Le leadership féminin, un atout majeur pour un futur meilleur

Soukaina Bouraoui

Directora ejecutiva del Center for Arab Women for Training and Research (CAWTAR)

La pandémie du Covid-19 a montré que les pays ayant des femmes aux postes de leadership ont mieux géré les effets du virus. D’ailleurs, ce sont les femmes qui ont assumé la plus grande part de surcharge dans la gestion de la crise sanitaire et la responsabilité des services domestiques supplémentaires. Toutefois, elles ont été aussi les victimes principales de la pandémie, puisque la crise a aggravé les inégalités existantes dans les secteurs du travail les plus vulnérables. Aussi, les femmes ont-elles subi durant cette période plus de violences et de harcèlements dans nombre de pays du monde à cause du huis clos causé par le confinement. D’où vient ce paradoxe entre la reconnaissance de l’apport des femmes et de leur engagement et le déni que constituent les violences à leur encontre ? Beaucoup d’organisations de la société civile sont en train de lutter pour que cette pandémie puisse jouer un rôle à la fois transformateur et positif et mette en avant l’importance du leadership féminin et de l’égalité des sexes.


Il est des évènements fondateurs de nouveaux paradigmes, en sera-t-il ainsi du Covid-19 ? La pandémie due à ce virus a révélé au monde de multiples paradoxes dont celui qui est relatif à la question de l’égalité de genre. D’une part, il a été soutenu que les pays ayant des femmes aux postes de leadership sont ceux qui ont le mieux géré les effets du virus , de même qu’il a été démontré que les femmes ont représenté – toutes catégories confondues – la part la plus importante du personnel de santé dans la majorité des pays. Ce sont elles, en effet, qui ont assumé la plus grande part de surcharge dans la gestion de la crise sanitaire, et ce sont elles aussi qui ont pris la responsabilité des services domestiques supplémentaires provoqués par les mesures de confinement plus ou moins généralisées à travers le monde.

Mais, d’autre part, ces actrices du bien-être ont été les principales victimes de la pandémie du Covid-19, non seulement dans le domaine économique, du fait qu’elles travaillent le plus souvent dans des secteurs vulnérables ou informels et que la pandémie a aggravé les inégalités existantes dans ces secteurs à cause de systèmes de protection sociaux ou économiques défai llants. L’aggravation de la situation a fait réagir l’Organisation internationale du Travail (OIT) qui a demandé aux pays du G7, de prendre des mesures de protection particulières envers les femmes et les personnes les plus vulnérables.

Durant cette même période, on a noté que le nombre de violences et de harcèlements subis par les femmes a été multiplié par trois et parfois par dix pour certains pays. Alors que le confinement se fait dans l’espace privé le plus intime, celui censé protéger les personnes et les familles de la contagion du virus et de ses effets, les femmes de tout milieu et de tout âge ont subi – bien loin de la solidarité apportée en temps ordinaire par les associations et/ou par leurs communautés ou par leurs familles élargies – toutes sortes d’humiliations et de souffrances et cela bien loin du regard du public. Cela a amené la société civile à réagir pour dénoncer l’intolérable et alerter les opinions publiques et les médias, en poussant ainsi les gouvernements à prendre des mesures de protection et, dans certains pays, à créer des refuges « ad hoc » spécifiques à la durée du « confinement » .

Les associations de femmes et/ou féministes, bien antérieurement à la période de la pandémie, se sont mobilisées pour réclamer des lois garantissant davantage de protection contre les violences domestiques – notamment celles provenant du conjoint ou du partenaire – et, lorsque ces lois existaient, pour plaider en faveur de leur mise en œuvre effective par des mesures pratiques telles que l’exige la Convention d’Istanbul . Le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, a même lancé, le 6 avril 2020, un appel à la paix et à la cessation des violences, notamment domestiques : « Ces dernières semaines, tandis que s’aggravaient les pressions économiques et sociales et que la peur s’installait, le monde a connu une horrible flambée de violence domestique ».

D’où vient ce paradoxe entre la reconnaissance de l’apport des femmes et de leur engagement et le déni que constituent les violences à leur encontre ? Et surtout est-ce que ces contradictions, exacerbées en temps de confinement et par le huis clos qu’il institue, pourront être résolues lorsque notre monde reviendra à « la normale » d’avant la crise ? Est-ce qu’il y aura des changements, comme le soutient l’appel/ décalogue fait par les élues locales de cités et de gouvernements unis déclarant que « plus rien ne sera comme avant » ?

Les associations de femmes et/ou féministes, bien antérieurement à la période de la pandémie, se sont mobilisées pour réclamer des lois garantissant davantage de protection contre les violences domestiques

Il en sera des hommes et des femmes comme il en a été pour l’environnement et pour certains milieux, telle la lagune de Venise ou encore la baisse de la pollution de l’air du fait de la diminution drastique des transports ? Est-ce que l’on pourra tirer des leçons de cette crise planétaire ? Peut-on voir, dans les déclarations de certaines institutions internationales ou dans des discours encourageant sur le rôle des femmes durant la crise, des prémisses de changement ? Peut-être faudra-t-il revenir à ces questions plus tard, mais alors est-ce que ce ne sera pas, une fois de plus, trop tard.

Les pétitions, réclamations et mobilisations des femmes et de la société civile ont été nombreuses et variées, de même que nombreuses ont été les bonnes pratiques et initiatives en faveur des personnes vulnérables, dont les femmes. Des associations ont même appelé à une politique féministe pour le temps Covid-19. Ces expériences pourront être copiées et dupliquées dans le post Covid-19. Cependant, beaucoup de ces initiatives relèvent davantage du conjoncturel, des politiques de circonstances ou encore – et à juste titre – du domaine humanitaire. La question de l’égalité entre les sexes ou encore les politiques de genre n’ont pas fait partie des priorités des pays et des gouvernements à insérer dans des changements stratégiques. Même les appels des organisations internationales ou régionales sont émis pour des périodes de six mois ou d’une année : l’Agence universitaire de la francophonie a lancé un plan spécial Covid-19 pour les élèves ingénieurs pour des projets à très court terme .

Pourtant, en matière de santé, de climat, de sécurité alimentaire, d’autonomie économique ou dans le domaine de la solidarité, les femmes jouent un rôle fondamental. Les expériences et les initiatives, dont nous citerons quelques exemples, démontrent bien que « le leadership des femmes et le leadership féminin représentent des atouts majeurs pour un meilleur futur ».

Il est temps d’être ambitieux et d’exiger que les dix-sept objectifs de développement durable de l’Agenda 2030 passent de la théorie à la pratique, et qu’enfin, l’objectif cinq soit compris comme reflétant un véritable paradigme transformateur de tous les domaines couverts par les seize autres objectifs de développement durable de l’Agenda 2030.

Dans tous les pays, et dans les pays arabes qui ont été notre terrain d’observation, des mouvements très larges de solidarité ont vu le jour souvent menés par des associations de femmes. Le CAWTAR a répertorié certaines de ces initiatives menées durant la période de confinement et prépare, à cet effet, une publication spéciale, d’autant plus que les expériences de la société civile de ces pays ne sont pas bien connues au niveau international.

Dans tous les pays, et dans les pays arabes qui ont été notre terrain d’observation, des mouvements très larges de solidarité ont vu le jour souvent menés par des associations de femmes

Tel est le cas, en Arabie Saoudite, de Meriem, qui possède une compagnie de taxi et qui a mis à la disposition des citoyens un service gratuit de livraison à domicile durant le confinement. Dans le sultanat d’Oman, l’association des femmes Salaalah a mis en ligne un service d’information sur le virus Covid-19 et sur les mesures à suivre ; par ailleurs, une vaste campagne de collecte de masques cousus par les femmes d’Oman a été lancée permettant de distribuer des masques à toute la population ; finalement, un service de formation sur la bonne utilisation des réseaux sociaux a été mis en place. De plus, sous la formule Your Time is Gold [Votre temps est de l’or], une collecte de dons a été faite en faveur des femmes divorcées ou veuves.

À Bahreïn, pour appuyer les efforts du gouvernement, l’Union des Femmes du Bahreïn, sous le slogan Stay at Home [Restez chez vous], a travaillé en partenariat avec des médecins pour donner des avis et des consultations médicales à travers les réseaux sociaux, y compris WhatsApp et Instagram.

Au Soudan, un groupe de femmes a lancé une campagne d’information sur le Covid-19 ciblant particulièrement les marchés et les vendeurs ambulants. De plus, une clinique mobile a été mise en place avec la coopération de pharmaciens tandis qu’un autre groupe de femmes a préparé des boîtes-repas pour les populations marginalisées.

Nous ne pouvons pas les citer toutes, mais en Tunisie, en Algérie et au Maroc, des dizaines d’initiatives de la société civile ont aidé les gouvernements à mieux gérer la pandémie par des aides en nature, tel que l’équipement des hôpitaux ou des dispensaires ou, directement, en assurant des moyens de protection et de la nourriture aux populations vulnérables. De même, des aides psychologiques par radio ou par téléphone, mais aussi à travers Internet, ont été mises en place.

Signalons les efforts déployés par certains opérateurs d’Internet pour baisser les tarifs de consommation durant la période de confinement, notamment pour permettre aux écoliers de suivre les cours à distance et de mieux supporter le confinement. Une initiative est particulièrement intéressante : celle lancée par une association – rejointe par beaucoup d’autres – pour demander au gouvernement d’adopter une politique féministe dans les mesures de protection et de lutte contre la pandémie. Au Maroc l’association pour les droits humains a lancé une « vaste campagne pour une solidarité humaine au temps du Corona » . En Algérie à Tizi Ouzou, Bejaia, Alger, de nombreuses associations féminines se sont mobilisées pour contribuer à la prévention des femmes contre les violences en temps de confinement. Le centre d’ écoute du r éseau WASSILA a pu recevoir soixante-dix rapports par semaine sur les violences faites aux femmes durant cette même période.

En Tunisie, en Algérie et au Maroc, des dizaines d’initiatives de la société civile ont aidé les gouvernements à mieux gérer la pandémie

Tel est le cas, en Arabie Saoudite, de Meriem, qui possède une compagnie de taxi et qui a mis à la disposition des citoyens un service gratuit de livraison à domicile durant le confinement. Dans le sultanat d’Oman, l’association des femmes Salaalah a mis en ligne un service d’information sur le virus Covid-19 et sur les mesures à suivre ; par ailleurs, une vaste campagne de collecte de masques cousus par les femmes d’Oman a été lancée permettant de distribuer des masques à toute la population ; finalement, un service de formation sur la bonne utilisation des réseaux sociaux a été mis en place. De plus, sous la formule Your Time is Gold [Votre temps est de l’or], une collecte de dons a été faite en faveur des femmes divorcées ou veuves.

À Bahreïn, pour appuyer les efforts du gouvernement, l’Union des Femmes du Bahreïn, sous le slogan Stay at Home [Restez chez vous], a travaillé en partenariat avec des médecins pour donner des avis et des consultations médicales à travers les réseaux sociaux, y compris WhatsApp et Instagram.

Au Soudan, un groupe de femmes a lancé une campagne d’information sur le Covid-19 ciblant particulièrement les marchés et les vendeurs ambulants. De plus, une clinique mobile a été mise en place avec la coopération de pharmaciens tandis qu’un autre groupe de femmes a préparé des boîtes-repas pour les populations marginalisées.

Nous ne pouvons pas les citer toutes, mais en Tunisie, en Algérie et au Maroc, des dizaines d’initiatives de la société civile ont aidé les gouvernements à mieux gérer la pandémie par des aides en nature, tel que l’équipement des hôpitaux ou des dispensaires ou, directement, en assurant des moyens de protection et de la nourriture aux populations vulnérables. De même, des aides psychologiques par radio ou par téléphone, mais aussi à travers Internet, ont été mises en place.

Signalons les efforts déployés par certains opérateurs d’Internet pour baisser les tarifs de consommation durant la période de confinement, notamment pour permettre aux écoliers de suivre les cours à distance et de mieux supporter le confinement. Une initiative est particulièrement intéressante : celle lancée par une association – rejointe par beaucoup d’autres – pour demander au gouvernement d’adopter une politique féministe dans les mesures de protection et de lutte contre la pandémie. Au Maroc l’association pour les droits humains a lancé une « vaste campagne pour une solidarité humaine au temps du Corona ». En Algérie à Tizi Ouzou, Bejaia, Alger, de nombreuses associations féminines se sont mobilisées pour contribuer à la prévention des femmes contre les violences en temps de confinement. Le centre d’ écoute du r éseau WASSILA a pu recevoir soixante-dix rapports par semaine sur les violences faites aux femmes durant cette même période.

En Tunisie, en Algérie et au Maroc, des dizaines d’initiatives de la société civile ont aidé les gouvernements à mieux gérer la pandémie

La vraie question est celle de savoir si cette pandémie peut avoir un rôle transformateur ? Les programmes mis en place par certains pays pour le redémarrage économique post Covid-19 ne touchent pas des secteurs particulièrement féminisés.

Les leçons qui ont permis de mettre en place l’Organisation des Nations unies – laquelle a pour mission de préserver les générations futures du fléau de la guerre et requiert de ses États membres de régler leurs différends par des moyens pacifiques – ont abouti à la Charte du 26 juin 1945, qui intègre les grands principes des relations internationales.

En est-il de même aujourd’hui ? Nous avons besoin, pour un « futur meilleur », de reconnaitre le leadership des femmes et aussi de revivifier par une nouvelle Charte ? – le principe universel de l’égalité entre les hommes et les femmes, très largement détérioré par les atteintes rendues plus visibles en temps de pandémie.