L’immigration en Méditerranée après le conseil Européen des 24 et 24 Juin 2011
La question de la « gestion des flux migratoires » qui représente depuis de longues années une préoccupation majeure des décideurs européens, tant à l’échelle de l’Union européenne (UE) dans son ensemble que de chacun de ses États membres, a ressurgi avec une acuité particulière à la faveur des révolutions tunisienne et égyptienne et, surtout, de ce qui se passe en Libye depuis le mois de mars 2011.
Avec le Printemps arabe qui a démarré subitement à la fin de l’année 2010 en Tunisie, et qui va déboucher sur un mouvement inédit de population en Afrique du Nord principalement, et accessoirement vers l’Europe, l’UE s’est trouvée brusquement prise dans une espèce de tenaille politico-sécuritaire, obligée qu’elle fut de soutenir l’aspiration légitime des populations arabes à la démocratie, mais cherchant parallèlement à protéger ses frontières contre des arrivées, supposées a priori massives, de personnes fuyant l’instabilité et la baisse de revenus affectant leurs pays.
Le Conseil européen, réuni les 23 et 24 juin 2011, a eu à tenir compte, s’agissant de la situation qui prévaut en Afrique du Nord, d’une combinaison de trois phénomènes :
– Des mouvements politiques d’une brusquerie et d’une ampleur que personne ne pouvait imaginer sur la rive sud de la Méditerranée.
– La poursuite des retombées négatives de la crise économique et financière notamment sur les pays du sud de l’Europe, du Portugal à la Grèce
– Des échéances électorales importantes en France, en Italie et en Espagne, plus particulièrement, soient les trois pays de l’UE directement en contact avec le Maghreb.
Cette combinaison est devenue diplomatiquement très sensible sous l’effet de la menace française de suspendre l’application des accords de Schengen comme mesure de rétorsion, suite à l’accueil par l’Italie d’un peu plus d’une vingtaine de milliers de migrants tunisiens entre mars et avril 2011.
Aussi, c’est dans une certaine urgence que le dernier Conseil européen a tenté d’apporter une double réponse, qui ne pouvait être que contradictoire, à deux exigences.
Une sorte d’exigence internationale, impliquant une forme de solidarité vis-à-vis de peuples qui ont renversé des dictatures, sans encore bâtir d’institutions fiables, et une exigence d’ordre interne – montée en puissance surtout en parallèle à l’échéance présidentielle qui s’annonce serrée en France –consistant à prémunir les pays de l’UE contre des flux migratoires induits justement par le vide créé par la disparition d’un système et l’attente de la mise en place d’un autre.
Et, de fait, les mouvements de transformation de la nature des pouvoirs en Afrique du Nord, qui devaient légitimement bénéficier d’un support européen important, aussi bien au niveau des opinions publiques arabes que européennes, vont se voir relativement réconfortés par le Conseil des 23 et 24 juin. En effet, ce Conseil a fait preuve de réalisme politique en reconnaissant « le besoin d’accorder un support plus important aux partenaires engagés dans la construction d’une démocratie véritable et soutenable ainsi que la nécessité de soutenir un développement économique intégré et de renforcer les dimensions orientale et méridionale de la politique européenne de voisinage, particulièrement dans les domaines de la démocratie, des droits de l’homme et de la règle de droit ». Dans le même sens, il a conditionné le renforcement de la coopération politique à la réalisation de progrès dans les réformes visant l’approfondissement de la démocratie et la construction de l’État de droit. Estimant par la même occasion que les pays concernés sont sur la bonne voie.
Toutefois, ces bonnes dispositions vont être fortement atténuées par la série de conclusions du même Conseil européen portant sur la question de la migration, alors même que cette dernière question pouvait être, symboliquement, traitée à un autre niveau ou par un autre Conseil.
L’essentiel de ces conclusions – répondant pour la plupart au différend italo-français né de l’accueil par l’Italie de migrants tunisiens auxquels elle avait aussi accordé des titres de séjour provisoire – représente un tour de vis supplémentaire donnant l’impression que l’Europe est en passe de se fermer complètement, particulièrement pour les Africains du Nord. Cela, sans que les conditions exceptionnelles vécues par ces derniers soient évoquées et sans qu’aucun indice de solidarité ou de compassion à ce niveau ait été perçu, alors même que le nombre de migrants parvenus en Europe à la suite du Printemps arabe n’a constitué qu’une infime partie de ceux qui sont allés en Tunisie essentiellement, mais aussi en Égypte et dans d’autres pays de la région.
Partant d’un principe de précaution qui semble être renforcé par les circonstances exceptionnelles du moment, le Conseil européen a insisté sur le besoin d’une surveillance encore plus accentuée des frontières extérieures de l’Europe. Pour lui, en effet, ces dernières « doivent être contrôlées de façon effective et consistante, sur la base de la responsabilité commune, de la solidarité et d’une coopération opérationnelle renforcée ». À cette fin, les moyens mis à la disposition de l’Agence européenne de protection des frontières (Frontex) vont être renforcés de même que seront mis en place un système d’entrée/sortie et un programme d’enregistrement des voyageurs (vers et à partir des pays de l’UE).
Le Conseil a aussi insisté sur la nécessité d’une approche stratégique pour gérer la mobilité dans un environnement sûr – alors même que celui qu’il ciblait n’en était pas un. « L’objectif devant être de s’attaquer aux causes de la migration à un niveau structurel. À cette fin, et dans le cadre de la politique européenne de voisinage, des partenariats seront développés avec des pays voisins du Sud et de l’Est ». « Comme une première étape, un dialogue large et structuré sur la migration, la mobilité et la sécurité sera établi avec ces pays, dans l’objectif d’aboutir à des bénéfices tangibles pour eux-mêmes et pour l’UE. Ces dialogues doivent être entamés comme des questions urgentes avec des pays partenaires ayant le désir et la capacité de s’engager de façon constructive sur ces sujets. Les partenariats pour la mobilité seront différenciés selon le “mérite individuel’’ despays partenaires ; seront signés de façon séparée avec chacun des pays partenaires ; seront conditionnés par les efforts et les progrès accomplis dans les domaines de la migration, la réadmission, la mobilité et la sécurité ; incluront un mécanisme efficient de suivi ».
Énoncés comme cela, avec de telles conditionnalités, les partenariats pour la mobilité paraissent se situer à un niveau bien supérieur aux autres volets de la coopération politique, citée par ailleurs et conditionnée par la « réalisation de progrès dans les réformes ».
Dans la réalité, le Conseil européen de fin juin 2011 a, surtout, réaffirmé en les appuyant davantage, certains des objectifs retenus par le Pacte européen pour l’immigration et l’asile tel qu’adopté en octobre 2008 dont, notamment:
– Le renforcement de l’efficacité des contrôles aux frontières de l’Europe, en généralisant la délivrance de visas biométriques au plus tard le 1er janvier 2012 et en mettant plus de moyens à la disposition de l’agence Frontex, chargée de coordonner l’action des polices aux frontières.
– La lutte contre l’immigration illégale, en s’assurant du retour des étrangers en situation irrégulière dans leur pays d’origine ou vers un pays de transit. Les pays de l’UE devant coordonner leurs actions et renoncer aux « régularisations générales », alors que des accords de réadmission seraient conclus avec les pays pour lesquels cela est nécessaire.
En filigrane de tous les éléments ci-dessus, la question de la signature d’accords de réadmission avec des pays de départ ou de transit semble être devenue la pierre angulaire de la politique migratoire européenne et la « condition des conditions » autant pour le « Partenariat pour la mobilité » que pour la « coopération politique » tout court. Celle-là même qui est supposée accompagner le processus de démocratie en cours en Afrique du Nord.
Or, si un pays comme le Maroc – le seul de la région à avoir bénéficié du « privilège » de « Statut avancé » auprès de l’UE n’a toujours pas signé un tel accord, malgré quinze « rounds » de négociation, c’est que la réadmission des non-nationaux sur son territoire lui pose des problèmes financiers et, surtout, politiques insurmontables, dont celui d’être définitivement taxé de « gendarme de l’Europe ». Aussi, la réadmission, complément indispensable pour l’UE du contrôle total de ses frontières extérieures, ne peut être approchée dans un cadre bilatéral, pays par pays, mais doit être recherchée à une échelle multilatérale impliquant en premier les pays de départ, sans l’accord desquels la signature de pays de transit relèvera du pari politique.