Le rôle essentiel de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination (CEDAW) à l’égard des femmes consiste à étudier et à analyser la situation des femmes dans le pays sous examen et cela, à travers un rapport présenté périodiquement dont plusieurs observations sont tirées. Les parlements de ces pays sous examen sont invités à étudier ces observations, pour ainsi pouvoir adopter des budgets orientés vers la promotion des services sociaux fournis aux femmes, pour consolider les structures du mécanisme de la femme et pour adopter des lois réalisant l’égalité femme/homme. La bataille au sujet de femmes a été longue et pénible. Elle a commencé longtemps avant l’adoption de la CEDAW, continue de nos jours et continuera jusqu’à l’accomplissement des principes énoncés dans la convention.
La convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW[1]) est le seul instrument contraignant, universellement reconnu, qui s’attaque non seulement aux discriminations à l’égard de la femme, mais qui s’attarde aussi sur les droits et les libertés pouvant lui préserver sa dignité et son bien-être et encourage toutes les mesures pouvant lui offrir des opportunités nouvelles.
Le comité CEDAW, organe de traité, mandaté pour assurer la supervision de la mise en œuvre de la convention par les États parties, est composé de 23 experts indépendants élus pour une durée de quatre années renouvelables. Son rôle essentiel consiste à étudier et à analyser la situation des femmes dans le pays sous examen et cela, à travers son rapport présenté périodiquement ainsi qu’à travers les réponses aux questions posées lors de la discussion avec les experts. Les observations finales constituent l’évaluation du comité et ses suggestions et conseils dans le but de résoudre les difficultés, les problèmes et les défis auxquels font face les femmes. Des actions et des démarches positives sont aussi suggérées au gouvernement.
Essayons de parcourir quelques-uns des articles de la convention pour déceler leur contenu ainsi que leur impact sur le parcours de la femme dans les différents domaines politiques, économiques, sociaux et culturels.
L’article 1er porte sur la discrimination qui engendre toutes les violations des droits de la femme.
L’article 2 demande aux États parties de condamner cette discrimination sous toutes ses formes et d’entreprendre sans délai les mesures législatives et pratiques appropriées.
L’article 4 est fort célèbre pour ses mesures temporaires spéciales visant à accélérer l’égalité réelle de facto entre homme et femme. Le système des quotas, surtout dans le domaine politique (sièges parlementaires, gouvernementaux, etc.), en est sa manifestation la plus connue.
L’article 5 est, de mon humble point de vue, une des pierres angulaires de la convention. Les pratiques socio-culturelles dans toute société, c’est-à-dire les coutumes, influencent non seulement les idées, mais dirigent les actes. Elles établissent les points de repères concernant les rôles de chaque membre de la famille, d’où les stéréotypes et les idées préconçues, souvent négatives quant à l’image de la femme, celle-ci oscillant entre femme au foyer (l’image traditionnelle dans beaucoup de sociétés jusqu’à nos jours) et femme-objet (l’image exploitée dans la société de consommation qui discrédite la personne, viole son amour propre et sa dignité).
L’article 6 vise l’exploitation de la femme à travers deux crimes connus depuis l’antiquité : la prostitution et le trafic, qui ne sont qu’une forme contemporaine de l’esclavage.
L’article 7 est fort étudié de nos jours vu la priorité accordée à la vie publique et au rôle politique de la femme dans la société. Le taux de participation des femmes aux diverses échéances électorales ainsi que le nombre des sièges qu’elles occupent aux parlements, aux gouvernements, ainsi qu’aux postes clefs de direction sont étudiés, analysés, scrutés pour déterminer le sérieux du processus démocratique dans l’État partie.
L’article 10 sur l’éducation constitue une feuille de route pour réaliser tout progrès de la condition de la femme à tous les niveaux. Pour les pays en développement, appliquer à la lettre ses différents alinéas est une recette magique apte à guérir les maux enracinés à travers les coutumes anciennes et les années de discrimination et à faire face aux défis de notre monde moderne.
L’article 11 sur l’emploi s’ajoute au groupe d’articles portant sur les services et les droits sociaux de base, ainsi que l’article 12 sur la santé et l’article 13 sur les droits économiques, bancaires et financiers.
L’article 14 sur la femme rurale est l’un des plus détaillés de la convention. Il se concentre sur un groupe de femmes qui est devenu des plus marginalisés et des plus défavorisés, quoique représentant un pourcentage fort élevé, notamment dans les pays en développement. Elles sont en manque de moyens de pressions politiques et souffrent par la suite d’une discrimination avec les femmes des zones urbaines.
L’article 15 attire de plus en plus l’attention ces derniers temps car l’égalité devant la loi, l’accès à la justice, etc., est une valeur essentielle, étroitement liée au droit de la personne, qui exige des démarches pratiques et urgentes de la part des gouvernements et des parlements.
Le dernier article de fond, l’article 16, résume toutes les exigences de la femme afin d’obtenir un statut égal à son conjoint au sein de la famille. Malheureusement, il fait l’objet de certaines réserves de la part de plusieurs États.
Pour terminer ce tour d’horizon rapide de la convention, nous pouvons constater que cette dernière s’est penchée sur les aspects législatifs et opérationnels qui peuvent être à la base de toute action visant à améliorer la condition de la femme sur le plan privé et public.
Mais comme la CEDAW est un instrument « vivant », à travers les années d’expériences, d’études et d’analyses, notre comité a contribué, au moyen de ses recommandations générales ̶ qui surpassent aujourd’hui le nombre de trente ̶ à adapter le texte législatif aux exigences de la vie quotidienne, aux évolutions politiques internationales, aux obligations des États et surtout aux attentes des femmes.
Aujourd’hui l’intérêt envers les « recommandations générales » va croissant. Les spécialistes des droits de la femme, les organisations non gouvernementales et surtout les gouvernements ont souvent recours à certaines d’entre elles quand une question d’actualité se pose. Lors des débats politiques concernant la participation de la femme au sein des parlements, ce sont les recommandations générales N. 5 de 1988 et N. 25 de 2004 sur les « Mesures temporaires spéciales » qui s’imposent.
Aujourd’hui l’intérêt envers les « recommandations générales » va croissant. Les spécialistes des droits de la femme, les organisations non gouvernementales et surtout les gouvernements ont souvent recours à certaines d’entre elles quand une question d’actualité se pose
Aujourd’hui, le problème de la violence à l’égard de la femme est d’actualité, ainsi on a recours à la recommandation générale N.12 de 1989 et 19 de 1992.
De même, le comité a pris en considération l’importance d’être au diapason des problèmes et des défis auxquels font face les femmes du monde entier : la recommandation générale 14 de 1990 attaque l’excision[2], la N. 13 de 1989 prône l’égalité de la rémunération pour un travail de valeur égale.
En même temps, le comité n’a pas négligé le travail de la femme au sein des entreprises familiales, d’où la recommandation générale N. 16 de 1991, ni leur contribution au produit national brut, d’où la recommandation générale N. 17 de 1991 sur l’évaluation et quantification du travail ménager non rémunéré des femmes et la prise en compte dudit travail dans le produit national brut.
Le comité a prêté une attention particulière à certains groupes de femmes en difficulté, dites femmes vulnérables, d’où la recommandation générale N. 18 de 1991 sur les femmes handicapées, N. 26 de 2008 sur les travailleuses migrantes, N. 27 de 2010 sur les femmes âgées, N. 32 de 2014 sur les femmes réfugiées et apatrides, et surtout la N. 30 de 2013 sur « les femmes durant les conflits armés ».
Le mariage et les rapports familiaux ont fait l’objet des recommandations générales N. 21 de 1994 et N. 29 de 2013 sur les conséquences économiques du mariage, des relations familiales et de leur dissolution.
Les questions ayant leur influence directe et indirecte sur la condition de la femme ont été reflétées à travers les recommandations générales N. 23 de 1997 sur la vie politique et publique, N. 24 de 1999 concernant femmes et santé.
Quant aux questions se rapportant aux obligations des États ayant ratifié la convention, elles sont dûment reflétées dans les recommandations générales N. 20 de 1992 sur les réserves et N. 28 de 2010 sur les obligations fondamentales découlant de l’article 2 de la convention.
Dernièrement, notre comité a été pionnier en adoptant la recommandation générale N. 31 de 2014 sur les pratiques néfastes (MGF, mariage précoce, polygamie, stéréotypes négatifs…) et cela à la suite d’une coopération et d’un travail conjoint avec un comité frère, celui des droits de l’enfant[3].
La discussion sur les rapports des États et les observations finales du comité qui en découlent sont notre guide dans nos actions futures en tant que suivi (follow up, procédure) ou recommandations générales.
Avouons que la préparation du rapport initial ou périodique est en soi une activité complexe et utile. Complexe, car elle s’exécute à plusieurs niveaux, gouvernemental et non gouvernemental, et s’effectue à travers plusieurs acteurs au sein des gouvernements : les ministères de la justice, de l’éducation, de la santé, de l’emploi, des affaires extérieures, des affaires intérieures, le mécanisme de la femme (s’il existe). Cet exercice à géométrie variable crée une attention croissante, de part et d’autre, aux problèmes, aux demandes et aux aspirations de la femme.
Les parlements sont invités à étudier les observations finales du comité. Leur rôle est essentiel pour l’adoption des budgets orientés vers la promotion des services sociaux fournis aux femmes
Ainsi, la rencontre avec le comité en session est un évènement important, que ce soit pour le gouvernement ou pour la société civile, car elle exige des préparatifs sur le plan législatif et opérationnel. Un état des lieux est à l’ordre du jour. Un gouvernement « sérieux » organise « une cellule de crise », responsable de préparer statistiques, documents, lois et projets de loi. Certains gouvernements travaillent en coopération avec les ONG ou bien les consultent sur certaines échéances, d’autres les tiennent à l’écart. Les ONG, dans la plupart des cas, préparent de leur côté un rapport alternatif dit shadow report. Même les agences onusiennes siégeant dans l’État en question fournissent une documentation à distribution limitée, restreinte à l’utilisation des experts.
Nous pouvons admettre que pareille « agitation », « effervescence », est fort bénéfique pour la femme, la société et, a priori, le gouvernement. Elle sonne l’alarme, réveille les paresseux, encourage les actifs, ouvre la porte aux initiatives pouvant améliorer l’image de marque de l’État partie dans les domaines en relation avec les droits de la femme.
Le résultat de la discussion du rapport est fort important pour la crédibilité de l’État partie : les observations finales des organes de traité ont leur impact sur toutes les procédures de suivi au sein du système des droits de l’homme aux Nations unies.
En même temps, les parlements sont invités à étudier les observations finales du comité. Leur rôle est essentiel pour l’adoption des budgets orientés vers la promotion des services sociaux fournis aux femmes, pour consolider les structures du mécanisme de la femme (conseil, ministère, organisation), pour adopter des lois réalisant l’égalité femme/homme, et pour accepter le retrait des réserves sur certains articles de la convention au cas où elles ont été émises par l’État partie.Ainsi, pendant les dernières années, certaines délégations comprenaient des parlementaires qui assistaient au débat et participaient aux discussions.
Les textes, c’est-à-dire les articles de la convention et les recommandations générales sont la base de toute action. Ils inspirent essentiellement les gouvernements qui sont les premiers responsables de la mise en œuvre de ce document contraignant. La société civile a démontré, dans la plupart des cas, une agilité, une vigilance pour exiger l’application à la lettre des droits de la femme ainsi cités. La femme, de son côté, a insisté sur la totalité de ses revendications, à commencer par la non-discrimination.
La bataille a été longue et pénible. Elle a commencé longtemps avant l’adoption de la CEDAW et continue de nos jours, et continuera jusqu’à l’accomplissement des principes énoncés dans la convention. Les recommandations générales sont considérées comme soft law.
Un élément additionnel est à signaler; c’est le Protocole facultatif[4]. Il permet deux sortes d’actions/procédures :
- Les communications/plaintes présentées par la personne concernée ou par un groupe de personnes (souvent ONG) pour signaler une violation des droits stipulés dans la convention.
- La deuxième procédure est l’enquête, qui peut être menée par le comité, une fois convaincu de l’existence d’une violation grave et massive des droits de la femme dans un État déterminé. Les États, lors de la ratification du protocole, peuvent déclarer la non-acceptation de cette démarche (enquête).
Accorder à la femme le droit de présenter une pétition dans le cadre de la convention est une étape qui mérite une appréciation particulière. C’est un pas en avant vers l’émancipation réelle car elle responsabilise la femme, exige qu’elle étudie à fond ses droits selon les lois de son pays et l’instrument international (la convention) et qu’elle épuise toutes les étapes domestiques concernant le règlement du litige.
Le protocole facultatif constitue une charge additionnel, et il incombe au comité de s’en acquérir. Pareille activité a fait naître une jurisprudence propre au comité et nous en sommes très fières.
La convention CEDAW est presque universellement reconnue (188 ratifications). Notre région euroméditerranéenne est unanime dans son acception de ses normes et principes, mais avec certaines fluctuations
La convention CEDAW est presque universellement reconnue (188 ratifications). Notre région euro-méditerranéenne est unanime dans son acception de ses normes et principes, mais avec certaines fluctuations. Comparons les lois nationales, comparons les services sociaux, le niveau de participation politique, la place de la femme au sommet de la pyramide gouvernementale, académique et financière. Les variations sont étonnantes et intéressantes. Cela demande étude et réflexion sérieuse et avant tout coopération et échange entre les pays et entre les composantes de la société civile.
Il est vrai que notre région est loin d’être homogène de par sa culture, son économie, sa situation politique, etc. Espérons que les thèmes portant sur les droits de la femme et leur renforcement soient un sujet de rassemblement et non de discorde et de division.
Les spécificités culturelles ne sont aucunement une raison de refuser de réaliser des progrès dans la bonne voie ou de rejeter certains articles. Les difficultés économiques doivent être une source d’encouragement, non pas de développement sans la participation à part entière de la femme dans la production, à commencer par son éducation, sa préparation professionnelle et le respect de son rôle au sein de la famille, au travail et dans la société.
Les bouleversements politiques doivent inspirer plus de détermination pour encourager l’intégration de la femme dans le processus de réconciliation, dans les activités de résolution des conflits, dans l’instauration de la période post conflit.
Les échanges d’expériences, d’histoires de réussites doivent être à la base des réunions des divers groupes de travail, ateliers, conférences regroupant des participants issus des deux rives de la Méditerranée. Cela s’est produit ; j’ai personnellement assisté à de pareilles manifestations. Elles sont utiles et bénéfiques pour tous les participants, quel que soit leur niveau de développement et de richesse et quel que soit le niveau de mise en œuvre de la convention CEDAW au sein de leur société.
Notre comité se porte garant de toute coopération, de tout échange. Les experts, ainsi que notre secrétariat, sont toujours prêts à fournir leur assistance technique, leurs conseils. De même, notre travail, résumé dans nos observations finales sur les rapports des États parties, est devenu une source d’inspiration et une documentation utile et à la base des études comparées. Les États parties de la région euro-méditerranéenne peuvent facilement profiter de cette unique opportunité.
Notre comité a pour habitude de mandater les expertes/experts qui appartiennent à la région en tant que rapporteurs (pour la discussion des rapports) et aussi pour assurer, au besoin, une assistance technique, outre leur participation aux réunions régionales ou transrégionales.
Cela illustre le rôle du comité, son énergie, son apport pour la femme, d’où sa nécessité dans la région qui est la nôtre. Il constitue une référence du point de vue légal et une expertise du point de vue opérationnel.
Notas
[1]Adoptée en 1979 par l’Assemblée générale des Nations Unies, entrée en vigueur en 1981.
[2]Connue aujourd’hui à travers le terme MGF: mutilations génitales féminines.
[3]C’était une première dans le cadre des organes de traité. Et il faut avouer que l’exercice n’était pas facile, mais le résultat très satisfaisant.
[4]En 1999, l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté par consensus le protocole facultatif, entré en vigueur en 2000. Ratification actuelle: 105 États.