Penser l’Europe comme communauté

Bronislaw Geremek

Historien et chaire de civilisation européenne au Collège d’Europe à Varsovie

On attribue à Jean Monnet la célèbre phrase que si l’Europe était à refaire, il faudrait commencer par la culture. On sait très bien qu’il n’a jamais pu tenir de tels propos puisque celui qui fut le grand inspirateur de l’idée européenne savait très bien que, dans ce cas-là, l’Europe courait à l’échec. D’autres disent qu’il fallait commencer par le politique. Mais, là encore, l’échec aurait été inévitable. Si l’intégration européenne devait enfin commencer par l’économie, son avenir dépend maintenant de la réussite du travail que l’Union européenne a entrepris pour se donner une dimension politique. C’est alors que se dresse un défi que l’on pourrait qualifier de culturel, bien qu’il dépasse le cadre des patrimoines et des politiques culturelles. Il relève en effet de cette grande interrogation: «d’où venons-nous, où sommes-nous, où allons-nous? ».

Penser l’Europe en termes d’unité politique suppose que soit posée la question de ses valeurs, de sa mémoire et de ses traditions, d’interroger les fondements de la volonté de ses citoyens de vivre ensemble. Les défis devant lesquels se trouve l’Europe au seuil du XXIe siècle exigent un changement profond du discours européen. Il faut abandonner le langage des comptables et se décider à reprendre celui de la communication quotidienne, c’est-à-dire savoir ce qui est bon ou mauvais, beau ou laid, juste ou faux. Dans le tournant historique que vit aujourd’hui l’Union européenne, il faut non seulement chercher à définir d’une nouvelle façon les institutions communautaires, mais aussi créer le sentiment d’appartenance à une communauté.

Les travaux constitutionnels qui ont été réalisés dans la pratique législative de l’Union européenne – je pense aussi bien aux traités européens qu’à la Charte des droits fondamentaux et à la Constitution européenne – rendent bien compte des prises de conscience successives dans le passé du renforcement du sentiment communautaire, de «l’Europe de plus en plus unie». Mais c’est l’élargissement à l’Est, illustrant la fin de la guerre froide et celle de la division de l’Europe en deux blocs, qui donne sa réalité à l’idée d’unification de l’Europe. La Convention sur l’avenir de l’Europe, créée par la Déclaration de Laeken et dirigée avec une admirable maîtrise par Valéry Giscard d’Estaing, s’est inscrite dans cette perspective de l’unification européenne. Son importance se mesure non seulement par son résultat immédiat –la Constitution–, mais aussi par son impact sur l’opinion publique européenne et l’élan donné à ce qui est le plus grand débat européen. C’est là – et non dans la vague pacifiste face à la guerre d’Irak – que l’on peut voir la gestation d’un véritable espace public européen. Si l’avenir de l’Union européenne dépend très certainement des réformes institutionnelles qui vont être engagées, il dépend aussi et surtout du débat sur le contenu de l’idée européenne.

Diversité et sentiment commun


Le débat sur «l’union» doit s’accompagner à présent d’un débat sur la «communauté». On peut voir l’amorce de cette discussion dans le travail de la convention (présidée par Roman Herzog en 2000) sur la Charte des droits fondamentaux. Malheureusement, malgré son affichage dans les lieux publics, ce document n’a pas assez touché l’opinion publique. La Convention sur l’avenir de l’Europe ne s’est intéressée que très marginalement à ce débat, à l’occasion de la rédaction du préambule de la Constitution. Mais il ne faudrait pas se limiter à déplorer les occasions manquées.


Le progrès de l’intégration européenne exige à présent de dépasser les égoïsmes nationaux qui sont à l’œuvre dans le jeu intergouvernemental et de faire appel à un sentiment d’appartenance collective allant au-delà du sentiment national. La formule de la fédération des États-nations décrit bien le caractère actuel de l’Union européenne et reste fidèle à ce qui est – et à mon sens, restera – la richesse de l’Europe: la diversité des cultures nationales. Les égoïsmes nationaux sans cesse présents dans la routine de marchandages des «sommets» de l’UE et dans les négociations intergouvernementales sont, en revanche, le malheur de l’Europe. Pour reprendre la formule du Risorgimento, époque de la formation de l’unité italienne: «nous avons fait l’Italie, il faut maintenant faire des Italiens», on pourrait dire que si nous avons désormais l’Europe, il nous faut maintenant faire des Européens. En d’autres termes, nous avons besoin de penser l’Europe en tant que communauté.

Disons tout d’abord que cela ne va pas de soi. L’histoire du sentiment national nous enseigne combien difficile et conflictuel fut le processus de prise de conscience nationale, fondé pourtant sur le sentiment d’un destin commun et des «lieux de mémoire», sur une langue et une culture communes. Le lien communautaire fut le résultat d’une longue accumulation d’expériences et de connaissances, toute une construction mythologique et historique lui donnant un caractère organique. Rien de comparable avec le lien européen, qui semble bien plus résulter d’un choix délibéré que d’une évolution organique.

Si nous avons désormais l’Europe, il nous faut maintenant faire des Européens. En d’autres termes, nous avons besoin de penser l’Europe en tant que communauté

Dès lors que l’on aborde les problèmes de psychologie collective, les attitudes et les sentiments, les projets d’avenir et les choix de culture (ou de civilisation), on est inévitablement amené à se référer à l’histoire, d’une part, et aux valeurs – c’est-à-dire à l’axiologie –, de l’autre.

Trois moments: l’Empire, l’Église médiévale, la République des Lettres


Le sentiment d’appartenance ou d’identité européenne peut être appréhendé à travers différentes expériences vécues. D’abord, il y a dans la trame de l’histoire européenne plusieurs tentatives d’unification impériale qui se caractérisent toutes par le respect des différences ethniques et des souverainetés particulières à l’intérieur de l’empire. Le vieux principe médiéval selon lequel le roi est empereur en son royaume peut être compris comme l’expression de ce respect: accepter l’unité de l’empire et le pouvoir de l’empereur suffisait pour jouir de sa liberté en tant que particulier. Les nuances sont néanmoins parfois de taille entre les différentes politiques impériales. Charlemagne faisait de la christianisation des Saxons une condition nécessaire de leur soumission à son pouvoir; les Ottomans, en prenant la succession de l’Empire byzantin, n’exigeaient des peuples soumis que taxes et tributs, et non l’abandon de leur foi. Charles-Quint, qui, dans son empire «où le soleil ne se couchait jamais», apportait son fervent soutient à la religion catholique, fut néanmoins contraint d’accepter les ruptures confessionnelles. Napoléon, quant à lui, autorisait toutes les religions – avec la religion de la liberté en tête – ainsi que toutes les nations – avec la Grande Nation en tête –, mais attendait d’elles une soumission entière au pouvoir impérial.

Les empires se définissaient non seulement comme un pouvoir supérieur, mais aussi – ou tout d’abord – comme ce que les Allemands appellent le Rechtsordnung, c’est-à-dire un ordre de droit. L’empire germain, au cours du Moyen Âge, imposait un cadre juridique dans lequel les monarchies et les principautés de l’époque trouvaient un espace de coexistence ainsi que des règles de gestion. Le Code civil porté sur leurs baïonnettes par les soldats de Napoléon dans toute l’Europe (dans des pays comme la Pologne, il a laissé jusqu’à aujourd’hui une empreinte durable, qui se retrouve dans le droit de la propriété ou des contrats) était susceptible d’être appliqué dans des environnements politiques et culturels très différents. Ces «ordres de droit» n’instituaient pas des communautés de valeurs. Ils assuraient, au contraire, aux autorités et aux citoyens la préservation de leurs droits indépendamment de la communauté de valeurs à laquelle ils appartenaient, ou même des valeurs fondamentales qu’ils prônaient. Leur seule obligation était d’obéir aux lois.

On pourrait limiter l’ambition de l’Union européenne à cette expérience d’unification impériale et conclure avec le philosophe allemand Robert Spaemann:
L’Europe de l’avenir ne pourra devenir une communauté de droit, où tous les citoyens des pays de tradition européenne trouveront un toit commun, que quand elle rendra possible aux communautés partageant les jugements de valeurs communs d’exister en sûreté et s’interdira d’être une communauté de valeurs.
Or, le terme de communauté me paraît impropre pour qualifier ces moments impériaux dans l’histoire de l’Europe. Dans l’ordre de droit, où l’imposition l’emporte sur la participation, le citoyen se voit soumis aux obligations imposées et aux droits octroyés. Il me semble difficile de voir dans ce modèle une réalisation de la «finalité» de l’Union européenne ou même une quelconque référence pour l’unification européenne actuelle.

Autrement importants pour le débat présent sont les moments de rassemblement dans l’histoire de l’Europe et, en premier lieu, la chrétienté médiévale telle qu’elle se présentait au XIIIe siècle. À sa tête, l’empereur et le pape assurent la coopération entre le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel, poursuivant ainsi la tradition «latine» où l’Église préservait sa souveraineté vis-à-vis de l’État, contrairement à l’Église byzantine qui tombait sous sa domination. Cette communauté s’unissait autour de la même foi et disposait d’un centre du pouvoir unificateur, Rome, où siégeaient les successeurs de saint Pierre; d’un réseau d’universités appartenant à l’Église, qui assurait le rayonnement du savoir et la formation des élites culturelles avec le même programme et la même langue, le latin; d’un réseau d’églises qui, construites dans le même style dans toute l’Europe, utilisait le même calendrier et la même liturgie. La chrétienté médiévale est européenne par vocation (bien qu’elle évite d’utiliser ce mot, qui ne sera repris que par le grand humaniste et pape, Enea Silvio Piccolomini, au XVe siècle) et accepte toutes les formes nationales d’expression culturelle.

Le second moment communautaire dans l’histoire de l’Europe est la République des Lettres, depuis Érasme, époque où le latin reste la langue de communication, jusqu’aux Lumières, où s’épanouissent des langues vernaculaires et en premier lieu le français. La réflexion religieuse qui prédomine au début de ce mouvement de pensée laisse place ensuite à l’observation et l’analyse du monde, à la foi sans limites dans le progrès scientifique et dans la force de la raison. Le cadre naturel de cette communauté est l’Europe: l’esprit commun est servi par un réseau de communication qui permet une circulation rapide des idées et des écrits malgré les faiblesses technologiques de ce temps. Les liens intellectuels et culturels sont renforcés par les voyages qui diffusent le savoir à travers l’Europe tout entière et permettent un rapprochement à l’échelle du continent. Sous la plume des citoyens de la République des Lettres, apparaît de façon la plus naturelle l’expression «nous, les Européens»… Montesquieu n’affirme-t-il pas que «l’Europe n’est qu’une nation composée de plusieurs»?

Revendiquer les héritages

Ces deux expériences communautaires sont une référence majeure pour l’identité européenne. Dans les deux cas, il s’agit de la formation de communautés, mais chacune d’elles s’oriente vers des finalités contradictoires. Karl Jaspers, dans une conférence prononcée à Genève en 1946 sur l’esprit européen, déclare que la liberté européenne est fondée sur des antithèses: «L’Europe réunit des oppositions extrêmes: le monde séculier et la transcendance, la science et la foi, la technologie matérielle et la religion.» L’Union européenne ne devrait pas avoir peur de se référer à la fois à la communauté de la chrétienté médiévale et à la communauté de la raison de l’époque moderne. Elle pourrait de cette façon affirmer l’essence contradictoire de l’esprit européen et rendre ainsi justice à l’histoire.

Le religieux doit avoir sa place dans les documents constitutionnels européens. Dans le traité de Maastricht, la «clause ecclésiale» proposée par Helmut Kohl assurait le respect du statut de toutes les Églises et communautés confessionnelles. Le texte de la Constitution élaborée par la Convention formule des garanties claires pour le statut des Églises et des institutions religieuses protégé par les législations nationales, ainsi que la nécessite d’un dialogue régulier entre les autorités de l’Union et les Églises (art. 52). Ces dispositions juridiques devraient aller de pair avec la déclaration des libertés individuelles et collectives en matière religieuse, ce qui est inscrit dans la Charte des droits fondamentaux. En revanche, le débat sur la rédaction du préambule a donné lieu à des conflits révélateurs. On a tout d’abord refusé de mentionner l’héritage religieux de l’Europe, puis «oublié» d’évoquer le christianisme ou l’héritage judéo-chrétien, passant sans transition de l’héritage gréco-romain à la tradition des Lumières. Au final, le compromis accepté ne propose qu’un message pauvre, sinon obscur. C’est regrettable.

Certes, on pourrait se passer du préambule pour ne pas réveiller des conflits inhérents à ce délicat sujet. L’Europe a, au cours de son histoire, payé un prix douloureux et lourd en conséquences ses conflits et déchirements religieux. Il faut éviter à tout prix que ces querelles recommencent. Mais si l’on considère que le traité constitutionnel doit non seulement introduire plus de clarté, de transparence et d’efficacité dans le fonctionnement des institutions européennes, mais aussi rapprocher l’Union européenne de ses citoyens, il est nécessaire d’y inscrire un grain de «métaphysique européenne». Évoquer l’idée européenne ou l’esprit européen, c’est permettre à ce texte d’inciter les citoyens de l’Europe à réfléchir pourquoi et comment ils se sont retrouvés ensemble, pourquoi ils restent ensemble et ce qu’ils veulent faire ensemble. De cette façon, ce document pourrait devenir l’instrument d’éducation européenne, que ce soit dans les écoles ou dans la vie.

Je me suis arrêté sur les vicissitudes de ce travail constitutionnel pour montrer l’importance du débat sur l’histoire et sur les valeurs de l’Europe. C’est celui-ci qui permet de rechercher des traits propres à la civilisation européenne, auxquels contribuent aussi bien les traditions religieuses que les traditions laïques.

L’esprit commun est servi par un réseau de communication qui permet une circulation rapide des idées et des écrits malgré les faiblesses technologiques de ce temps

Si l’on fait à propos de l’Europe ce «travail de mémoire», concept cher à Paul Ricœur, force est de constater que l’Europe se définissait au Moyen Âge par l’unité de la foi chrétienne et, à l’époque de sa première modernité, par l’unité de la confiance dans la force de la raison. On comprend aussi comment s’élaborait la concorde sur les principes éthiques qui commandaient les comportements et les attitudes humaines, bien que la discorde n’eût pas disparu sur la source de ces principes. On en vient enfin aux valeurs fondamentales choisies en Europe comme le socle sur lequel s’élevait une communauté libre, prométhéenne et solidaire. On ne peut se limiter à faire l’inventaire des différents héritages qui ont été légués à l’Europe, car l’histoire crée des choix et des possibilités mais ne les distribue pas; elle forme les civilisations et les sociétés, mais ne les enferme pas dans des moules figés une fois pour toutes. Pour que l’Europe avance, il faut qu’elle s’interroge sur elle-même à chaque instant décisif de son histoire.

La réponse semble se dessiner autour de la place particulière que notre civilisation européenne, depuis le brassage des coutumes barbares avec le christianisme, attribue à la personne humaine. Cette affirmation anthropocentrique est portée par la tradition chrétienne dans le message que l’homme est fait à l’image de Dieu et que le Fils de Dieu s’est donné en sacrifice pour les hommes. Mais on la retrouve aussi dans la tradition non religieuse, qui déclare que l’homme est la mesure de toutes les choses ou, avec Pic de la Mirandole, qu’il est doté de grandeur et de dignité. Cet anthropocentrisme est enraciné aussi bien dans la tradition judéo-chrétienne que dans la philosophie humaniste. Toutes les valeurs dont se réclamaient les communautés – et auxquelles se réfère l’Union européenne à présent – prennent leur racine dans cette valeur particulière. C’est de la dignité de l’homme dont procèdent la liberté humaine, les notions de justice, de solidarité ou de libre arbitre, c’est d’elle aussi dont émanent les droits de l’homme. Le double enracinement de l’anthropocentrisme européen permet de dépasser le conflit entre religion et laïcité, conflit présent lors de la dernière discussion sur les bases idéologiques de la Constitution. C’est en réfléchissant sur un modèle de civilisation et un projet de communauté où l’homme et sa dignité auraient une place centrale que l’on peut entamer un véritable débat sur l’avenir de l’Europe.

Le fonctionnement de l’Europe en tant que communauté de valeurs appelle trois remarques. Tout d’abord, il ne faut pas attribuer aux valeurs communautaires le rôle d’une frontière fermant l’accès à la communauté. Introduire de l’axiologie dans l’espace politique risque toujours de favoriser cette tendance à l’absolu qui génère des attitudes et des politiques d’exclusion. Il faut éviter les tendances ethnocentriques, d’exclusion de l’autre. Le concept de dignité humaine doit au contraire inciter au dialogue avec l’autre, à une radicale ouverture vers les autres dans le sens défini par Emmanuel Levinas. L’Europe se doit d’être pluraliste, consciente de ce qu’elle doit à la culture transmise par les Grecs et les Romains, les Arabes et les Juifs, et de tirer les leçons de sa propre expérience en reconnaissant la force de la tolérance et la misère des idéologies fermées et totalitaires qui jettent sur elle l’ombre de la honte.

L’Union européenne ne devrait pas avoir peur de se référer à la fois à la communauté de la chrétienté médiévale et à la communauté de la raison de l’époque moderne

Deuxièmement, la politique des droits de l’homme doit définir l’image même de l’Europe, être son emblème, sinon sa «religion». Ils doivent concerner la politique interne de l’Union européenne dans le même sens que les critères de Copenhague établissent les conditions premières d’accession. Les droits de l’homme doivent devenir la référence idéologique de la politique étrangère européenne, sinon, la création d’un ministère des Affaires étrangères de l’UE restera lettre morte. Dans la situation actuelle, il est très important que l’Europe puisse fonder le multilatéralisme de sa politique étrangère sur les droits de l’homme, en travaillant sur la réforme du droit international et du système des Nations unies, et assurer ainsi la prépondérance de ces droits sur les calculs politiques à courte vue. En dernier lieu, il est nécessaire de repenser le modèle de développement européen dans cette perspective «personnaliste». En France, à la fin de l’Ancien Régime, le Comité pour l’extinction de la mendicité formé au sein de l’Assemblée constituante déclara: “On a toujours pensé à faire la charité aux pauvres, mais jamais à faire valoir les droits de l’homme pauvre sur la société, et ceux de la société sur lui.” Cette formule révélatrice illustre non seulement la force du concept des droits de l’homme, mais place le problème de la pauvreté dans la perspective des politiques sociales modernes. Elle incite à discuter le modèle social européen non pas autour des droits acquis, mais autour du dialogue social, répondant aux exigences de la dignité de l’homme et reprenant le programme du mouvement Atd-Quart Monde dans le projet européen.

Le concept de dignité humaine doit inciter au dialogue avec l’autre, à une radicale ouverture vers les autres

Les recettes pour remédier au malaise européen ne peuvent concerner que les institutions et les politiques. Elles dépendent des idées que l’Europe est capable de mettre en mouvement. Les appels à la formation d’un «noyau dur» de l’intégration européenne viennent fort mal à propos quand il s’agit de trouver comment renforcer la solidarité européenne. Exploiter un penchant anti-américain pour définir l’Europe, comme les Athéniens se définissaient par rapport aux Perses ou les Européens par rapport aux Arabes, Tatars ou Turcs, est une stratégie qui détruit les chances de voir l’Europe apparaître sur la scène internationale comme un partenaire valable. Le rôle du débat intellectuel sur l’avenir de l’Europe consiste à aller «au-delà des poteaux d’Hercule», de produire des idées et des visions qui auraient la force de montrer de façon réaliste la direction à prendre et de mobiliser l’imagination pour construire une Europe puissante, courageuse et lucide.