Poésie orale kabyle ancienne : histoire, mémoire et patrimoine

Abdelhak Lahlou

Docteur en Anthropologie, EHESS (Paris)

Dans son introduction aux Poèmes kabyles anciens, Mouloud Mammeri disait de la civilisation kabyle traditionnelle qu’elle était une civilisation du verbe. Ceci est d’autant plus vrai qu’en Kabylie, comme dans nombre de sociétés de tradition orale, on accorde une importance considérable à la parole, ou comme disent les Anglo-Saxons, au verbal art. Et pour peu que l’on s’interroge sur l’identité de ces éloquents et de ces maîtres de paroles, on découvrira que ce sont essentiellement, pour un grand nombre d’entre eux, des poètes. La question qui se pose dès lors est de savoir quel rôle et quelle place occupe la poésie orale dans la tradition kabyle ? Cette contribution ne vise d’autre fin que de rappeler sommairement le rôle de la poésie à travers ses enjeux socio-historiques et mémoriels, ses fonctions éthiques et politiques, pour enfin conclure sur sa portée patrimoniale entendue ici comme un legs, un héritage, laissé par les anciens aux nouvelles générations à partir duquel continue de s’inspirer librement aujourd’hui les chanteurs et les poètes contemporains kabyles.


Une vieille culture ancrée dans la tradition orale 

Depuis les temps les plus reculés jusqu’au milieu du xxe siècle, la littérature kabyle fut principalement orale et s’exprimait essentiellement dans le genre poétique. S’il est vrai aussi que d’autres genres comme le conte, la fable, la légende et autres récits mythiques furent d’autres moyens par lesquels les Kabyles exprimèrent leur culture et leur imaginaire, c’est sans aucun doute la poésie qui fut le mode d’expression privilégié de leur passion et de leur génie. Là où, en effet, d’autres peuples avaient gravé dans le marbre leur gloire ou couché dans des livres leur histoire, c’est assurément à leur poésie que les Kabyles ont confié leur mémoire. 

Nous avons aujourd’hui la chance de posséder un important corpus de poésies anciennes, un thésaurus, recueilli par Hanoteau (1867), Boulifa (1904), Amrouche (1939), Ouary (1972), Yacine (1988) et la somme considérable recueillie par Mammeri (1969, 1980, 1988), qui permet d’embrasser plus de trois siècles de poésie orale kabyle offrant un champ d’observation privilégié sur les traditions, les mœurs, et les éléments d’une culture pluriséculaire.

Contrairement aux vieilles civilisations scripturaires, la poésie des Kabyles n’est pas un art qui cherche à transfigurer le réel. Son rôle est de travailler justement à rendre ce réel intelligible, l’interpréter et le clarifier. Pour le sens commun, la première fonction du poète et de sa poésie est d’éclairer les situations nouvelles et de donner du sens aux événements insolites. La poésie est un discours d’élucidation. Cela est manifeste dans la définition qu’ils donnent au poème qu’ils nomment asefrou. Tiré du radical fr, il désigne au factitif ssefru l’action de « dénouer », d’« éclairer » ou d’« élucider » une situation qui paraissait jusque-là obscure. 

Tizi-Ouzou vue de Tala n-Dwaa (Chérif Lahlou)

Plus qu’une pratique individuelle, la poésie est loin d’être acte isolé ou une activité réservée à une élite, elle est comme disait Henri Basset l’apanage de tous. C’est un fait social qui imprègne toutes les activités du quotidien. N’importe qui, homme ou femme, poète professionnel ou simple particulier, peut s’y adonner. En vérité, c’est toute la société qui y baigne. Il n’est pratiquement pas d’activité domestique ou pratique ni d’événement civique ou politique qui ne s’est trouvé à un moment donné accompagné de poésie. Elle peut même émailler la conversation la plus courante. C’est elle qui rythme, au quotidien, les travaux et les jours des hommes et des femmes de la région. C’est par le chant que l’enfant s’endort et s’éveille. C’est en chantant que les femmes accompagnent la monotonie des travaux domestiques, c’est par le chant aussi que les hommes se soutiennent lors des travaux collectifs tiwizi , et c’est enfin, en récitant des poésies religieuses (à côté des versets du Coran) que sont veillés les morts. « Tous les gestes de la vie, toutes les cérémonies, sont soutenus par le chant » disait Jean Amrouche. Un simple regard rapide sur le sommaire des Chants berbères de Kabyliequ’il a recueilli de la bouche de sa mère montre que toute la vie sociale baigne dans la poésie : Chants de L’Exil, Chants d’Amour, Chants du Berceau, Chants du Travail, Chants de Méditation, Chants de Pèlerins, etc.

Plus qu’une pratique individuelle, la poésie est loin d’être un acte isolé ou une activité réservée à une élite, elle est comme disait Henri Basset l’apanage de tous. C’est un fait social qui imprègne toutes les activités du quotidien. N’importe qui, homme ou femme, poète professionnel ou simple particulier, peut s’y adonner

Rien, assurément, dans cette société ne se fait sans le concours de la poésie qui investit autant la vie privée que la vie publique, car tout est prétexte à versification. On compose des poèmes pour toute raison et à toute occasion : pour dire sa joie (chants de fête), pour dire son mal et exhaler sa plainte, pour accompagner un rituel comme les chants de rogations (chant d’Anẓaṛ), etc. Même un fait aussi banal que dérisoire comme la réquisition d’un baudet est l’occasion pour un poète comme Youcef Ou Lefki de composer ces vers rageux :

A kem yexdaâ Ṛebbi a Fṛansa [Dieu te maudisse, Ô France]

Teqqweleḍ ţ-ţalafsa [Tu es semblable à l’Hydre]

Tebbweḍ-iy id s aɣyul-iw [Tu m’as pris même mon âne].

Aussi, Paulette Galand-Pernet pouvait très justement écrire que la poésie dans son usage quasi quotidien remplissait une fonction véritablement sociale puisque les poèmes « sont aussi produits au rythme de la vie, paroles mesurées ou chantées dans la joie des divertissements collectifs, dans les fêtes familiales comme les mariages, dans les fêtes villageoises qui marquent l’année agricole, rogations de pluie, clôture des récoltes, danses au temps de labours, dans les vastes assemblées qui, autour d’un tombeau, célèbrent un saint, quand les femmes s’en vont sarcler ou chercher le bois, quand elles se réunissent dans la maison de l’une d’elles pour un travail collectif » ( Paulette Galand-Pernet, 1998 : 82 ).

Outre cet usage pratique et fonctionnel au quotidien, la poésie joue dans l’espace social un rôle politique et idéologique qui structure l’imaginaire du groupe et qui répond à ses besoins socio-politiques. Pour cet effet, elle travaille à consolider ses valeurs, participe à l’éducation des enfants et à fixer les événements historiques marquants.

Poésie et éducation

La fonction didactique et pédagogique de la poésie dans la formation des individus à leur rôle d’hommes et de citoyens dans les sociétés de tradition orale est une donnée anthropologique et historique aujourd’hui établie. Dans le cas de la société kabyle où la moindre décision se prend en assemblée générale de tous les citoyens et avec l’assentiment de tous, la maîtrise du discours est une arme indispensable pour s’imposer à tous. Pour cette raison, l’éducation traditionnelle en Kabylie s’attachera en priorité à faire de l’enfant un citoyen responsable et un maître de parole (bab n wawal). La honte des familles, c’est d’avoir un ungif, c’est-à-dire un idiot, un benêt qui ne sait pas parler. Dans cette société où la parole est tyrannique, il est essentiel sinon vital de savoir « bien parler », d’avoir le sens de la répartie et mettre ainsi de son côté les hommes. La poésie est dans ce cas un ornement presque obligé dans le discours soutenu. L’art oratoire et l’éloquence sont indispensables, car à l’assemblée, ils ont une portée civique qui exige de consacrer par un beau dit, la vertu d’une pensée. C’est pourquoi, pour le préparer à son rôle d’homme et de citoyen, l’enfant est très tôt initié à la poésie et aux subtilités du discours par le jeu des formes simples comme les énigmes, les devinettes ou les proverbes. L’enfant, non seulement, acquiert et enrichit son vocabulaire, mais par leurs formulations poétiques, par le jeu des rimes et des assonances, il apprend à maîtriser les tournures grammaticales et stylistiques de la langue, se familiarise avec des figures comme la métaphore et la comparaison qu’il apprend à interpréter. La poésie est un instrument indispensable à l’acquisition de la langue et de la culture. Adolphe Hanoteau nous a laissé dans son recueil des Poésies populaires de la Kabylie du Jurjura des comptines et des rondes d’enfants qui satisfont pleinement aux caractéristiques de la poésie : rimes, anaphores, assonances, parallélisme, etc. qui ne peuvent être que le fruit d’un contact précoce des enfants avec la poésie et ses procédés linguistiques. 

Dans le cas de la société kabyle où la moindre décision se prend en assemblée générale de tous les citoyens et avec l’assentiment de tous, la maîtrise du discours est une arme indispensable pour s’imposer à tous

Poésie orale et sagesse

À côté de cette fonction « utilitaire », la poésie joue aussi un rôle politique et idéologique qui consolide les valeurs du groupe. En l’absence de supports écrits qui figent la connaissance, l’enseignement des valeurs éthiques, les préceptes de la religion et de la foi c’est-à-dire l’ensemble des valeurs civiques, sociales et religieuses passent essentiellement par le truchement de la parole poétique. Pour transmettre ce savoir, le discours prend souvent une tournure gnomique. Tout ce qui a été vécu et éprouvé sera rendu à la commune raison des hommes contenue dans l’espace restreint d’un neuvain ou d’un sizain pour servir de leçon morale. Toute la sagesse populaire est véhiculée sous forme de sentences, d’aphorismes et de maximes. « Nombreux sont en Kabylie les poètes qui, en quelques vers courts, rythmés et rimés, faciles à retenir, donnent à une pensée morale la forme concise qui lui assure une certaine longévité. Une fois les vers sortis de la bouche des poètes, les vieillards s’en servent pour instruire les jeunes, et les orateurs, maîtres de la parole, en rehaussent dans les assemblées des discours qui risqueraient d’être trop prosaïques ». 

À cet égard, il n’est pas inutile de rappeler que la plupart des proverbes passés dans l’usage courant et qu’on cite abondamment au quotidien ne sont en vérité que des distiques tirés de poèmes connus. C’est pour cette raison que la poésie gnomique est très appréciée en Kabylie, car elle répond justement de manière concrète aux préoccupations immédiates des hommes et aux multiples interrogations existentielles qu’ils se posent, car, « il y a toujours quelqu’un », dit Mammeri, « pour insérer l’expérience dans le tissu de mots bien agencés ». Elle propose un ensemble de préceptes pour servir de références et de guides d’action. Ils rentrent d’une manière générale dans le genre didactique. Ils interviennent dans les harangues à l’assemblée ou dans les discours soutenus comme arguments ou d’exemples pour illustrer une situation bien compliquée : « Le moment venu l’orateur, au lieu d’essayer l’exposé d’idées fuyantes et théoriques, se contentera de réciter les vers qui sont souvent sous forme imagée, donc plus aisément accessible à un auditoire ordinaire. ». La poésie gnomique est un genre très répandu et très prisé, car il est au cœur des pratiques sociales : les poèmes gnomiques constituent un ensemble de préceptes qui servent de systèmes de référence et de guides d’action. Il rappelle aux auditeurs les normes de comportement en société et les valeurs fondamentales du groupe, ils rentrent d’une manière générale dans le genre didactique. Ils interviennent dans les harangues à l’assemblée ou dans les discours soutenus comme arguments ou d’exemples pour illustrer une situation compliquée ou confuse. Si on considère les thèmes de cette poésie gnomique, il nous faut constater qu’il n’y a pratiquement aucun domaine de la vie sociale, politique ou morale que les poètes ont omis d’aborder. Il existe tout un corpus de citations et de préceptes, d’adages et d’expressions figées léguées par les anciens sur l’amitié, l’ingratitude, l’infidélité, la connaissance, l’exercice du pouvoir, la responsabilité civique, les relations humaines, etc.  Ce qui fera dire à Pierre Bourdieu que les poèmes gnomiques, si nombreux en Kabylie, sont des « abrégés de sagesse et d’expérience, qui fournissent une solution aux situations angoissantes de l’existence ». 

Poésie orale, histoire et mémoire

C’est un fait que la poésie dans la tradition kabyle a une fonction plurielle qui associe l’éthique, l’historique et l’esthétique. Une de ses fonctions est de fixer les événements et les faits marquants qui ont touché la vie du groupe afin d’en conserver le souvenir. Ce qui fait dire à Mouloud Mammeri dans « Culture savante et culture vécue en Algérie » que « Tout événement mémorable (en particulier ceux qui intéressent le groupe tout entier) donnait lieu à un traitement versifié, sans que le vers eût d’autres rôles que de fixer un souvenir ».

C’est donc tout naturellement que le poète en raison de la place centrale qu’il tient au sein de sa communauté se trouve être le dépositaire et le gardien de la mémoire collective de son groupe. Anciennement, chaque tribu, chaque village, avait son poète dont la tâche consistait à consigner l’actualité et tous les événements retentissants qui touchaient la communauté. Les recueils des Poésies populaires de la Kabylie du Jurjura de Hanoteau et les Poèmes kabyles anciens de Mouloud Mammeri constituent, à cet égard, un témoignage essentiel sur le vécu historique des populations. Les poèmes recueillis par Mouloud Mammeri dévoilent les tensions permanentes entre les villages, les luttes entre tribus, et leur résistance collective aux incursions militaires et aux pressions hégémoniques de l’administration turque pour le contrôle de la Kabylie du xvie siècle jusqu’à la veille de la prise d’Alger, en 1830, par les troupes du maréchal De Bourmont. La conquête française de la Kabylie, commencée dès 1847 par l’expédition du général Bugeaud dans l’Oued Sahel et parachevée dix ans plus tard par le maréchal Randon le 14 juin 1857 par la défaite des Kabyles à la bataille d’Icherriden, a donné lieu à un flot ininterrompu de poésies collectées par Hanoteau, qui témoigne de l’état de stupeur d’une population vaincue et soumise pour la première fois de son histoire à l’occupation de son sol par une force étrangère. 

Il n’y a pratiquement aucun domaine de la vie sociale, politique ou morale que les poètes ont omis d’aborder. Il existe tout un corpus de citations et de préceptes, d’adages et d’expressions figées léguées par les anciens sur l’amitié, l’ingratitude, l’infidélité, la connaissance, l’exercice du pouvoir, la responsabilité civique, les relations humaines, etc.

Il en est de même de l’insurrection de 1871 qui avait profondément bouleversée et durablement marquée la Kabylie. Contrairement à la résistance de 1857, la révolte populaire de 1871 coûta plus de morts et eut des conséquences, tant matérielles que morales, infiniment plus désastreuses que la conquête de 1857. Car, dans l’aventure, les Kabyles ont tout perdu : leur société démantelée, leurs terres séquestrées et distribuées aux colons, les tribus et les familles disloquées, leur élite traditionnelle exilée ou déportée. Face au désarroi de la population, sans guide et sans repère, un poète de génie, Si Mohand Ou Mhand, se lèvera pour exorciser le malheur de la défaite et maintenir vivace l’esprit de résistance. Il marquera de son empreinte la poésie kabyle et témoignera de la situation de détresse morale et existentielle dans laquelle est plongée la population. Contrairement à la génération précédente, Si Mohand et les autres poètes de l’époque délaissent les thématiques nobles que sont la défense de la tribu et de son honneur qui imprégnaient la poésie de Youcef Oukaci ou la poésie héroïque des épopées guerrières de Mohand Saïd Amlikech. Avec Si Mohand Ou Mhand, la poésie kabyle change de registre, elle devient plus personnelle, plus nerveuse et plus inquiète. Elle s’éloigne de la poésie de convenance, hagiographique et gnomique des siècles précédents. De nouveaux motifs inconnus jusque-là comme l’exil, la solitude, l’inquiétude, la révolte, la nostalgie, etc., apparaissent dans la poésie de l’époque. Elle porte les sentiments de déréliction, d’angoisse et désarroi qui ont saisi la population au lendemain de la défaite. Les poètes, après 1871, se font indéfectiblement les interprètes du drame commun en fixant dans leurs vers le sentiment de stupeur et de désarroi qui a touché la population. Que ce soit Si Mohand-Ou-Mhand, Smaïl Azikiw, El Hadj Arezki Ou-Hawach et tous les autres poètes anonymes qui ont composé après 1871, tous ont, peu ou prou, chacun à sa manière, fixé l’état d’âme d’une population inquiète, prostrée et totalement abasourdie par la rapidité de la défaite qui, outre qu’elle signifie pour eux la perte définitive de son indépendance, ont vite pris conscience, qu’à terme, c’est à la fin irrémédiable d’un style de vie multiséculaire qu’ils assistent. La poésie kabyle du xixe siècle témoigne de la détresse morale et existentielle dans laquelle est plongée la population sous les coups de la violence coloniale.

La poésie orale comme patrimoine

Depuis le xixe siècle, la poésie kabyle a évolué dans ses formes et ses thématiques à telle enseigne qu’on parle aujourd’hui de néo-littérature kabyle. De nouvelles préoccupations, comme la défense de la culture et de langue berbère, l’affirmation identitaire, et les revendications socio-politiques reconfigurent le paysage culturel kabyle. Le genre taqsit, par exemple, a complètement disparu. La volonté d’insérer la langue et la culture berbère dans la modernité et l’universel a fait que de nouvelles formes comme le vers libre apparaissent dans la poésie kabyle. La confrontation avec la langue et la culture française, par l’école et l’émigration massive vers la France, a permis le renouvellement des thématiques. La poésie qui s’est un peu essoufflée, dans la première moitié du xxe siècle, retrouve de sa vitalité dans la chanson. Ce mouvement fut initié par Slimane Azem dans les années 40. S’appuyant sur sa propre condition d’émigré, il réintroduit le motif de l’exil. Mais, c’est un exil forcé, douloureux, vécu comme une déchéance sociale. L’éloignement du pays, la solitude de l’ouvrier séparé de sa famille, de sa femme et de ses enfants, la condition précaire des émigrés, les souffrances physiques et morales sont les grands thèmes de cette poésie. Si Slimane Azem reprend les images et les métaphores de la poésie ancienne sur l’exil et emprunte à Si Mohand Ou Mhand le modèle formel de l’asefrou, c’est qu’en définitive ses textes ne sont que l’écho des ruptures socio-économiques et familiales qui ont frappé la région. D’où, sans doute, la réapparition avec Slimane Azem de la fable et de l’apologue, genres à fonction didactique et pédagogique pour servir des leçons de prudence ou de morale.

Depuis le xixe siècle, la poésie kabyle a évolué dans ses formes et ses thématiques à telle enseigne qu’on parle aujourd’hui de néo-littérature kabyle. De nouvelles préoccupations, comme la défense de la culture et de langue berbère, l’affirmation identitaire, et les revendications sociopolitiques reconfigurent le paysage culturel kabyle

Cette poésie orale ancienne continue de nos jours de servir à d’autres créateurs tels que Ait Manguellet, Idir, Matoub Lounès ou à des poètes comme Ben Mohamed et Amar Mezdad qui se sont réappropriés les modèles esthétiques anciens qu’ils ont adapté aux nouvelles configurations socio-politiques des années 70 (combats pour la langue et l’identité berbère, combats pour la démocratie, luttes pour les libertés politiques et syndicales, etc.). Cette poésie ancienne est devenue malgré le temps incontournable, car elle constitue encore un lien vivant entre les générations ; elle est devenue un quasi-référent identitaire et culturel qui incarne la permanence et la persistance d’une culture qui résiste depuis des siècles. Les poésies anciennes sont revisitées et de nombreux chanteurs s’en inspirent librement quand elles ne sont pas parfois reprises partiellement, comme Menad dans les années 80 qui reprend une ronde d’enfants ou bien Idir en 1994 dans son opus « Les chasseurs de lumière » qui ressuscite Ali Amrouche dont il reprend un chant de fête.

Conclusion 

Si la vie sociale, entre le xvie et le xixe siècle en Kabylie pouvait se raconter, c’est sans aucun doute dans sa poésie orale qu’on peut la lire, car c’est là que les poètes et les sages pouvaient livrer librement leurs sentiments, leurs colères, leurs peines, leurs joies et leurs espérances. Plus que l’expression d’une conscience individuelle, la poésie kabyle est le champ d’expression d’une conscience collective où le groupe s’affirme et se représente. C’est par son truchement qu’on peut saisir le processus de transmission de la tradition, de l’histoire, et de la mémoire. 

Bibliographie

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Galand-Pernet, P., Littératures berbères, des voix et des lettres, Paris, PUF, 1998.

Hanoteau, A., Poésies populaires de la Kabylie du Jurjura, Paris, Challamel, 1867.

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Rabia, B., Recueil de poésies kabyles des Aït Ziki, Le viatique du barde, Paris,  L’Harmattan-Awal, 1993. 

Ramdane, A. M., Isefra n at zik, (Poèmes kabyles d’antan), Édité à compte d’auteur, Paris, 1998. 

Yacine, T., L’Izli ou l’amour chanté en kabyle, Alger, Bouchène-Awal, 1990 [1988].