L’histoire inédite de la science-fiction arabe

Malgré sa prolifération ces dernières années, notamment avec les succès égyptiens, la science-fiction reste un genre rare dans les cinémas arabes.

Joseph Fahim

S’il est un genre auquel le public occidental associe rarement – voire jamais – le cinéma et la télévision arabes, c’est bien la science-fiction (SciFi).

Pendant la majeure partie de sa longue et tortueuse histoire, le réalisme social a été le prisme prédominant à travers lequel l’Occident a vu et appris la culture arabe contemporaine : un cadre considérablement stagnant qui dicte les thèmes et les questions considérés comme exportables aux spectateurs profanes.

Un regard sur le récent boom des œuvres de ce genre en provenance de la région, occulte le fait que le fantastique et la SciFi ne sont pas nés du vide. La tentative de créer des histoires de SciFi authentiques n’est pas une nouvelle lubie ; les premières tentatives dans le cinéma égyptien indiquent que les cinéastes arabes étaient attirés par un genre principalement identifié par ses origines occidentales, bien avant que la technologie ne commence à être viable. Malgré sa prolifération ces dernières années, la SciFi reste manifestement un genre qui ne se prête pas facilement à la plupart des cinémas arabes.

Dans un article publié en 2009, la chroniqueuse et écrivaine Nesrine Malik attribuait la rareté historique de la science-fiction dans le monde arabe, en partie, à une suspicion dominante à l’égard de la science, qui contraste avec la foi religieuse, en plus de ses racines occidentales, auxquelles les penseurs et les conteurs ont résisté. Cette théorie pourrait expliquer l’absence de littérature de SciFi arabe avant la seconde moitié du XXème siècle. Et pourtant, aussi fascinant que cela puisse paraître, le premier véritable exemple de littérature de science-fiction au monde, comme l’explique l’écrivaine Lydia Green dans un article publié en 2013 par la BBC, est attribué au Moyen-Orient : l’écrivain et médecin perse du XIIIème siècle de Bagdad, Zakariya al Qazwini, dont le récit, Les merveilles des Créatures, voit un extraterrestre descendre sur Terre pour observer le comportement contradictoire des humains.

Cependant, la véritable naissance de la science-fiction arabe remonte au XXème siècle, et c’est dans le cinéma que l’on trouve certains des premiers exemples. L’Égypte possède la plus ancienne et la plus importante industrie cinématographique de la région, bénéficiant d’une multitude de ressources et de talents, ainsi que d’un vaste marché qui exigeait une production diversifiée.

Il est largement admis que le premier film arabe de SciFi est El Sabae Affandy (« M. Sabae »), sorti en 1951. Réalisé par le cinéaste Ahmed Khorshid, l’intrigue suit un employé de bureau malchanceux, qui tombe accidentellement sur une pilule, qui lui donne le pouvoir de traverser les murs. Cette idée est introduite arbitrairement dans un film plus proche de la comédie que de la fantaisie ou de la science-fiction, avec une utilisation minimale des effets spéciaux et dont les principales attractions sont plutôt la danse et la musique.

Au cours des décennies suivantes, trois grands types de SciFi vont apparaître en Égypte : les pilules magiques, les voyages dans le temps et les parodies.

La pilule magique

D’innombrables films à partir des années cinquante, comme le souligne le chroniqueur Shady Lewis dans un article de 2020, tournent autour d’une pilule synthétique magique qui dote les protagonistes de pouvoirs spéciaux, leur donnant la richesse et les pouvoirs qu’ils convoitent, mais qui finit par les corrompre et les insatisfaire. Ce groupe comprend H3 (1961) d’Abbas Kamel, qui raconte l’histoire d’un homme de 80 ans qui prend un élixir de jeunesse et redevient jeune avant de découvrir, une fois de plus, que tout cela n’était qu’un rêve ; Ashour kalb al-assad (« Le cœur de lion d’Ashour », 1961) de Hussein Fawzi ; et Uncle zizo habibi (« Mon cher oncle Zizo », 1977) de Hussein Fawzi et Niyazi Mostafa, qui racontent toutes deux l’histoire d’hommes chétifs qui ont recours à une potion qui les rend forts pour conquérir le cœur de leurs bien-aimées.

« Le vêtement d’invisibilité » est un sous-ensemble de cette catégorie, dans lequel un chapeau, une capuche ou un dispositif né d’une folle expérience chimique confère à ses protagonistes troublés le pouvoir d’invisibilité, pour découvrir, eux aussi, à quel point ce pouvoir est capable de corrompre. Cet ensemble comprend Min ayn laka haza (« Où as-tu trouvé ça ? », 1952), Sir takayet al-ekhfaa (« Le secret du chapeau d’invisibilité », 1959) et Fetewet el-nas el-ghalaba (« Le protecteur des défavorisés », 1984), tous réalisés par Niyazi Mostafa, le grand maître égyptien du fantastique, qui a été le premier à utiliser des effets spéciaux dans le cinéma arabe.

Des trois catégories, les films sur la « pilule magique » sont les plus moralisateurs et les plus méfiants envers la science. La « pilule magique » a été utilisée comme une métaphore de la science : attrayante, charmante, mais finalement destructrice de l’âme. La science est une déviation contre l’ordre de la nature, suggèrent ces films ; ils soulignent tous que la seule façon d’atteindre la félicité, est de se soumettre et d’accepter les lois de la nature.

Voyages dans le temps

L’afflux de films de voyages dans le temps est plus éclectique dans le ton et très ambitieux dans l’échelle. Cette catégorie englobe le drame romantique – Mamlaket el-hob (« Le royaume de l’amour », 1973) de Roméo Lahoud –, la comédie – Ressalah ela al–wali (« Lettre au gouverneur », 1998) de Nader Galal, Sameer & Shaheer & Baheer (2010) de Moataz El Tony – et la terreur, avec Al-raks maa’ al-shaytan (« Danse avec le diable », 1993) d’Alaa Mahgoub. Avec des intrigues et des formes différentes, ces films reflètent les préoccupations de leur époque : la libération sexuelle des années soixante-dix, dans « Le royaume de l’amour » ; la vague montante de religiosité des années quatre-vingtdix, dans « Danser avec le diable » ; la nostalgie de l’ère prénumérique dans Sameer & Shaheer & Baheer.

Parodies

La plus espiègle des trois catégories est la vague de parodies produites dans les années soixante et soixante-dix, à la fois satire et hommage aux célèbres superproductions hollywoodiennes de l’époque. Les principaux sont deux films de Hassan al Sayfi : El-millionnaire el-mozayaf (« Le faux millionnaire », 1968), qui met en scène le personnage secondaire d’un robot serviteur qui aspire à se marier et El-maganeen el-thalatha (« Les trois fous », 1970), qui raconte l’histoire d’un scientifique dont les expériences de rajeunissement dérapent, lorsqu’elles ont l’effet inverse sur ses sujets candides.

Un petit nombre de films de science-fiction n’entrent pas dans ces trois catégories. Parmi ceux-ci, citons Rehla ela al-kamar (« Un voyage sur la lune », 1959) de Hamada Abdel-Wahab, une comédie spatiale à la Abbott et Costello sur un groupe d’astronautes égyptiens qui s’embarquent pour une expédition sur la lune, et Abou eyoon garee’a (« Les cils de Mme Bold », 1959) de Hassan al Sayfi, une comédie sur le changement de corps d’un homme qui décide de changer le cerveau de sa femme étrangère aux mœurs légères, contre celui d’une femme égyptienne réservée, avec des résultats désastreux.

Politique et esthétique

Le commerce et l’accessibilité ont toujours été les moteurs du succès fulgurant du cinéma égyptien ; les messages moraux sont présentés d’une manière qui semble être une concession aux codes sociaux de l’époque, plutôt que l’expression authentique et consciencieuse des cinéastes.

Sur le plan esthétique, ces films varient également en termes d’ambition et d’intention. Les premiers exemples, tels que « M. Sabae » et H3, étaient gâchés par une mise en scène fade, masquée par une production ostentatoire et des costumes élaborés. Les films de la fin des années soixante et des années soixante-dix, tels que « Le royaume de l’amour » et « Les trois fous », avaient une esthétique plus kitsch, consciente avec charme de la reproduction bon marché à la Roger Corman des superproductions hollywoodiennes, dont l’identité égyptienne était maintenue dans les dialogues et les thèmes comiques.

Le réalisateur qui a véritablement marqué le genre est le susmentionné Niyazi Mostafa, dont l’attitude effrontée se reflète dans presque tous les éléments de ses productions, de l’atmosphère d’insouciance dominante, aux intrigues solidement construites, qui abordent la science avec plus d’ambiguïté et moins de prudence que ses contemporains. Ses histoires reconnaissent le potentiel illimité de la science ; son scepticisme n’est pas le fruit d’une méfiance à l’égard du savoir, mais d’une suspicion à l’égard de la corruptibilité de l’homme.

Un chef-d’œuvre de la SciFi arabe

La production de SciFi arabe la plus formelle, la plus réussie du XXème siècle, est Kaher al-zaman (« La conquête du temps », 1987), le dernier film du grand Kamal el Sheikh, le Hitchcock égyptien. Basé sur un roman de Nihda Sherif paru en 1973, le film raconte l’histoire d’un médecin qui découvre un moyen de congeler des êtres humains et de les récupérer après une longue période.

Inspiré de l’ancienne méthode égyptienne de momification, « La conquête du temps » soulève un certain nombre de questions réfléchies sur la moralité de la science, l’impulsion humaine innée de défier l’ordre des choses et le désir divin secret de contrôler son propre destin. Avec une approche visant à fournir une logique concrète à son univers sans s’écarter de la réalité, avec son atmosphère gothique, il contient des teintes de film noir, ce qui contribue à rendre le film formellement unique, tissant impeccablement ses différents fils ensemble, pour former un récit éclectique mais cohérent qui se termine de façon beaucoup moins concluante et définie qu’il n’y paraît.

Larissa Sansour : la SciFi comme résistance politique

Alors que l’Égypte est restée un pied dans et un pied hors de la SciFi après les années quatrevingt-dix, les cinéastes arabes ont commencé à se rendre compte, au fur et à mesure de l’évolution du genre, qu’il élargissait son champ d’action, son horizon et sa portée. L’artiste conceptuelle et réalisatrice palestino-danoise Larissa Sansour est sans doute la cinéaste de science-fiction arabe la plus avant-gardiste de ce siècle.

Le travail très caractéristique de Sansour s’appuie sur des images en direct, des documents d’archives et des images générées par ordinateur, pour créer des univers dystopiques explorant une multitude de préoccupations palestiniennes : la ségrégation, l’exil, la difficulté de maintenir une identité nationale face à une occupation sans fin, la lutte pour préserver la mémoire collective et pour recadrer le récit palestinien.

Dans ses courts métrages, Sansour a bouleversé les conventions de la SciFi, en insufflant aux images et aux tropes visuels les plus populaires du genre des signifiants palestiniens, pour générer des fantasmagories à la fois familières et palpablement nouvelles. Ses mondes dystopiques ne contiennent pas d’antagonistes tangibles : l’immobilité du temps, l’impossibilité affaiblissante du changement et le remplacement des foyers disparus par de nouveaux habitats carnivores, constituent une chronique ironique et cruelle de l’héritage d’une occupation qui ne montre aucun signe de fléchissement.

Chacun de ses films représente une recherche continue sur ces questions. Sansour s’imagine comme la première palestinienne dans l’espace, dans A Space Exodus (2008), une allusion au film 2001: A Space Odyssey de Stanley Kubrick. Elle y utilise l’alunissage de Neil Armstrong en 1969 pour soulever des questions sur l’identité nationale et la souveraineté. Dans la lignée de High Rise de J. G. Ballard, Nation Estate (2013) imagine la Palestine comme un gratte-ciel géant, emprisonné au milieu d’une terre piégée : lointain et isolé, mais existant. In the Future They Ate from The Finest Porcelain (2015), quant à lui, tourne autour d’un groupe de résistance – ou de « terroristes narratifs », comme ils se surnomment eux-mêmes – qui plante des morceaux de porcelaine pour que des archéologues du futur les déterrent… un artifice élaboré conçu pour contre-attaquer, résister et réécrire le récit de l’occupant.

SciFi du Golfe et du Liban : spectacles creux face à des satires acerbes

À l’opposé du travail de Sansour, nous trouvons la vague naissante de films dystopiques provenant des États du Golfe. Trois films des Émirats arabes unis ont positionné la péninsule arabique comme un nouveau centre potentiel de production de SciFi, bien que les mérites de ces titres soient sujets à débat. Dans le film post-apocalyptique The Worthy (2016) d’Ali F. Mostafa, l’eau de la planète est devenue très polluée. Un groupe de personnes vivant à côté du dernier réservoir d’eau propre doit défendre son territoire contre les infiltrés, dans l’intérêt de sa survie.

Un autre film post-apocalyptique est le court métrage de S. A. Zaidi, The Sons of Two Suns (2013), également un récit de survie sur deux frères vivant dans un Dubaï désert et luttant pour éviter la destruction de deux soleils menaçants. Zaidi a fait ses débuts de réalisateur de longs métrages en 2016 avec Aerials, un drame sur une invasion extraterrestre, où un couple multiracial de Dubaï tente de déchiffrer les raisons et le but derrière la descente de vaisseaux spatiaux à Dubaï.

Les trois films mettent en lumière certaines questions pertinentes liées à la vie à Dubaï : le changement climatique, la diminution des ressources en eau dans The Worthy et The Sons of Two Suns, et les divergences de communication dans A e r i a l s . Tous les trois adoptent des styles visuels et narratifs fades et sans originalité, qui sont une imitation médiocre de l’esthétique hollywoodienne, associés à certaines des pires interprétations jamais vues dans la SciFi arabe. Vous ne trouverez aucune expression artistique authentique dans ces films, rien d’une politique éloquente et transcendante. Le cinéma de genre a permis aux cinéastes arabes de contourner la censure en recourant au symbolisme et à l’allégorie ; les réalisateurs émiratis – qui restent sous étroite surveillance policière et sont soumis à une censure rigide – n’ont pas su tirer parti des libertés offertes par la science-fiction, livrant des histoires inférieures à la moyenne qui succombent à l’esthétique occidentale, au lieu de la défier.

Le jeune réalisateur saoudien Meshal al Jaser, dont le court-métrage Arabian Alien a été sélectionné pour le Festival du film de Sundance 2019, connaît un succès plus important. De sensation YouTube à cinéaste, le succès d’Al-Jaser tourne autour d’un jeune homme marié qui connaît un nouvel éveil, lorsqu’un extraterrestre entre dans sa vie. Conçu en images monochromes magnifiquement déformées qui accentuent le détachement du protagoniste de son environnement contrôlé et despotique, Arabian Alien est essentiellement une allégorie gay : l’histoire d’un homme contraint d’enfouir ses désirs dans une existence domestique tyrannique et hypocrite. Dans un endroit comme l’Arabie saoudite, cependant, se sentir épanoui avec une autre créature « alien » est voué à l’échec, et les moments de bonheur fugaces s’avèrent éphémères. Drôle, intelligent et fièrement politique,Arabian Alien est de loin la meilleure chose en SciFi qui soit sortie du Golfe à ce jour.

Le paysage cinématographique libanais a été largement inspiré par la guerre civile (1975-1990), dont l’héritage et les conséquences ont été le principal thème abordé, au cours des trois dernières décennies. Ces dernières années, les conteurs libanais se sont tournés vers le genre avec l’intention de remuer les eaux créatives stagnantes de l’industrie naissante. Parmi les acteurs les plus importants de la dernière décennie, on trouve Cinemoz, un service de vidéo à la demande, qui produit du contenu essentiellement destiné à Internet.

S’aventurant dans plusieurs genres, les deux œuvres les plus remarquables de Cinemoz à ce jour sont des SciFi : la web-série éphémère Arabs in Space (2018) et le court-métrage Last Days of the Man of Tomorrow (2017) de Fadi Baki.

La première suit un groupe de personnages arabes loufoques, envoyés en mission spatiale pour sauver le Moyen-Orient de la ruine. Avec un esprit proche de la légèreté de Gardiens de la GalaxieArabs in Space avait certainement beaucoup d’atouts : un éventail de personnages passionnants, une comédie perspicace générée par la différence culturelle entre les divers personnages arabes, et un cadre jamais utilisé auparavant dans les séries arabes. Il lui manquait cependant le genre de satire acerbe que l’on attend d’une telle prémisse ; les personnages restent plats et n’évoluent pas, tout au long de la série.

Last Days of the Man of Tomorrow, en comparaison, est presque parfait. Le héros protagoniste de l’histoire, est un automate que la France offre au Liban après son indépendance, dont l’ascension et la chute reflètent la même trajectoire sociopolitique du Liban, au cours des 70 dernières années. Mélangeant des images de style documentaire, des animatronics grandeur nature et des images générées par ordinateur, Man of Tomorrow condense un grand nombre d’idées dans sa durée de 30 minutes : l’héritage du colonialisme français, les effets persistants de la guerre civile et du sectarisme, et la ruine économique d’un pays autrefois surnommé la « Suisse du Moyen-Orient ». Conçu avec un esprit, une intelligence et une émotion remarquables, Man of Tomorrow est le genre de satire politique que peu d’Arabes parviennent à réaliser, avec une telle perfection.

L’Égypte, la télévision et le futur

Au cours de la dernière décennie, l’Égypte – qui conserve son poids commercial en tant que premier marché de la région – est restée le principal moteur de la SciFi dans la région. Outre Sameer & Shaheer & Baheer, déjà cité, d’autres tentatives du genre ont vu le jour, notamment la saga de voyages dans le temps El-ghassala (« La machine à laver », 2020) d’Essam Abdel-Hamid et la comédie « pilule magique » Khetet Jimmy (« Le plan de Jimmy », 2004) de Tamer Bassiouny.

La star Ahmed Mekki a apporté deux des offres les plus atypiques du genre avec Cinema Ali Baba (2011) d’Ahmed el Guindy et la série télévisée Khalsana besheyaka (« Splendidement terminé », 2017) de Hisham Fathi. Le premier est un film de style grindhouse composé de deux histoires distinctes, l’une sur un ouvrier stupide qui est pris pour le leader d’une planète extraterrestre lors d’une excursion dans l’espace et la seconde, une comédie dystopique qui se déroule en Égypte après une Troisième Guerre mondiale, causée par un conflit nucléaire entre les hommes et les femmes du monde.

Les deux œuvres sont frivoles et apolitiques ; toutes deux rendent hommage à des contenus hollywoodiennes (Heroes Out of Orbit dans le cas de la première et Waterworld dans le cas de la seconde). Toutes deux utilisent la quintessence de l’humour égyptien pour donner une nouvelle vie, une nouvelle identité, à l’essence de la SciFi américaine, qu’elles bricolent délibérément. Les résultats sont inégaux et pas entièrement réussis, mais ils sont incontestablement amusants et contiennent des fragments d’une admirable fraîcheur.

En termes d’effets spéciaux innovants, deux séries télévisées avec l’acteur égyptien Youssef el Sherif, démontrent les progrès et les erreurs de la science-fiction arabe contemporaine. Le premier est Al nihaya (« La fin », 2020), de Yasser Samy. Il s’agit d’une autre histoire dystopique qui se déroule dans un monde souffrant d’une crise énergétique imminente et dirigé par une société autocratique maléfique, qui a interdit l’éducation et gère les ressources de la planète sous son contrôle. Le second est Covid 25 (2021) d’Ahmed Nader Galal, un film d’horreur presque zombie, basé sur un nouveau virus transmis par le regard.

Les deux séries sont alambiquées, dramatiques sans intérêt et imprudentes dans leurs préoccupations d’intrigue, quelles qu’elles soient. Et, compte tenu de la censure croissante en Égypte (les deux séries ont été produites par Synergy, le plus grand producteur de films et de télévision du pays, qui appartient aux services secrets militaires), toute allusion politique possible à la réalité oppressive actuelle est immédiatement ignorée, présentant les séries comme des spectacles creux et brillants, sans âme ni sens.

« La fin » reste la production de SciFi la plus chère et la plus élaborée de l’histoire de la télévision et du cinéma arabes. Ses effets spéciaux de qualité supérieure témoignent des progrès réalisés par l’industrie arabe, en matière de production. Cependant, la fadeur des histoires et l’impuissance des messages politiques montrent que ce qui manque au cœur d’une grande partie de la science-fiction arabe récente, c’est la substance… ce sont des scénarios originaux.

Personne ne sait ce que l’avenir réserve à la SciFi dans la région. L’Égypte semble déterminée à continuer d’explorer le genre, et tous les regards seront désormais tournés vers Muse, la fable robotique à gros budget, dont la sortie est prévue pour l’été 2021. Si le film s’avère être l’énorme succès commercial qu’on lui prédit, il y a des chances que le genre prolifère.

Le reste du monde arabe continuera à goûter à la SciFi de manière inégale, en attendant peut-être le grand succès qui captera l’attention de toute la région. Le financement, les exigences du marché et l’autocensure continueront d’empêcher le genre de réaliser son potentiel et de prospérer. Cependant, le succès des comédies égyptiennes et des œuvres à caractère politique comme celles de Sansour et Man of Tomorrow, ont montré que la science-fiction arabe pouvait avoir sa propre identité.

Joseph Fahim, critique de cinéma et programmateur égyptien.