Pese a los gritos de alarma lanzados desde 1992 en conferencias internacionales que tenían por objetivo frenar el calentamiento global, y pese a las perspectivas de En dépit des cris d’alarme lancés depuis 1992 au fil de conférences internationales visant à enrayer le réchauffement climatique et malgré les perspectives d’amenuisement des ressources énergétiques fossiles qui incitent à la modération des consommations énergétiques, peu d’actions ou de mesures incitatives (et encore moins contraignantes) ont été véritablement développées pour agir sur la demande d’énergie. Pourtant, certaines mesures très concrètes peuvent avoir des effets majeurs en ce domaine. C’est le cas de tout ce qui touche à l’amélioration de l’efficacité énergétique dans le bâtiment. S’appuyant sur les travaux du Plan bleu, qui a élaboré un scénario de rupture dans le domaine de l’énergie pour les pays du Sud et de l’Est méditerranéen (à l’horizon 2030), ceux-ci commencent par rappeler l’importance du bâtiment dans la consommation énergétique régionale et les différents leviers qui pourraient être utilisés pour réduire cette dernière.
Les pays du Sud et de l’Est méditerranéen (PSEM) comptent environ 280 millions d’habitants [1]. D’ici 2030 et selon un scénario tendanciel, ces pays verront leurs populations augmenter d’environ 80 millions d’habitants, dont 25 à 30 millions sur les côtes. À un horizon de 20 à 30 ans, c’est donc l’équivalent de 20 villes supplémentaires de plus d’un million d’habitants qui occuperont le littoral méditerranéen. En 2030, plus des trois quarts de la population des PSEM devrait être urbaine. Sous l’effet conjugué de la pression démographique et de la croissance économique, la région méditerranéenne va être soumise à une forte augmentation de la demande en énergie et en électricité, qui devrait être multipliée par plus de 1,5 d’ici 2030. Cette demande devrait croître quatre à cinq fois plus rapidement dans les PSEM que dans les pays du Nord de la Méditerranée (PNM), jusqu’à représenter en 2030 près de 43 % de la demande d’énergie du bassin méditerranéen, contre 30 % aujourd’hui (et 47 % de l’électricité contre 28 % actuellement). Ces évolutions se traduiront par des émissions de CO2 croissantes.
Elles interviendront dans un contexte de changement climatique puisque la région Méditerranée en est d’ores et déjà considérée comme l’un des points chauds. Les PSEM particulièrement vulnérables devraient notamment connaître une augmentation marquée des températures moyennes, de même qu’une baisse sensible des précipitations. Aux questions démographiques vont donc être associées de formidables défis pour répondre aux demandes en eau, en énergie et en produits alimentaires d’une population de plus en plus urbaine et concentrée sur le littoral. Elles se traduiront également par un besoin important de construction de nouveaux logements.
Un scénario de rupture nécessaire
Au regard de la demande attendue en énergie, le Plan bleu a établi un scénario énergétique alternatif de rupture, fondé sur une amélioration de l’efficacité énergétique et le développement de sources renouvelables, à l’exemple de ceux développés dans le rapport spécial du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat publié en mai 2011 sur les sources d’énergie renouvelables et les mesures d’atténuation du changement climatique [2]. Ce scénario alternatif se traduirait par une diminution de la demande unitaire, permettant, en partie du moins, de couvrir les augmentations de la demande globale liées au développement économique et démographique de la région. À l’heure actuelle, les PSEM comptent pour 30 %, et les PNM pour 70 %, de la consommation d’énergie primaire de la région. Depuis le début des années 1970, le taux moyen annuel de croissance de la consommation d’énergie primaire a été de 5,2 % dans les PSEM (48 à 291 Mtep [millions de tonnes équivalent pétrole] de 1971 à 2007) contre 1,9 % dans les PNM (340 à 665 Mtep de 1971 à 2007). Bien que la part des PSEM dans la consommation totale soit en constante augmentation depuis le début des années 1970, le rattrapage de la consommation par habitant entre les régions nord et sud du bassin se fait plus lentement, le rapport est passé de cinq en 1970 à près de trois actuellement.
L’augmentation progressive du niveau de vie global dans les PSEM devrait se traduire tendanciellement par un rattrapage de la consommation d’énergie des PSEM par rapport aux PNM à l’horizon 2050. Un tel rythme d’évolution de la consommation d’énergie n’est pas soutenable d’un point de vue environnemental, du fait de la raréfaction des ressources fossiles, d’une part, et des effets des émissions de gaz à effet de serre et de leurs conséquences sur le climat, d’autre part. Il est donc urgent d’inventer de nouveaux modes de développement et d’aménagement du territoire moins énergivores. Ceci vaut particulièrement pour le gaz de pétrole liquéfié et l’électricité dont la demande est en très forte croissance. Ainsi, selon le scénario du Plan bleu, la demande électrique pourrait doubler voire tripler pour satisfaire les besoins d’éclairage et électroménagers. S’agissant du gaz pétrole liquéfié, une croissance à deux chiffres pourrait être observée dans certains pays (Maroc, Égypte, Turquie) pour des usages de cuisson, de chauffe-eau et de chauffage. À titre d’illustration, en 2009, plus de 350 000 climatiseurs ont été écoulés sur les marchés marocain et tunisien contre seulement moins de 100 000 avant 2004 [3]. L’enquête de la Société tunisienne de l’électricité et du gaz et le recensement national en Tunisie ont, de même, montré que la part du chauffage et de la climatisation est passée de 20,4 % en 1989 à 25,7 % en 2004 dans le bilan des consommations des ménages [4]. Selon le scénario du Plan bleu, les besoins de chauffage / climatisation dans la consommation finale résidentielle des PSEM, passeraient de 30 % actuellement à plus de 60 % à l’horizon 2030. Premier secteur consommateur d’électricité et second pour les énergies fossiles, le bâtiment constitue donc un secteur à fort enjeu quant au potentiel d’économies d’énergie dans les pays méditerranéens.
Le bâtiment, levier de maîtrise de la demande d’énergie
Environ 450 millions de personnes vivent sur les deux rives de la Méditerranée et consomment chaque année près de 1 000 Mtep d’énergie primaire, soit un peu plus de 8 % de la demande mondiale. Le bâtiment représente le premier secteur consommateur d’électricité et le second — après le transport — pour les énergies fossiles.
Nouveaux logements : un besoin sans précédent
Près de la moitié de la population urbaine méditerranéenne est concentrée dans 3 000 villes de moins de 300 000 habitants. Malgré les progrès enregistrés depuis plus de 20 ans, il existe dans les PSEM de forts déséquilibres entre grandes et petites villes, zones urbaines centrales et périphériques, quartiers favorisés et démunis. Les extensions urbaines se développent souvent sous forme d’habitat informel. L’absence de contrôle réglementaire de ce type de logements, l’incertitude juridique dans laquelle ils se trouvent et les faibles revenus de la plupart de leurs occupants rendent ce secteur particulièrement imperméable aux mesures d’efficacité énergétique. Cette double dynamique — urbanisation et boom démographique —va générer un besoin considérable de logements. Selon le Plan bleu, près de 42 millions de nouveaux logements devraient être construits dans les PSEM d’ici 2030, le total passant de 66 millions en 2007 à près de 108 millions. Cette perspective laisse préfigurer une forte croissance des consommations d’énergie et d’électricité du secteur résidentiel.
Économies d’énergie dans le bâtiment
Au niveau mondial, le secteur du bâtiment représente à lui seul plus de 32 % de la consommation d’énergie finale et contribue à hauteur d’un tiers environ des émissions de CO2. Au niveau mondial, le potentiel d’économies d’énergie dans le secteur du bâtiment est estimé autour de 40 % [5], en grande partie via des mesures économiquement viables selon le scénario « 450 » de l’Agence internationale de l’énergie (2009) [6].
Dans les pays du Sud méditerranéen, le bâtiment est responsable de plus d’un tiers de la consommation d’énergie (38 % en moyenne, variant entre 27 % et 65 % dans les PSEM pour l’énergie, et entre 21 % et 51 % pour l’électricité). Agir sur ce secteur constitue donc un levier d’action significatif pour intervenir à la fois sur la demande (mesures d’efficacité énergétique) et sur l’offre (intégration d’énergies renouvelables). Parmi les divers types de bâtiments existant dans les PSEM, résidentiels, administratifs, commerciaux, le résidentiel représente à lui seul plus de 60 % des émissions de gaz à effet de serre du secteur. Ces tendances ne devraient pas s’infléchir dans les années à venir compte tenu de la croissance attendue de la population de la région et de l’augmentation prévisible du niveau de vie global impliquant un taux d’équipement croissant. Le secteur résidentiel recèle donc un important potentiel d’économies d’énergie et ceci à des coûts relativement compétitifs. Ainsi, des projets pilotes7 ont montré qu’avec un surcoût de 10 % à 25 % à la construction, jusque 60 % d’économies d’énergie (principalement liées aux usages de la climatisation et du chauffage) pouvaient être réalisées. Une étude de l’Agence nationale pour le développement des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique au Maroc, a montré que dans le secteur résidentiel, des surcoûts de l’ordre de 2 % à 8 %, avec une moyenne nationale de 112 dirhams (environ 10 euros) par mètre carré, permettraient de réaliser une réduction des besoins de chauffage et de climatisation de 39 % à 64 % selon la zone climatique considérée. Compte tenu des enjeux et au regard des résultats des projets pilotes, des mesures d’actions réglementaires ou normatives ont progressivement été adoptées par les pays riverains. Toutefois, dans la réalité, le niveau d’application de ces mesures diffère sensiblement d’un pays à un autre.
Dans les PSEM, la majorité des bâtiments résidentiels sont encore construits sans isolation thermique (sauf en partie en Israël, en Tunisie et en Turquie). Pour autant, l’isolation thermique des bâtiments est devenue, depuis deux décennies, un élément central des politiques énergétiques gouvernementales. De même, les barrières au développement d’un marché à grande échelle de la maîtrise de l’énergie dans le secteur du bâtiment restent nombreuses et sont de nature informationnelle, économique, organisationnelle et technique. Ces barrières n’ont rien de spécifique aux PSEM mais sont particulièrement importantes dans leur contexte économique, social et énergétique. Les barrières d’ordre technique sont notamment liées au manque de savoir-faire et de maîtrise des technologies relatives aux mesures d’économie d’énergie par les professionnels du bâtiment, à tous les niveaux. Par ailleurs, l’indisponibilité d’une offre locale crédible de solutions énergétiques et de matériaux nécessaires à leur construction — chauffe-eau solaire, matériaux d’isolation, appareils électroménagers performants, etc. — constitue un frein à la mise en oeuvre de tout scénario de maîtrise de l’énergie dans les bâtiments. De surcroît, l’absence, dans la majorité des pays, de véritable production nationale de matériaux isolants — la brique a de bonnes caractéristiques mais sa conductivité thermique (supérieure à 0,067 watt par mètre carré kelvin 10) ne permet pas de la classer comme un matériau isolant — est un handicap supplémentaire.
Rôle du bâtiment dans un scénario de rupture
Le scénario de rupture du Plan bleu prend en compte les économies d’énergie qui pourraient notamment être obtenues si une partie de la demande croissante de logements — mises en construction ou rénovations — l’était en tenant compte de normes de construction permettant des économies d’énergie. Parmi les mesures envisagées figurent : 1) la généralisation des enveloppes efficaces pour les nouveaux bâtiments (application des réglementations thermiques révisées périodiquement) ; 2) l’élimination progressive des lampes à incandescence ; 3) la rénovation thermique des bâtiments (isolation, fenêtres) ; 4) la diffusion des appareils électroménagers, de chauffage et de climatisation efficaces ; et 5) la diffusion des chauffe-eau solaires. Les mesures prioritaires doivent par ailleurs être définies par zone climatique selon leur potentiel d’économies d’énergie et leur viabilité économique. Le scénario de rupture envisage quelles seraient les évolutions sur l’emploi d’une telle politique.
Impacts du scénario pour les PSEM
La mise en oeuvre de ce scénario dans les PSEM révèle un potentiel d’économies d’énergie estimé à plus de 320 Mtep de gains cumulés d’énergie finale sur la période 2010- 2030 dans le secteur du bâtiment. Les économies annuelles d’environ 40 Mtep concerneraient pour 41 % le gaz naturel, 34 % l’électricité, 22 % les produits pétroliers et 2 % le charbon. Les plus importantes réductions, selon les usages, émanent du chauffage et de la climatisation pour environ 60 %, suivis par l’éclairage pour près de 50 % et l’électroménager pour environ 33 %. À l’horizon 2030, en tenant compte de l’évolution du mix énergétique dans les PSEM et d’une pénétration des énergies renouvelables de l’ordre de 11 % à l’horizon 2030, la réduction annuelle des émissions de CO2 serait, selon ce scénario, de l’ordre de 179 millions de tonnes de CO2 (MtCO2) dans les PSEM. La réduction cumulée des émissions de CO2 sur la période 2007-2030 serait alors de 2 milliards de tCO2 par rapport au scénario de référence (qui cumulerait près de 7 milliards detCO2 en 2030 soit 30 % de réduction) [8], dues uniquement aux efforts dans le secteur du bâtiment.
Besoins en investissement
Le Plan bleu a estimé à 262 milliards d’euros dans les PSEM, pour les 20 années à venir, le montant supplémentaire des investissements nécessaires à la construction de bâtiments efficaces par rapport aux investissements réalisés pour la construction de bâtiments classiques. Ils conduiraient à un coût de la tonne de CO2 évitée sur la durée de vie des logements entre 2010 et 2080 (durée de vie de 50 ans) compris entre 38 et 42 euros.
Estimation du potentiel d’emplois
En contrepartie, ce scénario a également un impact sur l’évolution des emplois. Selon les premières estimations du Plan bleu l’adoption des cinq mesures envisagées plus haut permettrait la création de plus de deux millions d’emplois dans les PSEM à l’horizon 2030. Ces estimations tiennent compte des emplois informels. Ces créations d’emplois sont conditionnées à la mise en place de politiques industrielles qui favorisent la production locale des matériaux et équipements nécessaires à la construction de logements efficaces. Le développement des filières et des compétences devrait permettre de réaliser des économies d’échelle. Compte tenu des gains de productivité réalisés dans les filières, les créations d’emplois pourraient être plus nombreuses dans les premières années et ralentir en fin de période.
Le bâtiment est un secteur clef pour faire face à la nouvelle donne énergétique et climatique en Méditerranée, et diminuer substantiellement les émissions de gaz à effet de serre. Dans les PSEM, où le plus gros reste à faire en termes de structuration de la filière bâtiment, seule une action concertée entre les différentes parties prenantes (concepteurs, opérateurs et fournisseurs de matériaux d’isolation…) permettra l’émergence d’un marché pérenne de la construction durable. Il est donc urgent de repenser le bâtiment dans son ensemble et dans son contexte territorial. Ces efforts doivent être portés en priorité sur le bâti neuf (du fait de l’importance de l’augmentation attendue du parc de logements neufs : plus de 60 %, soit 42 millions s’ajoutant aux 66 millions du parc existant) pour lequel les solutions techniques appropriées au contexte méditerranéen sont identifiées, parmi lesquelles une meilleure prise en compte des pratiques traditionnelles en matière d’architecture en phase avec les principes bioclimatiques : apports solaires passifs, ventilation naturelle, orientation du bâtiment, etc. Développer un marché du bâtiment durable pérenne passe par une organisation de la filière, son financement et son accompagnement sur le long terme, à savoir la mise en place d’une filière du bâtiment durable (accompagnement institutionnel adapté ; accès aux financements internationaux ; cadre réglementaire…), le financement du bâtiment durable (mise en place d’outils incitatifs ; développement des partenariats public-privé) ; et la pérennisation du marché du bâtiment durable (contrôle qualité des équipements et réalisations, formation des professionnels).
Les effets attendus du scénario de rupture du Plan bleu sont nombreux : la conception d’innovations techniques permettant une rationalisation et une meilleure efficience de l’utilisation de l’énergie ; une création d’emplois grâce à la promotion d’instruments et de technologies performants, principalement dans le secteur du bâtiment ; et une gestion plus durable des demandes en énergie s’appuyant sur des instruments économiques incitatifs, et tenant compte des dimensions sociales et environnementales ; et finalement des réductions sensibles des émissions de CO2.
Au total, c’est à une action déterminée en faveur du secteur du bâtiment que sont invités à s’engager les pays méditerranéens. Les programmes de rénovation au nord, et de construction au sud, ouvrent un large champ de futurs possibles pour la région. Aux acteurs concernés de choisir les options les moins coûteuses en énergie et les plus sobres en matière d’émissions.
Notas
[1] Une version de cet article a été publiée à la revue Futuribles, 376, juillet-août 2011.
[2] Special Report on Renewable Energy Sources (SRREN): Summary for Policy Makers. Genève, Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), mai 2011.
[3] Cf. ADEREE (Agence nationale pour le développement des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique), Les Éléments techniques du projet de la réglementation thermique du bâtiment au Maroc, Rabat, ADEREE, 2011.
[4] Voir les études nationales réalisées, pour le Plan bleu, par les experts nationaux: Rafia Missaouri (pour la Tunisie), Adel Mourtada (pour le Liban), et Naïm Lahlou et Mohamed Berdai (pour le Maroc) ; disponibles sur le site Internet du Plan bleu, www.planbleu.org.
[5] Voir Missaoui, R., et A. Mourtada, Case Studies : Instruments and Finantial Mechanisms of Energy Efficiency Measures in Building Sector, Londres / Paris, Conseil mondial de l’énergie / Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, août 2010.
[6] Voir Agence Internationale de l’Énergie, World Energy Outlook, Paris, Agence Internationale de l’Énergie / Organisation de coopération et de développement économiques, 2009.
[7] Voir les projets pilotes étudiés dans le projet MED-ENEC (Energy Efficiency in the Construction Sector in the Mediterranean) dans 10 PSEM, site Internet www.med-enec.com/fr/projets/projets-pilotes.
[8] Cumul de près de 6,8 milliards de tCO2 pour le scénario Business as usual (tendanciel) et de 4,7 pour le scénario de rupture sur la période 2007-2030, soit de 30 % de réduction.