Une économie verte pour une Méditerranée durable

Jérémie Fosse

Président d’Eco-union et Directeur de Global Eco Forum

La Méditerranée vit une période de changement qui clame la nécessité d’un développement durable face aux nouveaux défis posés par la mondialisation dont les effets (surpêche, pollution de l’air et des ressources d’eau, entre autres exemples) font de cette zone l’une des plus sensibles et des plus touchées de la planète. Mais, dans ce cadre, la population commence à se rebeller face aux responsables et demande une nouvelle politique environnementale qui mette fin à ce processus qui nous mène vers l’épuisement des ressources. L’Union européenne et la nouvelle composition sociale et économique offrent des options pour une nouvelle gestion de l’eau et des espaces, telles que l’énergie renouvelable ou les villes nommées « vertes ». 


Une région en mutation

La Méditerranée se transforme. Elle l’a toujours fait au cours de son histoire, mais les changements se bousculent maintenant de manière accélérée et paradoxale. La multiplication des échanges matériels entre les pays de la région, l’élévation générale du niveau de vie et l’augmentation de la population provoquent un fort impact environnemental sur des écosystèmes fragiles. Ces tensions externes connectent et amplifient les mouvements de protestations internes qui remettent en question la capacité des élites et du pouvoir en place à répondre à ces nouveaux défis. Dans cette grande confusion des sens et des esprits, la mise en place d’un développement économique qui respecte et mette en valeur un environnement naturel unique est une nécessité pour assurer un développement durable et partagé en Méditerranée.

Une nature en danger

Pour les scientifiques, la Méditerranée est l’une des régions du monde les plus sensibles aux effets du changement climatique[1]. L’augmentation des gaz à effets de serre entraîne déjà un dérèglement du climat avec des périodes de sècheresse et d’inondation plus fréquentes, des incendies plus dévastateurs, une perte irrécupérable de la biodiversité maritime et terrestre. Notre capital naturel, c’est-à-dire l’ensemble de nos ressources environnementales, se dégrade année après année. L’empreinte écologique, qui mesure l’impact de notre mode de production et de consommation, est supérieure de 150 % à la capacité biologique de nos territoires[2]. Nous épuisons nos sols, rivières et mers sans même pouvoir satisfaire les besoins actuels de la population, qui vit souvent de manière précaire et indigne.

Des problèmes locaux à impact global

Malheureusement, notre mode de consommation et de production a des conséquences qui dépassent bien largement les frontières. La surpêche dans les zones côtières empêche les poissons de se reproduire et de maintenir une population pérenne. Les émissions incontrôlées des usines rejettent dans l’atmosphère, les sols ou l’eau des produits toxiques qui s’accumulent et déséquilibrent les écosystèmes naturels. Les déchets des villes et des territoires finissent souvent dans des décharges ou dans la mer. Nous jetons plus de 30 % de la production alimentaire globale[3]. Les embouteillages journaliers réduisent la productivité économique et l’espérance de vie. Les sols, saturés en pesticides et spécialisés dans la monoculture, s’épuisent chaque jour un peu plus. Bien loin d’être isolés, ces phénomènes se connectent et se renforcent entre eux, au risque de dépasser des seuils critiques sans retour en arrière possible.

La population civile, victime de la mauvaise gestion publique, commence à se rebeller et pousse les gouvernements à réagir.

La Jordanie, Israël et la Palestine, qui partagent des ressources hydriques extrêmement faibles et fragiles, subissent régulièrement des pics de pollution qui empêchent la consommation d’eau potable. La surpêche en Espagne entraîne une réduction des captures au Maroc, et vice-versa. L’extraction et la transformation de minéraux ou ressources énergétiques créent une richesse immédiate, souvent au détriment des communautés locales et des générations futures.

Une révolution en marche

Cependant, la population civile, victime de la mauvaise gestion publique, commence à se rebeller et pousse les gouvernements à réagir. Sous la pression des mouvements associatifs, la Tunisie a inscrit dans sa nouvelle constitution la protection de l’environnement et des ressources naturelles. L’Espagne se révolte contre la bétonisation de son littoral avec de nombreux procès contre des élus locaux corrompus. À Istanbul, les citoyens se manifestent sans relâche et sans peur pour protéger leurs derniers îlots urbains de nature. En Égypte, des quartiers s’organisent pour ramasser et valoriser les déchets urbains. L’Italie vient récemment de décider de ne plus construire de centrales nucléaires. Les plateformes de consommation collaborative, partage de voitures ou achats directs chez les paysans deviennent courants en France. Ces initiatives citoyennes se multiplient dans les pays méditerranéens et entraînent une réaction – tardive – des gouvernements avec des politiques publiques plus ambitieuses.

Une économie verte et bleue

Protéger la nature n’est pas un coût. C’est un investissement indispensable pour le futur. Maintenir la biodiversité de notre écosystème commun nous assure que nous pourrons continuer à en vivre demain dans un climat de confiance et d’espérance. Pour être des pôles d’attractivité et d’influence, nos villes doivent être plus économes en eau et en énergie, plus vertes et plus saines aussi. Elles auront l’obligation de récupérer les déchets réutilisables, promouvoir la mobilité douce et protéger les commerces locaux. Afin d’être plus compétitive, notre industrie devra être capable de rationaliser l’utilisation des matières premières, recycler ses résidus pour créer de nouveaux produits et investir dans le capital humain. Nos administrations, quant à elles, auront la responsabilité de mettre en place une fiscalité verte, promouvoir une démocratie plus participative et transparente et s’assurer de l’intégration des jeunes et des femmes dans l’économie et la politique.

Un défi et une opportunité

Un partage juste et rationnel de nos ressources naturelles contribuera à souder nos communautés. Bien au contraire, un épuisement des richesses écologiques renforcera les conflits existants. La mise en place d’un nouveau modèle économique qui respecte et mette en valeur notre patrimoine naturel collectif est donc la seule voie durable pour un développement harmonieux, inclusif et durable. Cette économie verte, parfois appelée bleue en Méditerranée, attire déjà de nombreux pays de la région[4]. Des programmes se mettent en place, pilotés par des institutions internationales, comme l’ONU, l’Organisation de Coopération et de Développement économiques (OCDE) ou l’Union européenne. Il faut cependant accélérer leur déploiement en impliquant les différents acteurs locaux, publics et privés, seuls à même de mettre en œuvre cette transition écologique et économique.

Une union politique

L’Europe a su construire une alliance supranationale des régions et des nations. Malgré ses faiblesses, elle reste un exemple unique d’une communauté de citoyens qui partagent une vision, une économie et une culture commune. En surmontant les traumatismes de deux guerres mondiales, cette union industrielle et monétaire a permis un développement inclusif au cours des dernières décennies, même si nous arrivons à un pic de croissance, logique, et peut-être souhaitable afin de limiter l’épuisement des ressources naturelles.

La mise en place d’un nouveau modèle économique qui respecte et mette en valeur notre patrimoine naturel collectif est la seule voie durable pour un développement harmonieux

La Méditerranée a tous les atouts pour devenir ainsi un espace d’échange et de partage, de coconstruction et d’innovation. L’économie verte est déjà en marche. Le Maroc et la Jordanie ont déjà défini une stratégie nationale de croissance verte. La France et l’Italie préparent une transition écologique vers des énergies vertes. La Turquie et le Liban ont lancé des programmes de création d’entreprises vertes et éco-innovantes.

Un chemin long et complexe

N’espérons pas de résultats immédiats. Ces processus de transformation radicale sont difficiles et incertains. Pour espérer réussir, ce développement vert et inclusif devra s’appuyer sur une union politique forte avec des moyens efficaces et une gouvernance commune exemplaire. Au niveau local, la société civile (ONG, entreprises, éducateurs…) permettra la mise en place sur le terrain de cette transition écologique. En utilisant de façon intelligente les réseaux sociaux et les nouvelles technologies, les initiatives citoyennes rendront possible cette prospérité commune et durable. Nous sommes au début d’une révolution disruptive et nécessaire. N’attendons plus et soyons tous acteurs du changement!

Notes

[1]Climate Change, IPCC, 2013-14.

[2]Mediterranean Ecological Footprint Trends, Global Footprint Network, 2012.

[3]Global food losses and food waste, FAO, 2011.

[4]Green Economy, Arab Forum for Environment and Development, 2011.