Législatives algériennes: la légitimation électorale du discours sécuritaire

16 maig 2012 | Focus | Francès

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Introduction

Les élections législatives algériennes du 10 mai 2012 suscitent un regain d’intérêt en raison du printemps arabe et des réformes lancées par le chef de l’État. L’Algérie était pressentie comme une candidate possible à des bouleversements de grande ampleur. Or, rien, hormis les mouvements sociaux quotidiens et de brèves émeutes en janvier 2011, ne s’est produit. Mais le printemps a quand même pesé de tout son poids. Ainsi le slogan officiel est-il « Notre printemps, c’est l’Algérie », et les autorités publiques ont multiplié les superlatifs « historique, décisive, capitale, cruciale, déterminante… » pour pousser les électeurs à aller voter. Jamais, depuis l’évènement du multipartisme, les autorités n’ont lié des élections à l’avenir du pays.   

Ces élections doivent donc permettre de répondre à deux questions : 1) l’Algérie subit-elle des pressions issues de mouvements de révolte dans le monde arabe ? 2) L’Algérie est-elle dans une logique de redémarrage du processus de transition démocratique ? Nous tenterons de répondre à ces questions à travers l’analyse à chaud des résultats chiffrés des élections, l’analyse de ce qui était attendu à travers deux scénarios, pour conclure sur les messages politiques que ces élections envoient.

Les élections en chiffres : les « surprises »

Personne n’a prévu la configuration qui ressort du scrutin du 10 mai. Le tableau 1 dresse la liste et les scores des 10 premiers partis sur les 27 représentés, comparativement à leur représentativité en 2007. Il en ressort le renforcement de la position du Front de libération nationale, à 11 sièges de la majorité absolue[1], confortant ainsi l’omniprésence du courant dit « nationaliste ». Les partis islamistes accusent, quant à eux, un recul magistral, malgré l’alliance de trois d’entre eux. Comme prévu, les femmes font une percée notable avec 145 députées. Elles occupent le tiers de l’hémicycle et contribuent au rajeunissement des parlementaires, puisque 62 % d’entre elles ont moins de 40 ans. Malgré le satisfecit des observateurs internationaux et de l’ensemble de la communauté internationale, ces chiffres ont suscité une vive polémique, mettant en doute la transparence du scrutin et la neutralité de l’administration[2].

Tableau 1 : Les 10 premiers partis représentés à l’APN[3]

Partis / tendance20122007
FLN (nationaliste)221136
RND (nationaliste) 7061
AAV (MSP+Nahda +MRN) (islamiste) 4752 (MSP)
FFS (gauche) 20
Indépendants 2133
PT (gauche) 1726
FNA (nationaliste)  913
FJD (islamiste)  7*
MPA (libéral)  6*
PFJ (nationaliste)  5*


– Le Front des Forces Socialistes a boycotté les élections de 2007.
* Partis nouvellement créés.

Le troisième élément à retenir est le taux de participation[4], 43.14 %, en hausse de 8 %, ainsi que celui des bulletins nuls, en très forte hausse de 0,74 millions de bulletins (voir le tableau 2). À l’instar des scrutins précédents, l’abstention et les bulletins nuls, apparaissent comme un acte éminemment politique, un acte de contestation pacifique et un vote sanction, aussi bien contre la logique de fonctionnement du système dans son ensemble que contre l’offre politique des partis en lice[5]. Là encore, tous les pronostics tablaient sur un taux d’abstention beaucoup plus haut.

Tableau 2 : La contestation pacifique aux élections législatives multipartites[6]

Année19911997200220072012
% Abstention4134,453,864,556,9
Nº bulletins nuls     (millions(0,9  0,493  0,87  0,96  1,7  
% bulletins nuls11,84,5  10,414,4  22
% Abstention + bulletins nuls52,838,964,278,978,9

L’occasion perdue : ce que les plus optimistes espéraient 

Les élections législatives du 10 mai 2012 avaient une particularité exceptionnelle, celle de se tenir dans un contexte tout à fait inédit. En effet, le monde arabe n’était plus l’exception confirmant la démocratisation du monde, mais enfin, partie prenante de cette dynamique ayant connu trois vagues depuis 1945. Face à une Assemblée constituante en Tunisie, des réformes constitutionnelles au Maroc, des élections libres en Égypte, l’Algérie ne pouvait pas rester en dehors de l’histoire. Elle avait failli en être la locomotive en 1989, elle devait au moins en être l’un des wagons en 2012. Toujours en rapport avec la géopolitique arabe, l’Algérie devait démentir les accusations et lancer une contre-campagne contre les discours politiques et médiatiques accusant le régime algérien de poursuivre une politique contre-révolutionnaire, notamment en Libye. Les arguments avancés et selon lesquels l’escalade en Libye menaçait de déstabiliser toute la région, à travers la redynamisation des réseaux terroristes et/ou criminels et la revivification des tensions tribales infra étatiques n’ont trouvé que très peu d’échos[7].      

En plus du facteur régional, le scénario optimiste s’est appuyé, en premier lieu, sur la grande complexité du régime politique algérien. Contrairement à la plupart des régimes arabes, connus pour leur caractère autoritaire et assez monolithique, le système algérien s’est toujours fondé sur des rapports de forces internes, des jeux d’équilibres idéologiques, régionalistes et économiques. De même que les années 90 ont vu émerger deux tendances, les éradicateurs et les réconciliateurs[8], les années 2000 ont laissé entrevoir le renforcement d’un pouvoir présidentiel civil, au détriment de l’influence des militaires, à la faveur de l’apaisement du front sécuritaire et du vieillissement de la génération de novembre. Deuxièmement, ces derniers mois plusieurs figures hautement symboliques du pouvoir ont disparu (Ahmed Ben Bella, premier chef de l’État, Mohammed Laamari, ancien chef d’État-major, Abdelhamid Mehri, ancien secrétaire général du FLN…). Après un demi-siècle de règne, les figures de la légitimité historique révolutionnaire disparaissent de la scène politique, entrouvrant ainsi la possibilité, de facto, de renouveler et de rajeunir la classe politique dirigeante. Troisièmement, à la vie politique plate, quasi paralysée, a succédé depuis 2011 une petite stimulation, à la faveur du discours présidentiel d’avril 2011, de la Commission Ben Salah chargée de récolter les propositions de réforme de la classe politique, des nouvelles lois (sur le partis, le genre, l’information, la société civile, le code électoral), de la reconnaissance d’une trentaine de nouveaux partis politiques et de l’ouverture de l’audiovisuel au privé. À tout cela s’ajoute la participation du plus vieux parti d’opposition du pays, le Front des forces socialistes, apparu, pour certains, comme gage de la transparence du scrutin et des bonnes dispositions du pouvoir à l’égard d’un vrai scrutin ouvert. La présence de nombreux observateurs internationaux, le rôle des magistrats dans la surveillance des élections et l’accès par les représentants des candidats à la consolidation finale des résultats au niveau des wilayas, étaient perçus comme des signaux encourageants. Nous sommes très loin du scénario qui s’est réalisé.         

Le statut quo comme moindre mal : ce que les pessimistes prévoyaient

Le scénario que l’on pourrait aisément qualifier de pessimiste, comparativement au premier, voyait dans ces élections, une énième étape de consolidation du caractère semi-autoritaire du régime algérien. Un régime hybride, assez comparable à la société algérienne d’ailleurs, dans lequel cohabitent libertés et contraintes, cooptation et répression, richesse et pauvreté, révolte et résignation, modernité et conservatisme. Contrairement à la Tunisie, la Libye et, dans une moindre mesure, l’Égypte, l’Algérie est, depuis plus de vingt ans, sortie de la logique purement dictatoriale et a ouvert un grand nombre d’espaces aux libertés. Le multipartisme, la pluralité médiatique (presse écrite notamment), la liberté d’expression, la distribution massive du produit de la rente et la tenue d’élections régulières sont autant d’acquis maintenus depuis la constitution de 1989. Dans cette perspective, l’ouverture du jeu politique à de nouveaux acteurs partisans, la promotion du rôle politique de la femme, l’ouverture du champ audiovisuel, adossés aux transferts sociaux mirobolants[9], contribuent à pérenniser un régime politique incontestablement aguerri à la gestion des rapports de forces et à la gestion de crise. D’ailleurs, un système né dans la crise n’est jamais aussi efficient que lorsqu’il est en situation de crise.   

Partant de ce tableau général, les élections devaient consolider l’ouverture tout autant que le contrôle en permettant l’émergence d’un Parlement mosaïque, reflet des nombreux partis, anciens et nouveaux, petits et grands ainsi que de nombreux indépendants. Dans ce scénario, le régime maintenait le statu quo en phagocytant le pouvoir législatif dans lequel aucune majorité ne pourrait se détacher[10] et conserverait le contrôle de la situation à travers un exécutif fort. La faiblesse du Parlement était assurée à travers l’offre politique dont la campagne électorale a révélé toute la faiblesse. Les candidats ont, dans leur majorité, tenu des discours d’une rare insignifiance, faisant des « promesses démagogiques, d’une superficialité déconcertante sans réelle proximité avec la réalité »[11]. En fait, il s’agissait plus d’une campagne de démobilisation que de mobilisation de l’électorat[12] avec, en prime, l’apparition d’une trentaine de partis, reconnus à la faveur de la nouvelle loi. Pressés de marquer leur présence, ils avaient de toute façon peu de chance de marquer les élections qui, par définition, exigent une présence sur le terrain et une proximité qu’ils n’avaient, matériellement pas, le temps d’avoir. Cette circonstance atténuante ne les dédouane pas des manquements élémentaires à une activité politique crédible. « Les partis politiques ont transformé le Parlement en PME où l’on recrute des femmes, des jeunes… Des listes électorales sont formées en 48 heures pour 48 wilayas… Des candidats recrutés par petites annonces passées sur les journaux »[13]. Pensaient-ils avoir leur chance, partant du fait que même les partis ayant une vingtaine d’années d’existence légale n’ont pas davantage occupé le terrain ? Dans ce scénario, il s’agissait de revenir à la législature 2007-2012, mais – espérait-on – sans son déficit de légitimité. Ce n’est pas, non plus, le scénario qui s’est produit.     

En guise de conclusion : les élections du paradigme sécuritaire

Alors que la campagne électorale était terminée et profitant d’une date riche en symboles dans la mémoire collective algérienne, le président s’adresse à la nation, déclarant que la génération de la légitimité historique était finie, que les jeunes devaient aller voter en masse pour prendre la relève et sauver le pays des menaces qui le guettent[14]. Il a également rappelé que son appartenance politique était connue (président du FLN). Le discours du 8 mai résume ces élections : la délibéralisation politique par la sécuritisation du discours.

Ces élections signent d’abord la victoire du discours sécuritaire sur le programme politique. Aucun parti en lice n’a présenté un véritable projet politique, se contentant d’appeler au vote, avec des arguments d’une extrême superficialité, mais toujours teinté d’alarmisme. Ce scrutin est aussi la victoire du patriote sur le citoyen ; le vote est devenu synonyme de patriotisme et l’abstention de traîtrise. C’est par ailleurs la victoire de la peur du changement sur la volonté de changement ; la stabilité, a-t-on martelé, est le symbole de la sécurité et le changement un risque que les Algériens ne voulaient pas prendre. C’est également la victoire de l’histoire sur le présent : la double instrumentalisation partisane de la guerre d’indépendance et de la lutte antiterroriste a étouffé le débat contradictoire essentiel à une élection libre. Finalement, ces élections sont la victoire du court terme sur le long terme, de la passion sur la raison et du paradigme sécuritaire sur la transition démocratique.    

Notes

[1]. Personne n’a prévu une victoire d’une telle ampleur. Le FLN est entré en campagne, miné par l’une de ses plus graves crises internes. Il fait parti du pouvoir depuis toujours et à ce titre, est impliqué  dans les scandales de corruption. Enfin, il est accusé d’avoir réduit l’impact des réformes. 

[2]. Mohamed Seddiki, président de la Commission nationale de surveillance des élections, Communiqué nº 6, 11/05/2010. DNA, 12/05/2010, http://www.dna-algerie.com/enquete/les-legislatives-truandees-par-la-fraude-le-rapport-qui-accuse-le-ministere-de-l-interieur.

[3]. Algérie Presse Service, http://www.aps.dz/Legislatives-2012-le-Conseil.html.

[4]. Le taux de participation à l’étranger est de 14 %.

[5]. Louisa Dris-Aït Hamadouche, « L’abstention en Algérie : un autre mode de contestation politique », L’Année du Maghreb 2009, Paris, CNRS Éditions, pp. 263-273.

[6]. 2012 Algérie Presse Service, http://www.aps.dz/Legislatives-2012-le-Conseil.html ; 2007 Conseil constitutionnel, http://www.conseil-constitutionnel.dz/proc-apnfr07.htm ; 2002, 2007 ; Conseil constitutionnel, http://www.conseil-constitutionnel.dz/elec2002-1.htm ; 1997, 1991, http://www.jcalgerie.net/?p=2873.

[7]. Les critiques à l’égard de la gestion de la politique algérienne des révoltes arabes ont été largement diffusées dans un grand nombre de journaux algériens. Au niveau international, l’Afrique du Sud, l’Inde et le Brésil ont défendu sensiblement les mêmes arguments que ceux de l’Algérie, sans pour autant essuyer le courroux des défenseurs de l’insurrection libyenne.

[8]. Cette schématisation mériterait des nuances qu’il n’est pas utile de développer dans cet article.

[9]. À titre d’exemple, la loi complémentaire 2012 sur les finances, adoptée le 7 février 2012 prévoit une enveloppe supplémentaire de 4,22 milliards de dollars destinée à prendre en charge les hausses de salaires décidées en 2011.

[10]. Le ministre de l’Intérieur lui-même l’a déclaré.

[11]. Abdelkrim Dahman, ancien député, universitaire, Radio chaîne 3, 10 mai 2012.

[12]. Walid Aggoun, juriste, Radio chaîne 3, 10 mai 2012.

[13]. Radio chaîne 3, 10 mai 2012.

[14]. Dans son discours du 24 février 2012, le président Bouteflika affirme que le peuple algérien doit savoir « qu’aucune partie démocratique, qu’aucune partie étrangère, aussi démocratique et développée soit-elle, ne lui apportera la démocratie ».