« Le bilan actuel de la réforme éducative est très encourageant »

La scolarisation de la population féminine et rurale, l’amélioration du professorat, ou l’intégration de la langue amazighe, sont quelques-uns des objectifs de la réforme, d’après le ministre de l’Education du Maroc

ENTRETIEN avec Habib El Malki par Lurdes Vidal.

En 1999, le gouvernement marocain a lancé une grande réforme de l’éducation afin de combattre les taux élevés d’analphabétisme de la population et les lacunes du système. Deux données illustrent la situation de l’éducation dans le pays et le succès de la réforme : d’après le Rapport sur le Développement Humain du PNUD pour 2004, le taux d’alphabétisation de la population de plus de 15 ans est passé de 38,7 % en 1990 à 50,7 % en 2002 (38,3 % pour les femmes), et le taux de matriculation féminine était de 52 % en 2002. Habib El Malki, Ministre de l’éducation du Maroc et principal promoteur de cette réforme, a réalisé un bilan pour AFKAR/IDEES de la première décennie de l’application de la nouvelle Charte nationale pour la réforme du système éducatif, et a établit les objectifs à plus court terme. 

Au Maroc, l’expansion de l’enseignement supérieur privé est fortement souhaitée par l’État 

AFKAR/IDEES : Vous avez entrepris une réforme éducative dont dépend, dans une large mesure, l’avenir du pays. Quelles sont les principales caractéristiques de cette réforme et quels sont les moyens pour leur mise en œuvre? 

HABIB EL MALKI : Le système éducatif marocain a toujours occupé, sur le plan des principes, une place de choix parmi les priorités nationales. Cependant, sur le plan pratique, durant plusieurs décennies, de nombreuses incohérences ont caractérisé la gestion de ce secteur. L’absence d’une planification centrée sur le potentiel du capital humain a contribué à l’émergence d’une école sans lien effectif et efficace avec la dynamique économique et sociale qu’a connue le pays.
Au début des années quatre-vingtdix, la progression des lauréats en chômage et des offres d’emploi non satisfaits par des profils des lauréats disponibles, ont motivé une focalisation sur le système éducatif en conjonction avec le système productif. Dans cette perspective, Sa Majesté Hassan II a créé la Commission spéciale sur le système éducation formation (COSEF). Les travaux de cette commission ont permis d’élaborer, dans un cadre de dialogue et de concertation, la Charte nationale pour la réforme du système éducatif. Une réforme dont la mise en œuvre s’étale sur la période 2000-09. 

Pour concrétiser les objectifs de cette Charte nationale, l’État a mis en œuvre un plan stratégique national dans la perspective d’assurer la scolarisation de tous les enfants marocains jusqu’à l’âge légal de travail, d’adapter le système d’éducation et de formation aux besoins des individus et de la société, d’encourager la science, la culture et la création, particulièrement dans les domaines ayant une portée stratégique. Pour assurer le succès de la mise en œuvre de ce plan, l’État privilégie la participation directe de tous les partenaires concernés à l’effort national pour le développement de l’éducation et de la formation et pour l’amélioration de la qualité et de l’efficacité de ces systèmes. 

Concernant la mise en œuvre, le bilan des réalisations pour la première moitié de la décennie est très encourageant. Le Ministère a mis en œuvre toutes les mesures retenues pour la première phase du plan stratégique : la généralisation de l’enseignement est presque acquise, les cinq derniers pourcents, qui restent à scolariser appartiennent soit à un habitat rural trop dispersé, voire isolé, soit à des ménages nomades ; la réforme des programmes et des méthodes d’enseignement et d’évaluation a atteint l’avant dernière année l’enseignement primaire et secondaire collégial. Elle sera intégrale en 2005-06 et se prolongera pour couvrir l’enseignement secondaire qualifiant sur la période 2006-09. Concernant l’université, la réforme pédagogique est entamée et se poursuivra par la restructuration du paysage universitaire conformément aux dispositions de la Charte. 

Lutter contre l’analphabétisme 

La révision des programmes éducatifs cherche renforcer la dimension culturelle et sociale 

A/I : Quelles mesures ont-elles été prévues pour diminuer les taux d’analphabétisme et combattre l’exclusion de la femme du système éducatif ? 

H.E.M. : La lutte contre l’analphabétisme est perçue comme l’un des défis majeurs que le gouvernement cherche à relever. Pour y parvenir, la généralisation de l’éducation et sa persévérance jusqu’à 15 ans est le moyen le plus sûr pour éradiquer définitivement ce phénomène à terme. Cette généralisation a connu une importante expansion, ce qui a permis d’enregistrer un taux de scolarisation avoisinant 95 % pour la tranche d’âge entre six et 11 ans, au cours de l’année 2004-05. 

Parallèlement à la généralisation de l’éducation de base, le gouvernement s’est fixé pour objectif de réduire l’analphabétisme chez la population adulte et plus concrètement chez les jeunes déscolarisés et ceux en âge d’activité. Concernant l’alphabétisation, on a mis en œuvre des programmes qui s’adressent en priorité aux adultes âgés de moins de 45 ans et plus particulièrement : les femmes, surtout celles du monde rural où le taux d’analphabétisme est particulièrement élevé ; les populations des zones défavorisées qui vivent dans des situations difficiles, car toute intervention en leur faveur les aidera à dépasser certaines de leur difficultés et les protégera contre toute forme de désespoir ou de délinquance. 

De même, l’accès des filles à l’éducation s’est développé à un rythme soutenu aussi bien au niveau de l’admission qu’au niveau de la poursuite des études. L’effectif des filles scolarisées a augmenté de 5 % en moyenne entre 1991-92 et 2003-04 passant d’une représentativité de 40,3 % à plus de 47 %. La proportion des filles dans les inscriptions nouvelles en première année du cycle est passée, durant lamêmepériode,de42%à49%pour leprimaire,de40%à45%pourlesecondaire collégial et de 41 % à 48 % pour le secondaire qualifiant et le taux de féminité parmi les étudiants de l’enseignement supérieur est passé de 40 % à 45 %. Grâce à leurs performances scolaires, les filles représentent 60 % dans certaines filières les plus demandées comme celles de médecine et médecine dentaire. 

Une formation continue du professorat

A/I : Des membres du corps de l’enseignement public ont mis en avant un manque de formation continue du professorat et du personnel éducatif. Quelles améliorations ont-elles été apportées pour augmenter la qualité du service éducatif de la part des professionnels ?

H.E.M. : Pour accompagner l’extension de la scolarisation et améliorer la qualité de l’enseignement, de la gestion et de l’encadrement des établissements scolaires et des actions pédagogiques, un schéma directeur pour la formation continue a été élaboré et mis en exécution. Les actions menées, particulièrement au profit des enseignants, appelées à se développer davantage selon la programmation retenue, ont consisté, au cours des dernières années, en 162 opérations par an bénéficiant en moyenne annuelle à près de 22 000 enseignants du primaire et secondaire collégial. Concernant l’enseignement secondaire qualifiant, la formation continue a porté sur plus de 400 modules de formation dans différents domaines de spécialisation et, près de 14 200 professeurs de ce cycle en ont bénéficié. Parallèlement à ces actions et pour s’assurer d’une meilleure adhésion des ressources humaines au projet de la réforme, étant donné l’influence qu’ont les conditions de travail sur la productivité et l’efficacité du personnel exerçant dans le domaine de l’éducation, une grande importance a été accordée à ce domaine à travers l’encouragement et le développement des œuvres sociales telles que les colonies de vacances, les économats, le logement social, le transport et les activités culturelles. La création et l’organisation de la Fondation Mohammed VI des œuvres sociales du personnel de l’éducation et de la formation en 2001, constitue un autre instrument capital pour la motivation et l’amélioration des conditions sociales des enseignants. Dans ce même esprit, les acquis les plus importants en faveur des ressources humaines éducatives résident, incontestablement, dans les résultats de la mise en œuvre des décisions du dialogue social entre le gouvernement et les syndicats d’enseignants. Il s’agit de la revalorisation du statut du personnel éducatif et de l’augmentation des indemnités salariales dont l’impact budgétaire s’élève à près de 5,5 milliards de dirhams. 

Par ailleurs, dans le cadre de la nouvelle vision du projet éducatif, le gouvernement considère qu’une bonne gouvernance du système doit reposer constamment sur la participation effective et active de tous acteurs et partenaires concernés à la gestion pédagogique et administrative des structures décentralisées qui composent ce système.

A/I : Une autre question d’actualité est celle de l’augmentation croissante des élèves choisissant de s’inscrire dans des centres privés d’enseignement supérieur. Quels sont les motifs de cette augmentation et comment l’enseignement public peut-il y faire face étant donné les plus grandes ressources dont peuvent disposer les centres privés ?

H.E.M. : Au Maroc, le développement de l’enseignement supérieur privé est perçu comme une action plutôt complémentaire à l’effort de l’État. Son expansion est fortement souhaitée par l’État qui a mis en place un cadre juridique motivant pour la favoriser. 

Avec la réforme entamée, en 200304, notamment à travers la mise en œuvre du volet pédagogique – qui offre plus de dynamique d’adaptation et plus de possibilités de choix d’orientations et de profils pour les étudiants – et la création des filières professionnelles universitaires appuyées par des passerelles, le paysage des formations supérieures va connaître un redéploiement des inscriptions entre les deux secteurs public et privé en fonction de la pertinence et de la qualité des résultats obtenus, par référence à l’appréciation du marché de l’emploi. 

La mise en œuvre de la réforme du secteur d’enseignement supérieur privé est à l’origine de l’instauration d’un cadre juridique organisant et motivant l’enseignement supérieur privé. Désormais trois types d’établissements d’enseignement supérieur privé seront distingués suivant le niveau de la qualité des formations dispensées : les établissements autorisés par l’administration ; les établissements d’enseignement supérieur privé qui peuvent être accrédités pour une ou plusieurs filières de formation, auquel cas les diplômes décernés peuvent être admis en équivalence des diplômes nationaux ; et les établissements reconnus par l’État dont les diplômes délivrés seront visés par le président de l’université, désigné par voie réglementaire. Ces diplômes sont admis en équivalence avec les nationaux. 

Islam et éducation

Afin de promotionner l’égalité des chances, un système d’aide aux étudiants a été mis en place 

A/I : On a beaucoup parlé de la nécessité de proposer une vision ouverte et tolérante de l’islam dès l’éducation primaire afin de résister aux tendances les plus radicales qui semblent s’imposer dans certains secteurs de la société. Y a-t-il du nouveau à ce sujet pour cette rentrée scolaire ? 

H.E.M. : Selon les termes de la Charte, « le système éducatif se fonde sur les principes et les valeurs de la foi islamique. Il vise à former un citoyen vertueux, modèle de rectitude, de modération et de tolérance, ouvert à la science et à la connaissance et doté d’un esprit d’initiative, de créativité et d’entreprise ». 

Les programmes enseignés sont conçus pour favoriser le développement des compétences de haut niveau intellectuel (processus de raisonnement, démarches de résolution des problèmes, esprit critique et de synthèse, etcétéra), ainsi que le sens de l’initiative et des attitudes d’ouverture au changement. Ils cherchent à cultiver les valeurs de citoyenneté qui permettent à tous les apprenants de participer pleinement aux affaires publiques et privées, en parfaite connaissance des droits et devoirs de chacun, et à développer un esprit de dialogue qui apprend à accepter la différence et qui conduit à la pratique démocratique dans le cadre de l’État de Droit. 

C’est dans cette perspective également que la révision des programmes a cherché à renforcer davantage la dimension humaine, culturelle et sociale, par l’introduction de l’éducation à la citoyenneté à partir de la 4ème année primaire ; la généralisation de l’enseignement de la philosophie à l’ensemble du cycle secondaire qualifiant ; le développement de l’équité et de la lutte contre la violence sous toutes ses formes et l’intégration des principes de la Moudawana en tant que nouveau projet de société. 

Par ailleurs, conformément à l’esprit de la Charte nationale, la réforme a rendu nécessaire que la conception et la production des livres scolaires intègrent explicitement le sens de développement de l’équité et de la lutte contre la violence sous toutes ses formes. Ainsi, depuis l’année dernière, le Ministère fournit des efforts en vue de protéger les institutions scolaires et les apprenants en livrant une véritable chasse aux livres et documents non validés et véhiculant des idées allant à l’encontre des valeurs fondamentales qui constituent le sous-jacent et l’adjacent de notre système éducatif. 

A/I : Quant au matériel scolaire, l’une des plaintes les plus fréquentes (et communes à d’autres pays) concerne les frais auxquels les parents doivent faire face pour l’achat des manuels et des fournitures. Votre Ministère prévoit-il des aides dans ce domaine ? 

H.E.M. : L’action sociale, surtout en faveur des couches défavorisées, occupe une place de premier rang dans les préoccupations du Roi et de son gouvernement. A ce niveau, il y a lieu de mentionner deux faits, quant au soutien apporté aux élèves nécessiteux : plus de 230 000 élèves de la 1ère année primaire ont été dotés de livres scolaires (soit 36 % de l’ensemble des élèves scolarisés) ; il en est de même pour plus de 30 000 filles de la 1ère année collégiale. Un tel effort est l’œuvre commune du Ministère de l’Education nationale, du Ministère de la Solidarité, de la Fondation Mohammed V, de la Fondation Mohammed VI et d’un collectif d’associations. 

Concernant les manuels et livres scolaires, le Ministère, en collaboration avec les secteurs administratifs concernés, veille activement à ce que les prix soient fixés en fonction du prix de revient, des marges bénéficiaires raisonnables des éditeurs et des droits d’auteurs. En conséquence, les prix appliqués pour l’année scolaire en cours, varient entre 9,60 dirhams et 24,70 dirhams. 

Une nouveauté mérite d’être signalée : la durée de validité des nouveaux livres scolaires n’est que de trois années, au lieu de 10 à 15 ans dans l’ancien système. L’objectif étant d’assurer une adaptation régulière des contenus des programmes aux exigences d’une meilleure conformité aux évolutions scientifiques, technologiques, culturelles et pédagogiques. 

Par ailleurs, cette politique du gouvernement en matière de promotion de l’égalité des chances pour la poursuite des études par les enfants issus des milieux défavorisés s’étend jusqu’à l’enseignement supérieur. Un système d’aide aux étudiants a été mis en place. Il comprend les bourses d’étude, l’hébergement et la restauration dans les cités et les internats. Le programme d’aide est complété par un programme de couverture sanitaire et par des activités culturelles et sportives en faveur de l’ensemble des étudiants.

La culture et la langue amazighes

Le Ministère est prêt à déployer tous les efforts pour réussir à l’intégration totale de la langue amazighe 

A/I : Quelle évaluation faites-vous du processus d’intégration de la langue amazighe dans le système d’enseignement et à quel stade se trouve-t-il ?

H.E.M. : Dans le cadre de la mise en œuvre de la Charte nationale et, suite au discours du Roi Mohamed VI, à l’occasion de la création de l’Institut royal de la culture amazighe (IRCAM), notre Ministère a pris la décision d’intégrer progressivement l’enseignement de la langue amazighe dans les cursus scolaires à partir de septembre 2003. 

Dans cette perspective, un plan d’intégration de l’enseignement de la langue amazighe a été établi, en étroite collaboration avec l’IRCAM, en vue d’une généralisation à tous les cycles et établissements scolaires des diverses régions du Maroc sur la période 2003-09. Aussi, cette intégration a concerné, en septembre 2003, les premières années du primaire de 344 écoles primaires, réparties dans toutes les provinces et encadrées par 960 enseignants et 73 inspecteurs amazighophones. Des manuels scolaires et des guides pédagogiques ont été élaborés respectivement pour les élèves amazighophones et non amazighophones et pour les enseignants. En 2004-05, cette intégration est passée en deuxième année du primaire pour les 344 écoles initiales et s’est étendue pour couvrir la première année d’un nouveau lot d’écoles retenues conformément au plan d’intégration préétabli par le Ministère et l’IRCAM. Évidemment, pour la réalisation de tels objectifs, notre plan d’action accorde une importance fondamentale à la formation des compétences nécessaire pour réussir cette intégration et à la préparation des matériels didactiques adéquats. Préalablement au lancement de cette opération, des curricula ont été élaborés par une commission experte de linguistes et de littéraires amazighophones ayant produit ou/et encadré des thèses en linguistique et en littérature de la langue amazighe ou produit des publications scientifiques en la matière. Pour appuyer ces efforts, notre Ministère a signé des conventions de partenariat avec l’IRCAM dans les domaines de formation des inspecteurs et des enseignants amazighophones, de conception de manuels scolaires et de documents d’appui pédagogique, de planification et de prospective du processus d’intégration de la langue et de la culture amazighe dans tous les cycles et établissements scolaires. 

Dans ce cadre de partenariat, plusieurs cycles de formations sont organisés en faveur des personnels impliqués (enseignants, inspecteurs). Les enseignants dont la formation a commencé au début de l’année scolaire en cours au niveau des académies régionales, et qui se poursuit durant toute l’année, seront appuyés par un encadrement pédagogique assuré par 230 inspecteurs amazighophones de l’enseignement primaire préalablement formés en juillet 2004. 

Comme pour l’enseignement de toute langue, des difficultés ne manqueront pas d’apparaître tant au niveau des pratiques pédagogiques, dues essentiellement au fait que la didactique de cette langue est à ses débuts, qu’au niveau de la gestion pédagogique, dues parfois à l’insuffisance de la formation des enseignants ou aux difficultés de suivi des enseignants dans des classes nombreuses et dispersées géographiquement. Cependant, notre Ministère et son partenaire privilégié, l’IRCAM, s’accordent à déployer tous les efforts et à mobiliser tous les moyens humains et matériels nécessaire pour surmonter les difficultés et réussir ce grand chantier de réforme éducative de notre pays.