L’aide européenne en Méditerranée : l’Agenda 2030 avec des idées de 1950

2 janvier 2017 | | Français

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L’aide européenne en Méditerranée : l’Agenda 2030 avec des idées de 1950

Aitor Pérez

L’Agenda du Développement durable est un accord des Nations unies sur la transformation du monde qui doit être abordée entre 2016 et 2030 pour éliminer la pauvreté et pour construire un monde plus prospère, pacifique et durable. Selon cette démarche et son approche multidimensionnelle – économique, sociale et environnementale –, il semblerait que l’Agenda constitue un instrument approprié pour orienter la coopération européenne vers la Méditerranée. Cependant, cet article explique pourquoi il n’aura pas d’effet significatif sur la coopération euroméditerranéenne.

L’article examine tout d’abord les éléments de l’Agenda 2030 qui sont les plus appropriés à la région et il identifie leurs similitudes avec la théorie et la pratique de la coopération euroméditerranéenne pendant des décennies. Puis il met en lumière certaines questions qui ne sont pas soulevées par l’Agenda, malgré leur importance et qui sont pourtant prioritaires dans la politique européenne de voisinage. En conclusion, il présente les perspectives de l’aide européenne à la région pour les 15 prochaines années et une évaluation finale, quant à la pertinence de l’agenda global du développement.

L’argument principal de l’article est que les idées qui vont influer sur l’aide européenne au cours des prochaines années ne proviennent pas de l’Agenda 2030, sans pour autant que les deux choses soient divergentes. De plus, les nouveautés de la coopération européenne dans la région – forte conditionnalité politique, implication dans le domaine de la sécurité et financement de l’activisme politique – sont plutôt typiques du XXème que du XXIème siècle, mais elles correspondent à une réponse politique ferme et méditée aux évènements violents qui conditionnent tout développement dans la région, depuis 2011.

L’agenda de l’emploi des jeunes et autres propositions socio-économiques

Les Objectifs de développement durable (ODD) ne se limitent pas à aborder l’extrême pauvreté et la faim, ce qui pourrait s’avérer plus pertinent au Sud du Sahara, mais ils s’attaquent à d’autres problèmes socioéconomiques comme l’inégalité et le chômage, qui sont très étendus dans la région méditerranéenne. L’ODD 8 promeut une croissance économique inclusive, le plein emploi et un travail décent pour tous. L’ODD 4 consiste à assurer l’accès de tous à une éducation de qualité. L’ODD 9 parle d’une industrialisation inclusive et la cible 7 de l’objectif 10 aborde directement l’inégalité de revenus par des propositions aussi pertinentes pour l’espace euroméditerranéen que celles de faciliter la migration ordonnée, régulière et responsable des personnes. Comme cela a été dit, l’Agenda de développement durable est universel. Il n’existe aucun pays au monde qui n’ait besoin de réaliser des progrès en matière d’équité, d’emploi ou de changement climatique et il est donc aussi pertinent pour les pays arabes de la Méditerranée.

Parmi toutes les cibles socioéconomiques de l’Agenda, la cible 8.6 relative à une réduction drastique du nombre de jeunes sans emploi avant 2020, accompagnée de la 8.b sur l’adoption d’une stratégie globale d’emploi pour les jeunes à l’horizon 2020, serait probablement la plus pertinente pour la région. Selon de nombreux analystes et l’Union européenne (UE), le chômage des jeunes a créé un climat propice à la radicalisation et, en général, à l’instabilité sociale et politique. Le programme actuellement en vigueur pour l’aide européenne va jusqu’en 2020 et l’une de ses priorités est l’emploi des jeunes. Ces deux cadres stratégiques devraient donc se renforcer mutuellement. À cet égard, la plus haute institution de la coopération euroméditerranéenne, l’Union pour la Méditerranée (UpM), a proposé au système des Nations unies de prendre en charge le suivi des indicateurs à l’échelle régionale.

En plus de s’attaquer aux problèmes existants dans la Méditerranée, l’Agenda 2030 met aussi l’accent sur certains moyens qui pourraient être appropriés à une région à revenu moyen comme la Méditerranée, ainsi que, par exemple, les garanties financières et les emprunts publics grâce auxquels on espère mobiliser l’investissement privé. Dans les pays arabes de la Méditerranée, de par leur développement relatif, un plus grand poids de l’aide remboursable semble souhaitable et possible, afin de générer des dynamiques durables de financement du développement. Pour l’Europe, cela signifie accroître les opérations, aussi bien multilatérales de ses banques de développement, (Banque européenne d’investissement ou Banque européenne pour la reconstruction et le développement) que bilatérales (banque allemande pour le développement- KfW, Agence française de développement- AFD, etc.). Pour l’Espagne, en particulier, cela devrait servir à clarifier une fois pour toutes si elle y participe avec sa propre banque de développement ou non.

Enfin, la perspective temporelle de l’Agenda (15 ans) est aussi très appropriée, car elle appelle à réfléchir sur les interventions au-delà des réponses urgentes des différentes crises qui éclatent, jour après jour. Il est vrai que des problèmes comme le terrorisme jihadiste exigent une réaction forte et rapide de la part de la communauté internationale et que, logiquement, ils absorbent la majeure partie de l’attention politique et des médias. Mais, si réellement les problèmes à long terme comme le chômage et l’inégalité sont à l’origine de certaines crises, il convient aussi d’agir dans le domaine du développement social et économique.

Les 17 nouveaux objectifs de développement : ni trop, ni tellement nouveaux

Bien que l’élargissement des thèmes et des moyens permette effectivement à la Méditerranée de mieux s’identifier à l’Agenda pour le développement de l’ONU, il convient de rappeler qu’en 1995 déjà, la déclaration de Barcelone avait renforcé la portée de la coopération euroméditerranéenne à des aspects économiques, sociaux, humains et des questions de sécurité commune. Depuis lors, l’aide de l’UE a touché pratiquement tous les domaines que l’Agenda 2030 signale aujourd’hui.

Les statistiques officielles élaborées par l’OCDE montrent que les principaux secteurs destinataires de l’aide européenne en Afrique du Nord ont été les infrastructures de transport (ODD 9) et d’énergie (ODD 7). Le développement productif (ODD 8), l’urbanisme durable (ODD 11) et le changement climatique (ODD 13) qui se hissent au plus haut niveau de l’agenda à partir de 2016, sont déjà des domaines prioritaires pour l’UpM. On peut donc dire que le nouvel Agenda de l’ONU n’apporte pas d’innovations thématiques à l’ancienne coopération euroméditerranéenne.

En outre, l’UE a largement dépassé le domaine thématique de l’Agenda 2030 dans la Méditerranée. Par exemple, dans le cadre de l’éducation, alors que l’ODD 4, éducation de qualité pour tous, a grandement élargi la portée de l’Objectif 2 du millénaire pour le développement sur une scolarisation primaire universelle, il touche à peine le thème des études supérieures qui est aussi une autre priorité de l’UpM.

C’est dans le domaine de la politique et de la sécurité que les contraintes de l’Agenda sont les plus manifestes. Il est vrai que l’ODD 16 sur la justice, la paix et des institutions solides, peut être considéré comme une étape importante dans la coopération internationale, car il sert de cadre global consolidé pour suivre les progrès de chaque pays en matière de gouvernance, mais ses cibles sont bien trop modestes. L’Agenda 2030 laisse de côté la démocratisation parce qu’elle n’est pas un objectif concerté globalement et il ne va donc pas assez loin dans la coopération de l’UE en Méditerranée, surtout après les printemps arabes.

La vision de l’UE sur son rôle de donateur

À cet égard, la vision de l’aide européenne est aujourd’hui très claire. Dans le cadre budgétaire por 2014-2020, l’UE considère que ses actions extérieures ont pour objectif général de s’assurer une position influente et efficace pour promouvoir la démocratie, la paix, la solidarité, la réduction de la pauvreté et la prospérité.

La démocratie n’a pas toujours occupé la première place de l’ordonnancement des objectifs de l’aide européenne. Historiquement, l’UE a préféré avancer dans le reste des domaines de la coopération, en favorisant uniquement quelques aspects de la gouvernance, comme par exemple la réforme de la justice, qui ne remettaient pas en question les différents régimes politiques de ses partenaires arabes (un peu comme ce que fait aujourd’hui l’ODD 16). De cette manière, elle avançait dans le développement économique et social tout en soutenant, d’une façon ou d’une autre, des régimes non démocratiques.

En 2011, suite aux mobilisations prodémocratie qui se sont produites pendant les printemps arabes, l’UE change d’approche. Cette année-là, elle adopte trois décisions qui marqueront sa politique d’aide. Premièrement, accorder une plus grande priorité à la région en accroissant son concours financier. Deuxièmement, conditionner ce soutien au progrès démocratique et au respect de l’État de droit, en établissant des relations à des échelons différents avec chaque pays bénéficiaire, en fonction de ces questions et en fixant des limites à l’approche régionale, qui a été le signe d’identité de la coopération euroméditerranéenne. Troisièmement, renforcer ses liens avec les sociétés civiles des pays partenaires en les soutenant pour la diffusion des valeurs démocratiques et pour le plaidoyer en faveur des réformes.

Récemment, à la suite des attentats de Paris en novembre 2015 et, en général, suite à la montée de la violence dans la zone, l’UE donne un tour de vis supplémentaire à l’approche de son aide et déclare que la stabilité est son premier objectif dans la région, en y intégrant tout son projet d’influence politique, mais aussi des interventions concrètes dans le domaine de la sécurité.

Dans ce contexte, une révision de la politique européenne de voisinage parle de créer des associations pour la défense de ses intérêts, lesquels incluent la promotion de ses valeurs, à l’instar de l’UE, où sa propre stabilité est régie par le principe de la démocratie, les droits de l’homme, l’État de droit et l’ouverture économique. La stabilisation restera la principale priorité de la PEV, pendant son mandat.

En outre, le document accorde une attention nouvelle sur la réforme du secteur de la sécurité qui est, contrairement à d’autres actions en matière de sécurité internationale, un secteur vers lequel convergent les politiques de sécurité et de défense et celles d’aide au développement. Ce genre d’actions consiste à établir ou à rétablir, dans le pays récepteur de l’aide, des institutions de sécurité professionnalisées, efficaces et respectueuses de l’État de droit. Elles concernent aussi bien les armées que les institutions policières, pénitentiaires, les organismes de protection civile et se font généralement avec l’aide d’institutions partenaires des pays donateurs. La Commission européenne a présenté récemment au Conseil et au Parlement son approche pour la réforme du secteur de la sécurité et celle-ci a été endossée par le Conseil.

Par ailleurs, cette approche s’inscrit directement dans le cadre des priorités de la Stratégie globale de l’UE récemment adoptée : premièrement, la sécurité de l’Union (1ère. priorité) et deuxièmement, la résilience des États et des sociétés dans le voisinage oriental et méridional (2ème. priorité).

En quoi va consister l’aide européenne jusqu’en 2030 ?

En définitive, les nouveautés de l’aide européenne pour les prochaines années sont la promotion de régimes politiques idéologiquement proches, c’est-à-dire, des États démocratiques de droit ; le financement de l’activisme démocratique par des liens avec des organisations de la société civile ; et le renforcement de la sécurité. Cette triple recette pourrait être caricaturée comme des alliances politiques, de la propagande idéologique et une aide militaire, et semblerait donc correspondre plutôt à la seconde moitié du XXème siècle qu’à l’Agenda 2030. On a même parlé d’un Plan Marshall pour la Méditerranée et il est vrai que les confrontations idéologiques qui se produisent aujourd’hui dans cette région sont tout aussi importantes que celles qui avaient lieu pendant la guerre froide.

Il convient de signaler que l’application de cette nouvelle approche sera observée et certainement critiquée par des acteurs traditionnels de la coopération pour le développement, organisés en réseaux transnationaux pour faire un suivi et défendre les ODD, leurs cibles et leurs indicateurs. La sécurisation de l’aide, en particulier, est une critique fréquente des ONG des gouvernements donateurs dans les zones d’instabilité.

Cependant, les nouvelles priorités thématiques de l’aide européenne aparaissent avec des ressources financières supplémentaires. Elles ne vont donc pas, en principe, faire concurrence aux anciens objectifs de type socioéconomique, comme ceux de l’Agenda de développement durable. De plus, les changements survenus dans certains pays de la région devraient faire en sorte que les effets de l’aide économique soient mieux répartis et que certains groupes, comme les jeunes ou les femmes, puissent en profiter le plus vite possible. Si on y parvient réellement, au lieu de reculer de plusieurs décennies l’approche de son aide, l’UE pourra peut-être prendre les devants sur l’Agenda 2045 qui pourrait aussi aborder la dimension politique du développement.