Co-édition avec Estudios de Política Exterior
Tendances économiques

Les vases communicants entre diplomatie et économie

Jana J. Jabbour
Politologue, enseignante à Sciences Po Paris, auteure de « La Turquie, l’invention d’une diplomatie émergente » (Paris : CNRS Editions, 2017)
Le président turc Erdogan est accueilli par le prince héritier d’Abou Dhabi, Sheikh Mohammed bin Zayed Al Nahyan, le 14 février 2022. emin sansar/anadolu agency via getty images

Si 2021 fut l’année de la restauration et de la réinitialisation de la politique étrangère turque, 2022 sera probablement l’année de la normalisation des relations avec les rivaux régionaux d’Ankara. Alors qu’au cours de la dernière décennie, les relations de la Turquie avec les États arabes – en particulier ceux du Golfe – ont été marquées par une concurrence intense et une rivalité stratégique, les gestes d’ouverture de la Turquie envers l’Égypte, les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite au cours de l’année 2021 ont signalé une volte-face inédite d’Ankara et une volonté de détente et d’apaisement. Les discussions de haut niveau avec le leadership égyptien, la visite très médiatisée du président, Recep Tayyip Erdogan, à Abou Dhabi, en février 2022, qui précède une visite à Riyad en mars, et la reprise des relations avec Israël, reflètent l’aspiration du leadership turc à la réconciliation avec les poids lourds de la région. « Nous sommes décidés, dans la période à venir, à transformer notre région en un îlot de paix, en accroissant le nombre de nos amis et en réglant les hostilités », avait déclaré en mars 2021 le président Erdogan lors du Congrès de son parti (Parti de la Justice et du Développement -AKP).

Or, si ce retour au pragmatisme répond à des considérations géopolitiques dans un ordre régional et international en pleine reconfiguration, il est d’abord et avant tout sous-tendu par des calculs économiques : affaiblis en interne par une crise monétaire et financière sans précédent depuis près de deux décennies, Erdogan et l’AKP tentent de redresser l’économie en améliorant le commerce extérieur et en attirant les capitaux des voisins régionaux. L’amélioration des perspectives économiques apparaît, en effet, comme une priorité majeure et une nécessité politique pour le président et son parti à l’approche des élections législatives et présidentielles de 2023 : tout comme l’économie a contribué à porter au pouvoir l’AKP après la crise de 2001, il est fort probable qu’elle joue un rôle déterminant dans les prochaines élections et qu’elle décide de l’avenir politique du pays. Or, ces élections, plus que toute autre, revêtent une signification symbolique pour Erdogan: 2023 marque le centenaire de la République de Turquie et, tout comme Mustafa Kemal a fondé l’État turc en 1923 et s’est inscrit dans l’imaginaire collectif comme le « père des Turcs » (son surnom populaire « Atatürk » signifie littéralement « père des Turcs »), Erdogan aspire – en 2023 – à entrer dans l’histoire comme nouveau « père des Turcs » ou comme le père d’une « nouvelle Turquie » qu’il aurait façonnée et modelé selon ses principes et ses valeurs. En multipliant les gestes d’ouverture à l’égard des voisins régionaux, notamment les États du Golfe, les dirigeants turcs cherchent à attirer le capital de ces derniers dans le but de stimuler la croissance économique et d’assurer ainsi une victoire aux prochaines élections.

Retour sur l’imbrication entre politique arabe de la Turquie et diplomatie économique

En 2002, au moment de son arrivée au pouvoir, l’AKP hérite d’une Turquie frappée par la crise financière de 2001, qui a dérouté le secteur bancaire et vu galoper inflation et chômage ; en l’espace d’une décennie, sous le règne du parti, le pays a triplé son PIB par habitant (qui pase d’une valeur de 3 403 dollars en 2002 à 10 609 dollars en 2012), a remboursé sa dette extérieure, et s’est hissé au rang de 16ème économie mondiale. Ces réussites économiques ont reposé, en grande partie, sur une politique de promotion des exportations, elle-même sous-tendue par une diplomatie économique active : dans les années 2000, la part du commerce extérieur dans le PIB turc est de 50 %, ce qui fait du pays un « État commerçant » (trading state au sens donné à ce terme par Richard Rosecrance), c’est-à-dire un État dont les relations internationales sont déterminées et motivées par la recherche de nouveaux marchés à l’exportation.

C’est dans ce contexte que le monde arabe a revêtu une importance particulière aux yeux d’Ankara : les marchés du Moyen-Orient offrant de grandes opportunités encore inexploitées, la Turquie s’est employée à améliorer ses relations bilatérales avec les États arabes, dans le but de stimuler le commerce avec la région. Ainsi, en s’engageant dans une politique de bon voisinage, popularisée par l’expression « zéro problème avec les voisins », la Turquie a réussi à conquérir les marchés du Moyen- Orient. La signature d’accords de libre-échange a permis une explosion du commerce turco-arabe et a créé une situation d’interdépendance économique régionale, qui a essentiellement profité à la Turquie : en l’espace d’une décennie, la part du monde arabe dans les exportations turques a plus que doublé, passant de 9 % en 2002, à 22 % en 2012 (données de la Banque mondiale).

Si la Turquie a réussi à améliorer ses relations économiques avec l’ensemble des États arabes, ce sont en particulier les États du Golfe qui ont émergé comme son partenaire économique privilégié. En 2005, la Turquie et le Conseil de coopération du Golfe (CCG) signent un accord-cadre portant sur le commerce et les investissements, ce qui conduit à un essor spectaculaire de leurs échanges : entre 2002 et 2012, le commerce entre la Turquie et les six États du CCG, est multiplié par neuf, passant d’un volume de 1,49 milliards de dollars à 19,6 milliards de dollars. Aussi, en une décennie, les investissements du CCG en Turquie ont-ils triplé, passant d’un volume de deux milliards de dollars en 2000, à 6,5 milliards de dollars en 2011, essentiellement dans les secteurs de l’immobilier, de la finance et des télécommunications.

Fait intéressant, parmi les États du CCG, les EAU et l’Arabie saoudite sont apparus comme les principaux partenaires de la Turquie. Ainsi, les EAU sont en 2014 le premier investisseur du CCG (6,8 milliards de dollars, représentant à eux seuls 56% de l’ensemble des investissements du CCG en Turquie), suivis de l’Arabie saoudite (1,8 milliards de dollars la même année). C’est surtout le secteur de l’immobilier qui a attiré les investissements des pays du Golfe, et ce grâce à un droit de propriété immobilière particulièrement favorable aux investisseurs étrangers : depuis la levée du principe de réciprocité par la loi de mai 2012, pratiquement tous les étrangers peuvent acheter des biens immobiliers en Turquie ; or l’acquisition d’un bien immobilier ouvre le droit à la résidence, voire le droit à la nationalité turque lorsque la valeur du bien immobilier dépasse 250.000 dollars. Ces bénéfices ont suscité l’intérêt des étrangers, principalement les ressortissants des États du CCG, pour l’immobilier résidentiel et commercial en Turquie. C’est l’Arabie saoudite qui a dominé ce secteur : en effet, en 2015, les Saoudiens sont les premiers propriétaires étrangers de biens immobiliers en Turquie, devançant les Allemands et les Britanniques qui figuraient jusquelà en tête de liste. Aussi, quelques 320 sociétés immobilières à capital saoudien opèrent en Turquie.

Enfin, l’amélioration des relations politiques avec les États arabes et la levée des visas ont conduit à un essor du tourisme : ainsi, entre 2002 et 2010, le nombre de touristes arabes en Turquie a-t-il augmenté de 150 %, passant de 800 000 touristes à deux millions ; entre 2010 et 2017, l’augmentation est de 1 200% (données officielles de Turkstat). Or la majorité des touristes arabes affluent du Golfe, attirés par le mélange entre religion et modernité et par le tourisme halal que le pays offre, avec des hôtels, restaurants et stations balnéaires spécialement adaptés pour les musulmans. Ainsi, entre 2003 et 2018, le nombre de touristes en provenance du Golfe est passé de 45 000 à plus d’un million, les Saoudiens et Émiratis représentants à eux seuls 60 % de l’ensemble du tourisme golfiote en Turquie (Border Statistics, 2018).

L’économie : dommage collatéral de la détérioration des relations entre Ankara et Riyad/Abou Dhabi (2017-2021)

 Alors que tout au long des années 2000, la diplomatie de bon voisinage a eu un « effet de débordement » (spillover effect) positif sur l’économie turque, la dégradation des relations entre Ankara et Riyad/Abou Dhabi à partir de 2010-2011 a inversé les acquis de la Turquie et nui à l’économie du pays. Si au lendemain des révolutions arabes, le soutien apporté par Ankara aux Frères musulmans a conduit à un refroidissement des relations avec l’Arabie saoudite et les EAU, il faut attendre les deux dates charnières de juin 2017 et d’octobre 2018 pour voir le divorce consommé entre Ankara d’une part, et Riyad/Abou Dhabi de l’autre. En juin 2017, les deux alliés du Golfe imposent un blocus au Qatar pour sa proximité avec le mouvement frériste et l’Iran ; l’alignement de la Turquie avec le Qatar pendant cette crise, qui s’est traduit par un soutien diplomatique, économique et militaire massif apporté à Doha, a conduit à une nette détérioration des relations entre Ankara et Riyad/Abou Dhabi. Un an plus tard, en octobre 2018, l’assassinat du journaliste saoudien, Jamal Khashoggi, au consulat d’Arabie saoudite à Istanbul, crée un nouveau bras de fer entre Ankara et Riyad ; le lancement en Turquie de poursuites judiciaires contre 20 accusés saoudiens, dont certains proches du prince héritier Mohamed Ben Salmane, conduit à une rupture des relations bilatérales.

Au delà du commerce et des investissements, des gains dans deux secteurs clé de l’économie turque – l’industrie de défense, et l’énergie – sont attendus

Le divorce entre Ankara et Riyad/Abou Dhabi a deux conséquences de taille sur l’économie turque. D’une part, il se traduit par une guerre froide et une confrontation par procuration entre les deux parties, qui se manifeste sur des terrains comme la Libye où Ankara et Riyad/Abou Dhabi soutiennent des camps adverses. Or l’aventurisme turc en Libye se paie au prix fort et mène à l’épuisement de l’économie : Ankara a dépensé des centaines de milliers d’euros pour rémunérer les mercenaires envoyés en Libye, alors qu’en parallèle la livre turque s’effondrait et perdait près du quart de sa valeur face au dollar, depuis le début de l’année 2020. D’autre part, la rupture avec Riyad et Abou Dhabi conduit à une détérioration des relations économiques et commerciales avec ces deux poids lourds du Golfe. Ainsi, l’embargo imposé par les autorités saoudiennes sur les importations en provenance de Turquie engendre des pertes considérables pour les exportateurs turcs : la valeur des exportations turques vers le royaume est de 189 millions de dollars en 2021, contre 2,5 milliards de dollars en 2020 et 3,2 milliards de dollars en 2019, ce qui a provoqué l’ire des syndicats d’exportateurs qui ont appelé Erdogan à trouver une solution au conflit avec Riyad. Ayant été jusque-là la 11ème plus grande source d’exportations vers l’Arabie saoudite, la Turquie est déclassée au 58ème rang en 2020. De même, les relations commerciales entre Ankara et Abou Dhabi ont connu une nette détérioration : la Turquie a subi une baisse de 32% de ses importations et 66 % de ses exportations vers les EAU, ce qui représente une perte importante, vu que les Émirats étaient son principal partenaire commercial en 2017 (données de la Commission des Nations unies pour le droit commercial international, 2019).

L’impact économique de la rupture entre Ankara et Riyad/Abou Dhabi touche aussi les investissements et le tourisme. En effet, les investissements saoudiens et émiratis en Turquie ont chuté de 30 % et 27 % respectivement en 2018, au lendemain de la crise du Qatar (données de la Banque centrale de Turquie, 2019) ; et bien que le soutien apporté par Ankara à Doha ait conduit à une augmentation de 13 % des investissements qataris en Turquie entre 2017 et 2018, cette hausse ne compense pas les pertes de capitaux provenant du royaume saoudien et des EAU. Dans le secteur immobilier, la part des Saoudiens dans l’ensemble des achats de propriétés par des étrangers a chuté de 14,9 % en 2017 à 5 % en 2019 (Banque centrale de Turquie, 2019). Enfin, à la suite d’avertissements adressés par les autorités saoudiennes et émiraties à leurs ressortissants concernant des risques associés aux voyages en Turquie, le nombre de touristes en provenance de l’Arabie saoudite et des EAU a chuté de 15 % et 8 % respectivement, entre 2018 et 2019 (données du Ministère du tourisme, en 2019).

Ainsi, les tensions avec les États du Golfe auraient non seulement conduit à l’isolement régional de la Turquie, mais aussi à l’affaiblissement de son économie. C’est dans ce contexte, prenant acte des coûts de la rupture avec les États du Golfe, que le leadership turc tente à partir de l’année 2021, d’apaiser ses relations avec les rivaux régionaux. Le retour au pragmatisme en matière de politique étrangère, est alors nourri et sous-tendu par des intérêts économiques.

L’économie politique du rapprochement turco-émiratisaoudien

La réconciliation scellée entre Doha et les autres pays du CCG, en janvier 2021, ouvre la voie à une normalisation des relations entre Ankara et Riyad/Abou Dhabi. Pour préparer le terrain au rapprochement, le leadership turc a multiplié les gestes d’ouverture à l’égard de ces dernières. Dans l’objectif à peine voilé de regagner la confiance du royaume et des EAU (et par extension de l’Égypte), Ankara a abandonné son soutien aux Frères musulmans : les autorités turques ont intimé aux membres des Frères musulmans exilés en Turquie de quitter le pays sous peine d’être expulsés, et ont également sommé les médias de l’opposition égyptienne basés à Istanbul, de mettre un terme à leurs critiques à l’égard du président Abdel Fatah al Sissi et de ne plus diffuser de contenu pro-frériste.

Si la Turquie est déterminée à améliorer ses relations avec ses rivaux, c’est qu’elle espère de nombreuses retombées économiques positives d’un tel rapprochement.

D’une part, Ankara s’attend à ce qu’une normalisation des relations avec Riyad conduise à la levée du boycott saoudien sur les produits « Made in Turkey », ce qui permettrait de redynamiser le commerce bilatéral. D’autre part, Ankara espère attirer les capitaux et les investissements émiratis et saoudiens, à un moment où le pays traverse une crise financière et monétaire d’envergure. L’objectif semble atteint : à la suite de rencontres de haut niveau entre les leaderships turc et émirati, le volume des échanges bilatéraux au premier semestre 2021 s’est élevé à plus de 7,14 milliards de dollars, avec un bond de croissance de 100 % par rapport à la même période en 2020 (agence d’information émiratie, WAM). Les deux pays envisagent d’accroître le volume de leur commerce bilatéral, pour atteindre les 30 milliards de dollars à l’horizon 2030. De plus, à l’occasion de la visite à Ankara du prince héritier d’Abou Dhabi, les EAU ont mis en place un fonds de 10,2 milliards de dollars pour soutenir les investissements en Turquie. Enfin, en février 2022, la visite du président Erdogan à Abou Dhabi, la première depuis 2013, a été marquée par la signature de 13 accords de coopération et mémorandums d’entente, couvrant des secteurs aussi divers que la santé, les industries, les technologies de pointe, l’agriculture ou encore les transports.

Toutefois, les bénéfices attendus de la normalisation des relations avec Abou Dhabi et Riyad ne se limitent pas au commerce et aux investissements. D’autres gains sont attendus dans deux secteurs clé de l’économie turque : l’industrie de défense, et l’énergie. En se réconciliant avec ses anciens rivaux golfiotes, la Turquie s’apprêterait à leur vendre des drones de combat, fleuron de son industrie de défense en plein essor. En effet, l’Arabie saoudite, gênée par la suspension des ventes d’armes par l’administration américaine et par la recrudescence des attaques des Houthis, est à la recherche de nouveaux systèmes d’armes. Dans le cadre de la diversification de ses sources d’approvisionnement en armements, les drones turcs présentent une option intéressante, et ce d’autant plus que ceux-ci ont fait leurs preuves dans les conflits de Libye et du Nagorno-Karabakh. Quant à Abou Dhabi, elle aurait annoncé vouloir acquérir notamment le drone Bayraktar Akinci, fabriqué par la société turque Baykar dont l’actionnaire principal est le gendre du président turc.

La Russie est le principal fournisseur de gaz naturel de la Turquie. D’où le jeu d’équilibre d’Ankara entre l’Occident et Moscou dans la guerre d’Ukraine

Enfin, derrière le rapprochement avec Riyad (et le Caire) se cachent les intérêts énergétiques turcs. Faute de ressources naturelles, la Turquie connaît une grande dépendance énergétique, sa production ne couvrant qu’un quart de ses besoins. Dans ce contexte, les nouvelles ressources d’hydrocarbures découvertes dans le bassin méditerranéen revêtent une importance particulière pour Ankara. Or, dans la décennie passée, les tensions entre la Turquie, d’une part et Israël, l’Égypte et l’Arabie saoudite de l’autre, ont conduit celles-ci à nouer des alliances autour de projets gaziers, qui excluent la Turquie, comme le Forum du gaz de la Méditerranée orientale qui réunit l’Égypte, la Grèce, Chypre, l’Italie, Israël, la Jordanie et la France. De plus, afin de contrarier Ankara, l’Égypte a signé un accord de délimitation des frontières maritimes avec la Grèce, pendant que l’Arabie saoudite coopérait avec Athènes, pour réaliser des manoeuvres aériennes communes en Méditerranée orientale. En tendant la main à Riyad, en apaisant ses relations avec le Caire, et en s’ouvrant à Tel Aviv (le président israélien a été reçu à Ankara en mars 2022, une première visite pour un leader israélien depuis 2008), le leadership turc chercherait à amadouer le front « antiturc » qui s’est constitué autour du gaz en Méditerranée orientale, et à préserver les intérêts énergétiques de Turquie.

Il convient, au vu de l’actualité politique, de noter que le retour au pragmatisme en matière de politique étrangère turque ne se limite pas aux États du Moyen- Orient. En effet, dans le cadre de la crise ukrainienne, la Turquie s’est efforcée de maintenir un dialogue avec la Russie. Si Ankara a tenté de jouer les facilitateurs entre Moscou et Kiev en invitant Poutine et Zelensky aux négociations en marge du Forum Diplomatique d’Antalya, cette posture est non seulement motivée par une volonté de redorer le blason turc sur la scène internationale, mais elle est aussi et surtout sous-tendue par des considérations économiques. Ankara a beaucoup à perdre économiquement dans une guerre durable. En effet, si l’invasion de l’Ukraine se poursuit et les sanctions occidentales sur la Russie sont maintenues, la Turquie se trouverait dans une position délicate : en tant que membre de l’OTAN et candidate à l’UE, Ankara serait obligée de respecter l’embargo occidental sur les importations d’hydrocarbures en provenance de la Russie. Or, la Turquie est en situation de dépendance énergétique de la Russie, celle-ci étant son principal fournisseur de gaz naturel (33 % du total de ses importations). D’où le jeu d’équilibrage auquel Ankara se livre : pour plaire aux Occidentaux, elle soutient militairement l’Ukraine en coulisses, sans pour autant adopter le paquet de sanctions occidentales contre la Russie, afin de ne pas contrarier Poutine et mettre en danger la sécurité énergétique turque.

En guise de conclusion, il convient de constater que le retour de la Turquie au pragmatisme, en matière de politique étrangère est en grande partie motivé par des considérations d’ordre économique : le pays affiche une réelle volonté de redresser ses relations les plus conflictuelles avec les voisins régionaux, car il s’est rendu compte qu’elles étaient contraires à ses intérêts économiques. Toutefois, si la normalisation des relations avec les États du Golfe semble être une stratégie payante sur le plan économique, il n’en demeure pas moins qu’elle est coûteuse sur le plan politique : car, non seulement la volte-face d’Ankara risque de porter atteinte à sa crédibilité en matière diplomatique, mais elle risque aussi de mettre la Turquie en situation de dépendance stratégique vis-à-vis des autres pôles de puissance avec qui elle rivalise pour le leadership régional./

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