Co-édition avec Estudios de Política Exterior
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Salafismo. La mundanidad de la pureza

Moussa Bourekba
Chercheur principal au CIDOB. Barcelone
Salafismo. La mundanidad de la pureza
Luz Gómez García. Catarata.
Madrid, 2021. 286 p.

 À travers un bilan historique et une analyse des sources islamiques primaires (le Coran et les hadiths), Luz Gómez remet en question le concept de salaf (prédécesseurs) pour ceux qui se réclament du courant salafiste. Non seulement ce concept n’apparaît pas en tant que tel dans le Coran, mais le concept lui-même a fait l’objet d’une appropriation par les salafistes pour différencier les vrais adeptes de la sunna, des autres. Si ce courant prétend être la seule voie authentique pour être un vrai musulman, il s’agit néanmoins d’une construction doctrinale, façonnée par diverses autorités salafistes au fil des siècles, dont le double objectif est la « purification du passé et la purification du présent ». Ainsi, les salafistes ont créé leurs propres méthodes de sélection et d’interprétation des hadiths, leurs propres autorités et leur propre langue : en d’autres termes, ils ont créé leur propre univers.

Dans cette perspective, l’auteure rappelle la pléthore de défis que différentes figures marquantes du salafisme et du wahhabisme ont dû relever, tels que le rationalisme éclairé, la fin du califat en 1924, la lutte anticoloniale, ou l’émergence de questions liées au mode de gouvernance parfaitement islamique ou à la relation entre le civil et le religieux. Dans un contexte marqué par une multitude de mutations culturelles, économiques, politiques et sociales, le salafisme a cherché à promouvoir une idéologie modèle, un dogme selon lequel le salaf est « statique, immuable, indifférent au contexte et aux besoins ». Cependant, cette affirmation n’est rien d’autre qu’une construction textuelle mondaine, c’est-à-dire le fruit de circonstances, d’époques, de lieux et de sociétés particuliers. Luz Gómez détaille les contextes dans lesquels les significations des textes qui servent de référence aux salafistes ont été transmises. Ce processus de construction doctrinale a été complété par une série de pratiques allant de la création de confréries pour maintenir l’authenticité dont ces communautés se réclament, à divers rituels, formes de socialisation et même manières de s’habiller et de parler arabe.

S’il est vrai que l’on a donné au salafisme des piliers solides pour l’unifier et le distinguer des autres courants, il serait faux de le considérer comme un bloc monolithique. En ce sens, l’auteure expose le plus grand dilemme auquel le salafisme a été confronté au XXème siècle : se limiter à une position exclusivement piétiste ou être détourné et in fine absorbé par le wahhabisme, un courant qui s’est développé au XVIIIème siècle en Arabie saoudite et en Inde et qui a beaucoup de points communs avec le salafisme. Dans son analyse de la relation entre les deux courants tout au long du XXème siècle, Luz Gómez se concentre sur les différences entre un salafisme en pleine réarticulation dans une ère mondialisée et transnationale et le wahhabisme marqué par l’empreinte nationale saoudienne. Elle souligne comment la politique hégémonique du royaume saoudien a permis le détournement du salafisme. Dans ce contexte, la fin du XXème siècle, marquée par la fin de la guerre froide et la deuxième guerre du Golfe, a constitué un moment clé pour l’évolution du salafisme.

De fait, la deuxième partie du livre se concentre sur les multiples mutations du salafisme. Suivant la classification de Wiktorowicz, qui distingue le salafisme quiétiste/ piétiste, politique et djihadiste, la professeure examine l’évolution du salafisme contemporain à travers les débats clés qui ont marqué l’univers salafiste. Elle aborde tout d’abord les tensions entre une multitude de salafismes nationaux (voire nationalistes) qui ont émergé dans le contexte de la lutte anticoloniale et le développement d’un salafisme transnational porté par le royaume saoudien. Ce dernier, dont l’expansion est notable dans la seconde moitié du XXème siècle, met l’accent sur les pratiques sociales, les rituels religieux, la vie communautaire et le prosélytisme (dawa) au détriment de questions fondamentales telles que la participation politique. Cela explique pourquoi divers régimes autoritaires arabes ont tenté de domestiquer le salafisme : en tant qu’outil de contrôle social, le salafisme permet de tenir à l’écart des acteurs potentiellement dangereux, afin de préserver ces régimes ou même de l’utiliser, comme ce fut le cas au Maroc ou en Égypte, pour contrer l’influence des Frères musulmans. La montée du madkhalisme, courant apolitique lorsqu’il s’agit du régime saoudien et politique lorsqu’il s’agit d’interventionnisme à l’extérieur du pays (par exemple, en Libye), en est la meilleure démonstration. Pour paraphraser Luz Gómez, ce segment des salafistes a fini par faire de la politique, d’une manière prétendument apolitique.

Toutefois, la question de la participation politique s’est posée avec acuité à la fin du XXème siècle et au début du XXIème siècle. La guerre du Golfe, au cours de laquelle s’est posée la question de savoir comment traiter l’ennemi (les États-Unis) lorsque celui-ci se trouve chez soi (l’Arabie saoudite), a joué un rôle crucial à cet égard. Il est utile de garder ce contexte à l’esprit pour comprendre le développement de la branche djihadiste au sein du courant salafiste. Sur le plan théorique, l’analyse historique de l’auteure nous permet de tracer une certaine continuité entre le djihadisme actuel et l’émergence du salafisme djihadiste en Algérie dans la dernière décennie du siècle dernier. Les djihadistes ont pu développer leur corpus doctrinal grâce à deux importantes manoeuvres intellectuelles : d’une part, ils ont réussi à transformer une série d’indications contextuelles et spécifiques présentes dans les sources primaires (par exemple, l’alliance exclusive entre les musulmans) en une obligation morale collective et, d’autre part, ils ont étendu l’utilisation du takfirisme (ou anathématisation) afin de discréditer tout individu ou gouvernement qui ne suive pas leur vision du monde et de justifier le recours à la violence à leur encontre.

Enfin, la conclusion propose une réflexion sur le présent et l’avenir possible du salafisme. Selon Luz Gómez, les salafistes ont gagné la bataille de l’identité islamique. Elle explore comment les salafistes ont fait du caractère civil de l’État un enjeu national, souligne leur capacité à se réapproprier l’espace public et, surtout, soutient que ce courant a réussi à autonomiser l’individu salafiste de telle sorte qu’il devient un expert religieux « responsable de ce qu’il lit et de la manière dont il le lit ».

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