Femmes, Covid-19 et genre : les leçons tunisiennes

Nabila Hamza

Sociologue experte des questions de genre et chef d’équipe du programme « Dialogue méditerranéen pour les droits et l’égalité »

La crise mondiale provoquée par la pandémie de Covid-19 a touché beaucoup plus les femmes et a ainsi creusé l’écart déjà existant entre les sexes. Dans le cas de la Tunisie, comme dans de nombreux autres pays, ce sont les femmes qui subissent le plus les conséquences de la précarité de l’emploi, car en plus d’emplois mal payés et peu reconnus, elles assument souvent des tâches non rémunérées telles que la prise en charge de personnes dans le besoin (enfants, personnes âgées) et le travail domestique. Les gouvernements, loin de lutter contre cette situation par des mesures efficaces, s’appuient sur ces tâches non rémunérées pour assurer – et dans de nombreux cas, remplacer – le service public et limiter les dépenses publiques. Pour sortir de cette crise, qui n’est pas seulement sanitaire, mais aussi économique et sociale, les femmes doivent avoir accès aux postes de direction et de décision pour pouvoir repenser le système actuel et ne pas revenir à la normalité prépandémique, qui était trop injuste, inégalitaire et patriarcale.


La crise mondiale due au Covid-19 touche de manière disproportionnée les femmes et les filles. Comme nombre de crises qui l’ont précédée, elle creuse les inégalités de genre, de classe et d’origine ethnique, et a un impact plus fort sur les plus précarisées de la société, dont les femmes forment les premiers rangs. Majoritaires au sein des travailleurs de première ligne, les femmes sont en effet très exposées à la maladie. Les mesures de confinement mises en œuvre pour freiner la propagation du virus ont donné lieu à une augmentation des cas de violence basée sur le genre, en particulier la violence domestique et celle exercée par les partenaires intimes. Elles ont également réduit l’accès aux services essentiels de santé sexuelle et reproductive, et ont gravement affecté les moyens de subsistance et les opportunités économiques des femmes. Malgré cela, la faible représentativité des femmes dans les instances de prise de décision a largement marqué la gestion de la crise du Covid-19 dans la grande majorité des pays.

La Tunisie, à l’instar de tous les pays du monde entier, a dû prendre une série de mesures pour faire face à la pandémie de Covid-19 : fermeture des écoles et suspension des activités de loisirs depuis le 12 mars 2020, fermeture des tribunaux le 16 mars, couvre-feu instauré le 18 mars et un confinement général depuis le 21 mars 2020. Ces mesures expéditives, conjuguées à la paralysie des moyens de transport, à la privation de fonds et à la difficulté d’accès aux services, ont abouti à l’isolement des femmes et ont amplifié les discriminations et inégalités de genre préexistantes, donnant toute son actualité à la fameuse phrase de Simone de Beauvoir : « N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question ».

Face au coronavirus, davantage de femmes que d’hommes en première ligne

Si l’on s’y intéresse d’une manière purement physiologique, le coronavirus semble affecter les femmes moins sévèrement que les hommes. Les hommes auraient plus de risques que les femmes de mourir du Covid-19, selon les données à disposition. En effet, la répartition des cas confirmés de Covid-19 en fonction du genre met en relief un nombre de femmes atteintes quasiment égal au nombre des hommes atteints, contrastant avec un taux de mortalité trois fois plus enlevé chez les hommes (rapport des sexes M/F égal à 3,22). Mais ce sont les femmes qui sont en première ligne pour affronter l’épidémie. Elles composent l’essentiel des personnels soignants, au contact direct des malades, et courent donc davantage le risque d’être infectées.

Les femmes sont au front et, si elles ne sont pas les seules, il ne faut pas oublier qu’encore aujourd’hui, elles constituent la majorité des personnes à qui incombe la tâche de soigner

Parmi les milliers de personnes qui composent la fonction publique hospitalière en Tunisie, environ 72 % sont des femmes. Ce ratio grimpe à 80 % pour les infirmières et les aides-soignantes (pour les médecins, toutes spécialités confondues, à titre libéral ou en milieu hospitalier, le taux de femmes est de plus de 50 %) et à 72 % pour les diplômées de pharmacie. Or, ce secteur de soins largement féminisé et, pour une grande partie, sous-payé n’a pas été épargné par les mesures visant à endiguer la propagation du virus, par la fermeture des crèches et des jardins d’enfant, sans proposition d’aucune alternative institutionnelle. Le chef du gouvernement a en effet indiqué, dans son discours du 13 mars, que les enfants pouvaient être confiés à la famille et aux voisins, oubliant qu’en période de confinement et avec les recommandations de distanciation sociale et de protection des personnes âgées, le réseau de solidarité sociale habituelle, basé sur l’aide des grands-parents, n’était plus opérationnel.

Les femmes sont au front et, si elles ne sont pas les seules, il ne faut pas oublier qu’encore aujourd’hui, elles constituent la majorité des personnes à qui incombe la tâche de soigner dans notre société. Et si on parvient à sortir de cette crise sans être tous et toutes tombés comme des mouches, ce sera aussi (voire surtout) grâce à elles. C’est là tout le paradoxe : les femmes sont particulièrement exposées aux épidémies parce qu’elles sont largement sollicitées pour prendre soin des malades et pour gérer les familles. Pourtant, elles sont sousreprésentées dans les instances qui prennent les décisions de gestion de la crise sanitaire.

Recrudescence des violences faites aux femmes en temps de pandémie

Alors que près de trois milliards de personnes étaient confinées dans le monde pour éviter la propagation du coronavirus, la mise en quarantaine a piégé les femmes victimes de violences conjugales, condamnant la victime et son bourreau à cohabiter en continu. Tandis que les pressions économiques et sociales s’aggravaient et que la peur s’installait, le monde a connu une remarquable flambée de violence domestique.

Toutes les études montrent que, partout dans le monde, les violences conjugales et intrafamiliales ont augmenté avec les mesures prises pour contrer le coronavirus. Qu’il s’agisse de violences psychologiques, verbales, physiques ou sexuelles, le confinement a sensiblement augmenté les risques de passage à l’acte. Pour les femmes et les enfants qui étaient confinés avec un conjoint ou un père violent, le danger n’était pas qu’en dehors de leur domicile.

En Tunisie, malgré l’adoption de la loi organique n° 2017-58 du 11 août 2017 de lutte contre les violences à l’égard des femmes, le nombre de cas de violences sexistes, tous types confondus, a connu une hausse alarmante avec le confinement sanitaire. Selon la ministre de la Femme, de l’Enfance et des Personnes âgées, les agressions contre les femmes ont été multipliées par cinq par rapport à mars 2019. À la date du 3 mai 2020, plus de 7 000 cas de violence avaient été signalés auprès du numéro vert mis en place par ce même ministère, tandis que le personnel de santé et la police étaient débordés et en sous-effectif, et que les groupes d’appui locaux étaient paralysés ou manquaient de ressources. Certains centres d’hébergement des victimes ont dû fermer leurs portes, tandis que d’autres étaient pleins ou inaccessibles. Tout au long de la période de confinement du 16 mars jusqu’au 30 avril 2020, les différents centres de l’Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD) ont accueilli 218 nouveaux cas de femmes victimes de violences.

Les suspensions et les interruptions des services publics de première ligne de la santé (totalement dédiés au Covid-19) et la fermeture des tribunaux sans garantie de permanence ont été préjudiciables aux femmes, particulièrement aux plus vulnérables d’entre elles : les femmes âgées, les femmes enceintes, les femmes porteuses de maladies chroniques, les femmes en instance de divorce, les femmes isolées cheffes de ménage.

Cette augmentation du taux de violence contre les femmes a coïncidé avec la décision du Conseil supérieur de la magistrature, prise le 23 mars 2020, de reporter toutes les audiences des affaires civiles, freinant ainsi l’accès des femmes aux services de justice, tels que les tribunaux aux affaires familiales ou traitant des violences faites aux femmes. Ces entraves à l’accès à un droit constitutionnel en période de pandémie ont menacé la sécurité physique et psychologique des femmes victimes de violence conjugale et domestique.

Face à cette situation, les associations féministes ont dû adapter leurs services pour rester au plus près des femmes victimes de violences et mettre en place une nouvelle stratégie d’intervention à distance. C’est le cas de l’Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD), qui a mis en place des permanences d’aide sociale, psychologique et juridique par téléphone, et qui a lancé une campagne d’information sur les réseaux sociaux pour encourager les femmes à signaler et à verbaliser les cas de violences conjugales et intrafamiliales.

Ces entraves à l’accès à un droit constitutionnel en période de pandémie ont menacé la sécurité physique et psychologique des femmes victimes de violence conjugale et domestique

Le maintien du travail de proximité avec les victimes a également permis aux associations d’être présentes sur le front politique et d’identifier dans l’urgence les mesures à prendre par les autorités et les différents ministères, pour faire face à la multiplication flagrante du nombre de violences à l’égard des femmes en période de confinement.

Parmi les mesures préconisées figuraient l’autorisation de l’éloignement des agresseurs du domicile conjugal ou familial ; la possibilité donnée aux victimes de violence de porter plainte directement auprès du ministère public sans passer par les unités spécialisées des forces de police ; la création de mécanismes permettant aux victimes et aux témoins de notifier l’agression directement auprès du procureur de la République par des moyens de communication à distance, compte tenu de la difficulté de déplacement des victimes de violences ; et l’application de mesures urgentes et provisoires obtenues auprès du juge de la famille, telles que les pensions alimentaires.

À cet effet, une lettre était adressée au président du Conseil supérieur de la magistrature, appelant à la réouverture immédiate des tribunaux aux affaires familiales. Cette mobilisation a incité le Conseil supérieur de la magistrature à publier deux notes relatives à cette question les 28 et 29 avril 2020, appelant les juges de la famille à prendre toutes les mesures nécessaires pour mieux protéger les victimes et garantir leurs droits d’accès à la justice.

Si la loi 2017-58 reste un acquis qui a été conçu comme un rempart contre les violences faites aux femmes, il faut reconnaître qu’en l’état actuel, caractérisé par les graves manquements qui entachent sa mise en œuvre, elle manque de vigueur. Plusieurs hypothèques pèsent sur elles du fait de :

• L’état d’exception qui entache toute la vie constitutionnelle du pays ;

• L’environnement législatif reproductif des inégalités de genre et constituant un terreau des violences à l’égard des femmes ;

• Les droits de prise en charge multisectorielle en trompe-l’œil ;

• Les carences du cadre institutionnel national et régional mis en œuvre ;

• Les réticences judiciaires à la mise en œuvre de la loi ; • Les faiblesses logistiques et pédagogiques de la police judiciaire ;

• L’absence des financements nécessaires à la politique de lutte contre les violences à l’égard des femmes, des filles et des enfants.

La crise sanitaire a également aggravé les difficultés d’accès des femmes aux services de santé sexuelle et reproductive, la priorité ayant été accordée à la mise en place des circuits de prise en charge Covid-19. La confusion générale et l’absence ou le manque d’équipements de protection individualisés, surtout durant les premières semaines de la pandémie, ont abouti à la fermeture de plusieurs centres de l’Office national du planning familial et des centres de santé de base. Ainsi les 50 % de femmes utilisant des méthodes contraceptives et ayant besoin de se réapprovisionner régulièrement se sont heurtées à nombre d’obstacles. L’interruption volontaire de grossesse n’a pas non plus été possible pour plusieurs d’entre elles, selon les témoignages recensés par les associations, dont l’Association Tawhida Ben Cheikh, qui a lancé un appel urgent aux autorités publiques pour assurer la continuité des services et faciliter l’accès des femmes à la santé sexuelle et reproductive.

La crise sanitaire a également aggravé les difficultés d’accès des femmes aux services de santé sexuelle et reproductive

De toute évidence, la crise mondiale de la pandémie n’a pas été qu’une crise sanitaire, mais bien une crise humanitaire dont l’ampleur et les effets récessifs et régressifs se font sentir plus redoutablement sur les femmes, notamment les plus vulnérables d’entre elles.

Les femmes quasi exclues des hautes instances de décision dédiées à la réponse au Covid-19

Bien que les femmes soient en première ligne pour affronter l’épidémie et qu’elles forment l’essentiel du personnel soignant, elles restent très faiblement représentées dans les instances de prise de décisions et dans les différentes commissions créées pour lutter contre le Covid-19.

En effet, à l’exception du comité scientifique du ministère de la Santé, où elles représentent 30 à 50 % de ses membres, elles ne sont que deux sur quinze, dans le Conseil national de sécurité, à fixer les stratégies et politiques générales en matière de sécurité et à prendre les décisions relatives au couvre-feu ou encore à l’état d’urgence. Il en va de même pour l’Instance nationale de lutte contre le Covid-19, qui a pour mission la coordination entre le comité national et les comités régionaux de lutte contre les catastrophes naturelles, ainsi que le suivi de la régularité de l’approvisionnement en produits de base, la distribution des aides sociales au profit des familles démunies ou sans revenu, dans laquelle on ne compte qu’une femme, en l’occurrence la ministre de la justice. Enfin, seules cinq femmes sur vingt hommes siègent dans la cellule de crise créée au sein du parlement tunisien pour assurer le contrôle de l’action gouvernementale.

Ceci montre encore une fois l’absence de toute approche basée sur le genre dans la gestion de la crise et dans la prise en compte des besoins spécifiques des femmes en période de pandémie, favorisant des solutions durables et des prises de décision inclusives. L’absence manifeste de femmes dans les équipes et les plans d’intervention relatifs au Covid-19 a été fortement critiquée par la société civile et les associations féministes, qui ont exprimé leurs craintes de voir les avancées des dernières années en matière d’égalité des sexes remises en cause pendant la pandémie.

Sans une direction et une participation égales des femmes, les réponses à la crise du Covid-19 seront moins efficaces et moins aptes à satisfaire les besoins des femmes et des filles, ce qui aura des conséquences néfastes sur l’ensemble de la communauté. Par ailleurs, la nature sexospécifique de cette crise a suscité l’attention des médias et des chercheurs qui ont démontré que les femmes dirigeantes, chefs d’État ou autres, ont mieux réussi que leurs homologues masculins à réduire la transmission du Covid-19 dans leur pays (c’est le cas de l’Islande, de l’Allemagne, de Taiwan, de la Nouvelle-Zélande et de quelques autres).

Économie des soins et reproduction sociale en période de pandémie

En outre, la crise sanitaire a exacerbé la division traditionnelle des rôles, la double journée de travail et le travail non rémunéré des femmes, toutes ces tâches quotidiennes liées à la gestion du foyer, dans un contexte de services publics dégradés. La fermeture des écoles et les politiques de confinement ont augmenté la durée journalière de travail des femmes et ont déplacé la tâche de s’occuper des enfants de l’économie salariale – crèche, école, baby-sitter – à l’économie non rémunérée.

Sans une direction et une participation égales des femmes, les réponses à la crise du Covid-19 seront moins efficaces et moins aptes à satisfaire les besoins des femmes et des filles

Pour beaucoup d’entre elles, la conciliation du travail rémunéré – les travaux de production, à distance (via Internet) ou à domicile (couturières, employées domestiques, etc.) – et du travail non rémunéré exige de nouveaux efforts, en particulier pour les femmes qui sont des soutiens de famille monoparentale. Alors que les écoles sont fermées, comment réussir à gagner de l’argent tout en prenant soin des enfants, des handicapés ou encore des personnes âgées ?

Par conséquent, l’émergence de la pandémie nous place également devant le besoin de revoir le rôle de l’État et de la collectivité, et devant la nécessité de repenser la vie en société. Elle appelle avec insistance à la redéfinition de la place des hommes dans le maintien de la vie reproductive, des liens affectifs et des soins – une tâche qui n’est pas considérée comme essentielle ou positive dans nos sociétés, et donc exercée de manière exclusive par les femmes. Elle nous place également devant le besoin d’ouvrir le débat sur l’économie du care – aussi appelée « économie des services à la personne » – en vue d’identifier de nouvelles solutions pour que les femmes bénéficient de l’égalité des chances dans le monde du travail. Ces services sont dispensés dans divers contextes, dans l’économie formelle et informelle ; et certains sont assurés par le secteur de la santé, le plus souvent dans un cadre formel et public. L’économie des services à la personne recouvre également d’autres domaines, tels les services publics de garderie, d’éducation de la petite enfance, d’invalidité et de soins de longue durée, ainsi que les soins aux personnes âgées.

Les gouvernements comptent sur le travail non rémunéré des femmes et des filles, ou sur la contribution des travailleurs domestiques sous-payés pour assurer – voire remplacer – le service public et limiter les dépenses publiques

Un nombre croissant de femmes qui entrent sur le marché du travail sont confrontées au défi que représente la prestation des services à la personne, dans la mesure où elles doivent assumer leurs responsabilités professionnelles, tout en portant les générations futures et en assurant leur éducation, et que les gouvernements comptent sur le travail non rémunéré des femmes et des filles, ou sur la contribution des travailleurs domestiques sous-payés pour assurer – voire remplacer – le service public et limiter les dépenses publiques.

Les associations féministes doivent donc élargir leur champ d’intérêt pour y inclure cette question et contribuer à l’émergence d’une sociologie économique féministe dans laquelle le travail hors marché, dont l’économie des soins, occupe une place légitime et entière. Un grand effort doit être fait en vue de sortir les activités de care de leur ghetto de marginalité économique, et d’établir avec force leur signification économique fondamentale. La nécessité de la rémunération des travaux de care et le type de système de paiement qui doit être utilisé sont également des points à l’ordre du jour.

Covid-19, crise économique et État social

Précarisation, basculement dans la pauvreté, chômage : les femmes sont plus frappées que les hommes par la crise économique engendrée par le Covid-19, car elles exercent souvent des métiers précaires, dans l’intérim, le travail à mi-temps, avec des revenus extrêmement bas. Ces situations vont s’aggraver à cause du confinement, que ce soit pour les femmes qui n’ont pas de travail ou pour celles qui se retrouvent avec des revenus réduits, dans les cas de chômage temporaire. L’impact socio-économique sur les femmes est d’autant plus prononcé que plusieurs d’entre elles font partie du secteur informel et précaire (femmes de ménage, commerce informel, artisane non déclarée) et que le gouvernement n’a pas pris de mesures spécifiques en leur faveur dans l’allocation des aides qui ont été prévues pour faire face à la pandémie. Certes, on parle beaucoup de télétravail, mais cela ne concerne qu’une minorité de travailleuses. Qu’en est-il des milliers de travailleuses informelles qui doivent vendre ou fournir des services pour toucher un peu d’argent, à la fin du mois, de la semaine ou du jour même ? Comment peuvent-elles survivre au chômage massif et à la paralysie des activités économiques, si elles occupent les postes les moins bien rémunérés sur le marché du travail?

D’une manière plus générale, la crise économique provoquée par la pandémie montre combien la pauvreté et l’insécurité sont généralisées. Cette réalité se reflète dans les files d’attente massives pour l’aide alimentaire d’urgence, que nous avons vues dans toutes les régions et communes du pays. Ceux qui faisaient la queue n’étaient pas seulement les travailleurs au chômage, mais aussi des pans plus larges de la classe ouvrière et des familles de la classe moyenne, qui n’ont jamais eu à compter sur une telle aide de leur vie.

Comme en atteste la récurrence des mouvements de protestation à travers le pays, les Tunisiens attendent de la part des pouvoirs publics de nouvelles orientations politiques permettant de répondre à l’idéal de justice sociale auquel ils aspirent. Outre les interrogations sur la sortie du confinement, la question du bilan du fonctionnement de nos économies et de nos sociétés se pose déjà. Dans ce contexte, il serait naïf de penser qu’une fois cette urgence médicale passée, les pays ou le monde pourront continuer comme avant. La colère, l’amertume et l’injustice trouveront de nouveaux débouchés.

L’épidémie de Covid-19 nous incite, intellectuels et militants associatifs et politiques, à en tirer les leçons et à repenser le système économique actuel

Comment nous, les féministes, envisageons l’après-coronavirus ? L’épidémie de Covid-19 nous incite, intellectuels et militants associatifs et politiques, à en tirer les leçons et à repenser le système économique actuel, fondé sur la croissance économique, la discrimination et le libre-échange globalisé. Nous avons un besoin urgent de mettre les choses à plat, de renouveler nos concepts concernant l’État social, le développement, l’organisation de la société, notre système politique, nos structures administratives, religieuses, celles de notre société civile.

La crise du Covid-19 risque de durer bien plus longtemps que nous ne l’avons prévu ou encore de revenir sous d’autres formes. Nous ne devons pas attendre de mesurer l’étendue de la catastrophe économique et sociale pour engager une réflexion collective. C’est maintenant que la réflexion est urgente. Car, comme l’ont souligné les féministes italiennes face à l’impossibilité de tenir les manifestations du 8 mars, nous ne voulons pas revenir à la « normalité » car cette normalité est déjà trop injuste, inégalitaire et patriarcale.

References

Atfd, « Rapport statistique sur les violences faites aux femmes en période de Covid-19 », mai 2021.
Beity, « Rapport Urgence Covid-19. La Covid-19. Révélateur et facteur aggravant les inégalités intersectionnelles envers les femmes», juin 2020, à consulter sur : http:// beity-tunisie.org.
« Genre et crise du Covid-19 en Tunisie : Défis et recommandations », avril 2020, à consulter sur : https://arabstates.unwomen.org/en/digitallibrary/publications/2020/05/brief-gender-andcrisis-of-covid-19-in-tunisia#view.
« Les femmes tunisiennes à l’épreuve de la Covid-19 : du confinement au déconfinement », mai-juin 2020, à consulter sur : https://arabstates.unwomen.org/en/digital-library/publications/2020/07/policy-brief-tunisian-women-inthe-face-of-covid19#view.
« Santé des femmes en Tunisie : les défis pendant et après la Covid-19 », octobre-novembre 2020, à consulter sur : https://arabstates.unwomen.org/en/digital-library/publications/2021/03/santedes-femmes-en-tunisie-les-defis-pendant-et-apresla-covid-19.
« Où en sont les Tunisiennes au regard de l’ODD3 pendant et après la Covid-19 ?», janvier-février 2021, à consulter sur: https://arabstates.unwomen.org/en/digital-library/publications/2021/03/ouen-sont-les-tunisienne-covid-19.
« Rapport analytique : Crise de Covid-19 en Tunisie. Cadre juridique et genre », mars-août 2020, à consulter sur : https://arabstates.unwomen.org/en/digital-library/publications/2021/03/rapport-analytique-crise-de-covid-19-en-tunisiecadre-juridique-et-genre.