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Co-édition avec Estudios de Política Exterior
« Les mesures adoptées par Mohammed VI ont permis une reconnaissance de la culture et du patrimoine berbère »
La présidente de la Fondation BMCE et membre de l’Institut royal de la culture amazighe, est optimiste sur l’avenir de la question berbère au Maroc
ENTRETIEN avec Leila Benjelloun Mezian par Darío Valcárcel.

Au cours des dernières années, la question berbère a acquis de l’importance en Afrique du Nord, surtout au Maroc et en Algérie. Son principal point de revendication est la reconnaissance de la langue tamazight. AFKAR/IDEES a eu l’occasion de parler avec Leila Benjelloun Mezian, membre de l’Institut royal de la culture amazighe (IRCAM) fondé en 2001 par le roi Mohammed VI, et présidente de la Fondation BMCE (Banque Marocaine de Commerce Extérieur), dont la principale mission est la promotion de l’éducation et d’un développement durable au Maroc.
Ophtalmologiste de profession – diplômée de l’université de Madrid, elle a suivi sa spécialité à Barcelone et a exercé la médecine pendant 25 ans –, depuis la Fondation BMCE, elle dirige une équipe rattachée au programme « medersat.com », dont l’objectif est la construction et l’administration d’écoles communales rurales. Grâce à ce dernier, ils ont construit, pour le moment, 60 écoles dans tout le pays.
Leila Benjelloun a été présidente de l’Organisation Alaouite pour la Protection des Aveugles et Malvoyants (OAPAM) de la région de Casablanca, présidente de la Demi-Lune Rouge de la région de Casablanca et vice-présidente de l’Ordre des Médecins du Maroc.
Elle préside en outre la Fondation Mezian-Benjelloun, qui offre des bourses à de jeunes étudiants marocains souhaitant poursuivre leurs études supérieures à l’étranger. Cette fondation familiale se consacre également à la restauration de monuments inscrits au patrimoine national, comme par exemple la medersa Bou Inania de Fès, joyau de la civilisation musulmane datant de 1350.
La fondation est également en train de créer un centre culturel à Nador, composé d’un musée d’art du Rif et d’une bibliothèque de recherche sur la culture berbère. Dans sa vocation d’étendre la culture berbère, Leila Benjelloun coordonne l’enseignement de la langue tamazight, qui permet aux enfants du monde rural d’apprendre dans leur langue maternelle. N’oublions pas que la langue tamazight utilise un alphabet vieux de plus de 3 500 ans, connu sous le nom de tifinagh.
Le peuple berbère est religieux, mais tolérant : il peut cohabiter sans problème avec l’islam
AFKAR/IDEES : Pourriez-vous nous expliquer en quoi consiste le mouvement berbère, et de quelle manière il s’exprime au Maroc ? Et en Algérie ?
LEILA BENJELLOUN : Le mouvement berbère existe depuis longtemps. Mais depuis l’indépendance, puis par la suite, une conscience forte s’est développée à la suite de la terrible répression menée par les partis politiques mais aussi par le pouvoir central d’alors.
Pendant des siècles les imazighen ont fait passer leur adhésion à la foi islamique avant la nécessité de défendre leur propre culture. Ce n’est plus le cas aujourd’hui : par réaction aux outrances du panarabisme et du nationalisme arabe des années cinquante à quatre-vingt-dix, ils se sont intéressés de plus en plus à leur langue, à leur histoire et à toutes leurs spécificités. C’est naturel.
A/I : La langue berbère, le tamazight, s’affirme peu à peu. A quoi doit-on cette résurrection ? A votre avis, quel est son avenir ?
L.B. : La langue berbère est restée intacte et rigoureuse, de même que la culture, en raison de l’attachement et de l’amour du peuple amazigh envers sa profonde identité. Aujourd’hui, grâce aux mesures adoptées par le roi Mohammed VI, il se produit une reconnaissance de notre culture et de notre patrimoine. La création de l’IRCAM en est la preuve. Cet institut a approuvé à l’unanimité le tifinagh comme l’écriture officielle de la langue tamazight. Dès lors, nous avons commencé à éditer les livres de cours d’école primaire, dont certains ont été publiés par la Fondation BMCE et d’autres par l’IRCAM. Ils sont utilisés dans les écoles privées, ainsi qu’au niveau du ministère. Je crois que l’avenir ne peut être que satisfaisant.
A/I : Comment voyez-vous la cohabitation entre deux langues, le tamazight et l’arabe, qui ne cesse d’être, en Afrique du Nord, une langue importée ?
L.B. : Je ne pense pas qu’il y ait de problème. Les deux langues, le tamazight et l’arabe, peuvent et doivent cohabiter au Maroc.
A/I : Parlons de la personnalité et de la réorganisation du peuple berbère. Quelles sont ses principales institutions ? Comment cohabitent-elles avec le monde de l’islam ?
L.B. : Il existe de nombreuses associations berbères qui revendiquent et défendent la culture amazighe, sous toutes ses facettes. Quant à l’aspect religieux, le peuple berbère est certes profondément religieux, mais il est également très tolérant. Certaines associations prêchent pour une laïcité dans le pays, mais cela me semble encore prématuré.
A/I : Quelle sera, à votre avis, l’évolution de la question berbère à moyen et à long terme ?
L.B. : Nous prévoyons et croyons que l’évolution de la question berbère sera positive à moyen terme, et encore meilleure à long terme. Tous ensemble, nous travaillerons et lutterons pour obtenir le meilleur résultat possible, mais toujours avec modération et pragmatisme. Le peuple amazigh a beaucoup souffert du colonialisme européen, à la fin du XIXe siècle et durant la première moitié du XXe siècle. Ils ont été (les imazighen) les premières victimes des longues guerres coloniales, en Algérie, au Maroc, et au Sahara. Les indépendances ne leur ont apporté que déboires ; aussi constituent-ils le gros du contingent de nos émigrés. Il est à espérer que les gouvernements concernés traiteront ce grand problème avec équité et sagesse.