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Co-édition avec Estudios de Política Exterior
Israël Palestine : l’avenir invisible
Le terrorisme irrationnel et la politique des assassinats sélectifs compromettent tout espoir de paix dans la région
Domingo del Pino, conseiller éditorial d’AFKAR/IDEES.
Les assassinats de leaders palestiniens, le terrorisme des organisations islamistes radicales contre Israël et l’intransigeance et le fanatisme des colons israéliens, donnent lieu aujourd’hui à l’évolution la plus irrationnelle du conflit palestino-israélien. Le caractère spectaculaire et radical des actions des uns et des autres relègue à un second plan les raisons originales du conflit, et déforment la perception de la situation réelle des négociations qui représentent le seul espoir de solution.
Malgré le terrorisme qui rend l’avenir invisible, il existe – même si elles sont temporairement paralysées – au moins trois initiatives de paix qui attendent leur chance. La Feuille de Route vers une solution permanente – comportant deux États – au conflit palestino-israélien, le Modèle pour un accord permanent palestino-israélien, plus connu sous le nom d’Initiative de Genève et le fameux Plan Ayalon-Nusseibeh, représentent les plus grandes chances d’accord que les Israéliens et les palestiniens ont eues à leur disposition en 56 ans de conflit.
Parmi ces plans, seule la Feuille de Route est officielle. Elle constitue la plate-forme sur laquelle s’appuient les éventuelles négociations entre Israël et l’Autorité nationale palestinienne (ANP), avec le soutien actif du Quartette (les États-Unis, l’Union européenne, l’ONU et la Russie). L’Initiative de Genève et le Plan Ayalon Nusseibeh, qui se fondent pratiquement sur les mêmes principes élémentaires que la Feuille de Route, constituent le référentiel moral des deux sociétés civiles, par lequel elles rappellent à leurs gouvernements leur volonté de paix et les implorent de ne pas laisser échapper cette opportunité historique.
Certaines des dernières déclarations du président des USA, George W. Bush – son scepticisme sur la probabilité de créer un État palestinien avant 2005, d’après le calendrier non respecté de la Feuille de Route ; l’appui de l’intention du premier ministre israélien, Ariel Sharon, de se retirer de Gaza en fermant à cet effet les 21 colonies qui y sont établies ainsi que cinq autres indéfendables de Cisjordanie sans aucune négociation avec les palestiniens, ou l’éventuelle proclamation unilatérale par Israël de ses frontières définitives – ont été accueillies avec consternation par les arabes et avec préoccupation par les autres membres du Quartette, et surtout l’UE.
Au cours des périodes précédentes du conflit israélo-arabe, les déclarations de Bush auraient été attribuées au début de la campagne électorale aux USA – circonstance qui s’est toujours accompagnée du parti pris pour Israël de la part des candidats à la présidence désirant s’assurer le vote du puissant électorat juif.
Le contexte est cette fois-ci différent, et la plupart des dirigeants arabes ont exprimé leurs craintes vis-à-vis de la politique des USA dans la région, que d’aucuns considèrent annonciatrice d’une grande instabilité. Certains, comme le président égyptien Hosni Moubarak, se sont ouvertement engagés pour contrecarrer ses effets et expliquer aux partenaires européens ses conséquences négatives.
Les plus éminents analystes du Proche-Orient qualifient la vision du monde arabe par l’actuelle administration américaine de « simpliste » et « destructive ». Après le 11 septembre 2001, certains avouent en outre leur scepticisme sur le fait qu’un éventuel triomphe des démocrates pourrait changer ce qu’ils considèrent comme une évolution inquiétante de la politique extérieure des USA.
La majorité s’accorde sur le fait que le soutien inconditionnel de Bush à Sharon est le principal obstacle à la paix au Proche-Orient. Certains voient une contradiction entre le désir de l’UE de jouer un rôle actif dans le conflit et son refus d’utiliser les moyens de pression que lui permettrait l’étroite dépendance commerciale et économique d’Israël vis-à-vis d’elle.
Les perspectives d’une intervention européenne de ce type se sont évanouies avec l’élargissement, dans la mesure où les 10 nouveaux membres possèdent d’étroites relations avec Israël et les USA. Tout ceci associé à la forte détérioration, au cours de ces dernières années, de la perception des USA dans tout le monde arabe pour son soutien inconditionnel à Israël et la guerre d’Iraq, a conduit de nombreux analystes à demander à la Ligue Arabe d’envisager la possibilité d’un changement historique de sa politique extérieure.
Bien qu’une telle possibilité paraisse aujourd’hui irréelle, on ne peut rester insensible au fait qu’ils réclament un rapprochement des relations avec la Chine, apparaîtra sur la scène internationale comme une grande puissance dans les prochaines années –, avec l’Inde – pays pro-israélien en raison du conflit avec le Pakistan, mais au sein duquel vivent 150 millions de musulmans –, avec la corne de l’Afrique – d’importance stratégique pour le monde arabe –, et avec l’Afrique du Sud – qui, malgré la fin de l’apartheid, ne se sent pas particulièrement solidaire avec les causes arabes.
La réunion du Quartette, tenue début mai aux USA, était motivée, selon Chris Patten, commissaire européen chargé des Relations extérieures, par les « très mauvais signes » qui s’annonçaient à travers les déclarations de Bush. Le premier ministre palestinien, Ahmed Qoreï, dans une lettre adressée au Quartette, affirmait le 5 mai que l’ANP « était prête à relancer les négociations avec Israël afin de pouvoir mettre fin au conflit ». Néanmoins, la déclaration ultérieure de Bush, exprimant l’improbabilité de la proclamation de l’Etat palestinien pour 2005, leur a paru un nouveau manque d’intérêt vis-à-vis de la Feuille de Route.
La prédominance actuelle de l’islamisme palestinien sous ses facettes terroristes, favorisée par l’intransigeance israélienne, suggère la possibilité d’un retour aux sources du conflit, alors que les positions respectives israélienne et arabe semblaient inconciliables.
Un bref retour en arrière permet de mieux comprendre comment, dans chaque étape, Israël a acquis un nouvel avantage territorial que le passage du temps rend difficile de faire revenir à la situation précédente. En 1947, c’étaient les arabes qui voyaient avec réticence le partage de la Palestine du mandat britannique en deux États, un Palestinien et un autre israélien. Pendant plus de quatre décennies, arabes et palestiniens rejetèrent l’existence de cet État. Ces dernières années, et encore aujourd’hui, c’est Israël qui se montre réticente à la création de l’État palestinien qui, pour cause de ses intransigeances successives, n’a jamais existé. Les arabes étaient alors obsédés par l’idée – exprimée de façon fort claire et irresponsable par le premier ministre syrien de l’époque – de « rejeter les juifs à la mer ».
Le résultat de 1947 fut que le 14 mai 1948, les juifs proclamèrent l’État d’Israël, et que les États arabes se lancèrent en guerre contre lui. Cette première dispute se traduisit par la première défaite arabe. Israël retoucha à son avantage les frontières que l’ONU lui avait octroyées, et la guerre générait l’un des problèmes qui constitue encore aujourd’hui un obstacle à l’atteinte d’une solution : l’émigration forcée de palestiniens de leur terre, harcelés aussi bien par la répression israélienne que par l’incitation des leaders arabes leur promettant une prompte revanche.
Des milliers de palestiniens abandonnèrent leurs foyers, pensant que le retour serait une question de mois. Le droit au retour, de ceux qui vivent encore ou de leurs descendants, est encore aujourd’hui l’un des principaux obstacles à la résolution du conflit. Finalement, les Israéliens l’acceptent, mais sous la condition que personne ne retourne sur le territoire actuel d’Israël – d’où, en réalité, est partie la majorité.
Les États arabes ne revinrent à la charge contre Israël qu’en 1967, et échouèrent à nouveau. Lorsque cette année-là, le premier ministre égyptien Gamal Abdel Nasser ordonna aux casques bleus d’abandonner les lignes de séparation avec Israël, et interdit l’accès de la navigation israélienne aux détroits de Tiran, Israël prit l’initiative, le 5 juin, en attaquant simultanément l’Égypte, la Jordanie et la Syrie. La guerre faussement dénommée des « Six jours » fut en réalité décidée en une matinée. Israël occupa Gaza, la Cisjordanie, Jérusalem-Est, le Sinaï, le plateau du Golan syrien, et commença à coloniser ces territoires.
L’ONU approuva, en novembre de cette même année, la résolution 242 intimant Israël de retourner aux frontières du 4 juin, avant le début de la guerre. Cette résolution avait constitué la base de toute solution jusqu’à ce que les Accords d’Oslo (1993), laissant à la négociation entre palestiniens et israéliens les problèmes épineux des frontières, de Jérusalem-Est et du retour des réfugiés, aient permis à Israël de revendiquer une nouvelle rectification du tracé prévisible des frontières. La révolution de 1936 du cheikh Ezzedine al-Kassem, aidé par les Frères Musulmans égyptiens d’Hassan al-Banna, fut la première réaction des secteurs islamiques aux facilités qu’offraient les Britanniques à l’émigration israélienne en Palestine. 70 ans plus tard, la lutte des palestiniens semble être à nouveau entre les mains des « illuminés » de l’islam, représentés par les cheiks violents et anachroniques du Djihad Islamique et du Hamas. Les Israéliens, quant à eux, semblent être de nouveau réceptifs aux invocations des partisans de l’Israël biblique. La transcendance de cette évolution, dont les subtilités ne semblent pas intéresser l’Israël de Sharon, peut avoir de graves conséquences si l’on ne remet pas de toute urgence sur les rails le train des négociations de paix.
Le nationalisme arabe – toutes tendances laïques confondues– que symbolise le président de l’ANP, Yasser Arafat, a fini par accepter le droit à l’existence de l’État d’Israël – ce que confirme définitivement la lettre d’Arafat au premier ministre israélien en 1993 – et tente de créer un État palestinien à côté de l’État d’Israël.
L’islamisme radical semble entendre aujourd’hui, comme il le faisait au début du conflit, que la libération de la Palestine ne passera pas par Arafat, mais par l’islam. C’est ce que soutenait, au début des années quatre-vingt – au cœur du conflit libanais contre la présence des Palestiniens au Liban – le cheikh Saïd Chabani, émir du Mouvement d’unification islamique. Le changement est significatif car pour les nationalistes, il s’agit de réparer une injustice historique commise à l’époque coloniale contre le peuple palestinien, tandis que pour les islamistes, la Palestine est simplement la terre du miraj, l’ascension nocturne au ciel du prophète Mahomet, le troisième lieu sacré de pèlerinage de l’islam, et une partie du Dar al Islam mondial. Sa récupération incombe à la djihad, qui ne semble pas tenir compte de l’existence de l’État d’Israël.
La loi du plus fort
Al’heure actuelle, ce terrorisme n’est pas le seul à être irrationnel : c’est aussi le cas de certaines expressions du langage politique, qui sont véritablement scandaleuses. Celle de « dommages collatéraux » avait pour objet de reléguer tout ce qu’implique une guerre – mort, destruction, victimes innocentes – à une sorte de jeu virtuel. La figure rhétorique d’apparition plus récente, « morts extrajudiciaires », ne suggère même pas l’ostensible illégalité qu’elle tente de dissimuler : l’assassinat pur et dur.
Le terrorisme pratiqué par certaines organisations palestiniennes contre Israël constitue également, bien entendu, une autre façon abominable de tuer extrajudiciairement, ou de tuer tout simplement. Même s’ils attirent aujourd’hui beaucoup plus l’attention, ces assassinats ne constituent aucune nouveauté. En vertu de cette « loi du talion », des leaders palestiniens ont été assassinés à Beyrouth, à Tunis, dans des capitales européennes et aux quatre coins du monde, et bien entendu des personnalités ou de simples citoyens israéliens. Ces dernières années, Israël a invité le monde entier à comprendre son soi-disant droit à déporter des familles, à détruire des maisons et éventuellement à liquider sur place les auteurs d’un flagrant délit ou attentat. Les bulldozers israéliens ou les artificiers militaires qui dynamitent les maisons de ceux ayant attenté contre la sécurité d’Israël ou de leur famille, font déjà partie du scénario trop habituel du conflit palestino-israélien. Néanmoins, nous assistons désormais à une inquiétante évolution, en vertu de laquelle le plus fort s’octroie le droit de tuer à titre « préventif », comme cela fut le cas de l’assassinat, le 17 avril dernier, d’Abdelaziz Rantissi, chef de l’organisation, aujourd’hui terroriste, Hamas, moins d’un mois après l’assassinat, le 22 mars, de son leader historique, Ahmed Yassine. On a donc dépassé le terrible et vengeur « œil pour œil, dent pour dent » du texte biblique qui troublait tant les générations précédentes.
Israël n’est pas seul à avoir franchi ce cap : c’est aussi le cas de certains clercs de l’islam palestinien regroupés dans des organisations islamistes radicales comme le Djihad Islamique et Hamas. Que leurs bras militaires soient baptisés les Brigades du martyr Ezzedine al-Kassem est significatif. Ce sont des êtres d’un autre temps, primitifs mais présents à toutes les époques, qui semblent entendre que le mandat de Dieu, le seul auquel ils disent être disposés à se soumettre, les autorise à prendre la vie d’autres êtres. Israël a raison lorsqu’il exige un engagement clair de tous les groupes palestiniens vis-à-vis de la paix et de sa propre existence en tant qu’État. Mais les Palestiniens de l’ANP ont également raison lorsqu’ils doutent des intentions de Sharon. Récemment à Madrid, le négociateur palestinien Saeb Erekat déclarait que ce qui est en jeu sur la table de négociation, à travers les différents plans et feuilles de route actuels pour la solution du conflit, ce n’est que 20 % du territoire de l’ancienne Palestine du mandat britannique. Il semble parfois qu’Israël n’est même pas disposé à accepter ce minuscule État palestinien. Il s’agit en outre d’un État disloqué en plusieurs bantoustans, dont la viabilité est difficile pour de nombreuses colonies juives disséminées sur tout le territoire, avec un accès aux ressources – principalement de l’eau – très inférieur à celui des Israéliens, et éventuellement totalement séparé d’Israël par un mur en béton.
La paix réside dans la réponse d’Erektat à cet égard : « Qu’on nous laisse une fois pour toutes construire en liberté notre propre État, choisir nos dirigeants et nos institutions sur ces 20 % de terre palestinienne qu’on nous offre ». C’est ce que semblait souhaiter le commentateur du journal israélien Yediot Aharanot, Sever Plotzker : « Dans quatre ans, Israël fêtera ses 60 ans. Le moment est venu de passer à l’âge adulte, de normaliser la vie, de fixer les frontières, d’accepter des concessions, de gérer la vie publique sur la base de principes moraux et constitutionnels, de mettre un terme au conflit avec nos voisins, et de nous convertir en un État normal ».