Co-édition avec Estudios de Política Exterior
Gran angular

L’invasion russe de l’Ukraine vue par les états arabes et méditerranéens

Bichara Khader
Profesor emérito, Universidad Católica de Lovaina
Le ministre russe des Affaires étrangères, Lavrov, reçoit le « groupe de contact arabe », comprenant des représentants de l’Égypte, de la Jordanie, de l’Algérie, de l’Irak, du Soudan et des Émirats arabes unis, chargé de surveiller la guerre en Ukraine. Moscou, 4 avril 2022. Ministère des affaires étrangères de l’Égypte/Handout/Anadolu agency via Getty images

Qualifiée, tour à tour, de « tsunami silencieux », de « tournant historique », de « bouleversement de l’ordre international », l’invasion russe de l’Ukraine, depuis le 24 février 2022, a suscité en Occident désarroi, sidération et une grande inquiétude. Le coût humain, matériel et psychologique pour l’Ukraine sera incalculable. La Russie, frappée par des sanctions inédites, en sortira géopolitiquement affaiblie, économiquement anémiée. L’Union européenne n’en sortira pas indemne. Certes, elle est restée solidaire et soudée, renforçant sa cohésion, et validant son utilité face à ses détracteurs, mais le restera-t-elle lorsque les canons se seront tus ? L’OTAN, que l’implosion de l’Union soviétique, en 1990, avait privé d’ennemi, s’est trouvée revigorée avec une attractivité accrue, mais à trop vouloir encercler la Russie, ne risque-t-elle pas de jouer à l’apprenti sorcier ? Les États-Unis ont pris la tête de l’opposition à la Russie, lui imposant des sanctions inédites et fournissant à l’Ukraine aides, armes et munitions. Mais leur supposée « hyperpuissance » n’est-elle pas déjà écornée, puisque même certains de leurs alliés dans le monde ont refusé de se ranger derrière eux pour « condamner » l’agression russe ?

On n’a pas encore chiffré le coût financier de cette guerre insensée. Il pourrait s’avérer exorbitant. Les pays du Sud, notamment les pays arabes et méditerranéens, bien qu’éloignés du champ de bataille, ne seront pas épargnés des retombées négatives de cette guerre sur leur économie (augmentation du prix du pétrole et du gaz, recul des échanges, baisse du tourisme russe et ukrainien) et sur leur sécurité alimentaire (rupture des approvisionnements de blé et d’engrais, augmentation vertigineuse des prix et hausse des primes d’assurance).

La réaction des pays arabes et méditerranéens à l’invasion russe reflète leur inquiétude et leur embarras. Alors que les États-Unis et l’UE les sommaient de se « positionner », en condamnant l’invasion « illégale » de la Russie, les pays arabes et méditerranéens (Israël et Turquie) ont refusé, dans leur majorité, de s’aligner, s’attachant à la neutralité, le pragmatisme et l’équidistance. De tous les pays arabes, seule la Syrie s’est rangée derrière la Russie. D’autres ont regretté l’invasion russe sans la condamner ouvertement. D’autres encore l’ont condamnée, mais refusé d’appliquer les sanctions. Israël et la Turquie ont tenté même une médiation, mais sans succès.

La réaction des pays arabes et méditerranéens

Alors que les pays occidentaux ont fait front uni à l’invasion russe, les pays du Sud de la Méditerranée ont réagi en ordre dispersé. Ce positionnement différencié s’explique par l’histoire de chaque pays, par la géopolitique régionale, par les alliances internationales et par l’impact de la guerre en Ukraine sur leur économie. De ce fait, les pays arabes et méditerranéens ne souffrent pas des conséquences de la guerre avec le même degré de gravité. Leur positionnement politique face à l’agression russe a donc varié : tiède dans le cas de la majorité, favorable à la Russie dans le cas de la Syrie, hostile dans le cas du Liban, du Koweït et du gouvernement de Tripoli.

Cette différenciation a été visible dans les votes au Conseil de sécurité (les Émirats arabes unis se sont abstenus lors du vote du 27 février) et de la session extraordinaire de l’Assemblée générale des Nations unies (l’Algérie, l’Irak, la Jordanie se sont abstenus, quant au Maroc, il n’a pas pris part au vote).

L’embarras des pays arabes explique l’extrême prudence du Conseil de la Ligue des États arabes. Réuni le 28 février, le Conseil s’est contenté d’ « exprimer sa préoccupation de l’évolution des évènements et de souligner l’importance du respect des principes du Droit International et de la Charte des Nations unies ». La déclaration évite de qualifier l’invasion russe, voire de la condamner. Néanmoins, la Ligue a dépêché un « Groupe de Contact », présidé par le ministre algérien des Affaires étrangères, Ramtane Lamamra, pour rencontrer le ministre russe, Sergueï Lavrov, et le ministre ukrainien, Dmitro Kuleba, et rappeler la nécessité de cesser les hostilités.

Pourquoi les États arabes et méditerranéens ont-ils réagi en ordre dispersé à l’invasion russe de l’Ukraine ? Plusieurs raisons sont invoquées : j’en épinglerai les plus courantes.

– La Russie est un allié fiable : c’est la position du régime syrien, sauvé de justesse de l’effondrement grâce à l’intervention militaire de la Russie depuis 2015. Ceci explique son soutien à l’invasion russe de l’Ukraine.

– L’occupation russe de territoires ukrainiens est illégale et inacceptable : c’est la position du Koweït et du Liban (mais pas du Hezbollah). Le premier a été occupé en 1990 par l’armée de Saddam Hussein et a conservé de ce triste épisode un goût amer. Tandis que le second, le Liban, a souffert pendant des décennies de la double occupation de la Syrie et d’Israël. Nous pouvons ranger le gouvernement de Tripoli, en Libye, dans cette catégorie de ceux qui condamnent l’invasion de la Russie, à laquelle Tripoli reproche de s’immiscer dans les affaires libyennes en soutenant le Groupe Wagner dans l’Est libyen. Partout, les Frères musulmans (en Syrie, en Égypte et ailleurs) sont sur la même ligne, accusant la Russie d’avoir tué les leurs en Syrie et d’avoir apporté son soutien au régime militaire d’Abdel Fattah Al Sissi, qui a renversé le président Mohammed Morsi, en juillet 2013 et sévi contre les Frères musulmans depuis.

– À des degrés différents, les autres pays arabes n’ont pas voulu se mouiller et préféré rester « non-alignés » et « pragmatiques », soit parce qu’ils dépendent de la Russie et de l’Ukraine pour les importations alimentaires, la fourniture d’armes, la construction de centrales nucléaires, soit parce qu’ils sont déçus du soutien américain et de l’incohérence européenne dans la gestion des crises du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord. À cet égard, les cas de l’Arabie saoudite, des Émirates arabes unis, de l’Égypte ou de l’Algérie sont emblématiques.

En froid avec les États-Unis qu’ils accusent d’avoir lâché leurs alliés (notamment le régime de Hosni Moubarak en 2011), de négliger la sécurité du Golfe, de négocier avec l’Iran, de se « braquer » sur l’affaire de l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi dans le consulat saoudien d’Istanbul et surtout de brandir la bannièredes droits de l’homme – quand cela les arrange – les Saoudiens ont résisté aux appels du pied pour condamner l’agression russe et ont refusé, jusqu’ici, de jouer leur rôle traditionnel de « producteur d’équilibre » en augmentant la production pétrolière, afin de pallier la perte du pétrole russe frappé par l’embargo. Les journaux saoudiens (tels que OKAZ ou Arab News) ne tarissent pas de commentaires sur la mutation de l’ordre international vers un « système multipolaire » et évitent de faire endosser à la Russie la seule responsabilité du conflit, décrit comme « un affrontement entre les puissances pour l’hégémonie mondiale » (voir l’article de Alain Gresh dans Le Monde Diplomatique, mai 2022) qui n’a rien à voir avec le respect de la légalité internationale.

Il faut reconnaître que la prise de distance de l’Arabie saoudite par rapport aux États-Unis, pourtant un allié stratégique depuis 1945, est antérieure à l’invasion russe de l’Ukraine. Depuis quelques années, en effet, et particulièrement depuis l’élection de Joe Biden, l’Arabie saoudite s’est rapprochée de la Russie de Vladimir Poutine dans un dessein de diversifier ses alliances stratégiques, d’éviter la concurrence pétrolière (Accord OPEP+ 2016 avec la Russie), et de s’assurer un accès aux technologies russes dans le domaine militaire et du nucléaire civil (Accord de coopération militaire de 2021).

Les Émirats arabes unis ne nourrissent pas les mêmes rancœurs à l’égard des États-Unis, mais ils ne souhaitent pas prendre position dans un conflit dont ils ne sont pas partie prenante. Aussi se sont-ils abstenus lors du vote du Conseil de sécurité, mais ils se sont ravisés, après de multiples pressions américaines et européennes, pour se rallier aux résolutions de l’Assemblée générale des Nations unies.

Cet atermoiement reflète le tiraillement d’un Émirat entre ses alliés traditionnels occidentaux et son nouveau partenaire russe, avec lequel il a signé un « partenariat stratégique » en 2018 avec une composante économique, militaire et technologique.

Il faut reconnaître que les Émirats et la Russie sont sur la même longueur d’ondes sur de nombreux sujets : la réhabilitation du régime de Bachar al Assad, leur rejet des Frères musulmans, leur plaidoyer pour un « monde multipolaire » et leur préférence pour la « stabilité autoritaire ». Ce dernier point est primordial et explique, en grande partie, la percée de la Chine et de la Russie au Moyen-Orient et en Afrique du Nord.

Le cas de l’Égypte s’apparente à celui des pays du Golfe, mais avec quelques différences notoires. Avec ses 110 millions d’habitants, l’Égypte est le plus gros importateur de blé au monde. Sur une consommation annuelle de 21 millions de tonnes, elle en importe 10 millions de l’extérieur. Or 85 % de ces importations proviennent de deux pays : la Russie (61 %) et l’Ukraine (24 %). Le pays est donc contraint à la prudence et à la neutralité. Quitte à fermer les yeux sur une violation flagrante du Droit International, l’Égypte ne peut risquer de mettre en danger sa relation privilégiée avec la Russie. Bien sûr, cette position ambiguë choque ses alliés occidentaux, notamment les États-Unis. Mais l’Égypte rétorque que « le pain est une question de ‘sécurité nationale’ ». Appelé en dialecte égyptien aich (la vie) , il est la base de la diète quotidienne : un Égyptien en consomme annuellement 185 kgs, contre une moyenne mondiale de 80 kgs. Ne pas fournir de pain, c’est s’exposer à des troubles politiques et sociaux.

Vue sous le prisme national, l’invasion russe est une calamité pour l’économie de l’Égypte, car non seulement les importations d’Ukraine sont interrompues, mais le prix de la tonne de blé a plus que doublé depuis le début de l’année, passant à 450 dollars la tonne, et la prime d’assurance du transport maritime a augmenté de 30 %, faisant grimper les subsides gouvernementaux égyptiens aux denrées alimentaires de 3,3 milliards de dollars à plus de cinq milliards. C’est une saignée importante pour les finances égyptiennes, aggravée par un manque à gagner touristique, car les touristes russes et ukrainiens représentent au moins le quart du nombre total des touristes en Égypte.

Outre tous ces éléments, il y une coopération renforcée entre l’Égypte et la Russie dans le domaine militaire et nucléaire civil, avec la construction d’une centrale nucléaire de plus de 20 milliards de dollars.

Les pays du Maghreb ont fait preuve de la même réticence à prendre parti dans la guerre livrée à l’Ukraine. L’Algérie s’est abstenue lors du vote du 2 mars 2022, exigeant le retrait des troupes russes et l’arrêt immédiat de l’usage de force. Grande alliée de la Russie, l’Algérie allègue que c’est « une guerre entre Européens » et qu’elle n’entend pas s’en mêler. Elle a donc opté pour « une neutralité pragmatique ». Désigné comme chef du Groupe de Contact arabe, mandaté par la Ligue des États arabes et comprenant les ministres des Affaires étrangères de Jordanie, d’Irak, du Soudan, d’Égypte et du Secrétaire général de la Ligue, le ministre algérien des Affaires étrangères, Lamamra, s’est entretenu avec le ministre russe des Affaires étrangères, Lavrov, à Moscou le 4 avril, et l’ukrainien Dmitro Kuleba à Varsovie, le 5 avril 2022. Parlant au nom du Groupe de Contact, il a plaidé pour des « négociations directes » entre Russes et Ukrainiens » et a exprimé son « inquiétude quant aux retombées de cette crise et la dangerosité de sa poursuite ».

Cela n’a pas empêché l’Algérie de voter contre une résolution de l’Assemblée générale de l’ONU du 8 avril 2022, appelant à l’exclusion de la Russie du Conseil des droits de l’homme, et de recevoir, en grande pompe, le ministre Lavrov, en mai 2022. Officiellement, celui-ci est venu solidifier la coopération économique et militaire (en 2021, 81 % des livraisons d’armes et matériel de défense proviennent de Russie), mais en réalité Lavrov voulait surtout dissuader l’Algérie de céder aux pressions occidentales, afin d’accroître ses livraisons de gaz liquéfié à l’Europe.

Le Maroc a pratiqué la politique de la « chaise vide » lors des votes de l’Assemblée générale sur la question ukrainienne. Cela a fait ricaner beaucoup d’observateurs, mais surtout a fait grincer des dents de l’administration américaine. Wendy Shermann, sous-secrétaire d’État américain, et Anthony Blinken, secrétaire d’État, ont fait le voyage à Rabat pour presser le Maroc de « choisir son camp ». Le Maroc a renâclé, car il doit ménager la Russie dont il a grand besoin non seulement pour les importations de blé, mais aussi pour de nombreux autres métaux et produits pétrochimiques.

La Turquie et Israël sont confrontés au même tiraillement. Bien qu’alliés de l’Occident, les deux pays ne peuvent s’opposer ouvertement à la Russie. Aussi ontils cherché à jouer les médiateurs, mais sans succès. La Turquie, sous pression occidentale, a fermé le détroit du Bosphore aux navires militaires russes et a fourni des drones à l’Ukraine, mais elle refuse d’appliquer les sanctions imposées à la Russie.

Quant à Israël, son lien à la Russie est une question de politique intérieure, car il y a au moins un million de juifs russes en Israël et ils pèsent lourdement sur les scrutins électoraux. Par ailleurs, Israël compte sur la neutralité de la Russie en Syrie et tient à avoir les coudées franches pour mener ses raids réguliers en Syrie, sans interférence russe. C’est pour cela qu’Israël rechigne à appliquer les sanctions contre la Russie. De fait, pendant que les oligarques russes sont pourchassés en Occident et leurs avoirs confisqués, Israël accueille les oligarques juifs les bras ouverts et leur fait bénéficier de la « Loi du Retour » en leur octroyant la nationalité israélienne.

La réaction des médias et des sociétés civiles

Moins timorée, plus véhémente et plus tranchante est la réaction des médias et des sociétés civiles arabes à l’invasion russe. Bien sûr, les Arabes compatissent avec les souffrances des Ukrainiens et dénoncent la politique de la « terre brûlée » pratiquée par la Russie. Mais les médias mettent surtout en exergue les retombées négatives de la guerre sur les Arabes, l’instrumentalisation de la guerre, l’incohérence des pays occidentaux et la faillite de la diplomatie. Voici quelques messages qui reviennent souvent dans les éditoriaux et commentaires des internautes :

– C’est une guerre intra-européenne, les Arabes n’ont pas à s’en mêler ;

– Il faut réactiver la diplomatie, car la poursuite de cette guerre pourrait s’avérer catastrophique pour tout le monde, y compris les pays du Sud ;

– En voulant humilier la Russie par l’élargissement de l’OTAN à l’Est, l’Occident est aussi responsable que la Russie elle-même ;

– Les Américains sont les derniers à donner des leçons en matière du respect du Droit International et des droits de l’Homme. N’ont-ils pas envahi l’Irak en 2003, sans aucun mandat des Nations unies et sous de fallacieux prétextes, faisant plus d’un million de morts ? A-t-on oublié le comportement indigne des marines américains dans la prison d’Abu Ghraib en Irak et au Guantanamo ? s’insurgent les internautes.

– Israël profite de cette arme de « distraction massive » qu’est la guerre en Ukraine, pour multiplier les faits accomplis dans les territoires palestiniens, harceler les Palestiniens et tuer, de sang-froid, leurs meilleurs journalistes, tels que Shirine Abou Akleh.

Mais le reproche le plus récurrent fait à l’Occident est le fameux « deux poids, deux mesures ». D’un côté, l’Occident, dans une unanimité rare, condamne l’invasion, impose à la Russie des sanctions inédites, soutient la « résistance héroïque » des Ukrainiens et accueille les bras ouverts ses réfugiés. Mais de l’autre, le même Occident ferme les yeux sur l’occupation d’Israël de territoires arabes et palestiniens depuis 1967, le protège même lors des votes au Conseil de sécurité (les Américains ont utilisé leur droit de veto 42 fois pour protéger Israël depuis 1980), le soutient diplomatiquement, militairement et financièrement, criminalise la campagne palestinienne de Boycott (BDS) et les États-Unis s’opposent à toute poursuite judiciaire de l’État d’Israël à la Cour Pénale Internationale de la Haye. On ne compte pas le nombre d’articles de sites tels que Middle East Eye, Raialyoum, Orient XXI ou Arab Center DC etc., qui soulignent l’incohérence des pays occidentaux.

La question de l’accueil des réfugiés fait l’objet de nombreux commentaires acerbes. Les journalistes et internautes arabes (mais aussi africains) ont été choqués par les propos tenus par des correspondants occidentaux, et même des officiels, se référant aux réfugiés ukrainiens en les qualifiant d’ « Européens comme nous ‘blancs, civilisés et éduqués’ » par opposition aux réfugiés irakiens, syriens et africains.

Enfin, nombre d’intellectuels et de journalistes arabes ont été choqués par les propos tenus par le président Volodymyr Zelenski, lors de son intervention à la Knesset [Parlement], le 21 mars 2022, s’insurgeant (à juste titre) contre l’occupation de son pays par la Russie, mais, en même temps manifestant une solidarité sans faille avec Israël qui pourtant occupe illégalement des territoires arabes et palestiniens. Voici un extrait de son discours : « Dans le passé et maintenant nous sommes dans des conditions complètement différentes, mais la menace est la même aussi pour nous que pour vous : la destruction totale du peuple, l’État, la culture et même les noms : Ukraine, Israël ». Un tel travestissement de la vérité jette le discrédit sur le président ukrainien, choque les Palestiniens – peuple occupé et non occupant – et nuit à la cause « légitime » de l’Ukraine./

Gran angular

Autres numéros