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Co-édition avec Estudios de Política Exterior
La relance du Dialogue 5 + 5 : pour un plan d’action pour le Maghreb
La stratégie de coopération dans la Méditerranée occidentale retrouve sa vitalité
Gemma Aubarell, directrice de Projets de l‘IEMed.
Compte tenu de la difficile situation du Proche Orient, de la dérive de la situation en Irak et des incertitudes concernant le projet euro-méditerranéen, l’apparition de nouveaux mécanismes de concertation est accueillie avec un grand soulagement. Le mérite du Dialogue 5 + 5, principalement et directement pris en charge par les pays du Maghreb, est de suggérer aux propres méditerranéens que quelque chose est en train de changer.
Le premier Sommet entre chefs d’Etat et de gouvernement des pays membres du Dialogue 5+5 (Tunis, 5 et 6 décembre), après plus d’une décennie de congélation du processus, est un bon indice de la volonté de relancer la concertation au sein de la Méditerranée occidentale. Depuis l’élan donné par Lisbonne en 2001, et jusqu’au sommet de Tunis, se sont succédées les rencontres et les réunions d’un forum dont les caractéristiques résident dans le caractère informel de son approche et la dimension régionale de ses actions : Maghreb et Sud de l’Europe (Algérie, Maroc, Tunisie, Libye et Mauritanie pour la rive sud, et France, Espagne, Italie, Portugal et Malte pour la rive nord).
Il ne s’agit pourtant pas d’une nouveauté. Le point de départ de cette initiative se situe dans les années quatre-vingt-dix, au moment de la définition du projet euro-méditerranéen. De multiples propositions multilatérales luttaient à cette époque pour occuper la place du forum autour duquel serait articulée la stratégie européenne dans la région. C’est dans ce cadre que la France envisagea une stratégie de coopération régionale reposant sur la Méditerranée occidentale, qui avait déjà été évoquée comme possibilité dans les années quatre-vingts. L’inclusion ultérieure de Malte à l’initiative conférerait un intérêt numérique équilibré à ce projet. L’élan décidé et le développement postérieur du Processus de Barcelone, avec son approche globale, ainsi que le déplacement de la Libye de la scène internationale, plongeraient le dialogue 5+5 dans une léthargie progressive au cours de la décennie suivante.
Paradoxalement, cette période s’est avérée décisive pour comprendre la vitalité dont fait actuellement preuve le 5+5. Au cours des années quatre-vingt-dix, les relations entre l’Europe et le Maghreb se sont peu à peu singularisées. Il est certain que l’Union européenne (UE) est devenue une référence centrale dans la projection extérieure de pays tels que le Maroc, l’Algérie et la Tunisie. Il serait très difficile d’imaginer l’état actuel des choses en dehors de ce contexte.
Ainsi, ce qui sert paradoxalement à expliquer son renforcement justifie également son opportunité. En effet, le Processus de Barcelone fait face, après Valence, à des questions de tout premier ordre qui interpellent sa condition de projet global : le besoin de favoriser des dimensions concrètes de coopération, la présence de multiples intérêts ne se rejoignant pas toujours, un moment clef de l’intégration européenne et sa dimension associative si débattue. Le 5+5 surgit au moment de la pleine émergence de ces enjeux. Il s’agit d’une initiative qui est liée, dans la pratique, à une question de fond : la pertinence d’une approche souple et participative, fondée sur des coopérations en fonction des intérêts et des possibilités. Il faut bien dire que le partenariat euro–méditerranéen avait accordé, dans un premier temps, une importance prioritaire à la dimension sous-régionale du projet, mais celle-ci a peu à peu été abandonnée au cours du temps.
En tout état de cause, et malgré tout ce qui précède, le 5+5 partagerait le besoin de rechercher des complémentarités ainsi qu’une plus grande cohérence des stratégies d’intégration sud-sud. En outre, le large éventail d’initiatives en cours, telles que la déclaration d’Agadir ou l’attention renouvelée, mais pourtant toujours fragile, envers le projet d’Union du Maghreb Arabe (UMA), fait resurgir ce besoin de la part des propres acteurs, même si l’on ne dispose pas encore de structures formelles.

La fuite face aux problèmes-clé nuit à la viabilité du dialogue
Il est clair que la relation 5+5, reposant sur les intérêts communs de ses membres, permet d’avancer dans des domaines fort pertinents, tels que celui de l’immigration. Il faut cependant signaler que l’on continue à éviter, dans l’approche actuelle, les problèmes se trouvant au cœur des malentendus. Il ne fait aucun doute que cela nuit, dans une large mesure, à la viabilité du processus. Tel est le cas du dossier du Sahara Occidental. N’oublions pas que ce facteur provoque des situations uniques, telles que la fermeture de la frontière entre l’Algérie et le Maroc, qui ne saurait être comparée, à l’échelon international, qu’au cas des deux Corée.
Bien évidemment, la question posée est difficilement abordable à court terme, malgré l’intérêt qu’elle représente pour le fond du sujet : face au couple bilatéralité / multilatéralité, auquel se trouve nécessairement confronté le Processus de Barcelone, est-il possible d’imaginer un espace régional au sein duquel le jeu des intérêts se transformerait en clefs de rééquilibre ? Effectivement, le cadre 5+5 permet, tout au moins dans son approche, un juste moyen terme : l’utilisation des relations bilatérales au bénéfice de stratégies d’équilibre. Au-delà du cadre strictement euro-méditerranéen, encore faudrait-il vérifier si cette approche aiderait à définir l’espace d’association que le Maghreb réclame dans le cadre du projet de voisinage global européen, envisagé dans la proposition de Wider Europe.
Il n’est pas vain d’insister sur le fait que c’est par l’intégration maghrébine, et surtout par la concrétisation de son ouverture économique, que le processus 5+5 prévoit d’aborder les aspects considérés élémentaires et communément partagés, tels que les investissements, le rôle des PME ou le besoin d’une ligne de crédit. Toutes ces inquiétudes sont communes, et évoluent vers un projet à caractère essentiellement fonctionnel et possible. Au-delà des finalités générales faisant référence à la relance du processus de Barcelone ou au dialogue culturel, ce sont plus concrètement les dossiers stratégiques qui affleurent. Tel est le cas de l’énergie, de l’eau, et tout spécialement des transports ou des nouvelles technologies, domaines pour lesquels des réunions sectorielles sont déjà prévues.
Dialogue prioritaire sur les migrations
Parmi tous les thèmes, c’est probablement l’immigration qui a suscité le plus d’intérêt de la part des pays impliqués. De fait, la composante de sécurité, sous-jacente dans ce dossier est au coeur des objectifs du groupe 5+5. La Déclaration de Tunis sur les migrations, de la fin de l’année 2002, ainsi que la réunion de Rabat en octobre dernier, surgissent en outre en réponse à l’une des prémisses établies à Lisbonne concernant le besoin d’aborder ce thème de façon prioritaire. Tunis, dans ses approches, et Rabat, dans ses neuf recommandations concrètes, supposent la reconnaissance de l’importance du dialogue régional sur ce sujet de la part des 10 – fait qui, d’autre part, semble logique si l’on tient compte de l’échange permanent de mouvements de personnes dans cette zone.
Il ne faut pas oublier cependant que dans le fond, nous sommes confrontés à une situation qui est abordée sous des angles très différents. Tandis que le Nord insisterait sur des termes de co-responsabilité dans le contrôle des flux et de l’immigration illégale, le Sud donnerait plus volontiers priorité aux problèmes de co-développement et de viabilité du projet de partenariat. Il ne s’agit pas là de discours antagonistes, mais ils répondent à des priorités différentes dans les différents agendas, ce qui rend plus difficile encore la mise en marche d’initiatives concrètes. Il reste à voir si l’approche régionale à laquelle postule l’initiative 5+5 va aider à résoudre l’approche jusqu’alors peu efficace et simplement bilatérale de ce problème.
Et si la situation dans le domaine euro-méditerranéen présente des flancs multiples, il convient de ne pas négliger certaines des singularités de cette initiative dans le cadre du contexte international actuel qui, bien loin de devenir un problème, offre d’intéressantes perspectives. En ce sens, les positions adoptées par ces pays à travers leurs déclarations dans le cadre du conflit irakien sont fort révélatrices. La déclaration surgie de la rencontre des Ministres de l’Extérieur en avril dernier en France signalait le soutien à l’ONU. Sans oublier que les pays européens présents ne partagent pas vraiment les mêmes positions à cet égard, et compte tenu de la difficulté que cela représente dans le cadre particulier de la Méditerranée, il est intéressant de constater qu’une grande importance formelle est donnée à un accord dans ce domaine. Les intérêts partagés joueraient dans ce cas en faveur d’une plus grande entente. Dans cette même optique, peut-être pourrait-on insister sur le contexte des relations atlantiques auxquelles sont confrontés, à l’heure actuelle, l’Europe et le Maghreb, et se demander si le cadre informel offert par le 5+5 pourrait d’une certaine manière permettre d’envisager certaines alliances stratégiques en ce sens.
Dans un autre ordre des choses, la présence de la Mauritanie et de la Libye, absentes du partenariat euro-méditerranéen, peut être interprétée comme une occasion de comprendre la participation du sud dans le dossier euromed. Après avoir surmonté le contentieux de Lockerbie qui, avec des situations telles que l’Algérie, avait congelé le processus dans les années quatre-vingt-dix, la Libye vit actuellement une situation de normalisation de ses relations à l’échelon international. De fait, la première intervention internationale depuis l’embargo a eu lieu l’année dernière, à l’occasion d’une réunion 5+5 organisée à Tripoli. Il subsiste le doute de savoir si ce cadre pourrait effectivement faciliter progressivement ses relations avec ses voisins et lui permettre de créer un accord d’association avec le Maghreb.
Et c’est dans cette perspective qu’est envisagé le sommet de Tunis en décembre, le premier à réunir des chefs d’état dans le cadre du 5 + 5. Le possibilisme dans l’approche des différents dossiers, le profil politique discret des déclarations effectuées jusqu’à ce jour, et le contexte politique actuel, laissent présager un sommet focalisé sur l’importance de la coopération économique et sociale. Sans oublier cependant, le propre intérêt d’une initiative politique d’une telle envergure, qui conférerait à ce même sujet une importance stratégique.
L’évolution du Processus de Barcelone s’est vue confrontée, dans une large mesure, au conflit au Proche Orient. Il convient de penser au besoin de forums opérationnels et flexibles. En définitive, l’établissement d’un cadre effectif sur le plan régional pourrait aider en grande partie à créer un domaine d’association effectif et surtout l’ownership, qui reste l’une des étapes oblige vers le partenariat.
Dans un tel contexte, les possibilités mais aussi les interrogations qui planent sur ce processus sont nombreuses. Concernant ces dernières, le doute principal est de savoir si un tel projet, même s’il n’est pas conçu comme une nouvelle structure de coopération, pourrait affaiblir le principe de globalité insufflé depuis le partenariat. La première lecture révèle d’autres problèmes. Un processus qui ne tient pas compte des aspects les plus problématiques des relations ne s’avère-t-il pas inefficace à court terme? Un processus défini comme informel et par conséquent à faible implication politique apportera-t-il un cadre effectif? Un processus à deux vitesses au sein du partenariat peut-il être durable?
En tout état de cause, la réponse à ces interrogations semble devoir naître de la force des faits. Le principal défi à relever sera sans doute la conception d’un profil d’initiative décidément rentable pour le projet euro-méditerranéen. Son obtention est assurée par le rassemblement de la majorité des pays autour des deux projets. Il s’agit de déterminer si le dialogue 5+5 peut-être effectivement ou non considéré comme un éventuel instrument de l’UE. Le besoin de situer l’offre d’association privilégiée aux membres non européens dans le cadre d’une Europe unie, peut aider à comprendre les potentialités du 5+5, en vue d’offrir au Maghreb un pacte privilégié.
Dans ce processus, le 5+5 offre en outre un rôle important au Sud de l’Europe, un leadership qui ne doit pas non plus échapper à la condition méditerranéenne du processus de Barcelone en lui-même. L’ancrage européen du Maghreb et l’ancrage méditerranéen du processus euro-méditerranéen, sont peut-être les propositions les plus intéressantes de ce projet remis à jour.