. Pour aider à surmonter cette difficulté, le CAR/CPD et la FEBEA développent actuellement un « Fonds Switchers », afin de fournir un financement direct aux nouveaux entrepreneurs verts ainsi qu’à ceux déjà en place et pour mobiliser les investisseurs locaux, les programmes d’aide aux entreprises et les ressources européennes. Ce fonds profitera aux jeunes entreprises vertes qui présenteront les modèles d’entreprise les plus prometteurs, sous la forme d’une combinaison de capitaux, créances, garanties et subventions. Le Fonds sera lancé en 2018 avec un capital minimal de départ de cinq millions d’euros, qui devrait monter jusqu’à à 20 millions au cours des cinq années suivantes. (http://www.theswitchersfund.eu/en/).

Une multitude d’exemples de solutions d’économie circulaire fructueuses abondent désormais dans la région méditerranéenne. La plupart découlent des activités du Programme SwitchMed, qui ont permis aux industries et entrepreneurs de prendre conscience des opportunités considérables apportées par ces solutions aux activités économiques. Pour les industries, la promesse d’une économie de coûts et d’une amélioration de la compétitivité restent les principaux facteurs de motivation pour adopter des solutions d’économie circulaire. Pour les entrepreneurs verts, les solutions d’économie circulaire sont au coeur de leurs modèles d’entreprise et les incitent à rechercher des moyens d’innover et d’améliorer leur viabilité écologique lors de la conception des produits et services qu’ils fournissent. Ensemble, ces acteurs économiques accomplissent des progrès conséquents vers l’objectif du Programme Switch- Med et l’un des principaux objectifs de la région en matière de développement durable : accélérer la transition vers des modes de consommation et de production plus durables. Ainsi, ils donnent un exemple positif d’un modèle de croissance économique qui assure la préservation de la région méditerranéenne et de ses ressources naturelles précieuses et limitées.