Expliquer la diversité religieuse… au-delà de la diversité

Antoine Messara

Université Libanaise, Beyrouth

Pour inculquer aux personnes, particulièrement aux enfants et aux jeunes, ce qu’est la diversité religieuse, il existe diverses alternatives pédagogiques. Non seulement doit-on expliquer les différentes religions de façon honnête et dans une perspective intellectuelle, en fuyant les stéréotypes, il est en outre très important de tenir compte du facteur « transcendance ». En effet, le fait religieux est fondamentalement la recherche d’un sens. La notion de complémentarité est de même très importante dans l’apprentissage et l’approche de « l’autre » : c’est un élément enrichissant, une unité profonde et supérieure qui assure l’harmonie du phénomène religieux dans son ensemble.

Peut-on appréhender l’éducation à la diversité religieuse sans clarifier au départ deux notions : celle de fait religieux, et celle de diversité ?1

Deux notions à clarifier : fait religieux et diversité

Première notion : le fait religieux

Par honnêteté intellectuelle, et pour éviter les équivoques et les dérives dans l’application, il y a une double alternative dans l’histoire de la pensée. La première alternative, antireligieuse ou areligieuse, consiste à considérer le fait religieux comme un épiphénomène, une dérive qui relève de la psychiatrie, un opium pour soulager la misère humaine. La seconde alternative considère le fait religieux comme une attitude face à la transcendance, et donc un problème réel avec des variantes, qu’il s’agit d’appréhender autrement que n’importe quel autre fait naturel ou biopsychologique. Chacune de ces alternatives débouche sur des modalités différentes, et inégalement opérationnelles, dans l’éducation à la diversité religieuse.

Des auteurs qui élaborent des manuels et des moyens pédagogiques en matière de diversité religieuse se trouvent ballottés entre l’une ou l’autre alternative. Le ballottement les amène à une perspective exclusivement cognitive. Pour eux, il s’agit d’expliquer les diverses religions, avec authenticité, pour corriger des images stéréotypées et des images altérées.

Or le fait religieux implique un rapport à la transcendance, la recherche d’un sens. Vous pouvez croire ou ne pas croire à la transcendance. C’est déjà une attitude par rapport à la transcendance ! On ne peut négliger cette dimension quand on veut expliquer la religion, ou faire comprendre les autres religions, et la religion de l’autre.

La sociologie religieuse étudie les manifestations extérieures de la religion, mais elle n’est pas la religion. Reconnaître la spécificité du religieux n’implique pas nécessairement d’être croyant, mais du moins beaucoup d’honnêteté intellectuelle. À partir du moment d’ailleurs où l’on admet cette spécificité, ou quand on commence à la reconnaître, on est déjà sur une autre voie… ! Je me demande même si les sociologues de la religion peuvent faire de la bonne sociologie des religions, s’ils ne sont pas conscients au départ des limites de la sociologie religieuse à appréhender la problématique transcendantale de la religion.

Seconde notion : la diversité

J’en arrive au problème de la diversité. Ce qui est divers, du latin diversus, opposé, présente plusieurs faces, plusieurs apparences. Il est hétérogène, disparate, multiple, quelconque, incohérent, en opposition…

Quand la diversité devient-elle variété, richesse, harmonie ? Lorsqu’on découvre à travers la diversité, la complémentarité, l’unité supérieure et profonde qui assure l’harmonie de l’ensemble.

Quand on appréhende la diversité religieuse, seulement pour faire connaître la diversité, sans entrevoir à travers elle ce qui rassemble et unit, on fait comprendre certes des phénomènes religieux, mais on ne rapproche pas entre eux les hommes ! Dans la recherche et l’explication de toute diversité et de toute unité, la phrase de Térence (Carthage, v. 190-159 av. J-C) doit constamment inspirer le travail : « Je suis homme, et rien d’humain ne m’est étranger. » (Homo sum : humani nil a me alienum puto).

Ignacio Caballero

Roger Arnaldez, dans son ouvrage : Trois messagers pour un seul Dieu2 montre, dans la première partie de son livre, ce qu’il y a de divers, d’oppositionnel, dans les dogmes des trois religions juive, chrétienne et musulmane. Dans la seconde partie, consacrée aux mystiques des trois religions, on découvre l’unité de la foi où des phrases sont presque copiées d’un mystique à un autre, au-delà du temps et de l’espace.

La diversité religieuse et sa gestion culturelle et pédagogique

Plusieurs raisons justifient la promotion d’une culture religieuse en éducation, fondée sur le respect, la reconnaissance et l’accueil de la diversité religieuse :

  • Le recul des idéologies, avec l’émergence ou le retour du religieux, parfois en tant que substitut, dans les processus de mobilisation politique, aux idéologies englobantes du passé.
  • La multiplicité des groupes qui, avec l’extension de la démocratisation, parlent au nom de la religion. Parmi ces groupes, des organisations fanatiques et terroristes qui recherchent une légitimité de source sacrée.
  • La pontification de la religion, c’est-à-dire l’exploitation de la religion dans la compétition politique, du fait que la religion, porteuse de valeurs, est mobilisatrice et pose des problèmes par nature non négociables.

Risques à éviter dans la pédagogie interculturelle 

Quatre risques sont à éviter :

  • Réduire l’éducation à la diversité religieuse à une dimension cognitive.
  • Amplifier la dimension du religieux, sans considérer l’importance de la culture de légalité pour la régulation pacifique des conflits.
  • Amplifier la dimension dogmatique et rituelle, aux dépens de la spiritualité qui rassemble dans une fraternité plus large et même universelle.
  • Disculper, innocenter les croyants et adeptes des diverses religions sur leurs images altérées, au nom de l’image de l’autre. Chacun est aussi responsable de son image ! Il y a des pratiques chez toutes les religions qui expliquent nombre d’images péjoratives… Il ne s’agit pas toujours de stéréotypes et d’ignorance… ! Nietzsche disait à propos des chrétiens : «  Pour croire en leur Sauveur, il faut qu’ils aient l’air sauvé. »

Les composantes interculturelles de la diversité religieuse

La culture et la pédagogie de l’interculturalité religieuse comporte trois composantes :

  • L’instruction religieuse avec des dogmes certes, mais sans dogmatisme : pour faire retrouver aujourd’hui à toutes les religions leur âme.
  • La culture religieuse : elle est nécessaire pour comprendre l’histoire, l’architecture, la littérature, la musique… Il faut cependant insister sur des comportements, des témoignages de tous les temps, des prières de toutes les époques et de toutes les religions…
  • Réhabiliter dans l’enseignement les Humanités, facteurs de réelle compréhension et d’humanisme.

L’entreprise de la Fondation Anna Lindh en matière d’éducation à la diversité religieuse est pionnière, novatrice et nécessaire. Il faut élargir la démarche et les applications.

Notas

[1] Communication introductive au cours du séminaire organisé par la Fondation euro-méditerranéenne Anna Lindh pour le dialogue entre les cultures, Beyrouth, 27/5/ 2009

[2] Arnaldez, Roger, Trois messagers pour un seul Dieu, Éditions Albin Michel, Paris, 1998.