Femme et diversité culturelle en France
Femme et diversité culturelle en France
Les réalisatrices d’origine maghrébine offrent des récits axés sur la vie de femmes de familles de la diaspora dans une France multiethnique et multiconfessionnelle.
Carrie Tarr
Dans Divines (Houda Benyamina), film récompensé par la Caméra d’or du Festival de Cannes 2016, une chef de bande noire lance à la jeune héroïne d’origine maghrébine « Toi, t’as du clitoris ». Cette observation révèle aussi les motivations de la réalisatrice, la féminisation du cinéma français qu’elle décrit comme « blanc, bourgeois et misogyne ». Jusqu’à maintenant, après le succès de Tout ce qui brille (Géraldine Nakache et Hervé Mimran, 2010) et le thème de l’amitié féminine interethnique, le cinéma français avait rendu invisible, marginalisé et stéréotypé ses représentations de filles et/ou de femmes d’origine maghrébine. De plus, moins d’1 % des longs métrages réalisés par des femmes en France sont d’origine maghrébine : une scandaleuse critique de l’incapacité de l’industrie de trouver une place pour ses minorités postcoloniales féminines et créatrices. Maintenant que l’islamophobie grandit dans le pays, aggravée par les derniers attentats terroristes, il est important que les citoyens d’origine maghrébine et musulmane puissent faire entendre leur voix au cinéma. Cependant, au cours des cinq dernières années, uniquement cinq films ont été réalisés par des femmes franco-maghrébines : Paris à tout prix (Rheem Kherici, 2013), Amour sur place ou à emporter (Amelle Chahbi, 2014), Je suis à vous tout de suite (Baya Kasmi, 2015), D’une pierre deux coups (Fejria Deliba, 2016) et Divines (Houda Benyamina, 2016). Il n’est pas surprenant que ces cinq films proposent des approches importantes axées sur les femmes à propos de questions qui touchent les jeunes filles et les femmes issues de familles de la diaspora maghrébine installées dans une France multiethnique et multiconfessionnelle.
‘Paris à tout prix’ et l’importance des racines
Reem Kherici, d’origine tuniso-italienne, était une humoriste très connue avant de coécrire, de réaliser et d’interpréter Paris à tout prix. Elle joue le rôle de Maya Ben Latif, une jolie jeune femme, égocentrique, de famille marocaine, parfaitement occidentalisée, styliste dans une maison de couture, avec une armoire pleine de chaussures Leboutin. Elle n’a pas vu ses parents depuis 10 ans parce qu’elle ne pardonne pas à son père d’avoir ramené sa mère au Maroc sans lui dire qu’elle était en train de mourir d’un cancer. Elle se considère entièrement française et lors d’un contrôle pour conduire en état d’ivresse par la police qui découvre que son permis de séjour est périmé, elle est expulsée de France. De retour au Maroc, elle est obligée d’affronter ses préjugés de façon humoristique, mais elle finit par se réconcilier avec sa famille qui est beaucoup plus moderne qu’elle ne pensait. C’est d’ailleurs sa grand-mère qui l’aide à dessiner une robe originale de haute couture pour le concours organisé par son patron et elle peut retourner en France grâce au passeport de sa belle-soeur. De nouveau à Paris, avec le talisman de la main de Fatima de son enfance, elle présente à son patron son dernier design inspiré de motifs vestimentaires touaregs. Il la félicite pour un design qui symbolise « le Paris cosmopolite », l’inclut dans son défilé et l’engage comme styliste à plein temps, ce qui lui permettra de renouveler son permis de séjour. Entretemps, Maya accepte sa double culture et promet à sa famille d’aller les voir plus souvent au Maroc.
Au début du siècle, plusieurs films français apparaissent sur le voyage de retour aux racines d’origine maghrébine. C’est le cas de La fille de Keltoum(Mehdi Charef, 2002), où une jeune fille découvre les faits tragiques dont sa famille a été victime pendant le problématique passé colonial en Algérie, et Française (Souad El Bouhati, 2008), qui traite du déménagement réticent au Maroc d’une jeune fille née en France d’origine marocaine. Cinq ans plus tard, la vision contemporaine et comique de Kherici sur le retour d’une jeune fille à ses racines est totalement différente. Maya ne tient peut-être pas pour acquise sa place dans la métropole, malgré sa sophistication parisienne. Cependant, la découverte que son père dévoué n’est pas le despote patriarcal qu’elle croyait, lui permet de voir son héritage marocain et musulman d’un oeil différent et lui offre un bel avenir de mobilité transnationelle en positif.
‘Amour sur place ou à emporter’ et une idylle interethnique
Amelle Chahbi, comédienne très connue et monologuiste, d’origine marocaine, connaît son compagnon de scène, co-scénariste, Noom Diawara, dans le programme Jamel Comedy Club. Son premier film, Amour sur place ou à emporter, est une adaptation de leur pièce de théâtre à grand succès de 2010, une comédie romantique sur une histoire d’amour interethnique compliquée entre deux jeunes sexys et avides d’aventures : Amelle, de famille marocaine et Noom, de famille malienne. Le film aborde les tabous et les clichés en explorant de façon amusante l’évolution de leur relation qui part du mauvais pied quand Noom commence à travailler au Starbucks dirigé par Amelle. L’idylle est frustrée, tout d’abord parce qu’elle refuse de coucher avec lui (elle souffre encore à cause de la rupture d’une aventure précédente) et puis, plus sérieusement, à cause de l’hostilité de leurs familles respectives, vivant aux environs de Paris et qui sont radicalement opposées aux relations interraciales. À tel point que le père d’Amelle doit être hospitalisé quand il soupçonne la relation amoureuse de sa fille. Comme celle-ci veut lui faire plaisir, Noom décide de s’éloigner. Là encore, c’est la grand-mère marocaine qui vient au secours au retour d’un voyage en Florida, un symbole de son esprit moderne. Cette dernière tourne le dos au passé et dit à sa petite-fille qu’il faut évoluer avec son temps. Noom apprend qu’Amelle a rompu la relation avec son père, ce qui lui donne des ailes pour reprendre son idylle et il la retrouve dans la cafétéria qu’elle a ouverte à Miami Beach, Florida. Dans le générique de fin du film, on voit que Noom a réalisé son rêve de travailler comme monologuiste aux États- Unis où le couple heureux a fondé une famille.
Les films de réalisateurs d’origine maghrébine font souvent une représentation gênante des couples mixtes, un trope qui pourrait indiquer le degré d’intégration de la population d’origine maghrébine et musulmane en France. Alors que le thème de l’idylle interethnique est abordé avec (une certaine) légèreté dans Mauvaise foi (Roschdy Zem, 2006) et la comédie romantique musicale Toi, moi, les autres (Audrey Estrougo, 2011), dans Rengaine (Rachid Djaïdani, 2012), le souhait d’une femme d’origine maghrébine et d’un homme d’origine subsaharienne de se marier, frôle la tragédie à cause à la violente opposition du frère aîné de la femme, ce qui n’est heureusement pas partagé par ses autres (39!) frères. Par conséquent, il est très significatif dans Amour sur place ou à emporter, malgré les habitudes occidentalisées des deux amoureux, de leur absence de toute croyance religieuse évidente et d’une scène où Noom apparait exultant devant le Sacré-Coeur à la perspective de passer sa première nuit avec Amelle, que la relation réussit mais aux dépens de la famille traditionnelle marocaine et musulmane et en dehors de la France.
‘Je suis à vous tout de suite’, ‘D’une pierre deux coups’ et la famille maghrébine de la diaspora
Baya Kasmi, d’origine franco-algérienne, est une scénariste très connue, surtout grâce à Le nom des gens (cosigné avec le réalisateur Michel Leclerc, 2010), avant de réaliser son premier film. À la fois comédie romantique et comédie sociale, Je suis à vous tout de suite se focalise sur Hanna et son frère, les enfants d’une psychiatre française hippy et d’un gentil petit épicier algérien. Hanna, directrice des ressources humaines, fait face sans succès à son identité biculturelle en couchant par gentillesse avec tous les employés quelle doit licencier ; son frère, devenu un musulman très strict, « rentre » en Algérie avec sa famille. Leurs disputes prennent fin quand Hanna le ramène en France pour une opération du rein et réalise que sa promiscuité est due à un traumatisme pendant son enfance et qu’elle est capable de former un couple avec le médecin malheureux avec qui elle a commencé à coucher par compassion. Avec des acteurs secondaires qui représentent différents aspects de la communauté multiethnique des banlieues, en construisant des contradictions au sein d’une famille franco-algérienne exilée, Kasmi décrit ce qu’elle appelle « les milliers de façons d’être français, Maghrébin et de culture musulmane » dans la France contemporaine.
Fejria Deliba, fille d’une famille algérienne immigrée de neuf enfants, présentait en 1992 un court métrage primé, Le Petit chat est mort, qui abordait la tendre relation entre une mère immigrée et sa fille écolière. Plus tard, en tant qu’actrice, elle incarne le rôle de mères immigrées analphabètes de première génération dans Sous les pieds des femmes (Rachida Krim, 1997) et Inch’Allah dimanche (Yamina Benguigui, 2001). Dans le premier film, il s’agit d’une activiste transgressive du FLN, pendant la guerre d’Algérie et dans le second, c’est une femme obligée d’abandonner sa mère pour suivre son mari qui émigre en France dans les années soixante-dix. Puis elle joue les rôles moins importants d’une mère immigrée contemporaine dans des films de banlieue comme Des poupées et des anges (Nora Hamdi, 2008). Il lui a fallu 25 ans pour réaliser son premier long métrage, D’une pierre deux coups, où la mère immigrée est de nouveau au coeur de l’histoire.
Film social réaliste plus qu’une comédie, D’une pierre deux coups, fonctionne à deux niveaux. Au premier niveau, Zayane, analphabète de 75 ans reçoit une lettre l’informant que son ancien patron pied-noir vient de décéder et qu’il lui a laissé une boîte mystérieuse. Elle, qui n’est jamais sortie de son quartier de la banlieue parisienne, met un foulard sur la tête et se rend à Blois avec sa meilleure amie, afin que la veuve de son patron lui donne la boîte. Son voyage, émouvant et comique par moments, la ramène à l’époque d’une courte idylle vécue en Algérie avant son mariage arrangé et son départ pour la France. Dans un récit parallèle, ses 11 enfants (le dernier qui apparaît est interprété par Deliba elle-même) se réunissent tous dans la maison de Zayane, impatients de savoir ce qu’elle est devenue et, à partir d’une série d’indices – une photo de son ancien patron, un photographe, des enregistrements envoyés par son amant algérien, l’assistant du photographe et des vidéos amateurs en Super 8, certainement enregistrés par Zayane elle-même pour les envoyer à son amant –, ils découvrent que leur mère a eu une histoire d’amour secrète. Comme Kasmi, Deliba utilise la représentation de la famille magrébine dans la diaspora pour montrer la grande variété d’expériences vitales, d’opinions et de styles vestimentaires qui pourraient être de la deuxième génération : une fille et une belle-fille (blanche et française) voilées, les autres non; un fils (l’ainé) hostile et honteux du secret de sa mère, tandis que les autres se réjouissent qu’elle ait profité d’un tel bonheur.
Dans le premier long métrage dirigé par un réalisateur d’origine maghrébine élevé en France, Le thé au harem d’Archimède (Mehdi Charef, 1985), la mère immigrée était déjà représentée comme une figure forte, sympathique, pleine d’initiatives et non plus comme une femme soumise, victime de circonstances échappant à son contrôle. Dès lors, deux films en particulier ont donné à la mère magrébine et musulmane de première génération un rôle principal. D’une part, Dans la vie (Philippe Faucon, 2008), où une mère algérienne se lie d’amitié avec la mère invalide du patron juif de sa fille. Et de l’autre, Fatima (Philippe Faucon, 2015), qui raconte les sacrifices d’une mère algérienne pour que ses filles étudient et ses propres efforts pour lire et écrire en français et en arabe. De même, dans D’une pierre deux coups, Deliba dresse le portrait original d’une mère musulmane algérienne avec un passé complexe et qui d’après la réalisatrice contient « un écho, en filigrane à l’histoire collective, celle du passé commun de la France et de l’Algérie ».
‘Divines’ et le cinéma de banlieue centré sur les filles
Houda Benyamina, réalisatrice autodidacte d’origine algérienne, fonde en 2006 l’association « 1000 Visages », qui a pour but de démocratiser le cinéma. Elle a pu ainsi créer plusieurs courts métrages avant de coécrire et de réaliser son premier long métrage, le thriller de banlieue Divines. Le film, inspiré en réaction aux émeutes de 2005, exprime la rage et l’indignation, mais aussi les rêves et les aspirations de jeunes filles qui grandissent dans une banlieue défavorisée, turbulente, multiethnique et multiconfessionnelle. L’action se déroule autour de Dounia, une ado d’origine maghrébine et de sa meilleure amie Maimouna, d’origine subsaharienne. Le film retrace la soif euphorique des deux jeunes filles de « money, money, money », tout d’abord en volant dans les boutiques (vêtues de burkas), puis en vendant de la drogue pour la leader noire d’une bande, Rebecca. Au début, l’endiablée Dounia est capable de transcender ses origines peu glorieuses – un père inconnu et une mère maghrébine alcoolique qui vit dans un bidonville rom. Le film est rempli de leurs fantaisies d’évasion, y compris une scène où les deux amies font semblant de se balader en Ferrari et de séquences de la relation (vouée à l’échec) de la jeune fille avec un danseur de break dance, Djigui. Cependant, le complot des trafiquants se termine tragiquement quand les actions de Dounia déclenchent la mort de Maimouna.
La banlieue, popularisée par La haine (Mathieu Kassovitz, 1995), est le lieu préféré pour tourner des films sur la vie des jeunes adolescents appartenant à des minorités ethniques. Cependant, il y a de plus en plus de films centrés sur des jeunes femmes, comme L’Esquive (Abdellatif Kechiche, 2004) ou Bande de filles (Céline Sciamma, 2014). Divines est particulièrement créatif en investissant dans le sens de l’humour rebelle des héroïnes (pour ces personnages, Benyamina s’est inspirée en partie de Laurel et Hardy) et dans la mise en scène des espaces dans lesquels elles se déplacent dans la banlieue, soit dans les sombres passages souterrains qui conduisent à la mosquée, soit sur les passerelles aériennes du théâtre du quartier. Cependant, Dounia est punie pour avoir osé s’aventurer jusqu’au centre de Paris à la recherche d’argent. À la fin du film, nous voyons Dounia consternée face à Maimouna, qui meurt brûlée tandis que les forces de l’ordre, représentant l’État français, refusent d’intervenir, et que les jeunes de la banlieue qui commencent à déclencher une émeute. Le film ne présente donc pas seulement un monde imaginaire, féministe et de forte amitié féminine interethnique, mais aussi une explication du contexte qui continue à provoquer de la violence de la part des jeunes des banlieues défavorisées.
Ces cinq films ont du « clito » en se concentrant sur différents aspects de la vie des femmes contemporaines d’ascendance maghrébine. Ils abordent des âges et des générations distinctes, allant des adolescentes de banlieue aux jeunes professionnelles transnationales, et aux mères et grands-mères de la première génération et utilisent plusieurs genres, comme la comédie et le réalisme social en passant par la tragédie. Dans tous les cas, ils explorent les complexités auxquelles doivent faire face les personnages obligés de conjuguer leurs culture maghrébine et musulmane avec leur sentiment d’appartenance et de lien avec une France parfois inhospitalière. Il est intéressant de noter qu’un des sous-thèmes présents dans trois des cinq films est la force de l’amitié féminine interethnique, tandis que les deux autres où le scénario se déroule au sein d’une famille de la diaspora, incluent un couple mixte. Ces deux aspects démontrent qu’aujourd’hui la culture française est tout à fait hybride. Ces films de femmes françaises d’origine maghrébine offrent sans aucun doute des corrélats importants, face à un cinéma dominant « blanc, bourgeois et misogyne ».