L’avenir par les nouvelles énergies

Avec une contribution de 7 % au total mondial des émissions de gaz à effet de serre (GES), la Méditerranée est parmi les plus vulnérables aux effets du changement climatique La technologie, le financement, la responsabilité de réduction des GES sont au Nord ; les sourcesd’énergiesrenouvelables, la jeunesse, les opportunités d’investissement vert au Sud Les pays du Maghreb devraient réussir leur mise à niveau énergétique : la coopération avec le Nord est indispensable, ainsi que l’harmonisation de leurs dispositifs juridiques

Taha Balafrej

Le monde traverse une crise économique dont nul ne maîtrise ni la profondeur ni la durée. A l’origine de cette crise, les excès d’un système financier qui s’est soustrait à tout contrôle. Mais cette crise se trouve aggravée par l’expansion de modes de production et de consommation dévoreurs d’énergie, en grande majorité fossile et non renouvelable, émettant dans l’atmosphère des gaz à effet de serre (GES) en quantités telles que le climat s’en trouve dangereusement déréglé. Bien qu’à des degrés différents, les pays riverains de la Méditerranée ne sont pas épargnés par cette crise. Malgré leur moindre incorporation dans la sphère financière globale dérégulée, les pays du Sud, exportateurs vers le Nord, grands bénéficiaires pour la plupart des transferts d’immigrés et du tourisme, ne manqueront pas de pâtir du ralentissement économique dans les pays industrialisés. A la veille de cette crise financière, les pays importateurs de pétrole ont souffert du prix du baril qui a atteint les 150 dollars. L’arrivée de la crise a annulé l’effet positif du retour du baril de pétrole en dessous des 50 dollars, tout en préjudiciant les pays dépendants des exportations d’hydrocarbures.

Malgré ce contexte d’incertitude, la croissance économique et démographique prévue dans le bassin méditerranéen laisse envisager une hausse des besoins énergétiques de 40 % d’ici 2030, continuant sur une tendance qui a vu plus que doubler depuis 30 ans la consommation d’énergie des pays méditerranéens, dépendants très largement des sources d’énergie fossile. Avec une contribution de 7 % au total mondial des émissions de GES, la Méditerranée est classée par le dernier rapport du GIEC (Groupe Intergouvernemental d’Experts sur l’évolution du Climat) parmi les plus vulnérables aux effets du changement climatique. Si le secteur de l’eau est celui où cette vulnérabilité se manifeste avec le plus d’acuité, les défis que pose ce secteur sont étroitement liés à la question de l’énergie. Si par le passé l’eau contribuait à la fourniture d’énergie, demain, grand consommateur d’énergie, le dessalement d’eau de mer constituera la réponse incontournable à la raréfaction des ressources en eau. Sortir du sous-développement, réussir le désenclavement, lutter contre la pauvreté, sont des objectifs dont l’atteinte reste tributaire de l’accès à l’énergie pour des millions de foyers du Sud. Mais face à ces défis, le bassin méditerranéen dispose d’atouts considérables. Cette région, berceau de tant de civilisations, se prête parfaitement à la coopération Nord-Sud, au partenariat et à la mise en commun des atouts et avantages. La technologie, le financement, les responsabilités de réduction des émissions de GES sont au Nord. Les sources d’énergies renouvelables, la jeunesse, les opportunités d’investissement vert sont au Sud. Bien avant que la crise ne remonte à la surface, les appels se sont multipliés pour qu’une telle coopération voie le jour et se charpente durablement en Méditerranée.

L’Union pour la Méditerranée (UpM), imaginée pour relancer et renforcer le Processus de Barcelone, devait en être la concrétisation. Mais tous les espoirs ne sont pas perdus. Beaucoup de changements sont intervenus dans le monde durant les premiers mois de 2009. Notamment la place désormais centrale qu’occupe l’énergie dans sa relation avec le changement climatique, présent dans les agendas de toutes les réunions internationales et dans les débats nationaux sur les sorties possibles de l’actuelle crise. En Méditerranée, peut-être plus qu’ailleurs, l’engagement ferme et collectif sur la voie du développement durable, constitue une opportunité unique de prendre le raccourci vers une économie décarbonée qui fait face à l’épuisement des combustibles fossiles et assure un développement solidaire. Des avancées significatives dans ce sens ont eu lieu. Mais beaucoup reste à faire sur le plan domestique et collectif.

Des pistes ouvertes

La stratégie méditerranéenne pour le développement durable (SMDD) adoptée en 2005 par les pays riverains consacre l’énergie com me un des sept domaines d’action prioritaires. Beaucoup d’énergies, de temps et de ressources ont été déployés pour aboutir à ce document, qui pourrait constituer une base d’inspiration pour les pays signataires. Malheureusement à l’heure de dresser leurs propres stratégies ou de concevoir leurs politiques et mesures dans le domaine de l’énergie, les parties contractantes du Processus de Barcelone ne tiennent pas suffisamment compte en général des dispositions de cette stratégie. Une vision partagée des problèmes et solutions a été pourtant à l’origine du Partenariat. Lancé en 1995 avec l’objectif de « construire ensemble un espace de paix, de sécurité et de prospérité partagée », ce processus n’a pas tenu toutes ses promesses. Afin de remédier à cette situation jugée désastreuse, les efforts se sont conjugués, au lendemain de l’élection présidentielle française de mai 2007, pour la mise en place d’une UpM.

Inspirée du modèle de l’Union européenne (UE) construite à l’origine sur la base d’intérêts communs dans les secteurs du charbon et de l’acier, cette Union devait naître sur les fondements, entre autres, du développement durable et de la protection de l’environnement. Parmi les projets que l’UpM, créé finalement à Paris en juillet 2008, avait identifiés : « les énergies de substitution, Plan solaire méditerranéen ». C’est ainsi qu’on pouvait lire en annexe au texte fondateur de cette union : « L’activité qu’ont connue récemment les marchés énergétiques tant sur le plan de l’offre que de la demande confirme la nécessité de s’intéresser aux sources d’énergie de substitution. La commercialisation de toutes les sources d’énergie de substitution ainsi que la recherche et développement à leur propos constituent donc une priorité fondamentale de l’action menée en faveur du développement durable. Le secrétariat est chargé d’étudier la faisabilité, la conception et la création d’un plan solaire méditerranéen ». Malheureusement cette initiative est actuellement en panne quelques mois seulement après sa naissance, du fait de la situation au Proche-Orient aggravée par la guerre menée par Israël à Gaza. Les réflexions continuent pour la réalisation du projet solaire. Mais en réalité, l’idée de bâtir autour de la Méditerranée un réseau énergétique basé sur les sources renouvelables et permettant de subvenir aux besoins des pays riverains n’est pas neuve.

Fondée en 2003 par le Club de Rome, l’initiative TREC (Trans-Mediterranean Renewable Energy Cooperation) a lancé le concept DESERTEC qui se développe assez rapidement. Selon cette initiative, la génération d’électricité et le dessalement d’eau de mer pourraient être obtenus à partir de centrales solaires thermiques implantées dans le désert. En Europe, l’importation de cette énergie par des lignes HVDC (courant continu haute tension, technologie déjà pratiquée dans de nombreuses régions du monde et promise à une rapide expansion) permettrait de réduire les émissions et augmenter la sécurité énergétique. Ce projet, pour lequel la contrainte de l’espace n’existe pas, est de moins en moins utopique, en égard aux progrès accomplis dans les technologies de l’énergie solaire. Dans l’esprit des concepteurs de cette initiative, comme d’ailleurs de l’UpM, la réduction des émissions de CO2 engendrée par les projets d’énergie solaire devrait donner droit à des crédits à valoriser sur le marché du carbone et par conséquent à des revenus pouvant réduire le coût.

Pour cela, le recours au Mécanisme de développement propre (MDP) instauré par le Protocole de Kyoto est tout indiqué. Il établit un partenariat Nord-Sud avec pour « objet d’aider les parties en développement à parvenir à un développement durable … et d’aider les parties industrialisées à remplir leurs engagements chiffrés de limitation et de réduction de leurs émissions » mais pour lequel la Méditerranée ne fait pas partie des régions les plus dynamiques. En effet, quatre années après l’entrée en vigueur du Protocole et la mise en place du Comité Exécutif et des procédures régissant le MDP, les pays du sud de la Méditerranée ne sont hôtes en avril 2009 que de 10 projets sur les 1 600 accueillis par les parties en développement non tenues à des engagements de réduction de leurs émissions. A l’est de la Méditerranée, la situation n’est guère meilleure, à l’exception d’Israël, où 13 projets sont enregistrés dont six en énergie. La Jordanie et la Syrie n’ont accueilli jusqu’en avril 2009 qu’un projet chacune, respectivement dans les secteurs énergie et gestion des déchets. Le peu de succès constaté au Sud est contrasté par une relative meilleure tenue par les pays de la rive nord soumis à l’obligation de réduction des émissions.

C’est ainsi que l’Espagne a participé à 59 projets enregistrés dans le monde, dont un avec l’Egypte ; la France a pris part à 36 projets, dont un avec l’Egypte et trois au Maroc ; et l’Italie avec 40 projets dont deux avec la Tunisie. Parmi ces projets, la majorité est inscrite dans le secteur de l’énergie : 18 projets français, 24 italiens et 44 espagnols (à la mi-avril 2009). A la lecture de ce bilan, deux constats se dégagent. Le premier est que les pays du sud et de l’est de la Méditerranée (et notamment ceux du Maghreb) ne tirent pas suffisamment profit de ce mécanisme pour attirer les investisseurs dans les domaines contribuant à la réduction des émissions de GES, notamment dans le secteur énergétique. Le deuxième est que les pays de la rive nord, à l’heure de monter des projets MDP, regardent plutôt ailleurs que vers la rive sud. Il est ainsi regrettable que le MDP ne se soit pas encore érigé en outil efficace et rentable de coopération autour de la Méditerranée, pour sa transition vers une plus grande maîtrise énergétique. Surtout que, probablement sous une forme améliorée, ce mécanisme, qui a fait ses preuves dans l’implication des pays en développement dans le marché du carbone, ne manquera pas de figurer dans les dispositifs du nouveau régime multilatéral sur le climat attendu à Copenhague en décembre 2009.

Quelques réussites

Si les résultats de la coopération méditerranéenne en matière d’énergies nouvelles ne sont pas encore à la hauteur des opportunités et des attentes, quelques expériences réussies, sous d’autres formes, méritent d’être signalées. Le complexe Tahaddart au nord du Maroc est un exemple de bonne coopération régionale puisqu’il met ensemble la technologie européenne et le gaz algérien pour fournir près de 12 % de l’énergie électrique marocaine.

Entrée en service en 2005, cette centrale à cycle combiné, gérée en vertu d’une concession sur une durée de 20 ans d’une capacité de 384 mégawatts (MW), utilise le gaz naturel comme combustible unique prélevé du gazoduc Maghreb–Europe. Par ailleurs, le Maroc et l’Espagne sont reliés par un câble de transport d’électricité renforcé en 2006 portant la capacité de transit à 1 400 MW, et qui pourrait un jour se développer en boucle méditerranéenne permettant l’interconnexion entre les pays de la rive nord (de l’Espagne à la Turquie) et ceux du sud (du Maroc à l’Egypte) et contribuer à l’alimentation de 400 millions d’habitants sur trois continents. Sur le plan de l’énergie éolienne, stimulés par la réussite espagnole, les pays du sud de la Méditerranée enregistrent des progrès importants. La Région Nord du Maroc, dotée d’un vent d’une vitesse dépassant les seuils de rentabilité rapide pour les champs éoliens, a abrité dès l’an 2000 son premier parc éolien de Koudia Al-Baïda avec une puissance de 50,4 MW sous forme de concession à une firme française. Elle a ensuite accueilli le parc de 10 MW qui a permis au cimentier Lafarge d’entrer dans le cercle des entreprises mondiales bénéficiant du mécanisme MDP. Un troisième parc éolien, promu par l’l’Office national de l’électricité (ONE) et construit par une entreprise espagnole, viendra s’ajouter aux précédents en 2009 avec une production de 140 MW.

Des projets importants mais en deçà des potentialités : en face de Tanger, l’Andalousie en est déjà à 1 500 MW d’éolien ! Sur le registre de l’innovation, un projet implanté dans l’Oriental marocain à Ain Beni Mathar mérite d’être signalé. C’est celui d’une centrale thermo solaire, d’une capacité de 450 MW dont 20 MW en solaire qui a bénéficié d’un financement partiel du Fonds pour l’environnement mondial (50 millions de dollars sur les 600 millions d’investissement) et qui est en cours de finalisation par un groupe espagnol. Sur un autre plan, des percées intéressantes dans le domaine de la fabrication de matériel pour énergies renouvelables sont à signaler. Et pas seulement dans les panneaux pour chauffe-eau solaires. Avec un investissement de plus de 75 millions de dirhams, une filiale marocaine d’un groupe français entend produire 300 mâts d’éolienne par an, et pourra rivaliser avec les grands groupes internationaux du secteur. A signaler également la multiplication d’initiatives individuelles, comme c’est le cas de ce jeune propriétaire d’une auberge à Foum Zguid (à plus de 1 000 kilomètres au sudest de Rabat) et qui a fait confiance au solaire pour sa consommation électrique. Pour 46 000 dirhams, trois panneaux lui permettront de brancher 72 ampoules basse consommation, un frigo et une télévision et lui assurent un accès durable à l’électricité.

L’avenir

L’avenir de la Méditerranée est conditionné par la capacité de ses pays, sur les plans domestique et régional, à établir une politique intégrée permettant de faire face aux défis combinés de l’eau, de l’énergie et du climat. D’autres régions du monde s’engagent sur la voie du partenariat et de l’action collective vers cet objectif. En avril 2009, les présidents américain et mexicain ont entériné un accord mettant en place « un cadre bilatéral sur l’énergie propre et le changement climatique ». L’objectif est de promouvoir le développement des énergies renouvelables, les technologies énergétiques à faible émission de carbone et à renforcer la fiabilité des réseaux transfrontaliers d’électricité et le recours aux mécanismes de marché. Par ailleurs, les USA, la Chine, des pays européens et la Corée du Sud ont inscrit dans leurs plans de relance des dépenses publiques pour des technologies sobres en carbone dans des proportions atteignant 15 % des montants engagés. Sur un plan plus global, l’Agence internationale de l’énergie estime à 45 trillions de dollars les investissements qui iront à l’énergie propre d’ici à 2050. Ce sont là des données qui indiquent la voie à suivre dans le bassin méditerranéen avec l’objectif de réduire l’empreinte carbone de la région et assurer l’adaptation aux effets négatifs des changements climatiques.

Les mesures d’encouragement à la croissance verte entreprises à l’intérieur de l’UE devraient se projeter jusque sur l’autre rive, selon des programmes d’investissement impliquant le transfert des technologies et le renforcement des capacités. De leur côté, les pays du Maghreb qui ont relativement bien réussi leur entrée dans le monde des technologies de la communication, dès le milieu des années quatre-vingt dix, se trouvent face à l’obligation de réussir leur mise à niveau énergétique. Tout en préparant le terrain à l’indispensable coopération de la rive nord, ces pays devraient procéder régulièrement à l’harmonisation de leurs dispositifs juridiques, à l’échange de leurs expériences et à la coordination de leurs positions dans les forums internationaux.