Les femmes dans le secteur touristique de la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord

Azzurra Rinaldi

Le tourisme est un secteur qui offre généralement un énorme potentiel pour l’égalité des sexes. En même temps, c’est un secteur qui constitue encore de nombreux défis. Par exemple, du point de vue de l’emploi, nous rencontrons une profonde diversification verticale et horizontale entre micro, petites et moyennes entreprises dans le monde entier.

Comme on le sait, l’emploi dans le secteur touristique est doublement lié à la saisonnalité, ce qui oblige en quelque sorte à l’embauche à temps partiel, et ne favorise pas la stabilité. C’est pour cette raison que dans bien des cas, ces emplois se caractérisent par un degré considérable d’incertitude.

Au cours de ces dernières années, le secteur touristique a progressé presque continuellement au niveau mondial et a fourni du travail à une personne sur 10. Il en était ainsi jusqu’à l’année dernière, lorsque la pandémie et la crise en résultant, ont entraîné une contraction brutale du volume de flux touristiques internationaux. De ce fait, on a enregistré une réduction importante de l’emploi dans le secteur, affectant surtout la main-d’œuvre féminine, tant dans les pays émergents que dans les pays avancés.

Même dans les années de la rapide expansion du secteur touristique, qui est nettement intensif en maind’œuvre, la création de postes de travail a adopté des caractéristiques qualitatives et quantitatives différentes pour les hommes et les femmes, comme c’est le cas, par ailleurs, dans d’autres secteurs de production.

Dans le monde, seulement une femme sur deux est employée (sur un total de femmes en âge de travailler, c’est-àdire entre 15 et 64 ans) et, cependant, celles qui ont un emploi gagnent moins que les hommes : selon les derniers chiffres de la Banque mondiale, pour chaque dollar gagné par un homme, une femme obtient entre 65 et 75 centimes. Même dans l’Union européenne, la rémunération des femmes est jusqu’à 16 % inférieure à celle des hommes. D’autre part, comme dans le reste du monde, elles se heurtent à de plus grandes difficultés dans différents aspects de leur vie professionnelle et entrepreneuriale, comme par exemple, pour accéder au crédit. Ceci a un énorme impact sur le processus de développement des pays émergents, mais aussi évidemment, sur l’autonomisation des propres femmes: la Société financière internationale (IFC, par son abréviation en anglais), calcule que précisément dans les pays en développement, 70 % des petites et moyennes entreprises appartenant à des femmes ne sont pas servies ou sont insuffisamment servies par les institutions financières, représentant un déficit de crédit de 285 milliards de dollars.

Mais ce ne sont pas sous ces seules formes que le fossé entre les sexes apparaît. Les investissements en capital humain ou la création de réseaux sociaux sont aussi touchés par l’appartenance à l’un ou l’autre sexe, ceux-ci étant déterminés par les pratiques communes liées au genre, encourageant les hommes à bâtir des stratégies plus efficaces et, par conséquent, à obtenir de meilleurs rendements des investissements réalisés en capital humain. Sans compter sur le préjugé sexiste bien connu : par exemple, les responsables des ressources humaines ont tendance à choisir des candidats du même sexe, car ils les ressentent plus similaires à eux-mêmes.

C’est une occasion manquée. En effet, le tourisme peut aussi offrir des possibilités de travail aux femmes, contribuant ainsi à leur autonomisation économique et grâce à cela, à l’augmentation de leur pouvoir de négociation au sein des familles.

Commençons par un chiffre au niveau mondial : 54 % des personnes travaillant dans le secteur du tourisme sont des femmes, un taux très supérieur à la moyenne des autres secteurs, où elles ne représentent que 39 %. Les femmes sont surreprésentées, non seulement dans le tourisme, mais aussi dans les ministères concernés, où elles occupent 23 % des postes (contre 20,7 % du total des ministères). Et en observant les données sur les rémunérations, on peut voir que les femmes gagnent 14,7 % de moins que les hommes dans le secteur touristique. Par conséquent, il existe aussi un écart salarial entre les sexes dans ce domaine. Toutefois, nous pouvons voir également qu’il est inférieur à la moyenne des autres secteurs de la production, où l’écart salarial s’élève à 16,8 %.

Ces données encourageantes ne sont pas réparties de façon homogène dans le monde entier. Dans certaines zones, le pourcentage de femmes travaillant dans le secteur touristique est en fait très bas, comme dans certains pays du continent africain et au Moyen-Orient.

En lignes générales, nous pouvons affirmer que le secteur touristique offre plus d’opportunités d’autonomisation aux femmes, par rapport à d’autres secteurs. Toutefois, il ne faut pas oublier que nous pouvons aussi trouver dans le secteur touristique, des foyers de discrimination sexuelle liés, par exemple, au fait que les femmes ont tendance à occuper des postes de travail peu rémunérés ou instables. Nous observons également, tout comme dans d’autres secteurs, des phènomènes de ségrégation verticaux et horizontaux sur le marché du travail.

Nous assistons à une ségrégation horizontale au moment où les femmes trouvent un emploi dans des secteurs différents de ceux des hommes, tandis que nous tombons dans la ségrégation verticale selon la typique pyramide sexuelle, où pratiquement les hommes sont les seuls à accéder à des postes de responsabilité.

Dans certains pays, on attribue ces différences au fait que le tourisme requiert des horaires de travail qui pénalisent plus les femmes que les hommes. Ce à quoi il faut ajouter que le secteur touristique se caractérise aussi par la présence d’écarts salariaux entre les sexes. Par ailleurs, comme le signale l’Organisation internationale du travail, on observe une disparité structurelle entre les qualifications et les compétences des femmes et leur emploi réel dans le secteur. Les recherches qui analysent les disparités de genre en termes d’organisation entrepreneuriale signalent le « plafond de verre » auquel se heurtent les femmes pour accéder aux postes de direction et mieux rémunérés, en mettant en évidence que le sexe a un impact négatif sur les revenus des femmes. Cette évidence est aussi confirmée par d’autres publications sur la sous-représentation des femmes aux postes de direction, au sein de l’industrie du tourisme.

Bien que les femmes représentent le taux le plus élevé de main-d’œuvre employée dans le secteur touristique, leurs conditions de travail sont loin d’être favorables et sont, sans doute, pires que celles de leurs homologues masculins. Ce qui met en évidence la nécessité d’ouvrir de nouvelles perspectives concernant la gestion de la promotion professionnelle des femmes.

Malgré tout, comme nous l’avons avancé, il est important de continuer à insister sur les potentialités existant dans le secteur touristique, mais aussi du point de vue de l’avancement culturel des femmes et de leur processus d’autonomisation économique. Si, par exemple, nous examinons le secteur hôtelier, les femmes représentent près de 70 % de la main-d’œuvre. (OIT, 2020).

Potentialités

La participation au marché du travail du secteur touristique peut représenter un outil d’autonomisation efficace, tant pour renforcer la confiance en soi comme pour la création de nouveau modèles de leadership, au-delà de la création de sources de revenus. En fait, quand les femmes commencent à travailler dans le secteur touristique, mis à part le fait de gagner un revenu qu’elles peuvent gérer en toute indépendance, elles commencent à prendre conscience de questions revêtant une grande importance comme celles ayant trait à la santé ou à la charge de travail de soins non rémunéré. De nombreuses études publiées ont attribué au secteur touristique un rôle clé dans le développement économique. Ce qui est aussi valable pour les pays émergents, où ce secteur de production peut être géré, afin de soutenir les femmes dans un processus de croissance professionnelle et sociale et, en même temps, pour obtenir des meilleurs résultats économiques pour le pays.

Mais pourquoi est-il opportun et urgent d’analyser la contribution du secteur touristique au processus d’autonomisation des femmes, surtout dans les pays émergents ?

Tout d’abord, parce que les actions qui visent à supprimer les obstacles empêchant le plein emploi des femmes dans le secteur sont encore peu nombreuses. Plus particulièrement dans les pays émergents, il est bien connu que les femmes n’ont pas beaucoup de possibilités de rivaliser sur un pied d’égalité avec leurs homologues masculins, précisément à cause de nombreux obstacles, qu’ils soient visibles ou pas.

Dans les pays émergents, la condition des femmes est dans certains cas, voire même plus délicate que dans les pays avancés. Une étude récente de la Banque mondiale affirme que dans la région du Moyen-Orient et Nord de l’Afrique (MENA), les femmes sont considérablement sousreprésentées dans le secteur touristique : 5 % seulement des entreprises sont dirigées par une femme et 4 % seulement de ces entreprises appartiennent à des femmes. Selon les données de l’OMT, au Moyen-Orient, les femmes travaillant dans le secteur touristique représentent uniquement 8 % de la main-d’œuvre, bien qu’elles couvrent environ 17 % de l’emploi total.

En examinant plus en profondeur certains pays, nous observons par exemple qu’en 2017 une enquête sur l’Iran a démontré que les Iraniennes, bien qu’elles soient plus qualifiées que les hommes, ne peuvent accepter des postes de travail correspondant à leurs compétences parce qu’une réglementation gouvernementale interdit les hôtels d’embaucher des femmes pour des postes de responsabilité senior.

Dans le secteur hôtelier de Turquie, les femmes gagnent moins parce qu’elles sont structurellement employées à des niveaux de travail moins prestigieux et moins rémunérés.

En Namibie, en lignes générales, les ménages dirigés par des hommes jouissent d’une plus grande sécurité financière, mais ce niveau est aussi atteint dans les ménages dirigés par les femmes travaillant dans l’industrie du tourisme.

Quelques recherches ont mis en évidence qu’en Ouganda, parmi la population Bakiga impliquée dans des projets éco-touristiques, les rôles traditionnels associés aux femmes ont changé, contribuant ainsi à une plus grande autonomie, déterminée aussi par leur capacité d’obtenir des revenus.

En Afrique du Sud, la contribution directe et indirecte du secteur touristique au PIB national s’élève à 2,8 % et 8,2 % respectivement (NDP, 2019). Le tourisme constitue, dans ce pays, une source de revenus importante pour de nombreuses micro et petites entreprises des zones reculées et rurales, grâce à leur potentiel de création d’emploi. Selon les chiffres publiés dans le Plan de développement 2019, les femmes représentent 70 % des personnes travaillant dans le secteur touristique. En dépit de cela, elles occupent moins de 40 % des postes de cadre, moins de 20 % de ceux de direction générale et moins de 8 % des sièges aux conseils d’administration. En raison de la Covid19, la situation ne s’est pas améliorée. Certaines analyses récentes ont démontré que les femmes sudafricaines se heurtent à une incertitude accrue quant à leur avenir professionnel et qu’elles ne trouveront pas un nouvel emploi dans le secteur touristique (bien qu’il soit l’un des secteurs dont le taux d’emploi féminin est le plus élevé).

Conclusions

Étant donné la croissance constante du secteur touristique au cours des dernières décennies (exception faite de l’année dernière où la pandémie de la Covid19 a provoqué une brusque contraction), les opportunités que ce secteur peut offrir aux femmes augmentent, tant dans les pays émergents, comme dans les pays avancés. Pour ce faire, il est nécessaire qu’un processus spontané soit renforcé par un système de politiques gouvernementales de soutien, non seulement à l’emploi, mais aussi à l’entrepreneuriat promu par des femmes, en partant des obstacles structurels désormais connus, comme par exemple, l’accès au crédit.

Il va sans dire qu’accroître l’autonomie et l’indépendance des femmes dans les pays émergents pourrait devenir un outil de développement pour tout le pays. Par conséquent, il est nécessaire de partir d’une collaboration plus étroite entre les institutions offrant une formation dans le secteur touristique et le secteur privé, afin de promouvoir la transition des femmes de la phase de formation à la phase professionnelle. Au Moyen-Orient, par exemple, le succès des femmes en matière de formation ne s’est pas traduit par une amélioration de leur position sur le marché du travail (bien que dans cette région – comme il arrive souvent – les femmes obtiennent de meilleurs résultats que les hommes en termes de formation).

En conclusion, il est nécessaire d’intégrer les objectifs relatifs à l’égalité des sexes dans les politiques nationales du tourisme dans une perspective stratégique, en ouvrant ainsi la possibilité d’obtenir des bénéfices en termes de création d’une plus grande richesse, non seulement pour les femmes, mais aussi pour tout le système économique dans son ensemble.

Azzurra Rinaldi, directrice de l’École en Économie du genre, chercheuse principale en économie, en économie des pays émergents et en économie du tourisme, Università degli Studi di Roma-Unitelma Sapienza.