Palestina
La question palestinienne est à nouveau sur le devant de la scène. La flamme, toujours incandescente, du conflit non résolu le plus long de l’histoire moderne, s’est ravivée. Les attaques du Hamas du 7 octobre 2023 ont déclenché une nouvelle opération punitive menée par Israël sur la population de Gaza.
Palestina. De los Acuerdos de Oslo al apartheid, de José Abu-Tarbush et Isaías Barreñada, revient sur la façon dont les événements et les politiques israéliennes relatifs aux territoires occupés se sont déployés au cours des 30 dernières années et qualifie le système d’apartheid. Bien qu’écrit avant l’actuel conflit, l’ouvrage fait la lumière sur les causes de ce conflit, qui ne va faire que persister si l’on en croit la logique montrée par une résistance palestinienne active pendant plus de 75 ans.
Les négociations entre l’État d’Israël et l’OLP, organisées par les États-Unis, ont marqué un tournant dans les relations entre Israéliens et Palestiniens. Le processus débutait sur une case départ qui étayait l’inégalité des deux parties : alors que l’OLP reconnaissait à Israël le droit d’exister, les autorités de ce pays se limitaient à considérer l’OLP comme un représentant du peuple palestinien, sans accepter son droit à l’autodétermination et sans renoncer aux territoires occupés en 1967. Toutefois, en façade, les deux acteurs s’engageaient à coopérer pour mettre fin au long conflit.
La réalité vécue par les Palestiniens témoigne de l’échec d’Oslo et écarte toute possibilité de revitaliser les accords, puisque la base matérielle et territoriale sur laquelle appuyer la solution à deux États a entièrement disparu. L’importante asymétrie de pouvoir entre les parties, l’absence d’un principe recteur et la médiation partiale des États-Unis sont quelques-unes des causes de la débâcle d’Oslo, bien que l’absence de volonté d’Israël d’envisager toute solution autre que ses propres plans d’appropriation du territoire palestinien soit plus déterminante encore. Israël a cherché à redorer son image internationale en s’asseyant à la table des négociations, mais n’a jamais eu l’intention de rendre faisable la possibilité d’un État palestinien.
Les auteurs insistent sur le fait que l’échec d’Oslo n’est en rien une nouveauté dévoilée 30 ans plus tard. De fait, à chaque année écoulée on constatait le caractère irréversible qu’adoptait la politique d’occupation coloniale menée à la façon d’Israël, autrement dit le colonialisme d’implantation. Ce non-respect flagrant de l’engagement pris et du principe fondamental du droit International pacta sunt servanda, n’a pas jeté le discrédit sur la puissance occupante, toujours protégée par le soutien presque illimité des démocraties libérales occidentales.
Sur le terrain, Israël a continué à construire de nouvelles implantations coloniales en territoire palestinien. Abu-Tarbush et Barreñada soulignent l’augmentation du nombre de colons en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, qui a entraîné la déconnexion de ces deux territoires, désormais morcelés par les quartiers coloniaux, les détachements et bases militaires, la construction d’un mur illégal de séparation, un réseau routier à usage exclusivement israélien et de nombreux postes de contrôle. En outre, les fréquents bombardements sur la Bande de Gaza, ajoutés au blocus, ont pour résultat une population piégée, mise dans l’impossibilité de grandir, de créer de la richesse et du développement bien que possédant des ressources humaines qualifiées et éduquées. En définitive, la politique israélienne a consisté à renforcer systématiquement les fondements de l’occupation comme si elle n’allait jamais y mettre fin.
Dans un style dépouillé, les deux experts braquent leurs projecteurs sur un paysage des territoires palestiniens retouché et affiné après Oslo, constitué d’un amalgame de ghettos et de bantoustans où la population autochtone, soumise à un régime qui conjugue colonialisme d’implantation et apartheid, se concentre. Les restrictions et les interdictions à la mobilité des Palestiniens sont aujourd’hui incomparablement pires qu’il y a 30 ans. Après vérification de la détérioration des conditions de vie des Palestiniens, une relecture critique et honnête de la dérive des politiques israéliennes s’impose.
Israël a su s’aligner avec des puissances qui ont couvert ses violations de la légalité internationale – du soutien britannique manifesté par la Déclaration Balfour aux alliances, plus actuelles, avec les pays arabes, en passant par l’inconditionnel parrainage des États-Unis. De même, une UE faible sur le plan géostratégique, non contente d’assurer la dynamique de ses relations commerciales, s’est avérée le meilleur garant des opérations punitives collectives régulièrement conduites contre la population gazaouie, puisque la reconstruction est à la charge des citoyens européens.
Si bien que les auteurs soulignent à raison qu’Israël ne peut plus être cataloguée de démocratie et suggèrent d’employer une expression plus pertinente, celle d’ethnocratie, pour désigner un régime à façade démocratique, où le groupe dominant qui contrôle les structures du pouvoir se déploie sur le territoire disputé et où ressources, droits et pouvoirs ne sont reconnus que pour un collectif ethnico/national – en l’occurrence, le groupe constitué par les Juifs –, refus étant fait de traiter à égalité le reste des habitants originaires du territoire.
Le fait que les démocraties libérales soutiennent le régime israélien en ne lui reprochant pas et en ne sanctionnant pas ses politiques de façon convaincante et efficace nuit à la crédibilité des États artisans de l’ordre international fondé sur des règles. Le soutien, mais aussi la passivité ou la neutralité arborés face à un régime colonial qui applique des politiques d’apartheid, sont des expressions de complicité avec l’injustice. Or, l’injustice prévaut à chaque jour qui s’écoule sans que ne soit décrété un cessez-le-feu, sans que des sanctions ne soient imposées – comme elles l’ont été à la Russie après l’invasion de l’Ukraine – ou sans que personne ne mise sur une résolution équitable pour les deux parties. Aujourd’hui plus que jamais « Never Again! » nous paraît un slogan vide de sens. La mort de millions de personnes causée par des politiques criminelles n’a pas servi à empêcher la répétition de ces atrocités, mais a été utilisée pour apprendre des pratiques monstrueuses et pour les appliquer ailleurs dans le monde, face à la passivité de la communauté internationale.
Depuis le milieu universitaire, cet ouvrage contribue à exposer une perspective critique de la situation en Palestine qui ne suit pas la rhétorique de la plupart des médias officiels occidentaux. Le fait que l’ouvrage contribue à faire entendre la voix des intéressés est sans nul doute sa plus grande force. C’est pourquoi il s’agit d’une lecture indispensable pour comprendre certains des aspects clé du conflit.
— Alicia Chicharro, Professeure de Droit international public et de Relations internationales – Universidad Pública de Navarra