Transport et logistique en Méditerranée du Sud, sur la voie de la compétitivité pour rejoindre les économies émergentes

Younes Tazi

Directeur général de l’Agence marocaine de Développement de la Logistique

La région sud-méditerranéenne a été probablement l’une des régions les plus dynamiques au monde durant les deux dernières décennies sur le plan du développement quasi général des systèmes de transport. Ce développement a principalement émané de la conscience individuelle des pays du Sud de l’importance des transports pour développer leurs économies et améliorer la qualité de vie de leurs citoyens, mais a bénéficié, dans une certaine mesure, de l’impulsion donnée par la coopération Euromed, très intensive dans le secteur des transports en particulier. Mais les avancées réalisées suffisent-elles pour permettre aux pays sud-méditerranéens d’envisager sérieusement de rejoindre de sitôt le club assez convoité des économies émergentes ? 


Transports performants, priorité sud-méditerranéenne

Depuis l’ère des premières civilisations, la Méditerranée a été un espace d’échange et de métissage. Les systèmes de transport ont toujours joué un rôle primordial pour le développement de ces civilisations et pour leur rayonnement au-delà de leurs propres territoires. Qu’il s’agisse de conquêtes militaires ou commerciales, les nations ayant marqué l’histoire de la région (Grecs, Romains, Phéniciens, Ottomans,…) ont notamment pu compter sur un avantage compétitif de taille, un système de transport plus évolué. Plusieurs siècles après l’épopée des Phéniciens en terre d’Afrique du Nord, les systèmes de transport continuent à être le nerf de la guerre concurrentielle que connaît cette région, mais deviennent également un facteur déterminant d’intégration sud-sud et nord-sud et un élément vital pour l’accès à de nouveaux marchés.

La région sud-méditerranéenne a été probablement l’une des régions les plus dynamiques au monde durant les deux dernières décennies sur le plan du développement quasi général des systèmes de transport. Ce développement a principalement émané de la conscience individuelle des pays du Sud de l’importance des transports pour développer leurs économies et améliorer la qualité de vie de leurs citoyens mais a bénéficié dans une certaine mesure de l’impulsion donnée par la coopération Euromed, très intensive dans le secteur des transports en particulier. Mais les avancées réalisées suffisent-elles pour permettre aux pays sud-méditerranéens d’envisager sérieusement de rejoindre de sitôt le club assez convoité des économies émergentes ? 

Infrastructures de transport : des avancées certaines, mais l’effort intensif doit se maintenir dans le temps

La majorité des pays sud-méditerranéens se sont attelés, durant les deux dernières décennies, à développer significativement leurs réseaux de transport. Dans le secteur autoroutier par exemple, et bien que des premiers projets aient été déjà réalisés durant les années 1980, les réseaux autoroutiers modernes n’ont connu leur réel essor que depuis une quinzaine d’années. Le secteur portuaire a également connu des changements majeurs au cours des dix dernières années. Des investissements conséquents ont été mis en œuvre pour l’ensemble des pays.

L’expérience du Maroc avec le complexe portuaire Tanger-Med, mis en service en 2007 et ayant dépassé en 2014 le seuil des 3 millions de conteneurs EVP (équivalent vingt pieds), est un exemple intéressant du volontarisme des pays du Sud et de leur capacité à conduire des ruptures positives de cette taille et de se repositionner sur la carte des échanges mondiaux. 

Selon le rapport d’évaluation du Plan d’action régional des transports (PART) pour la période 2007-2013, établi à l’occasion de la 2e Conférence ministérielle sur le transport tenue à Bruxelles en novembre 2013, ce projet pourrait « constituer un exemple pour la région car son positionnement stratégique, ses capacités actuelles et futures, son ouverture sur le partenariat public-privé et son mode d’exploitation ont suivi l’approche définie par le PART dans le secteur portuaire ». Cette expérience est appelée à se reproduire dans la région avec plusieurs initiatives en cours dont celle de la Tunisie qui est en train de promouvoir un projet comparable à l’aéroport de la ville d’Enfidha. Dans le secteur aéroportuaire, hormis des investissements d’un niveau intéressant visant à accompagner le développement du tourisme et la mobilité des communautés vivant en Europe, la région a connu la concession de plusieurs aéroports au secteur privé, avec des expériences très intéressantes en Tunisie et en Jordanie, ce qui permettra d’introduire plus d’efficacité dans la gestion des aéroports et un meilleur service rendu aux usagers.

Le secteur ferroviaire a connu un certain renouveau avec des projets de modernisation et d’extension du réseau et le lancement du premier projet de train à grande vitesse au Sud de la Méditerranée, avec le projet devant relier Tanger-Casablanca au Maroc.

Ces investissements constituent des acquis très importants. Toutefois, les difficultés budgétaires rencontrées par les pays du Sud et les changements politiques intervenus au lendemain du printemps arabe peuvent conduire à une baisse du rythme imprégné depuis les années 2000. Cela représente un risque important sur la croissance de ces pays dont l’investissement public est l’un des principaux moteurs. Pour faire en sorte que les retombées de tels projets soient irréversibles et entraînent la dynamique vertueuse recherchée pour rejoindre les pays émergents, il est vital pour les pays du Sud de maintenir le cap en intensifiant d’avantage le développement des réseaux de transport et en maintenant l’effort dans le temps. 

Les pays ayant réussi leur mutation économique après la deuxième guerre mondiale (Corée du Sud, Espagne, Mexique, Turquie,…) l’ont fait au prix d’investissements consistants et continus sur une durée de près d’une trentaine d’années.

Des réformes clairement volontaristes, avec des retombées concrètes mais des lacunes persistantes pour la mobilité urbaine

L’effort de réforme et de libéralisation des secteurs du transport a été quasi général dans la région. Qu’il s’agisse du secteur portuaire, qui a connu ou est en train de connaître des réformes profondes dans plusieurs pays, notamment le Maroc, la Jordanie et l’Égypte, du secteur maritime, du transport routier de marchandises, ou encore du transport aérien, la tendance générale est à la modernisation des modes de gouvernance de ces secteurs et à un rapprochement progressif vers les pratiques européennes.

La conclusion d’accords euro-méditerranéens de ciel ouvert avec l’Europe, déjà effective pour le Maroc, la Jordanie et Israël, et planifiée notamment avec le Liban et la Tunisie, illustre cette tendance et montre à quel point les politiques de libéralisation peuvent générer des retombées significatives. Au Maroc par exemple, l’évaluation des impacts de l’open sky avec l’Europe montre un gain de près de 0,5 % de croissance additionnelle annuelle du PIB et une évolution sans précédent du trafic aérien, le nombre de pax internationaux ayant progressé de 5 à près de 14 millions entre 2003 et 2011. Ces réformes se sont accompagnées d’un effort important de convergence réglementaire vers l’acquis européen, notamment pour les pays mettant en œuvre des plans d’actions spécifiques dans le cadre de la politique européenne de voisinage.

En revanche, le développement croissant des cités sud-méditerranéennes n’a cessé de se faire à un rythme tellement important que les systèmes de transport collectifs, incapables d’anticiper de telles évolutions, ne sont pas en général aujourd’hui à la hauteur des attentes des citoyens. La mise en place de plans de déplacements urbains et de moyens de transport urbain de masse n’est qu’une tendance récente (métros, tramways,…) et leur mise en œuvre peine à satisfaire les besoins latents des villes.

Un énorme effort d’intégration régionale, tout juste correctement appuyé par l’Europe mais pas suffisamment !

Depuis le lancement du processus de Barcelone, et plus particulièrement ces dix dernières années, la coopération euro-méditerranéenne dans le secteur des transports a connu des avancées significatives. En termes de développement des infrastructures de transport et de leur interconnexion, décembre 2005 a connu la présentation des axes retenus pour l’extension du réseau trans-européen de transport vers le sud lors de la première conférence ministérielle euro-méditerranéenne sur les transports de Marrakech. Depuis, un groupe de travail dédié aux infrastructures, capitalisant sur les travaux du groupe de haut niveau présidé par Loyola de Palacio, et érigé dans le cadre des travaux du Forum euromed des transports, a permis de définir un réseau trans-méditerranéen des transports (RTM-T) qui constituera un cadre de planification commun à la région, assurant la cohérence d’ensemble.

La définition de ce RTM-T s’inspire évidemment de l’expérience européenne pour l’établissement du RTE-T, mais profite également de l’acquis réalisé au sein du groupe des ministres des transports de la Méditerranée occidentale (GTMO 5+5). En matière de mise à niveau du secteur des transports et de rapprochement réglementaire, la région Méditerranée a connu la définition d’un plan d’action commun à travers le Plan d’action régional des transports (PART) adopté à Lisbonne en décembre 2007. De nombreux projets et groupes de travail sectoriels euromed (notamment Euromed Aviation, GNSS, Safemed et Autoroutes de la Mer) se sont attelés à avancer pour la concrétisation des objectifs et des actions prévues par le PART. Le rapport d’évaluation susvisé du PART a relevé une mise en œuvre satisfaisante de la majorité des actions prévues dans sa définition, avec des niveaux de réalisations différenciés selon les pays.

Plus important encore, à travers les travaux du Forum euromed des transports, un réseau d’experts en transports euro-méditerranéens s’est durablement constitué, ce qui a permis à la région d’être l’une des plus avancées en termes de planification commune et de concertation sur les politiques de transport. 

L’Union Européenne a correctement appuyé les programmes de développement des infrastructures et de mise à niveau du secteur des transports, que ce soit à travers l’intervention massive de la Banque européenne d’investissement, celle-ci étant par exemple le premier bâilleur de fonds du réseau autoroutier marocain, ou à travers différents fonds européens. Toutefois, en comparaison avec les aides très importantes accordées aux pays de l’Est en phase pré-adhésion, ces aides restent assez limitées, notamment leur composante dons destinés aux projets d’infrastructures. 

Les moyens financiers de l’Union Européenne consacrés à la Méditerranée restent très limités par rapport à ceux accordés à d’autres régions et sont de nature à creuser les écarts infrastructurels entre les deux rives. En effet, l’aide de l’Union Européenne accordée aux pays du Sud de la Méditerranée ne dépassait pas en 2010 les 5 euros/hab./an, alors que pour les pays de l’Est de l’Europe, elle était de l’ordre de 50 euros/hab./an jusqu’à 2007 et de l’ordre de 400 euros/hab./an depuis cette date jusqu’à l’adhésion de ces pays à l’Union Européenne.

Depuis le printemps arabe, plusieurs initiatives ont été lancées pour pallier le manque de volontarisme de l’Europe pour la Méditerranée, notamment sous l’impulsion de l’Union pour la Méditerranée. Toutefois, ces moyens restent très loin du niveau nécessaire pour accompagner les pays du Sud à donner corps rapidement au RTM-T. 

L’Europe peut et se doit de dégager les moyens financiers d’une politique méditerranéenne franchement volontariste. L’approche et les moyens mis en œuvre pour le développement du RTE-T ont montré leur efficacité. C’est la raison pour laquelle il est nécessaire de réitérer l’appel des pays du GTMO 5+5 à la Commission européenne en vue d’établir un programme, y compris son financement, pour développer le réseau transméditerranéen des transports, similaire au programme existant pour le réseau transeuropéen des transports. Un tel appel constitue une demande pertinente qui mérite, de la part des partenaires européens, toute l’attention requise. 

Les prémices du développement d’une logistique compétitive

En los países del sur del Mediterráneo la logística moderna ha tenido una existencia bastante limitada hasta principios del siglo XXI. Gracias al considerable desarrollo de las infraestructuras del transporte, se ha podido plantear un desarrollo proactivo de este sector con el fin de aprovechar plenamente las infraestructuras así realizadas y, sobre todo, responder a las exigencias de rendimiento y competitividad de los sectores económicos.

La necesidad de atraer inversiones extranjeras directas y las exigencias de los potenciales inversores también han contribuido a la actual concienciación de los países del sur respecto a la adopción de estrategias proactivas de desarrollo de la competitividad logística.

Con variaciones según los países, se han llevado a cabo proyectos más o menos integrados que comprenden el desarrollo de infraestructuras logísticas modernas (depósitos de clase A o B), la aplicación de medidas de optimización de los costes logísticos en el ámbito internacional, sobre todo en materia de trade facilitation en las operaciones logísticas fronterizas, y la creación de estructuras dedicadas a dicha cuestión. Marruecos es, sin duda, el país que ha adoptado, a partir de 2010, la estrategia más global y proactiva del sector. Enfocada como una asociación público-privada, la estrategia logística de Marruecos incluye:

  • un ambicioso plan de zonas logísticas de unas 3.300 ha a largo plazo
  • la puesta en marcha de planes de acciones contractuales y sectoriales para la optimización de la logística y el desarrollo de los operadores logísticos de determinados sectores económicos clave
  • la adopción de un plan nacional de formación para los empleados dedicados a actividades logísticas
  • la creación de instancias específicas de gobierno (Agencia Marroquí de Desarrollo de la Logística y Observatorio Marroquí de Competitividad Logística)

La experiencia marroquí se observa hoy con atención desde ambas orillas del Mediterráneo. Túnez, que anunció una estrategia parecida, también está creando una agencia dedicada al desarrollo de la logística.

Una evolución de la competitividad logística comprobada en la región desde 2007

Jusqu’au début des années 2000, la logistique moderne connaissait une existence assez limitée au niveau des pays du Sud de la Méditerranée. Le développement significatif des infrastructures des transports a permis d’envisager un développement volontariste de ce secteur en vue de tirer pleinement profit des infrastructures ainsi réalisées et, surtout, de répondre aux exigences de performance et de compétitivité des secteurs économiques.

L’attrait des investissements directs étrangers et les exigences des investisseurs potentiels ont également contribué à la conscience actuelle des pays du Sud pour adopter des stratégies volontaristes de développement de la compétitivité logistique.

Selon les pays, des projets plus ou moins intégrés comprenant le développement d’infrastructures logistiques modernes (entrepôts de classe A ou B), la mise en place de mesures d’optimisation des coûts logistiques à l’international, notamment en matière de trade facilitation dans les opérations logistiques frontalières, ou encore la mise en place de structures dédiées à la question. Le Maroc est sans aucun doute le pays qui a adopté, dès 2010, la stratégie la plus globale et la plus volontariste dans le domaine. Avec une approche partenariale public-privé, la stratégie logistique marocaine comprend :

  • un plan ambitieux de zones logistiques sur près 3 300 ha à long terme ;
  • la mise en place de plans d’actions contractuels sectoriels d’optimisation de la logistique et de développement des opérateurs logistiques de certains secteurs économiques clés ;
  • l’engagement d’un plan national de formation dans les métiers de la logistique ; 
  • la création d’instances de gouvernance dédiées (Agence marocaine de Développement de la Logistique et Observatoire marocain de la Compétitivité logistique). 

L’expérience marocaine est aujourd’hui suivie avec attention des deux côtés de la Méditerranée. La Tunisie, qui a annoncé une stratégie comparable, est également en voie de création d’une agence dédiée au développement de la logistique. 

Une évolution constatée de la compétitivité logistique dans la région depuis 2007

En vue d’évaluer l’évolution globale du système logistique d’un pays et de la comparer à d’autres, il existe un indice intéressant publié par la Banque mondiale depuis 2007 et établissant le classement de près de 166 pays selon l’indice de performance logistique établi sur la base de questionnaires renseignés par près de 1 000 opérateurs logistiques internationaux opérant dans une centaine de pays. La performance logistique d’un pays est ainsi évaluée dans les six domaines clés suivants :

  • douanes : efficacité des services de douanes et de contrôle aux frontières ;
  • infrastructures : qualité des infrastructures de communication, de transport et installations de stockage et chargement/déchargement ;
  • transport à l’international : disponibilité et coût du transport à l’international ;
  • qualité et compétence logistiques : disponibilité et qualité des services des prestataires logistiques et leur compétence ;
  • traçabilité et suivi : capacité à retracer en temps réel les flux de marchandises ;
  • ponctualité : taux de respect des délais.

Selon ce classement, les performances sur la période 2007-2014 des pays méditerranéens peuvent être classées en trois catégories :

  • Situations assez stables de deux pays déjà assez matures sur le plan logistique, la Turquie (30e mondial, +4 places depuis 2007) et Israël (36e mondial, -3 places depuis 2007),
  • Évolutions assez notables des pays à niveau intermédiaire en logistique soit en gain de positions comme c’est le cas du Maroc (62e mondial, +32 places depuis 2007), l’Égypte (63e mondial, +34 places depuis 2007), le Liban (77e mondial, +21 places depuis 2007) soit en pertes de positions avec la Jordanie (73e mondial, -21 places depuis 2007) et la Tunisie (74e mondial, -14 places depuis 2007),
  • Évolutions contrastées pour des pays ou la performance logistique semble être, selon ce classement, loin des pays de la région avec la Syrie (148e mondial, -13 places depuis 2007) et l’Algérie (111e mondial, +29 places depuis 2007).

Bien que ce classement reste perfectible, comme tous les classements internationaux d’ailleurs, il a le double mérite de couvrir d’abord plusieurs facettes de la compétitivité logistique d’un pays et surtout d’être alimenté par l’input des opérateurs sans possibilité d’intervention des États par des statistiques officielles.

Transformer l’émergence logistique en émergence économique

La Méditerranée du Sud est à coup sûr un territoire logistique émergent. De par sa forte dynamique économique, des réformes structurelles qu’elle opère et de sa position aux portes d’un Eldorado économique encore inexploité qui s’appelle l’Afrique, territoire où selon plusieurs études se jouera l’avenir des grandes puissances économiques et de leurs « éclaireurs » habituels en temps de conquêtes commerciales, les grands opérateurs logistiques. En vue de transformer cette émergence logistique en réelle émergence économique, les pays sud-méditerranéens se doivent de cibler leur action dans des cadres économiques cohérents maximisant la convergence des stratégies sectorielles (infrastructures, investissements induits dans les secteurs économiques à forte valeur ajoutée) à travers des projets intégrés et volontaristes. L’implication constructive des opérateurs économiques et des acteurs locaux est une condition-clé de succès. L’intérêt général doit dans tous les cas primer sur l’intérêt personnel, corporatif ou partisan. Les voisins du Nord doivent également croire réellement en ce gisement de croissance et parier juste cette fois sur cette émergence inévitable en investissant au Sud en vrais partenaires, pour éviter qu’un nouveau printemps, économique cette fois, ne vienne les surprendre. Car la question n’est pas de savoir s’il y aura un printemps économique au Sud de la Méditerranée, la seule question c’est de prévoir quand il débutera.