Quelles perspectives pour un tourisme durable en Méditerranée après la crise du Covid-19 ?

2 septembre 2022 | Focus | Anglais

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slideshow image Eric Vandeville/ABACAPRESS.COM

De l’ « overtourism » au « no-tourism »

Le terme « surtourisme » a fait une entrée impressionnante dans la littérature des études en tourisme (tourism studies), notamment à partir du milieu des années 2010. L’été 2017 a sans doute marqué les esprits, du fait d’un grand nombre de manifestations anti-tourisme qui ont éclaté dans plusieurs destinations, notamment méditerranéennes, telles que Barcelone ou les Baléares en Espagne, Florence ou Rome en Italie, ou encore Hvar ou Dubrovnik sur la côte adriatique. On n’avait pas vu dans le passé des manifestations aussi violentes, massives et généralisées. Des slogans tels que « Tourist you are the terrorist », tagués sur les murs de Barcelone et dans d’autres villes espagnoles, font état d’une nouvelle attitude des locaux vis-à-vis des touristes, qualifiée de « tourismophobie » (Arrado-Timón, Hidalgo-Giralt, 2019).

La recherche sur Google Trends depuis 2016 montre l’évolution du nombre de recherches en ligne sur le mot d’entrée « overtourism » et l’émergence soudaine du terme en 2017. La répartition géographique des recherches montre que sur les dix premiers pays classés pour le nombre de recherches, six se trouvent sur le continent européen et que beaucoup sont méditerranéens.


Figure 1. Google Trends 2016-2017. Augmentation des recherches à partir de 2017, témoignant de l’intérêt des médias pour ce concept.

Selon Koeans, Postma et Papp (2018), les principales caractéristiques du surtourisme sont : la congestion des espaces publics ; l’omniprésence de l’impact des visiteurs, en raison notamment de comportements inappropriés ; la touristification physique des centres-villes et d’autres zones très visitées ; le déplacement des résidents de leurs logements en raison d’Airbnb et d’autres plateformes de location en ligne ; et des pressions sur l’environnement local.

Le surtourisme est devenu un enjeu politique dans certaines villes méditerranéennes comme Barcelone, où le tourisme a joué un rôle important dans les campagnes électorales locales. Il convient ici de rappeler que le surtourisme n’est pas un concept scientifique ; il s’agit davantage d’un terme « valise », hautement subjectif, dépendant des personnes qui parlent (résidents locaux, hôtes, propriétaires d’entreprises ou touristes eux-mêmes), de leurs intérêts, notamment économiques, et de leur relation professionnelle, mais aussi culturelle, avec le tourisme.

De façon générale, le concept de « surtourisme » peut être saisi selon les réactions qu’il provoque au niveau des sociétés locales : une réaction au phénomène de gentrification touristique (Gravari-Barbas, Guinand, 2017) et au déplacement des populations locales dû à l’augmentation des loyers ; une réaction au trafic, à la pollution ou à l’environnement menacé ; ou une réaction à la détérioration du patrimoine, du cadre de vie et de l’environnement.

L’augmentation globale du tourisme

Le surtourisme est causé par une série de facteurs cumulatifs et complexes, qui entraînent une chaîne complexe d’impacts et de défis pour la population locale, les autorités, les décideurs politiques et les autres parties prenantes.


Figure 2. Les transports publics à Lisbonne sont une attraction touristique, qui provoque des foules et des difficultés de mobilité urbaine pour les habitants.

Source: Twitter

Les situations surtouristiques dont souffrent certains territoires sont à mettre en relation avec une augmentation générale du nombre des touristes. Celle-ci est dû à un accroissement sans précédent des mobilités, dû en grande partie à l’internationalisation des voyages en provenance de nouveaux pays émetteurs de tourisme. Le développement du marché chinois est parlant : entre 2000 et 2017, le nombre de voyages à l’étranger effectués par les résidents chinois est passé de 10,5 à 145 millions. Des modèles de croissance similaires peuvent être observés pour les clientèles indiennes. Par ailleurs, et contrairement aux voyages des Européens en Europe, lorsque les voyageurs en provenance des marchés émergents visitent l’Europe, y compris le pourtour de la méditerranée, ils ont tendance à concentrer leurs voyages sur des courtes durées et vers les destinations patrimoniales les plus iconiques, contribuant ainsi à la congestion des lieux.


Figure 3. Nombre des touristes chinois internationaux (en millions), 2000-2018.

Source : China Outbound Tourism Research Institute (COTRI).

L’évolution des pratiques de voyage et de transport

L’essor des plateformes collaboratives telles qu’Airbnb, proposant des hébergements touristiques de courte durée, a été identifié par les chercheurs comme une perturbation majeure impactant notamment les destinations urbaines. En très peu de temps, des milliers d’hébergements ont été mis à disposition des touristes dans des quartiers déjà touristiquement saturés, sans être soumis à aucune forme de planification, de permis ou, jusqu’à récemment, de taxes. L’augmentation rapide des locations touristiques a eu un impact sur les loyers locaux et, dans certains cas, a contribué à chasser les habitants locaux de leurs lieux d’habitation.

La disponibilité de vols low cost a également contribué au surtourisme européen, et plus particulièrement méditerranéen (Cirer-Costa, 2017). Entre 2007 et 2016, les vols low cost ont augmenté de 61 % en Europe, alors que les vols réguliers traditionnels ont diminué de 10 %.

L’évolution du comportement des touristes : une nouvelle génération de touristes

La durée moyenne de séjour a diminué dans la plupart des pays du monde, jusqu’à 15 % en moyenne sur la période 1995-2015. Lorsque les touristes effectuent des visites de plus courte durée, ils sont plus susceptibles de se concentrer sur les attractions et sites patrimoniaux les plus emblématiques, ce qui entraîne une concentration des flux touristiques dans le temps et l’espace.

Les milléniaux voyagent en grand nombre, consacrent une part importante de leurs revenus aux voyages et voyagent différemment des générations précédentes, privilégiant les expériences aux biens matériels. Ils utilisent les médias sociaux et la technologie, et fréquentent les vols à bas prix et les plateformes collaboratives proposant un hébergement, des transports locaux et d’autres services qui contribuent au surtourisme.

Une faible gouvernance et une réglementation touristique locale défaillante

C’est sans doute cette raison qui explique le mieux les dysfonctionnements du surtourisme. Pendant longtemps, les décideurs locaux ont adopté une logique de « laisser-faire » et ont déployé des actions réactives, plutôt que préventives ou proactives. Les indicateurs qui ont été utilisés pour mesurer le succès du tourisme ont été surtout des critères économiques. Les critères sociaux, culturels ou environnementaux font rarement partie de l’équation.

Pour cet ensemble de raisons, le surtourisme est identifié par les habitants locaux comme un problème majeur dans la plupart des destinations méditerranéennes. Or, le COVID-19 a totalement bouleversé cet état des choses. Du jour au lendemain, les destinations surfréquentées se sont retrouvées sans aucun touriste. Dans ce contexte, la question qui se pose est celle de l’après-COVID-19 et de la façon dont le tourisme devrait être organisé sur les territoires. La crise est-elle une opportunité pour marquer une pause et pour se poser la question du tourisme et de l’hospitalité avec une nouvelle approche ?

Figure 4. Les arrivées de touristes internationaux ont diminué d’environ 1 milliard, soit 74 %, entre janvier et décembre 2020.

Source : CNUCED base sur OMT.

Un tourisme « différent » après le COVID 19 est-il possible ? Plusieurs acteurs du tourisme ont profité de l’arrêt imposé par la crise du COVID-19 pour réfléchir de manière critique sur le tourisme et sur son avenir. Comment imaginer de nouveaux modèles touristiques qui rompent avec le surtourisme ? Comment éviter de retomber immédiatement après la crise dans le « business as usual » ? Ainsi, plusieurs chercheurs ont insisté sur le besoin de rompre avec l’approche du « laisser-faire » et d’opter pour un tourisme planifié et régulé.

Figure 5. Évolution des fermetures des sites du Patrimoine mondial.

Source : UNESCO, 2020https://en.unesco.org/covid19/cultureresponse/monitoring-world-heritage-site-closures.

Ces questions sont particulièrement importantes pour la région méditerranéenne, qui a accueilli plus de 400 millions d’arrivées de touristes internationaux (ATI) en 2019, étant l’une des destinations les plus populaires au monde.

Figure 6. Arrivées touristiques internationales dans les pays méditerranéens, 1995-2019.

Source : OMT.

L’importance de l’intervention des États

La réinvention du tourisme après le COVID-19 implique plusieurs niveaux d’intervention, engageant les États, les décideurs et le milieu d’affaires local, et les touristes eux-mêmes.

Les différences entre les États qui proposent des aides et des mesures de contrôle et ceux qui n’interviennent pas ou peu sont considérables. Selon l’OCDE (2021), les gouvernements doivent soutenir la transition énergétique vers une économie décarbonée pour améliorer la résilience de l’économie touristique.

À titre d’exemple, la France a décidé d’accorder 7 milliards d’euros de soutien à la compagnie aérienne Air France pour l’aider à faire face aux conséquences de la crise. Toutefois, l’aide est conditionnée à un nouvel engagement écologique de l’entreprise : une réduction drastique des vols intérieurs, là où l’alternative ferroviaire existe (distance de moins de 2h30) ; réduction de 50 % du volume des émissions de CO₂ sur ces vols en France métropolitaine d’ici fin 2024 ; objectif de 2 % de carburants alternatifs durables incorporés dans les réservoirs des avions d’ici 2025.

L’implication des décideurs locaux et des acteurs du tourisme

Les garanties offertes par les destinations, en termes de sécurité et d’hygiène, deviennent un critère essentiel du choix de la destination. La capacité et la volonté d’une entreprise d’assurer la préservation de la santé et la sécurité des clients font désormais partie, beaucoup plus que dans le passé, des principales préoccupations des touristes.

Ceci implique une prise de conscience générale au niveau de la destination touristique, impliquant une gouvernance touristique engagée dans de nouvelles valeurs. Les assises du tourisme organisées à Paris en 2021 ont consisté à inviter un très large panel d’experts, d’entreprises, d’associations et d’ONG, de collectifs d’habitants locaux, etc., avec la volonté de proposer une reprise du tourisme autour de nouvelles valeurs sociales, environnementales, culturelles, etc. et surtout autour d’une relation réinventée entre habitants locaux et touristes (Ville de Paris, Assises du Tourisme durable, 2021).

L’engagement des touristes

La réinvention du tourisme après le COVID-19 passe aussi par la responsabilité et la responsabilisation des touristes. Ceci implique non seulement l’adoption totale et inconditionnée des règles d’hygiène et la compréhension de la chaîne des risques pour les autres, mais également des approches de tourisme alternatives, telles que la prise en compte des modes de déplacement plus doux ou des séjours plus longs et moins fréquents. L’après COVID-19 implique l’adaptation globale du tourisme aux nouvelles valeurs.

La durabilité, intégrée comme une valeur fondamentale de la croissance de demain

Certaines destinations adoptent de plus en plus la croissance durable du tourisme comme une valeur centrale : investissements touristiques qui sauvegardent le patrimoine culturel et naturel ; projets de régénération impliquant les communautés locales ; projets urbains d’énergie verte ; écologisation des transports. La lente reprise du transport aérien a conduit les voyageurs à utiliser davantage d’autres moyens, et en particulier le transport ferroviaire ou maritime. Cela ouvre une fenêtre d’opportunité pour les compagnies ferroviaires et maritimes pour améliorer leurs produits et services.

Le local comme « nouvel exotique »

Plusieurs destinations touristiques méditerranéennes attirant un tourisme international ont survécu pendant le COVID-19 grâce à des clientèles touristiques nationales, régionales ou locales. Ceci a représenté une prise de conscience sans précédent, à la fois du côté des prestataires touristiques et du côté des touristes. On assiste ainsi à une nouvelle importance des destinations de proximité et des marchés de proximité, consistant en la découverte ou redécouverte de « richesses cachées » régionales ou locales.

Figure 7. Coprésence de locaux et de touristes dans des marchés locaux à Paris.

Source : shutterstock/lembi

La désaisonnalisation, le « slow tourism » et la résilience

La désaisonnalisation des destinations méditerranéennes, qui sont essentiellement des destinations estivales, implique le développement de nouveaux discours et d’offres touristiques valorisant un tourisme hivernal. Ceci va de pair avec le développement d’offres réinventées mettant l’accent davantage sur le patrimoine, les produits locaux (artisanat, gastronomie), et plus généralement sur un tourisme lent (slow tourisme) dans les destinations méditerranéennes.

En plus, en période de COVID-19 et post-COVID-19, il est crucial de rester flexible et de s’adapter aux nouvelles réalités changeantes, de gérer les réservations de dernière minute et de proposer des forfaits « last minute », d’assurer une parfaite accessibilité numérique à un réseau Internet à haut débit, d’adopter la créativité et la flexibilité, et surtout d’accepter que tout cela prenne du temps.

Conclusion : comment « remettre le bouton à zéro » ?

Les pays méditerranéens ont besoin d’un plan stratégique complet pour leurs actions futures. La crise est l’occasion de réunir toutes les parties concernées, de s’entendre sur une vision commune et de déployer une stratégie globale. Les approches habituelles de « laisser-faire » avec lesquelles le tourisme a été traité dans plusieurs pays méditerranéens ne sont plus socialement et politiquement acceptables. Ceci implique la mise en place d’une gouvernance locale forte et volontariste, et l’introduction de nouvelles régulations touristiques dans les destinations méditerranéennes dans lesquelles le tourisme a été développé de façon « organique » depuis les débuts du tourisme au XVIIIe siècle.

Le COVID-19 a imposé une pause : pour réfléchir, pour se réorganiser, pour se réorienter. Aujourd’hui, plus que dans le passé, nous savons que nous aurons l’avenir touristique que nous concevrons.

Références bibliographiques

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