Quel avenir attend Rohani ?

Même si la continuité des engagements internationaux semble garantie, la crainte d’un Iran fort et capable d’influencer la région s’accroît parmi ses voisins arabes.

Luciano Zaccara

Le président Hassan Rohani a remporté aisément, comme le prévoyaient certains sondages, sa réélection le 19 mai contre son principal concurrent, Ebrahim Raisi, recteur de la Fondation et Mausolée Imam Reza de Machhad. Bien qu’attendue, cette victoire n’a pas été exempte de doutes, car les rumeurs sur une possible tentative de certains groupes d’influencer les résultats ont fait croître les craintes parmi les secteurs réformistes. Le souvenir des événements de 2009, lorsque Mahmoud Ahmadinejad a été réélu lors d’un processus controversé, provoquant des dizaines de morts et des détentions après les protestations du Mouvement Vert, est encore frais dans la mémoire collective. La présence de centaines de policiers antiémeutes à moto (comme en 2009) dans les principales places de Téhéran lors des derniers jours de la campagne et les jours suivant les élections, ainsi que la présence de militaires armés dans chaque bouche de métro et gare d’autobus, ont aussi semé des doutes au sujet de l’objectif de leur présence. S’il est vrai que les autorités affirmaient qu’elles voulaient garantir la sécurité citoyenne face à une tentative de déstabilisation de Daech et d’autres groupes qui s’opposent au gouvernement iranien, beaucoup voyaient en cela une tentative de décourager les explosions de joie pré et postélectorales, bien qu’on ait vu clairement qu’il a été impossible de les éviter. Tandis que le blocage aléatoire de certaines rues au cours des derniers jours de la campagne n’a fait que bloquer la circulation sur les principales artères et rendre les passants et les policiers nerveux, la présence policière massive n’a pas pu éviter les expressions de joie postélectorales sur les places Azad, Valy Asr ou Vanak de la capitale, mais aussi à Machhad et Ispahan. Tout simplement, les Iraniens sont sortis pour fêter la continuité de la modération que reflète la présidence de Rohani et la défaite du projet de Raisi, que beaucoup percevaient comme le retour du populisme représenté par Ahmadinejad, quatre ans en arrière.

Si Raisi a accepté les résultats, son chef de campagne, Ali Nikzad, et le porte-parole même du Conseil des gardiens, Abbas Ali Kadkhodaei, ont exigé au ministère de l’Intérieur de répondre aux pétitions d’effectuer un nouveau dépouillement d’au moins trois millions de votes qu’ils considèrent frauduleux. Le ministère n’a effectué ce genre de décompte qu’en 2009 et le résultat est resté le même. On peut donc s’attendre à ce que Rohani poursuive un second mandat, après le résultat des urnes.

Le paysage politique après les élections présidentielles

Même si Rohani a obtenu plus de voix que lors des précédentes élections (23,5 millions face à 18,6 en 2013), avec un plus grand pourcentage par rapport à ses concurrents (57 % face à 50,7 %) et une participation à peine quelques dixièmes supérieure à sa première victoire (73 %), on pourrait affirmer que la marge de celle-ci est toujours faible pour affronter les défis des quatre prochaines années. Il est vrai, cependant, que Raisi, le candidat supposément appuyé tacitement par le leader Ali Khamenei, n’a pas obtenu les résultats espérés, à peine 38 %. Cette défaite signifie que sa présumée course à la succession du leadership se voit tronquée en raison de son manque de charisme et de capacité d’attraction de votes. Dans ce sens, les conservateurs purs vont se voir obligés à réviser leurs stratégies d’alliances et de candidatures, s’ils veulent récupérer le contrôle des institutions électives. Étant donné qu’il s’agit de la troisième défaite consécutive (présidentielles de 2013 et 2017 et législatives de 2016), les conservateurs ont cessé de contrôler, du moins de manière absolue, la présidence, le Parlement et les mairies des principales villes du pays, dont Téhéran, Machhad, Ispahan et Chiraz.

Cependant, ceci ne veut pas dire que les conservateurs ont perdu un grand quota de pouvoir, ni que les réformistes purs contrôlent les institutions politiques. D’un côté, les secteurs les plus fidèles au leader et ayant appuyé la candidature de Raisi continuent à gérer les institutions économiques et militaires, la Garde révolutionnaire, les bonyads (fonds de charité), les entreprises publiques, les médias et les principales entités financières. D’un autre côté, parmi ceux qui appuient Rohani on retrouve un large éventail sociopolitique, des classes haute et moyenne éduquées que l’on pourrait considérer libérales, des hommes politiques réformistes, comme l’ancien président Mohammad Khatami, des conservateurs modérés (comme Ali Larijani, actuel chef du Parlement) et des figures clairement liées à l’establishment politico-clérical, tels Hassan Khomeini (petit-fils du fondateur de la République), Ali Velayati (conseiller du leader en politique étrangère) ou Ali Nategh Nouri (ancien chef du Parlement et procureur général anti- corruption, très proche du leader).

Ceci démontre la volatilité et la perméabilité du système politique iranien et ses alliances électorales entre factions politiques qui, loin d’être stables, ont tendance à changer avec le temps en pivotant entre projets et candidats présidentiels en fonction des intérêts de groupe, idéologique, politique ou, même, familiaux-territoriaux. Ainsi donc, il est habituel de voir sur les listes de candidats des personnages réformistes ou conservateurs, que l’on peut difficilement étiqueter dans ces cases idéologiquement, partager la même affiche. Un trait qui, sans doute, apporte plus d’intérêt au système politique iranien. Ceci pose une inconnue sur l’avenir de Rohani lors de ce second mandat. Aura-t-il un appui suffisant pour entreprendre les réformes proposées et nécessaires ? Aura-t-il la volonté politique de le faire même sans ces appuis ? En principe, il est démontré que l’appui populaire n’est pas le seul outil de légitimité des présidents iraniens et Rohani l’a compris parfaitement en 2013, lorsqu’il a réussi à garder une bonne relation avec l’establishment de Qom, le leader Khamenei et le Parlement. Ainsi, il a pu obtenir l’approbation de l’accord nucléaire (JCPOA) malgré l’opposition des secteurs les plus radicaux et même de la Garde révolutionnaire et sa gestion a été beaucoup plus aisée que celle de ses deux prédécesseurs, le réformiste Khatami et l’ultraconservateur Ahmadinejad. Mais ce second mandat va exiger à Rohani d’aller bien au-delà de son plan de réforme économique s’il veut que le fruit du JCPOA soit visible.

Tout d’abord, sur le terrain économique, Rohani doit réussir à contrôler l’inflation, qui était à son arrivée de 30 % et qui se maintient maintenant en-dessous de 10 % selon la Banque centrale iranienne. Deuxièmement, la croissance économique de 7 % en 2016 doit commencer à se traduire par de nouveaux postes de travail, qui n’ont pas été créés pour l’instant. Rohani devra aussi mettre en place un régime fiscal général incluant toutes les entreprises, les institutions et les individus. Ce dernier point s’est heurté, et continue à se heurter, à la résistance des entreprises paraétatiques contrôlées par la Garde révolutionnaire et les bonyads qui ne payent pas d’impôts et qui ne rendent de comptes qu’au leader. Vu que le prix du pétrole oscille autour de 40/50 dollars le baril et que les deux dernières années fiscales l’Iran a réussi à réduire l’importance du pétrole en tant que source de revenus de l’État en faveur des impôts, cette réforme fiscale garantirait une stabilité budgétaire et monétaire à long terme, indépendamment des vaet- vient du marché du cru.

Pour ce second mandat, on retrouve aussi en suspens une profonde réforme du système bancaire-financier, ajournée en raison de la réticence des institutions financières paraétatiques à appliquer les accords de transparence exigés pour être acceptées dans le système bancaire international SWIFT. Après les sanctions qui avaient impliqué la déconnexion de l’Iran du système bancaire international, une série d’institutions bancaires et financières privée et paraétatiques ont été créées afin de canaliser le flux d’argent qui ne pouvait être ni investi ni transféré à l’extérieur. Ceci a généré une liquidité qui a favorisé la spéculation financière avec des taux d’entre 7 % et 10 % par mois, mais sans garanties de la Banque centrale iranienne qui a essayé, en vain, de réguler ces institutions. Suite au soulèvement des sanctions et au retour graduel et lent de l’Iran dans le système bancaire, la transparence et la fiabilité des institutions iraniennes sont fondamentales pour que l’investissement étranger et le commerce international puissent se développer normalement.

Finalement, la corruption généralisée, l’un des sujets les plus débattus lors de la campagne électorale et lié, de plus, à la réforme fiscale et bancaire, devra recevoir une attention prioritaire du gouvernement. Tandis que les secteurs conservateurs demandaient une politique de redistribution à travers les allocations, comme l’avait fait Ahmadinejad, l’administration actuelle a préféré maintenir une politique neutre, sans éliminer les allocations existantes, mais en favorisant des mesures libéralisatrices et des privatisations dans le but de réduire les aires où la corruption est devenue endémique. Cependant, les limitations légales et l’ingérence constante des groupes d’intérêt politique, économique et militaire dans les tentatives d’investissement étranger ont notoirement ralenti le processus depuis le soulèvement des sanctions.

Les relations avec les États-Unis après l’arrivée de Trump et le rôle de l’Iran dans la région

La classe politique iranienne a accueilli avec précaution et un certain espoir l’arrivée de Donald Trump au pouvoir. Après sa victoire électorale, le véhément discours contre l’accord nucléaire a disparu de son agenda, ce qui a encouragé les Iraniens à penser que Trump ne pouvait pas tenir sa promesse d’annuler le JCPOA, sans se mettre dans une très mauvaise situation face aux autres signataires de l’accord (Royaume- Uni, France, Chine, Russie, Union européenne et Nations unies). Cependant, le nouveau président américain a commencé à démontrer que les alliances stratégiques de son pays dans la région restent les mêmes, et que l’Iran est toujours l’ennemi public numéro un du Moyen- Orient. En prolongeant une tendance initiée par Barack Obama, il a imposé une restriction de visas aux citoyens iraniens (ainsi qu’aux irakiens, aux syriens et aux soudanais), ce qui a soulevé de fortes critiques. Pour Téhéran cela démontrait que, quiconque occupe la Maison Blanche maintiendra sa position vis-à-vis de l’Iran, et qu’un possible rapprochement, au-delà de la signature du JCPOA est impossible, en raison du manque de volonté des États-Unis.

D’un autre côté, le sommet arabo-islamique-américain qui a eu lieu à Ryad au cours de la visite de Trump, où les gouvernements américain et saoudien ont ratifié des accords relatifs à l’armement pour plus de 110 milliards de dollars et les déclarations explicites de Trump, ont laissé clairement entendre que la menace à contenir dans la région est, sans aucun doute, l’Iran. Cela n’est peut-être pas un hasard si le sommet a eu lieu le 20 et 21 mai, après les élections iraniennes. On attendait peut-être une victoire conservatrice qui tendrait plus la corde avec les pays du Conseil de coopération du Golfe (CCG). Un total de 55 pays ont participé au sommet sauf l’Iran qui n’a pas été invité à la demande expresse des États-Unis et de l’Arabie saoudite. De là à justifier une alliance antiterroriste seulement contre Daech et l’Iran, en faisant obstacle à toute tentative menée jusqu’ici pour normaliser les relations entre les États-Unis, les pays du CCG et l’Iran, il n’y a qu’un pas.

Le caractère conflictuel des relations avec l’Iran s’est vu confirmé le 23 mai, lorsque, supposément, le site web de Qatar News Agency a été piraté et certaines déclarations favorables à l’Iran attribuées à l’émir Tamim al Thani ont été publiées. La réaction de l’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis ne s’est pas fait attendre. Même suite aux démentis et aux explications officielles des autorités qataries, les médias de ces deux pays ont continué à publier la nouvelle originale, en faisant la sourde oreille aux allégations de fausseté, et ils ont bloqué tous les médias qataris dans leurs pays, dont la chaîne de télévision Al Jazira. Plus tard, des nouvelles sur une supposée réunion secrète à Bagdad entre le ministre qatari des Affaires étrangères, Mohammed al Thani et le général iranien, Qasem Soleimani, de la brigade Al Qods de la Garde révolutionnaire, ont aussi été publiées dans des médias saoudiens. Le Qatar considère qu’il s’agit d’une campagne contre son pays.

Il est évident que l’Iran doit améliorer ses relations avec ses voisins, principalement avec l’Arabie saoudite et que la tension dans la région ne s’est pas relâchée ces derniers temps, malgré les débuts d’accord entre l’Iran, la Turquie et la Russie concernant le conflit syrien. Il existe une perception au sein des pays du CCG selon laquelle ce n’est pas le président iranien qui tient les rênes de l’agenda de la politique étrangère, mais la Garde révolutionnaire et, donc, ils ne considèrent pas Rohani comme l’interlocuteur avec lequel discuter des mesures de distension. D’un autre côté, le discours sectaire sur les deux rives du Golfe persique s’est accru notoirement ces derniers mois. Le ministre de la Défense saoudien, Mohammed ben Salmane, déclarait début mai l’impossibilité d’un dialogue avec l’Iran en raison de sa croyance au retour du Mahdi, le 12ème Imam caché selon la tradition chiite, et au besoin d’accélérer les conditions pour son retour. Cette accusation n’est pas nouvelle, puisqu’ils considéraient Ahmadinejad « mahdiste », et de là on justifiait l’intérêt non-déclaré de l’Iran dans la fabrication d’une bombe nucléaire.

Après la signature du JCPOA et l’acceptation généralisée de l’engagement iranien concernant le programme nucléaire, ainsi que la victoire du modéré Hassan Rohani qui garantit, au moins, la continuité des engagements internationaux et confirme l’intérêt de l’Iran dans la normalisation de ses relations avec les autres pays, la crainte d’un Iran fort et capable d’influencer la région est plus forte que jamais parmi ses voisins arabes. Reste alors sur le toit du président réélu la capacité de générer des mesures de confiance pour éviter une plus grande escalade, même si la position de Trump et du roi Salmane n’encourage pas une possible distension à moyen terme.