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Co-édition avec Estudios de Política Exterior
Energie en Méditerranée : croissance durable et intégration régionale
Il existe un haut niveau d’interdépendance énergétique : le Sud en tant que fournisseur et le Nord en tant qu’importateur peuvent contribuer à un développement conjoint Le conflit entre la Russie et l’Ukraine en 2009 a mis en évidence l’importance de l’Afrique du Nord en tant que fournisseuse d’énergie pour l’Europe La région a besoin d’investissements en infrastructures énergétiques : pour garantir l’approvisionnement et avancer dans le sens de l’efficience et de la croissance durable
Juan Bachiller
Les relations entre les Etats doivent reposer sur le respect et la confiance mutuelle, ainsi que sur une volonté de coopérer à l’identification et au développement d’initiatives apportant des bénéfices mutuels. Même si l’énergie a toujours constitué un important chapitre des accords internationaux, ce n’est que depuis la seconde moitié du siècle dernier qu’elle a contribué à la création d’organisations internationales de pays producteurs et consommateurs et qu’elle se situe au centre des politiques de nombreux pays. L’énergie est aujourd’hui un élément vital pour le développement, et tout semble indiquer qu’elle le sera plus encore au cours des prochaines années. Son avenir, qui apparaît de façon réitérée à l’ordre du jour des principaux forums internationaux, suscite un grand intérêt. A l’importance de l’énergie en tant que condition sine qua non d’une grande partie de nos activités de production et du transport, s’ajoute la crainte de nos sociétés pour son influence sur le réchauffement global et le changement climatique, en particulier les énergies émettrices de gaz à effet de serre.
En matière d’énergie, les pays aspirent ainsi à l’accessibilité à une énergie moderne et économique, sa disponibilité selon des critères de continuité, de qualité et de fiabilité d’approvisionnement, et son acceptabilité d’un point de vue social et environnemental. Tels sont les objectifs établis par le Conseil mondial de l’énergie. Ces objectifs sont universels au regard de la condition de consommateurs des citoyens et des pays, mais ils ne reflètent pas les aspirations, également légitimes, des pays producteurs vis-à-vis de la conservation de leurs ressources naturelles qui représentent, dans bien des cas, la plus grande part de leur PIB et de leur balance commerciale. Par conséquent, les politiques énergétiques des Etats devraient inclure ces objectifs dans leur intégralité. Le développement de la politique de coopération entre les pays riverains de la Méditerranée et l’UE constitue le noyau central du Partenariat euroméditerranéen depuis ses débuts en 1995, ainsi que de l’Union pour la Méditerranée depuis novembre 2008.
Le Partenariat a toujours considéré l’énergie comme un secteur de collaboration important, surtout du point de vue de la sécurité de l’approvisionnement énergétique et du développement harmonieux et stable des partenaires. Face à d’autres alternatives de coopération moins proches, les pays méditerranéens et l’UE bénéficient de leur proximité géographique. Les ressources énergétiques du bassin méditerranéen offrent une sécurité d’approvisionnement pour l’UE, qui dépend dans une large mesure de sources d’énergie extérieures. D’autre part, la stabilité et l’engagement de la demande peuvent contribuer à supporter un développement harmonieux conjoint. Je me référerai désormais aux relations énergétiques entre les pays d’Afrique du Nord et d’Europe (pays membres de l’OCDE plus l’Albanie, la Bosnie-Herzégovine, la Bulgarie, la Croatie, Chypre, la Slovénie, la Macédoine, Malte, le Monténégro, la Roumanie et la Serbie), y compris la Russie, qui possède plus de 25 % des réserves mondiales prouvées de gaz naturel. Sur l’ensemble de la demande d’énergie primaire des pays de la Méditerranée, seul 29 % correspond aux pays du Sud et de l’Est, alors que leur population représente pratiquement la moitié du total de la région.
L’évolution de la croissance de la demande jusqu’en 2030, prévue de l’ordre de 1,5 % par an, indique que ces pays consommeront 42 % de l’énergie primaire demandée par la région, alors que leur population représentera environ 65 % du total. Par conséquent, en 2030, la part des consommations d’énergie primaire par habitant des pays du Nord par rapport à ceux du Sud et de l’Est sera supérieure. Analysons l’importance des pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée pour ceux du Nord, en particulier l’Europe, et vice versa. Les pays d’Afrique du Nord – Algérie, Tunisie, Libye et Egypte –, dont les réserves prouvées de pétrole représentent près de 5 % des réserves mondiales, exportent vers l’Europe près de 14 % du total des importations de celle-ci. L’importance des pays d’Afrique du Nord pour l’Europe est donc évidente. Mais si l’on sait que près de 58 % des exportations de pétrole des pays d’Afrique du Nord sont destinées à l’Europe, nous voyons que l’intérêt est mutuel et que le niveau d’interdépendance est élevé. Les exportations par gazoduc des pays d’Afrique du Nord (principalement l’Algérie et la Libye) vers l’Europe représentent plus de 11 % des importations de cette dernière, tandis que celles de gaz naturel liquéfié (GNL) représentent près de 51 %. A l’opposé, l’Europe est la destination de près de 95 % des exportations de gaz naturel par gazoduc de l’Algérie et de la Libye, et de près de 70 % de celles de GNL provenant d’Algérie, d’Egypte et de Libye. Ces données montrent à nouveau l’importance mutuelle et la haute interdépendance des pays d’Europe et d’Afrique du Nord.
En ce qui concerne la Russie, ses exportations de pétrole représentent plus de 48 % des importations européennes de ces matières premières. Dans le cas du gaz naturel, plus de 33 % des importations par gazoduc proviennent de la Russie. Il n’est donc pas nécessaire d’insister sur l’importance pour l’Europe des importations de pétrole, gaz naturel par gazoduc et GNL en provenance de pays d’Afrique du Nord et de Russie. Les difficultés apparues cet hiver dans les relations entre la Russie et l’Ukraine ont souligné plus encore l’importance de l’Afrique du Nord pour l’Europe en tant que fournisseuse d’énergie. Les pays de la rive nord de la Méditerranée, et en particulier ceux de l’UE, devront donc déployer de plus grands efforts pour atteindre les objectifs signalés, sutout celui de la conservation des ressources naturelles dans les pays de la rive sud, sans laquelle la sécurité des approvisionnements européens pourrait se voir compromise.
Investissements énergétiques
Pour éviter des situations de crise, il est fondamental d’assurer un rythme adéquat des investissements. La crise économique actuelle, avec la baisse de la demande et des prix, provoque une réduction des investissements dans l’exploration et le développement de matières premières. Cette situation pourrait créer des tensions dans l’équilibre entre l’offre et la demande, une fois que cette dernière reprendra, et provoquer une augmentation des prix à moyen et long terme. La zone euroméditerranéenne requiert de hauts investissements en infrastructures énergétiques, permettant non seulement d’assurer l’approvisionnement mais encore de progresser dans des aspects comme l’efficience et la croissance durable, pour lesquels la région semble se dessiner comme un lieu privilégié pour l’encouragement et le développement de nouvelles énergies. En ce sens, le Plan solaire méditerranéen produirait de l’énergie dans les pays du Sud, grâce au grand nombre d’heures d’ensoleillement par an et aux grandes surfaces de désert : l’ensoleillement de la Méditerranée orientale et méridionale est d’environ 7 à 8 kilowattheure (kWh) par mètre carré et par jour, au lieu de 4 à 6 kWh dans les pays du nord. Il en est de même du potentiel éolien, en particulier dans la partie occidentale du Maroc. L’implantation d’une politique énergétique de l’UE incorporant des mécanismes pour la conservation des ressources naturelles dans les pays du Sud devient un besoin urgent, aussi bien pour sa vocation de juste reconnaissance des légitimes aspirations de ces pays que pour l’harmonie potentielle qu’une telle politique et ses mesures de développement apporteraient à la région.
Les interconnexions électriques entre les deux rives méritent une mention particulière. Seulement 10 % de l’énergie électrique qui circule à travers les frontières internationales est produite dans les pays de la zone méridionale. En ce sens, il convient de souligner que le Maroc dispose de deux interconnexions électriques avec l’Espagne en fonctionnement depuis 1997 et 2006, qui garantissent la sécurité et la fiabilité de l’approvisionnement et apportent une certaine stabilité à l’ensemble des systèmes. D’autre part, ces interconnexions contribuent à améliorer l’exploitation technique et économique des systèmes de génération et de transport d’énergie des différents pays de la zone. Il existe plusieurs projets d’interconnexion électrique entre l’Afrique du Nord et l’Europe, dont des câbles sous-marins entre l’Algérie, la Tunisie et la Libye d’une part, et l’Espagne et l’Italie d’autre part. En ce qui concerne le système gazier, il convient de signaler le projet MedGaz, un gazoduc qui reliera l’Algérie à l’Espagne, à partir de 2009. De même, les pays du nord doivent préparer leurs systèmes en vue d’intégrer les nouveaux projets d’interconnexion entre les deux bassins. Tel est le cas du gazoduc transsaharien qui reliera le Nigeria, l’Algérie et le Maroc à l’Espagne.
Le bilan entre les bénéfices découlant des interconnexions pour les pays du Sud (amélioration des prix, de la capacité de création de postes de travail et de la stabilité) et pour les pays du Nord (plus grande sécurité et diversification de l’approvisionnement) exige des décisions intergouvernementales d’ordre économique et réglementaire, qui peuvent être plus facilement applicables à une zone bien définie qu’à l’ensemble des pays de la Méditerranée. Le développement des infrastructures et des interconnexions exigera de forts investissements, toujours associés à un ferme engagement de durabilité. Au cours des 25 prochaines années, environ 40 % des investissements totaux requis devrait être destiné à des infrastructures gazières, tandis que 30 % serait consacré à l’exploration et à la production de pétrole et le 30 % restant à des installations électriques. Parmi les différents forums économiques et d’entreprises tournés vers la région, il convient de mentionner le Forum euroméditerranéen de l’énergie qui, dans l’objectif d’analyser la problématique de la coopération et l’intégration régionale, s’est réuni pour la quatrième fois à Barcelone du 11 au 13 mars dernier. Le forum était organisé par le Club espagnol de l’énergie et l’IEMEd, avec la collaboration de l’Observatoire méditerranéen de l’énergie et sous les auspices du gouvernement espagnol et de la Generalitat de Catalogne. Finalement, j’aimerais encourager toutes les institutions et personnes souhaitant contribuer à un avenir de justice, de solidarité et de bien-être pour les peuples du Nord, du Sud et de l’Est de la Méditerranée, à participer à ce processus de coopération régionale.