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Co-édition avec Estudios de Política Exterior
Le ‘lobby’ pro-israélien à l’ère Obama
Face à l’aile traditionnelle,un nouveau courant surgit,avec une vision différente sur la position que la communauté juive américaine doit maintenir vis-à-vis d’Israël.
Ricard González
Au cours de la campagne électorale des dernières élections présidentielles nord-américaines, Barack Obama s’est engagé à agir de façon urgente et décidée pour stimuler la reprise du processus de paix entre palestiniens et israéliens. Dix mois après son investiture, le président des Etats-Unis a déjà tenu sa promesse, en désignant en tant que médiateur expérimenté pour ce conflit George Mitchell et en s’impliquant personnellement dans les négociations. Selon l’avis de la plupart des analystes, l’intervention d’Obama dans ce contentieux sera décisive, car l’idée existe que sans une forte pression de Washington sur toutes les parties, il serait impossible d’atteindre un accord de paix. Etant donnée l’énorme influence que le lobby pro-israélien – considéré comme l’un des plus puissants du pays – a traditionnellement eu sur la politique extérieure des USA, ses relations avec l’actuelle administration seront un élément à tenir en compte dans les futures négociations.
Souvent les médias utilisent l’expression « lobby juif » pour parler du lobby pro-israélien. Cependant, cette expression est incorrecte, en plus d’être perçue comme un peu antisémite par nombre de juifs nord-américains. De nombreuses organisations pro-israéliennes d’origines confessionnelles différentes, surtout évangélique, font partie du lobby, de même que des milliers de juifs américains n’y participent pas et ne les appuient pas.
Quoique la plus connue et puissante soit l’American Israeli Political Affairs Committee (AIPAC), créée au début des années cinquante, il existe plus de 70 entités faisant partie du lobby pro-israélien. Au-delà de ses moyens, un budget de plus de 40 millions de dollars et plus de 100 000 membres, l’importance de l’AIPAC repose sur le fait qu’elle inclue dans son comité directeur d’autres organisations mineures, ce qui permet de canaliser et coordonner l’agenda, les messages et les stratégies des défenseurs d’Israël aux USA. Les entités représentées sont de différente nature, incluant des think tanks, des comités de collecte de fonds pour financer des campagnes électorales et des « media watchdogs », consacrés à dénoncer des informations fausses ou tendancieuses contre Israël et à influencer l’opinion publique. Le lobby pro-israélien comprend des sensibilités politiques différentes. La plupart présentent dans leurs actions et messages un appui inconditionnel au gouvernement israélien, indépendamment de la coalition de partis l’intégrant. Cependant, il existe un vaste groupe d’organisations ayant des positions politiques de type conservateur, qui sont plus proches des thèses du Likoud en ce qui concerne les questions liées au conflit arabo-israélien. Parmi elles, par exemple, l’on retrouve l’influent think tankWashington Institute for Near East Policy. En revanche, celles qui présentent un agenda clairement progressiste sont une petite minorité, tel l’Israel Policy Forum.
Le point le plus controversé dans l’étude du lobby proisraélien est de déterminer son degré d’influence sur la politique extérieure nord-américaine. L’alignement des USA avec Israël est évident depuis la moitié des années soixante et depuis lors il s’est consolidé jusqu’à atteindre son apogée avec George W. Bush. Selon certains spécialistes, tels John Mearsheimer et Stephen Walt, auteurs du livre controversé The Israel lobby and the US Foreign Policy, ceci est la conséquence de l’énorme capacité à faire pression sur les hommes politiques nord-américains du lobby proisraélien et de son influence sur l’opinion publique. Au-delà d’avoir situé dans des positions de pouvoir des personnes liées à l’Etat juif, Walt et Mearsheimer soutiennent que le lobby a été capable de limiter les marges du débat sur la politique extérieure au Proche-Orient en étouffant les voix critiques avec Israël. L’une de ses armes, dénoncent-ils, est l’accusation d’antisémitisme contre ceux qui ne sont pas d’accord avec leurs opinions. Il existe de multiples exemples du pouvoir du lobby, surtout au Congrès. L’AIPAC a aidé à vaincre des hommes politiques qu’ils considéraient être des détracteurs d’Israël, tels Cynthia McKinney, Paul Findley ou les sénateurs William Fulbright et Charles Percy. De même, on lui attribue une partie de la responsabilité dans la défaite de la candidature d’Adlai Stevenson au poste de gouverneur de l’Illinois en 1985.
Nombre de ces batailles se sont tenues pendant les années quatre-vingts, et depuis lors rares sont les congressistes qui ont osé leur tenir tête, ce qui démontre leur énorme pouvoir. Par contre, le président George Bush senior se retrouva au centre d’un affrontement retentissant contre le lobby en 1991. Près de la fin de son mandat, Bush se heurta au premier ministre israélien, Isaac Shamir, qui avait fait la sourde oreille à sa pétition de geler les colonies en Cisjordanie, une mesure de création de confiance préalable au lancement du processus de paix avec les palestiniens. Indigné par cet affront, Bush voulu soumettre la garantie d’un prêt de 10 000 millions de dollars à Israël à condition de geler les colonies. Etant donné que ce mouvement nécessitait l’approbation du Congrès, l’AIPAC utilisa toutes ses influences dans l’institution pour l’éviter. Finalement, après une dure bataille, ils arrivèrent à un compromis entre les deux parties. Bien que Bush ne fut pas vaincu, il dû investir un énorme capital politique dans ce contentieux et la conclusion fut pour beaucoup que l’aide économique à Israël est inconditionnelle, intouchable.
Malgré ces exemples, plusieurs personnes qui ont été directement impliquées dans la conception de la politique extérieure nord-américaine dans la région, tel le diplomate Dennis Ross ou l’ancien secrétaire d’Etat, George Schultz, suggèrent que l’alignement des USA avec Israël ne répond pas à l’influence du lobby, mais à la perception de la classe politique selon laquelle les valeurs et les intérêts nationaux de leur pays coïncident pleinement avec ceux de l’Etat hébreux.
Pour tenter de mesurer l’influence du lobby de façon plus scientifique, Mitchell Bard analyse dans son article The Israeli and Arab Lobbies, 782 décisions politiques liées à Israël dans le Congrès au cours de la période qui va de 1945 à 1984, et il conclut que le lobby pro-israélien est arrivé à ses fins dans 60 % des cas. Cependant, ce pourcentage baisse jusqu’à 27 % lorsque le lobby et la Maison Blanche maintiennent des positions contraires, alors qu’il s’élève à 95 % lorsque qu’ils sont du même bord. Il est impossible de mesurer de façon exacte à quel point la politique extérieure américaine est modelée par le lobby. Cependant, il semble évident que son influence est très importante. Sinon, il serait difficile d’expliquer pourquoi Israël est chaque année, et largement, le premier récepteur d’aide des USA avec plus trois milliards de dollars – une assignation de près de 500 dollars par tête d’habitant –, alors qu’il s’agit d’un pays développé et avec l’une des armées les plus puissantes du monde.
J Street, le nouveau ‘lobby’
Bien qu’il existe depuis longtemps des organisations juives progressistes dont l’objectif est de promouvoir la paix au Proche-Orient, aucune n’a exercé le rôle de lobby. Face à ce vide, un groupe de juifs nord-américains de gauche a décidé de créer au printemps 2007 J Street, un lobby avec une vision différente de la position traditionnelle que doit maintenir la communauté juive américaine vis-à-vis d’Israël. Son président, Jeremy Ben-Ami, soutient qu’il faut « redéfinir ce que signifie être pro-Israël », de façon à ce qu’il soit légitime de critiquer cet Etat lorsqu’il se trompe et prend des décisions qui nuisent à la recherche de la paix. L’organisation montre un compromis avec une solution au conflit arabo-israélien basée sur la création de deux Etats viables à partir des frontières de 1967, avec des petits changements accordés par les deux parties et Jérusalem comme capitale partagée. De plus, J Street prend aussi position dans d’autres affaires régionales clés. Par exemple, il appuie décidément la négociation en tant que voie pour résoudre la question nucléaire iranienne.
Quelques mois après sa création, J Street dû passer l’épreuve du feu avec la guerre de Gaza. Bien qu’il se trouvait sous une énorme pression, il est resté fidèle à ses principes et s’est opposé à la guerre car « elle supposait un châtiment au million et demi d’habitants de Gaza » à cause des actions de « quelques extrémistes ». Cette position lui a valu de dures critiques provenant d’éminents juifs nordaméricains, dont quelques uns avaient appuyé sa création. Cependant, 18 mois après sa naissance, l’initiative pourrait être qualifiée de succès. Elle a obtenu une vaste couverture médiatique, et pour sa seconde année de vie, J Street a doublé son budget – trois millions de dollars. Plus de 1 500 personnes venues de tout le pays, et même d’Israël, ont assisté à sa première conférence nationale, qui s’est tenue le 25 et le 28 octobre. Le niveau des intervenants qui ont appuyé l’initiative avec leur présence est tout aussi important que l’abondance du public, où se trouvaient le conseiller de Sécurité nationale, James Jones, en représentation du président Obama, une douzaine de congressistes et d’illustres hommes politiques des partis israéliens New Movement-Meretz, le Parti Travailliste et Kadima.
La présence de Jones démontrait l’harmonie politique entre le nouveau lobby, la Maison Blanche et les secteurs progressistes qui ont hissé Obama à la Maison Blanche. Cet alignement s’était aussi rendu manifeste quelques jours auparavant, lorsque la fondation politique de gauche Media Matters, proche de l’administration, a réalisé une défense enflammée de J Street contre plusieurs institutions pro-israéliennes conservatrices qui tentaient de promouvoir un boycott contre leur conférence nationale. Ces groupes d’extrême droite, qui avaient réussi à ce qu’une dizaine de congressistes retirent leur appui à la conférence, accusèrent le conseiller présidentiel, David Axelrod, et son chef de cabinet, Rahm Emmanuel, d’être des « juifs s’auto-haïssant » .
L’objectif de J Street est de créer un réseau d’appui aux hommes politiques américains qui prétendent s’écarter des thèses du lobby pro-israélien traditionnel lorsque celles-ci nuisent au processus de paix. Pour cela, il devra augmenter son influence dans deux domaines : l’opinion publique et la classe politique américaine. J Street prétend rompre avec la vision largement répandue selon laquelle tout homme politique qui tient tête au lobby traditionnel tourne le dos à la communauté juive. Il ne faut pas oublier que cette communauté possède un important poids électoral dans certains Etats clés comme la Floride ou le New Jersey, ce qui fait que l’opposition au lobby présente un coût en termes politiques. Contrairement à une opinion assez généralisée, plus de la moitié des six millions de juifs américains maintiennent des positions modérées au sujet du conflit arabo-israélien. Selon un sondage de juillet 2009, 60 % s’opposent à la construction de nouvelles colonies, et près de 80 % sont favorables à ce que Washington fasse éventuellement pression sur le gouvernement d’Israël pour obtenir la paix. De plus, seulement 8 % situent Israël comme l’un des deux facteurs principaux pour décider leur vote lors des élections. Hors, cette minorité est très mobilisée, bruyante et influente. L’autre domaine d’action de J Street est celui du financement politique, l’arme la plus importante pour influencer la classe politique du pays. Pour les élections au Congrès de 2008, J Street a réussi à collecter près de 500 000 dollars, ce qui lui a permis d’appuyer économiquement les campagnes de 41 congressistes. La somme est élevée, surtout si l’on tient compte du fait qu’ils n’ont disposé que de six mois, mais elle reste faible face aux 2,5 millions du lobby pro-israélien traditionnel. Il sera intéressant de réaliser une comparaison après les législatives de 2010. De plus, lors de la conférence nationale, l’on a accordé qu’environ 20 organisations pacifistes intégreraient organiquement J Street, ce qui peut multiplier ses connexions et ses ressources financières.
Perspectives d’avenir
J usqu’à l’heure, malgré ses efforts, l’actuelle administration n’a obtenu que de maigres résultats dans son travail de médiation entre palestiniens et israéliens. Mitchell a voyagé en de nombreuses occasions dans la région pour tenter d’arracher des concessions à toutes les parties impliquées, et il a fait pression sur le gouvernement israélien pour qu’il décrète le gel total de la construction de colonies. Cependant, il n’a obtenu qu’un gel partiel, considéré insuffisant par les palestiniens et les Etats arabes. Après plusieurs semaines d’impasse, Washington a opté par retirer la condition de voir Israël geler totalement la construction de colonies pour reprendre le processus. Lors de sa réunion avec Mahmoud Abbas et Benyamin Netanyahou, Obama a déclaré que le plus important était de commencer au plus tôt les négociations sur le statut final, cédant ainsi face aux thèses israéliennes.
Ce refus de la Maison Blanche de tenter de forcer la main d’Israël a été interprété par certains comme un renoncement à dépenser une partie de son capital politique pour chercher une approche équilibrée du conflit. Cependant, à l’heure actuelle, tirer cette conclusion est un peu hâtif. La cession de la Maison Blanche est arrivée à un moment où le président avait un indice de popularité en baisse et plusieurs fronts ouverts, parmi lesquels celui de la réforme sanitaire. Ainsi donc, il est logique qu’il n’ait pas voulu dépenser une bonne dose de son capital politique dans les simples prolégomènes du processus de paix. Surtout quand ni les Etats arabes, ni les principaux acteurs palestiniens n’ont assumé de risques politiques en s’écartant de leurs positions de départ.
Si Obama est capable au cours des prochains mois de recueillir des succès dans des questions comme la récupération économique ou la réforme sanitaire, sa popularité augmenterait à nouveau et il serait en mesure d’entreprendre un véritable bras de fer avec le gouvernement de Netanyahou et le lobby pro-israélien traditionnel. Dans ce scénario, et si les deux parties acceptent de démarrer une nouvelle ronde de négociations, on verrait réellement à quel point Obama est prêt à investir son capital politique dans la recherche de la paix dans cet inextricable conflit et quel est réellement l’équilibre de forces entre l’aile traditionnelle et la nouvelle aile du lobby pro-israélien.