« Nous cherchons un engagement de toutes les parties pour que l’immigration régulière devienne un facteur d’enrichissement mutuel »

Le coordinateur espagnol de la Conférence Euroafricaine sur la Migration et le Développement avance pour AFKAR/IDEES les objectifs de la rencontre.

ENTRETIEN avec Jesús Atienza par Jordi Bertran

L’Espagne et le Maroc ont lancé en octobre 2005 l’initiative de célébrer une Conférence Euro-africaine sur la migration et le développement, après les avalanches d’immigrants subsahariens voulant franchir la clôture de Ceuta et Melilla. Bien que ces assauts aient cessé avec le renforcement du contrôle frontalier, la pression migratoire a activé à nouveau toutes les alarmes avec l’arrivée aux îles Canaries pendant les premiers mois de 2006 de 8 000 immigrants subsahariens en provenance de la côte africaine. Ce contexte de sensibilisation envers l’immigration explique l’intérêt et les expectatives au sujet de la Conférence qui se tiendra les 10 et 11 juillet à Rabat. 

Jesús Atienza ambassadeur en Mission pour les Affaires d’immigration du Ministère des Affaires étrangères et de la coopération et coordinateur de la Conférence pour la partie espagnole, avance dans cet entretien les préparatifs de cette rencontre et ses objectifs. 

AFKAR/IDEES : En quoi consiste exactement l’initiative ? 

JESUS ATIENZA : Le titre de la Conférence et le contexte de l’initiative sont révélateurs de la philosophie qui l’inspire et de ses objectifs. L’initiative surgit en raison des incidents de Ceuta et Melilla, qui révèlent que l’immigration subsaharienne est un phénomène multidimensionnel et complexe qui n’obéit pas à une seule cause et qui ne peut pas être affronté par un seul pays. 

En partant de cette perspective, la Conférence cherche une réponse à caractère opératif et intégral avec l’implication active des pays d’origine, de transit et de destination, sur la base de la coresponsabilité et de la constatation de l’existence d’une extraordinaire synergie entre migration et développement. C’est-à-dire, une réponse pratique et qui envisage les différents aspects et séquences du processus migratoire. Nous parlons de flux qui ont une certaine homogénéité, une motivation économique de fond et qui utilisent des itinéraires structurés et contrôlés par des mafias qui finissent souvent avec la perte de vies humaines. Les dernières avalanches aux îles Canaries revalident le diagnostique des incidents de Ceuta et Melilla et confirment l’utilité de la Conférence. 

A/I : Pourquoi la Conférence est-elle si importante pour le gouvernement espagnol ? 

J.A. : C’est une Conférence importante pour tous, que ce soit les pays d’origine, de destination ou de transit. Et surtout pour les émigrants subsahariens eux-mêmes, qui sont ceux qui risquent le plus. Elle a une importance spéciale pour l’Espagne puisque, bien que l’immigration d’Afrique subsaharienne soit numériquement modeste en comparaison avec des chiffres globaux de notre pays, l’alarme sociale qu’elle génère peut dériver en des sentiments de refus et de discrédit de la politique migratoire qui rendraient difficile l’accueil et l’intégration des immigrés. 

A/I : Quel est le résultat que les deux organisateurs attendent obtenir ? 

J.A. : La Conférence se présente comme un modèle de dialogue régional sans précédents qui réunira pour la première fois des pays d’origine, de transit et de destination situés tout au long des itinéraires migratoires pour accorder un Plan d’Action. Ce dernier tournera autour de deux axes : la gestion des flux et l’impulsion de la synergie entre migration et développement. Nous cherchons à obtenir l’engagement sincère de tous les pays impliqués dans ce Plan pour faire face au problème en partant de l’idée du fait que l’immigration est profitable pour tous lorsqu’elle s’effectue de manière contrôlée, mais qu’elle a des effets pernicieux dans des conditions de clandestinité. L’immigration est un jeu de somme positive si elle est bien régulée : avec plus de contrôle, il y a moins de risques pour les émigrants eux-mêmes et une meilleure disposition des sociétés d’accueil pour l’accepter et l’intégrer. 

A/I : Quelles sont les principales propositions autour des deux axes du Plan d’Action ? 

J.A. : La gestion des flux exige, entre autres, le renforcement des capacités nationales pour réguler l’émigration, le développement de la coopération opérative dans la lutte contre l’immigration irrégulière et le trafic de personnes, l’ouverture de voies pour l’immigration légale, le découragement de l’économie submergée et de l’emploi irrégulier et l’activation des mécanismes de rapatriement des immigrés irréguliers. D’un autre côté, la promotion de la synergie entre migration et développement implique, d’une part, l’inclusion de la dynamique migratoire dans toutes les politiques de développement et coopération et, de l’autre, son utilisation en tant que facteur autonome de développement et d’innovation dans les pays d’origine, à travers la facilitation des remises, la coopération des diasporas et l’encouragement du retour volontaire et de l’immigration circulaire. 

A/I : Il s’agit d’un cercle vertueux que, d’autant plus dans la situation actuelle, personne ne refusera, du moins sur le papier, bien que l’intensité de l’engagement puisse varier selon les coûts à affronter. 

J.A. : Actuellement l’aide européenne destinée à l’Afrique est importante, mais il faut renforcer la relation entre migration et développement en tenant compte du fait que les transferts des immigrants supposent un volume plus important que cette aide. Nous devons réussir à diriger avec intelligence ces flux financiers, complétés avec l’aide, et mener une politique qui agisse en même temps sur des facteurs structurels et conjoncturels. Si nous appliquons avec intelligence les plans de coopération en incorporant la dimension migratoire, nous pourrons tenir une politique cohérente et effective dans ce contexte. 

A/I : Cela pour le long terme. A court terme nous en restons surtout à la gestion des flux. 

J.A. : Le temps du développement est long, alors que le temps de la gestion des flux est court. De plus, le développement, ainsi que le démontre l’expérience espagnole des années soixante, génère en un premier moment plus d’émigration. Ainsi donc nous ne pouvons pas attendre d’en finir avec les causes profondes du sous-développement pour résoudre la question migratoire. La question est la suivante, que pouvons-nous dire aux jeunes africains qui risquent leurs vies en ce moment même ? Nous allons leur parler du développement à long terme ? Il faut travailler en parallèle. En même temps que nous cherchons à résoudre ces causes profondes (facteurs institutionnels, économiques, politiques) nous devons réduire les risques pour les émigrants et impulser le développement de ces pays à travers les résultats de la propre immigration. 

A/I : La Conférence a souffert un revers après la démarcation de celle-ci de l’Algérie. Comment interpréter son manque d’intérêt ? Travaille-t-on encore à l’inclusion de ce pays au rendez-vous ? 

J.A. : L’auto-exclusion de l’Algérie suppose effectivement un contretemps. Il existe dans sa position un fond politique qui va au-delà des différences conceptuelles au sujet de la convenance d’une perspective continentale plutôt que la régionale de la Conférence de Rabat. Nous pensons que l’approche régionale est plus appropriée car elle nous permet d’être plus opératifs en nous appliquant à des flux migratoires relativement homogènes. D’un autre côté, cette Conférence n’exclut pas qu’il puisse y en avoir d’autres sur les itinéraires migratoires d’Afrique orientale ou d’Europe de l’Est, ou une possible Conférence intercontinentale Union européenne-Afrique. Dans tous les cas, nous faisons tout ce qui est possible pour que l’Algérie soit présente dans la Conférence et nous n’écartons pas le fait qu’elle finisse par le faire. 

A/I : Quels pays ont-ils confirmé leur présence dans la Conférence ? 

J.A. : La réponse est entre les mains des autorités marocaines qui sont celles qui ont formellement convoqué la Conférence. De toute façon, les nombreux contacts maintenus au cours des dernières semaines confirment que tous les pays invités, à l’exception de l’Algérie, seront représentés à un niveau approprié. Le problème, donc, ne sera pas la participation, mais d’assurer un engagement actif de tous les participants au Plan d’Action. Tous les efforts seront dirigés vers cet objectif pendant les semaines qui restent jusqu’au rendez-vous de Rabat. 

A/I : Comment estimez-vous l’implication marocaine ? 

J.A. : La Conférence est une initiative hispano-marocaine, mais l’organisateur et convoquant est le Maroc. Son implication est clairement positive. C’est un pays clé, car c’est un pays d’origine, de transit et de destination, dont les connaissances et l’expérience sur l’Afrique subsaharienne, ainsi que sa grande capacité d’interlocution avec un grand nombre de pays d’origine, peuvent être très utiles au moment de développer une coopération tripartite entre pays européens, maghrébins et subsahariens. 

A/I : L’Europe tiendra-t-elle aussi un rôle déterminant dans la Conférence ? 

J.A. : En décembre dernier le Conseil européen a approuvé l’Approche Globale sur les migrations, consacrée aux migrations africaines et qui suppose, peut-être, le positionnement le plus complet de l’UE face au défi de l’immigration. Cette Approche Globale contient quatre espaces de dialogue et de coopération migratoire : l’intercontinental (UE-Union Africaine) ; le régional, où s’inscrit la Conférence de Rabat ; le bilatéral, où l’UE établit des dialogues directement avec des pays africains, ainsi qu’il en a été fait avec le Sénégal et la Mauritanie et, finalement un quatrième niveau avec les pays voisins au Maghreb. 

Il existe un engament clair de l’UE dans la Conférence. La Commission participe activement dans les réunions et nous attendons la présence à Rabat des commissaires responsables des aires de Liberté, sécurité et justice, des Relations extérieures et de Développement. Nous comptons aussi sur l’implication des présidences de l’UE, aussi bien l’autrichienne que la finlandaise, dont le semestre correspond à la célébration de la Conférence. 

A/I : Les communautés autonomes espagnoles les plus touchées par l’arrivée d’immigrés vont-elles participer ? 

J.A. : Nous ne devons pas oublier qu’il s’agit d’une Conférence intergouvernementale de niveau ministériel, avec le Maroc comme hôte. La composition de la délégation espagnole n’est pas encore fermée, mais il faudrait certainement tenir en compte l’intérêt direct de communautés comme les Canaries ou l’Andalousie dans la gestion de l’immigration subsaharienne et le précédent des deux qui participent déjà au Groupe permanent hispano-marocain sur l’Immigration. 

A/I : Le plan de travail à cinq ans accordé lors du sommet euroméditerranéen de Barcelone de novembre inclut la convocation d’une réunion ministérielle des migrations. Que peut apporter le partenariat au travail que mène bilatéralement l’Espagne avec ses voisins du sud ? 

J.A. : La dimension méditerranéenne est recueillie dans l’Approche Globale des migrations de l’UE, qui prévoit le dialogue direct avec les pays de la rive sud de la Méditerranée. Dans ce sens, en plus de la Conférence Euromed des Migrations, qui, nous espérons, se tiendra au second semestre, l’UE maintient un dialogue bilatéral avec le Maroc, l’Algérie et la Libye. Nous nous félicitons d’avoir contribué à la sensibilisation de l’UE envers le Maghreb, qui est au sujet de l’immigration irrégulière notre associé le plus notoire. 

A/I : L’Espagne peut-elle contribuer à ce que l’UE se charge de la situation vécue par les pays du nord d’Afrique en tant que pays de transit des migrations ? 

J.A. : Nous avons été les grands promoteurs du dialogue Euromed, et nous sommes, maintenant, ceux de la coopération dans le domaine des migrations. En plus du forum Euromed et du dialogue bilatéral de l’UE avec le Maroc, l’Algérie et la Libye, nous appuyons le forum informel de « Dialogue 5 + 5 », qui est très utile pour aborder la problématique migratoire.