En 2002, au WOCMES 1 à Mayence (Allemagne), un double panel intitulé « Les arts plastiques dans l’islam méditerranéen – nouvelles approches et méthodes d’analyse » présentait, pour la première fois dans un congrès international d’envergure, les travaux en cours autour d’un sujet qui commençait alors tout juste à être pris en considération par des jeunes chercheurs. Ce panel bilingue français-anglais comprenait six présentations, toutes dues à des doctorants, et avait été organisé par mes propres soins1. Cette initiative faisait suite aux deux journées que j’avais coordonnées en 2001 et 2002 à l’Institut d’Études de l’Islam et des Sociétés du Monde Musulman (IISMM-EHESS), à Paris, dans le cadre du programme « La création artistique contemporaine en pays d’islam » dirigé par Jocelyne Dakhlia entre 2000 et 2003, et dont les résultats ont été publiés en 20062.
En mars 2006, l’atelier « From Local to Global: Visual Arts in the Eastern Mediterranean between International Markets and Local Expectations », codirigé avec Nada Shabout de la University of North Texas à l’Institut Universitaire Européen près de Florence, dans le cadre du 7th Mediterranean Social and Political Research Meeting, réunissait des chercheurs en provenance d’Europe, du monde arabe et des États-Unis3.
En décembre 2006, Annabelle Boissier, une des participantes au panel du WOCMES et travaillant à une thèse – soutenue en 2008 – sur la Thaïlande dans la scène de l’art mondialisée4, organisait à l’Université de Tunis, en collaboration avec le Group de Réflexion de Socio-anthropologie des arts plastique dans les contextes périphériques ( SAP )5, un colloque portant sur les « Contextes artistiques périphériques: les apports d’une approche comparative », auquel participaient des chercheurs affirmés, des critiques d’art et des doctorants d’Europe et du Maghreb6. En 2005, elle avait déjà été l’initiatrice de « Journées doctorantes » sur ce thème à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales à Paris7.
Depuis le premier WOCMES, le nombre de thèses doctorales portant sur les arts visuels modernes et contemporains du monde arabe et musulman a crû, alors qu’aucune université n’a créé, à ce jour, une chaire ou un cursus d’études spécialisés dans ce domaine. Certes, Wendy Shaw, spécialiste de l’art moderne à la fin de l’Empire ottoman et dans la première République turque, enseigne, depuis la rentrée universitaire 2009-2010, la « World Art History » à l’Université de Berne. A Beyrouth, l’Université Saint Joseph offre un master professionnel trilingue en critique d’art et curatoriat centré sur les pratiques locales, dirigé par Nayla Tamraz8 ; au Département d’Anthropologie de l’Université Américaine de Beyrouth (AUB), Kirsten Scheid donne un cours sur l’art contemporain de la région tous les deux ans9. A Cornell University ( EE UU ), Salah Hassan enseigne l’art moderne de l’Afrique et de la diaspora africaine et Iftikhar Dadi l’art en tant que pratique globalisée, avec un regard spécial sur l’Asie du Sud et le Moyen-Orient. On pourrait ajouter à cela le séminaire pour doctorants que je donne à l’Université de Genève depuis 200910, ainsi que des enseignements ponctuels existant ailleurs. Cependant, le plus souvent, l’art moderne des pays d’islam est encore considéré comme une sous-discipline de l’art islamique – dont il n’est pourtant pas issu – voire des études arabes.
C’est pour cette raison qu’il a semblé utile – à Annabelle Boissier et à moi-même – de faire le point de la situation, huit ans plus tard, en organisant au WOCMES 3 de Barcelone le double panel « Méthodes, approches et thèmes des recherches actuelles sur les arts visuels au Moyen-Orient et au Maghreb »11. Deux facteurs nous ont poussées à vouloir donner une assise académique solide à ces thématiques : premièrement, parce qu’il paraît nécessaire que la recherche académique prenne en considération une réalité – celle de l’art moderne – qui existe désormais depuis plus d’un siècle. Deuxièmement, il est indispensable qu’elle en rende compte comme d’un phénomène en soi, comme d’un produit de la modernité, et non pas en tant qu’appendice de l’art islamique, ce qui est encore trop souvent le cas.
Par rapport à 2002, le double panel de cette année a montré que non seulement le sujet commence à attirer un nombre grandissant de jeunes chercheurs, mais également qu’il suscite de plus en plus l’intérêt du public. Cela peut s’expliquer d’un côté par la popularité nouvelle des expositions d’art en provenance du Moyen-Orient et des pays du monde musulman, mais aussi par la prise de conscience, de la part des nouvelles générations, qu’il n’est pas possible d’appréhender les sociétés de cette région uniquement par le biais du politique ou du religieux, mais qu’il faut en explorer les multiples facettes, dont la production artistique moderne et contemporaine fait résolument partie.
Pour ce numéro des Quaderns de la Mediterrania, il a semblé approprié de publier les communications traitant des évolutions historiques, que les lecteurs trouveront dans les pages qui suivent.
Notas
[1] http://davo.uni-mainz.de/tagungen/Wocmes/downloads/program.pdf. Panel 057 (partie 1) : Deniz Artun, EHESS, Paris: Politiques de modernisation/pratiques d’art en Turquie ; Annabelle Boissier, EHESS, Paris: Le marché de l’art contemporain tunisien perçu par ses artistes ; Soumia Masrar, IISMM/Toulouse: Une jeune génération de plasticiens en ébullition dans le Maroc aujourd’hui ; Monia Abdallah, Université du Québec, Montréal: L’art contemporain islamique: problématiques et enjeux. Panel 080 (partie 2) : Clemence Scalbert, Université de Marne-la-Vallée: Peintres kurdes en exil et (re)construction du pays natal ; Kirsten Scheid-Idriss, Princeton University: Veiled Women, Muslim Scouts and Other Unexpected Visitors to an Exhibition: Revisiting Early Lebanese Art Shows to Reconsider Founding Myths.
[2] J. Dakhlia et al., Créations artistiques contemporaines en pays d’iIlam : des arts en tension, Paris, Editions Kimé, 2006.
[3] http://www.eui.eu/RSCAS/Research/Mediterranean-Archive/mspr2006/Papers.shtml
[4] L’art contemporain est-il par définition international ? Les relations transnationales dans le processus de légitimation de l’art contemporain en Thaïlande, Directeur : Alban Bensa ; Tutrice : Brigitte Derlon, Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, Paris.
[5] www.groupesap.wordpress.com)
[6] Université de Tunis I, Faculté des Sciences Humaines et Sociales, Colloque Contextes artistiques périphériques: les apports d’une approche comparative, 7-9 décembre 2006.
[7] Journées Doctorantes du Groupe de Réflexion : Socio-anthropologie des arts plastiques dans les contextes périphériques (SAP) : Les enjeux des notions de Centre(s) et de Périphérie(s) en socio-anthropologie des arts plastiques, Maison des Sciences de l’Homme, Paris, 15-16 septembre 2005.
[8] http://www.usj.edu.lb/admission/dipl.htm?cursus=838
[9] http://www.aub.edu.lb/fas/sbs/people/kirsten_scheid/Pages/index.aspx
[10] Les arts visuels modernes et contemporains en pays d’iIlam – Etat des lieux, http://www.unige.ch/lettres/meslo/arabe/programme/SeminaireDoctorants.html
[11] 1. Regards historiques ; 2. Approches contemporaines. http://www.iemed.org/wocmes/wocmes2010.pdf