Action climatique dans la région MENA : promesses, espoirs et grands mots
Alors que l’Égypte et les Émirats arabes unis (EAU) se préparent à accueillir les deux prochaines conférences des Nations unies sur les changements climatiques (COP), tous les regards se tournent vers le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord (MENA), pour voir comment ces sommets peuvent accélérer l’action climatique et créer une feuille de route régionale pour la transition vers une énergie propre. La COP est accompagnée de grands espoirs de faire du changement climatique une priorité de l’agenda politique régional, étant donné son effet multiplicateur sur de nombreux problèmes, qui frappent déjà les pays de la région MENA. Ces espoirs sont mêlés à la crainte que les discussions sur le climat ne soient que de grands mots à l’occasion de la rencontre et qu’elles se diluent ensuite parmi les autres défis auxquels la région est confrontée.
Ce n’est pas la première fois que la COP intervient dans la région. Le Maroc l’a accueillie deux fois – en 2001 et 2016 – et le Qatar l’a également accueillie en 2012. Cependant, le moment actuel est différent. La région MENA est enfin prête à engager des discussions sérieuses sur la gestion de la transition vers une énergie propre, la préparation aux risques liés au climat et l’intensification des efforts régionaux pour atténuer le changement climatique.
Progrès dans la région MENA
Bien qu’en général, les pays de la région soient dépendants des combustibles fossiles, la situation varie fortement d’un pays à l’autre, ce qui rend encore plus difficile l’adoption d’une stratégie régionale de transition énergétique. Par exemple, les pays du Conseil de coopération du Golfe (CCG) sont riches en ces ressources, et leurs économies dépendent de leur exportation. D’autres, comme la Jordanie, le Liban, la Tunisie et le Maroc, sont fortement dépendants des importations de cette source d’énergie. Toutefois, certains progrès régionaux ont été réalisés dans le cadre de projets d’énergie renouvelable, d’engagements climatiques – connus sous le nom de « Contributions déterminées au niveau national » (CDN) – et d’autres initiatives liées au climat.
Un récent rapport du Global Energy Monitor soulignait que d’ici 2030, les pays de la région MENA sont en passe de multiplier par plus de cinq leur capacité de production d’énergie renouvelable (GEM, 2022). Ils ont également réalisé quelques efforts sur le front de l’adaptation au changement climatique, mais doivent encore accélérer le rythme pour contribuer de façon significative à l’action climatique dans la région. Bien que le degré de progression varie d’un pays à l’autre, trois pays se distinguent : l’Égypte, les EAU et le Maroc.
- Égypte
En juillet 2022, l’Égypte a soumis son premier rapport actualisé sur les CDN au secrétariat de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques. Le rapport comprend des engagements visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) dans différents secteurs d’ici 2030 : 33 % dans le secteur de l’électricité, 65 % dans le secteur du pétrole et du gaz et 7 % dans le secteur des transports par rap port aux scénarios de « maintien du statu quo ». Ce document représente une avancée importante comparé au premier, qui ne comportait aucun objectif quantifié de réduction des émissions. Toutefois, les objectifs envisagés sont conditionnés à une aide financière internationale de 246 milliards de dollars (196 milliards pour les interventions d’atténuation et 50 milliards pour celles d’adaptation).
À ce jour, les efforts de l’Égypte se sont concentrés sur l’augmentation de la capacité de production d’énergie renouvelable, l’amélioration de l’efficacité énergétique et l’exploration de l’application de nouvelles technologies propres. En 2016, le pays a adopté la Stratégie intégrée pour l’énergie durable pour 2035 (ISES 2035), qui fixe l’objectif d’atteindre le 42 % d’énergies renouvelables dans la production totale d’électricité d’ici cette année-là. Les énergies solaire et éolienne devraient représenter respectivement 26 % et 14%, et l’énergie hydraulique 2 % de la production totale d’électricité (NREA, 2016).
En 2019, l’Égypte a augmenté sa capacité photovoltaïque avec l’achèvement du parc solaire de Benban à Assouan. Avec 1,48 gigawatt, la centrale constitue l’une des plus grandes installations solaires au monde. Elle a coûté quatre milliards d’euros et a été financée par la BERD, la Société financière internationale (IFC) et d’autres institutions financières internationales. La Société égyptienne de transport de l’électricité a lancé des accords d’achat d’électricité (AAE) dans le cadre du programme de Tarif de rachat (TR) du pays. Le programme TR est un outil politique fondamental qui mobilise les capitaux et l’expertise du secteur privé pour soutenir l’objectif de l’Égypte en matière d’énergies renouvelables. Le TR permet aux producteurs de celle-ci de recevoir un prix fixe garanti par le gouvernement pour l’électricité qu’ils produisent et introduisent dans le réseau. En matière d’énergie éolienne, l’Égypte est en tête de la région MENA avec une capacité installée de 1,64 gigawatt.
Depuis 2012, le pays a lancé deux Plans nationaux d’action pour l’efficacité énergétique (PNAEE) qui comprennent des mesures visant à réduire la quantité d’énergie nécessaire au fonctionnement de différents secteurs. Sur le plan réglementaire, il a adopté la Loi 87/2015 sur l’électricité, qui contient des dispositions en faveur d’une utilisation plus efficace de l’énergie. La loi et ses règlements d’application imposent aux sociétés de transport et de distribution d’électricité de connecter les unités de cogénération, lorsque l’excédent d’énergie est acheté à ces unités. Elle a également intégré des exigences concernant les normes d’efficacité énergétique et le programme d’étiquetage des appareils électriques.
L’Égypte a récemment étudié la possibilité de devenir un centre régional de production d’hydrogène vert. Cette source d’énergie suscite un intérêt international croissant, en tant que pilier important de la transition énergétique. L’hydrogène vert désigne l’hydrogène produit par électrolyse de l’eau à partir d’électricité renouvelable, un processus qui sépare l’hydrogène de l’oxygène au moyen d’un courant électrique. L’hydrogène peut également être produit à partir du gaz naturel par reformage du méthane à la vapeur (RMV). Ce procédé, le plus utilisé aujourd’hui, génère d’importantes émissions de CO2. Actuellement, l’hydrogène vert coûte plus de deux fois plus cher que celui obtenu par RMV. Cependant, les ressources renouvelables abondantes et bon marché de l’Égypte et les infrastructures existantes, qui peuvent être adaptées à la production d’hydrogène vert, signifient que le pays est bien placé pour prendre une position de leader dans le développement de cette industrie. En août 2022, l’Égypte a signé sept protocoles d’accord pour lancer des projets pilotes de production de cette source d’énergie, avec un investissement total de 7,4 milliards de dollars, au cours des quatre prochaines années.
Région MENA : capacité éolienne et solaire opérationnelle (MW)
- Émirats arabes unis
L’année dernière, les EAU ont annoncé leur ferme intention de parvenir à des émissions nettes nulles d’ici 2050, devenant ainsi le premier pays de la région MENA à s’engager en ce sens. Cela inclut l’investissement de près de 163 milliards de dollars, dans des projets d’énergie propre au cours des trois prochaines décennies. Les EAU ont également été le premier pays du CCG à signer l’Accord de Paris.
Au cours des 15 dernières années, les EAU se sont efforcés de diversifier leur bouquet énergétique, afin de mieux se préparer à la transition énergétique. Jusqu’à présent, ils ont investi plus de 40 milliards de dollars pour soutenir des projets d’énergie propre, non seulement au niveau national, mais aussi dans plus de 40 pays dans le monde, avec près de 17 milliards de dollars dans des initiatives liées aux énergies renouvelables (UAE Environment and Energy Portal, 2022).
En 2017, le pays a dévoilé sa Stratégie énergétique pour 2050, qui vise à diversifier ses sources d’approvisionnement et à améliorer l’efficacité énergétique. La stratégie prévoit de porter le pourcentage d’énergie propre à 50 % du bouquet énergétique (44 % provenant de sources renouvelables et 6 % de centrales nucléaires) d’ici à 2050, ce qui réduirait de 70 % l’empreinte carbone de la production d’électricité. Il est également proposé d’augmenter l’efficacité énergétique de 40 %.
Dans le cadre de la Stratégie énergétique pour 2050, les EAU ont lancé en 2021 l’exploitation commerciale de l’unité 1 de la centrale nucléaire de Barakah, devenant ainsi le premier pays de la région MENA à utiliser l’énergie nucléaire pour produire de l’électricité. En mars 2022, le projet a été étendu avec la mise en service de l’unité 2, portant la capacité totale de la centrale à 2,8 gigawatts. Lorsque les quatre unités seront terminées, la centrale devrait couvrir jusqu’à 25 % des besoins en électricité du pays (WAM, 2022).
Les EAU disposent actuellement de la plus grande capacité photovoltaïque opérationnelle de la région, avec une capacité solaire de 2,6 gigawatts. Ce statut devrait se consolider lorsque le projet solaire d’Al Dhafra sera mis en service dans le courant de l’année. La centrale fournira de l’électricité à environ 160 000 foyers. Il offrira également l’un des tarifs solaires les plus compétitifs, probablement le moins cher du monde, à 4,97 dirhams par kilowattheure (0,0135 dollars), contre une moyenne mondiale de 0,048 dollars par kilowattheure (IRENA, 2021).
Avec une planification et une mise en oeuvre appropriées, la région MENA peut devenir un exportateur majeur d’énergie propre vers l’Europe et d’autres marchés
En tant que grand producteur de pétrole, il est essentiel pour les EAU de réduire l’intensité en carbone de leur activité productive. Le pays s’est donc concentré sur l’application de technologies de captage et stockage de carbone, comme réponse au problème des émissions provenant de la production continue de combustibles fossiles, et dans le but de les étendre aux secteurs difficiles à décarboniser, comme l’acier et l’industrie chimique. Les EAU disposent déjà de la seule installation opérationnelle de captage et stockage de CO2 de la région : l’usine d’Al Reyadah, qui a la capacité de capter 800 000 tonnes de dioxyde de carbone par an. Le pays prévoit de porter sa capacité à cinq millions de tonnes de CO2, d’ici 2030.
De plus, les EAU ont soutenu le développement de multiples projets de production d’hydrogène dans le pays et à l’étranger, dans le cadre de leur Feuille de route pour le leadership en matière d’hydrogène. Ces projets portent à la fois sur l’hydrogène vert produit et sur l’hydrogène bleu, obtenu en utilisant du gaz naturel en combinaison avec le captage et le stockage du carbone. Cette feuille de route aidera les EAU à réaliser leur objectif, qui est de détenir 25 % du marché mondial de l’hydrogène à faible teneur en carbone, d’ici 2030.
- Maroc
L’économie marocaine est fortement dépendante des activités sensibles au climat, telles que l’agriculture, la pêche et le tourisme. Ces secteurs emploient plus d’un tiers de la main-d’oeuvre marocaine (Haut Commissariat au Plan, 2022) et contribuent à près de 20 % du PIB du pays (Banque mondiale, 2022). Face à ces défis, le Maroc a décidé, très tôt, de devenir un leader régional en matière de politique climatique, avec des actions à différents niveaux, visant à faire avancer son programme d’atténuation et d’adaptation.
Le Maroc a participé aux négociations internationales sur le climat et a été le premier pays de la région MENA à accueillir une COP, qui s’est tenue en 2001 à Marrakech. Depuis lors, il a entrepris un certain nombre d’initiatives qui en ont fait un exemple d’action climatique, notamment en raison de sa très faible contribution – 0,19 % – aux émissions mondiales de dioxyde de carbone (Global Carbon Project, 2020). Parmi ces initiatives figure la promulgation de la Loi 13-09 sur le développement des énergies renouvelables, qui a été déterminante pour faire passer le pourcentage d’énergies renouvelables dans la capacité totale installée de 4 % en 2009 à 37 % en 2021 (Ministère de la transition énergétique et du développement durable, 2022). Bien que ce résultat soit légèrement en deçà de l’objectif ambitieux fixé en 2009 pour 2020, à savoir atteindre 42 % d’énergie renouvelable par rapport à la capacité totale installée, il représente néanmoins une avancée majeure. En 2015, le Maroc s’est engagé à porter le pourcentage d’énergies renouvelables à 52 % de la capacité totale installée en 15 ans (en 2030), dont 20 % d’énergie solaire, 20 % d’énergie éolienne et 12 % d’énergie hydraulique.
Le Maroc a également été l’un des premiers pays à concevoir un programme national d’action pour le climat, contenu dans son Plan national de lutte contre le réchauffement climatique de 2009, révisé en 2019 pour devenir le Plan climat national, à l’horizon 2030. Le programme d’action repose sur cinq piliers principaux : établir une meilleure gouvernance climatique, développer la capacité d’adaptation face aux menaces climatiques, accélérer la transition vers une économie à faible émission de carbone, impliquer les autorités régionales dans la conception d’une stratégie climatique et encourager le renforcement des capacités locales.
En 2021, le Maroc a mis à jour ses CDN et a accru son objectif de réduction des émissions pour 2030 de 42 % à 45,5 % par rapport « au maintien du statu quo ». Contrairement à l’Égypte, 18,3 % de la réduction est inconditionnelle ; les 27,2 % restants sont conditionnés par le soutien international disponible, par le biais des nouveaux mécanismes de financement climatique.
Aux initiatives menées par le Maroc dans le secteur de l’énergie, qui comprennent le plus grand projet d’énergie solaire thermique à concentration du monde – le complexe de Noor Ouarzazate – s’ajoute désormais l’objectif de contrôler les émissions du secteur industriel. Le plan d’atténuation inclus dans les CDN actualisées comprend des technologies innovantes, telles que le captage et stockage de carbone (CSC) pour réduire les émissions des industries, dont l’effet polluant est difficile à atténuer, comme le ciment ou les phosphates. L’intention du Maroc est de parvenir à un développement durable dans différents secteurs, tout en construisant une économie à faible émission de carbone.
Défis qui exigent une attention particulière
Bien que les pays de la région MENA aient fait quelques progrès, ils n’ont pas accordé une attention suffisante à l’amélioration de leurs mesures d’adaptation, pour accroître leur résilience aux effets du changement climatique. Cela est dû en partie au fait que seule une petite partie des fonds disponibles est consacrée aux projets d’adaptation (OCDE, 2021). Pour cette raison, on peut s’attendre à ce que l’adaptation soit un sujet central de la COP27, qui aura lieu à Charm el-Cheikh, puisque les pays en développement chercheront à faire que les pays développés respectent l’engagement qu’ils ont pris l’année dernière à Glasgow de fournir 40 milliards de dollars par an pour financer l’adaptation. Toutefois, le niveau actuel de financement, et même les nouveaux arrangements financiers, ne sont pas en voie d’atteindre cet objectif (IIED, 2022). De plus, dans la région, ces projets d’adaptation sont souvent réalisés sans nécessairement impliquer les communautés locales, dont les moyens de subsistance seraient directement affectés.
Malgré la mise en oeuvre de projets d’énergie renouvelable à grande échelle, la plupart des pays continuent de dépendre des combustibles fossiles. Par exemple, les EAU prévoient d’avoir recours au charbon pour fournir 12 % de leur électricité, d’ici 2050. L’Égypte a récemment suspendu ses centrales électriques alimentées au gaz naturel et s’est tournée vers des centrales alimentées au fioul, un combustible plus polluant, afin d’exporter du gaz et profiter de la hausse des prix provoquée par l’invasion russe en Ukraine.
La région MENA est confrontée à de multiples problèmes économiques, sociaux et politiques qui peuvent facilement amener la population à minimiser les conséquences futures du changement climatique. Ces perturbations devraient augmenter en gravité et en fréquence, avec des répercussions directes sur la sécurité hydrique et alimentaire de la région. Il est nécessaire de sensibiliser le public à la crise climatique et à ses effets, à la justice climatique et aux moyens d’assurer une transition énergétique équitable.
Alors que les pays de la région MENA s’efforcent de développer leur action climatique, les systèmes de gouvernement et les capacités institutionnelles constituent des contraintes importantes. Les deux tiers de leur population vivant dans des zones urbaines, les gouvernements devraient se concentrer sur le développement des capacités municipales dans les grandes villes, où les taux de pollution sont les plus élevés et où la préparation au changement climatique est inadéquate.
Tirer le meilleur parti des sommets
Maintenant que les préparatifs sont en cours pour la COP27 et la COP28 en Égypte et aux EAU, la région MENA a une occasion sans précédent de profiter de l’élan actuel et de s’orienter vers un avenir à faible émission de carbone. Les pays de la région MENA doivent aligner leurs priorités en matière de transition énergétique sur un programme de développement économique durable, qui ne surcharge pas leurs ménages déjà accablés. Les gouvernements doivent également prendre des mesures pour impliquer la société civile dans le développement des plans d’action climatique, en particulier lorsqu’ils impliquent des mesures qui touchent les moyens de subsistance des communautés locales.
Il est également nécessaire de coordonner les efforts régionaux liés à la réalisation de projets d’énergie propre à grande échelle (par exemple, solaire, éolienne, hydrogène vert). Avec une planification et une mise en oeuvre appropriées, la région MENA peut devenir un exportateur majeur d’énergie propre vers l’Europe et d’autres marchés. Dans le même temps, les entreprises de la région doivent accroître leurs exigences en matière de climat afin de se conformer aux objectifs nationaux et internationaux. Il s’agit d’une condition essentielle pour que de nombreux secteurs productifs d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient restent compétitifs sur les marchés mondiaux qui, selon les prévisions, devraient adopter des normes d’émission plus strictes (comme le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières de l’Union européenne).
Afin d’attirer davantage de fonds pour le climat, les gouvernements doivent faire preuve de transparence et de responsabilité dans les projets d’atténuation et d’adaptation en adoptant des mécanismes clairs de mesure, notification et vérification (MNV). Les pays MENA devraient également plaider pour que soit facilité le transfert de technologies à faible émission de carbone vers la région par le biais d’une réforme réglementaire, permettant la cession de brevets des pays développés.
La région MENA n’a jamais été aussi bien placée pour façonner l’avenir de l’action climatique et ouvrir une voie vers une transition énergétique juste. Les mois à venir donneront une indication du sérieux avec lequel les pays de la région, et du monde entier, prennent la lutte contre le changement climatique, et nous verrons si les espoirs se traduiront par des actions, lorsque les grands mots se seront évanouis./