Coopération euro-méditerranéenne face aux catastrophes naturelles : Protection civile et gestion des urgences
Le Mécanisme de Protection Civile de l’Union
Pour bien appréhender cet article, il est indispensable de définir la notion de protection civile et son contour. On peut trouver des périmètres de compétences proches d’un pays à l’autre, avec des variantes sémantiques comme en France, on parle de « sécurité civile », en Europe, on privilégie le terme « protection civile ». Il est même d’usage de parler de « défense civile » au-delà des frontières extérieures de l’UE, notamment en zone méditerranéenne. Ces différentes appellations sont en réalité le produit de l’histoire et de l’organisation des services nationaux chargés des secours, de l’urgence et de l’assistance aux populations, services dont les prérogatives varient selon l’autorité de rattachement (civile ou militaire).
Le mécanisme de protection civile de l’Union (MPCU), qui vient tout juste de fêter son vingtième anniversaire, est un instrument de solidarité piloté par la Commission européenne et, plus précisément, par la direction générale de Protection civile et des Opérations d’aide humanitaire européennes (DG ECHO).
Sa création, en 2001, marque effectivement la consécration et la montée en puissance d’une protection civile européenne[1], celle-ci relevant d’une compétence d’appui de l’Union, laquelle « ne peut intervenir que pour soutenir, coordonner ou compléter les actions des pays de l’UE[2] », excluant dès lors toute compétence législative communautaire, ainsi que toute capacité à entraver les initiatives des états membres dans ce domaine.
L’article 196 du traité de Lisbonne précise, quant à lui, que « l’Union encourage la coopération entre les États membres afin de renforcer l’efficacité des systèmes de prévention des catastrophes naturelles ou d’origine humaine et de protection contre celles-ci », son action devant viser « à soutenir et à compléter l’action des États membres aux niveaux national, régional et local portant sur la prévention des risques, sur la préparation des acteurs de la protection civile dans les États membres et sur l’intervention en cas de catastrophes naturelles ou d’origine humaine à l’intérieur de l’Union, à promouvoir une coopération opérationnelle rapide et efficace à l’intérieur de l’Union entre les services de protection civile nationaux ainsi qu’ à favoriser la cohérence des actions entreprises au niveau international en matière de protection civile ».
L’objet premier du MPCU est de favoriser la coopération entre les autorités nationales de protection civile des trente-trois pays participants à ce dispositif, soit les vingt-sept états membres de l’Union européenne ainsi que la Norvège, l’Islande, la Macédoine du Nord, le Monténégro, la Serbie, la Turquie, et récemment, la Bosnie Herzégovine et l’Albanie.
Il possède par ailleurs une portée universaliste puisque tout État, dans le monde, qui se trouverait dans l’incapacité de répondre à une catastrophe de grande ampleur par la mobilisation de ses moyens nationaux pourrait formuler une demande d’assistance en sollicitant directement le Centre de coordination de la réaction d’urgence (ERCC). Cette compétence d’activation est également offerte à l’Organisation des Nations unies ainsi qu’à ses agences et à toute organisation internationale pertinente.
Le MPCU repose sur quatre piliers telles que la prévention, la préparation, la réaction aux catastrophes et le réseau européen de connaissances en matière de protection civile.
L’assistance capacitaire fournie via le mécanisme de protection civile de l’Union peut prendre la forme d’un soutien matériel, du déploiement d’équipes d’intervention ou encore de l’acheminement d’équipements spécifiques. Des experts peuvent également être envoyés sur le terrain afin d’évaluer les besoins et d’assurer la coordination avec les autorités locales et les organisations internationales présentes, ainsi que pour effectuer des missions de conseil en matière de prévention et de préparation.
La DG ECHO veille à porter une réponse globale : ainsi, lorsqu’une demande d’assistance en matière de protection civile est formulée par un pays tiers, elle est généralement combinée à la fourniture d’aide humanitaire. En outre, le mécanisme peut également être activé lors d’urgences liées à la pollution marine. Il œuvre alors en étroite collaboration avec l’Agence européenne pour la sécurité maritime (EMSA).
Au-delà des activations en mode préalerte, pour de la surveillance ou la délivrance de cartes satellitaires via Copernicus, l’ERCC a reçu, depuis sa création, plus de cinq cents demandes d’activation du mécanisme relatives à des demandes d’assistance, couvrant hier les catastrophes d’origine naturelle et anthropique et aujourd’hui également des crises complexes et transfrontières de type sanitaire ou migratoire :
Tremblements de terre (Iran 2003 ; Pakistan 2005 ; Népal 2015 ; Haïti 2021), tsunamis (Sud-Est asiatique 2004), feux de forêt (Europe méridionale 2005, 2017, 2021 ; Chili 2017 ; Bolivie 2019), inondations (Bulgarie et Roumanie 2014 ; Belgique 2021), crise sanitaire (Ebola – Afrique de l’ouest 2014 ; COVID – monde 2020-2022), crise migratoire (Europe 2015 ; Grèce 2020 ; Lituanie 2021), cyclone (Mozambique 2019), rapatriements consulaires (Chine 2020 ; Afghanistan 2021), accident industriels (Liban 2020), guerre (Ukraine 2022).
Si le premier niveau de réponse du mécanisme consiste dans la mise à disposition d’offres spontanées de la part des états participants au dispositif auprès de l’état touché par une catastrophe d’ampleur, il est néanmoins apparu nécessaire de permettre une réponse rapide, efficiente et prévisible de la part de l’UE.
Dans cette logique, une réserve européenne de protection civile (European Civil Protection Pool [ECPP]) est créée en 2013 : il s’agit d’un pool volontaire de ressources nationales certifiées et interopérables, préengagées par les États participant au MPCU et pour lesquelles la Commission contribue financièrement à leur déploiement opérationnel.
Prenant acte des lacunes capacitaires identifiées sur le sol de l’Union européenne (simultanéité d’évènements d’ampleur), la décision 2019/420[3] modifie en profondeur le mécanisme de protection civile de l’Union en créant le dispositif rescEU. Il s’agit d’une réponse capacitaire additionnelle conçue comme un « filet de sécurité » destiné à intervenir en dernier ressort, après épuisement des capacités de réponses nationales, des offres bilatérales spontanées des États participants et des capacités enregistrées au sein de la réserve européenne de protection civile.
Sont visés, dans le cadre du dispositif rescEU, des moyens rares et coûteux, tels que les moyens aériens de lutte contre les feux de forêts, les moyens permettant une réponse médicale d’urgence, ainsi les moyens en réponse à une crise nucléaire, radiologique, bactériologique et chimique. La crise sanitaire actuelle a mis en lumière de nouveaux besoins, tels que les hébergements d’urgence, ainsi qu’une capacité de transport et logistique[4] ou encore plus récemment des capacités énergétiques, qui soient directement à la main de la Commission, cette dernière assumant la charge financière de l’acquisition, de l’accueil et du déploiement de l’ensemble de ces moyens gérés, de facto, par les états membres.
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Copyright, Union européenne, 2022. Carte créée par le secteur de la connaissance de la situation de la DG ECHO. Sources : DG ECHO, GISCO
Le choix et l’engagement de ces moyens de réponse capacitaire (ECPP et rescEU) sont gérés par l’ERCC, cœur opérationnel du MPCU. L’ERCC est actif et opérationnel 24h/24 et 7j/7, avec une capacité de veille des catastrophes (monitoring) et de coordination des interventions. Il recueille les informations en temps réel, via un système d’alerte précoce sur les catastrophes, surveille les risques, prépare des plans de déploiement des ressources (experts, équipes et matériel, modules…) tirées de la réserve européenne (ECPP) ou de rescEU, cartographie les capacités disponibles en coopération avec les États membres et coordonne les efforts européens de réponse aux catastrophes.
L’ERCC est en liaison directe et permanente avec les autorités chargées de la protection civile et de l’aide humanitaire dans les États participants au MPCU, ainsi que les pays bénéficiaires, garantissant ainsi une réponse européenne cohérente aux catastrophes.
La coopération Euro-Méditerranéenne de protection civile
Les pays du sud sont particulièrement aux risques naturels dans un contexte de changement climatique. La Méditerranée est considérée comme un point chaud, particulièrement sensible et affecté par le changement climatique. Elle se réchauffe 20 % plus vite que le reste du monde. Seul l’Antarctique se réchauffe plus vite. Avec les politiques actuelles, les températures régionales augmenteront de 2,2 % d’ici 2040. L’élévation du niveau de la mer dépassera 1 mètre d’ici 2100, ce qui affectera un tiers des populations de la région. Aujourd’hui, plus que jamais, il est nécessaire d’avoir un cadre régional commun officiel pour aider à construire un agenda positif pour la région en matière de prévention, préparation et de réponse.
L’Union pour la Méditerranée est une organisation euro-méditerranéenne intergouvernementale rassemblant, sur un pied d’égalité et de représentation, tous les Etats Membres de l’UE et les 16 pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée. Dans le prolongement direct du processus de Barcelone, le lancement de Union pour la Méditerranée (UpM) en juillet 2008 a été un véritable reflet de l’engagement politique commun des 42 Etats pour renforcer la coopération, le dialogue et l’intégration régionale dans la zone euro-méditerranéenne.
L’UpM est à la fois un forum politique, une plateforme de dialogue et travaille aux projets ayant un impact régional.
En 2019, les directeurs généraux de la protection civile, réunis à Barcelone, avait lancé trois groupes de travail qui se sont réunis en octobre 2020 et en 2021 telles que (1) préparer une assistance mutuelle efficace dans la zone euro-méditerranéenne, (2) engager les citoyens dans la gestion des risques de catastrophes, (3) rôle des volontaires dans la protection civile.
A partir de 2021, l’UpM a recentré son travail sur cinq domaines d’action identifiés comme prioritaires par les Etats membres, dont la protection civile.
Avec le nombre croissant de feux de forêt, d’inondations, de tremblements de terre, de pollutions marines, de pandémies et d’autres catastrophes naturelles ou d’origine humaine à travers la zone euro-méditerranéenne, la protection civile est au cœur du mandat de l’UpM.
Le point d’orgue d’une nouvelle étape pour l’UpM dans le domaine de la protection civile a été le lancement officiel, le 12 décembre de la Plateforme Régionale de Dialogue – outil emblématique de l’UpM – qui réunira non seulement les États Membres de l’UpM, mais aussi les organisations et parties prenantes internationales, les acteurs de la société civile, autour de thèmes qui seront déterminés conjointement. Des groupes de travail thématiques seront menés dans le cadre de la plateforme de dialogue régional.
La plateforme travaillera également à (1) développer une stratégie régionale globale, horizon 2030, (2) préparer la prochaine réunion des directeurs généraux de l’UpM sur la protection civile, (3) accompagner le lancement du nouveau programme PPRD Med financé par l’UE, qui sera également promu par le secrétariat de l’UpM.
Cet espace de dialogue permanent devrait permettre de s’ancrer au sein du MPCU afin de bénéficier mutuellement des bonnes pratiques, des connaissances et des synergies dans la zone euro-méditerranéenne. En ce sens, la DG ECHO reste un partenaire crucial et essentiel.
Le programme annuel 2023 de l’UpM réaffirme la nécessité d’accroître la coopération entre les États Membres de l’UpM comme nécessaire pour renforcer la protection civile et la gestion des risques de catastrophe dans la région.
La principale valeur ajoutée de l’UpM réside dans l’interrelation créée entre la dimension politique et sa traduction opérationnelle en activités concrètes, projets sur le terrain et initiatives qui enregistrent un impact tangible sur les citoyens dans les régions respectives.
Nous travaillons ensemble avec les États Membres de l’UpM et la DG ECHO pour créer les conditions d’un dialogue visant à créer des synergies régionales et sous-régionales. Le dernier Forum de protection civile de l’UE organisé en juin à Bruxelles a été l’occasion de partager des visions communes entre les deux rives de la Méditerranée et d’envisager des partenariats qui seront développés à travers le futur PPRD Méditerranée ou Multi-Countries Risk Mapping – visant à établir un atlas des risques dans la région ANMO.
Le changement climatique et ses effets immédiats (soudaineté, phénomènes extrêmes, effets cumulatifs, transfrontaliers ou intersectoriels) obligent les Etats et leurs systèmes de protection civile à revoir leur gestion des risques de catastrophes.
Nous entrons dans une ère de compréhension, d’atténuation et d’adaptation rapide de nos sociétés méditerranéennes, qui, plus que toute autre partie du monde, sont particulièrement exposées à un changement de comportement climatique. La solidarité n’est plus une option, mais une obligation pour maintenir un haut niveau de préservation de la continuité des activités et de la sécurité des citoyens.
Outils en ligne d’intérêt
- La direction générale pour la protection civile et les opérations d’aide humanitaire européennes de la Commission européenne (DG ECHO) : https://ec.europa.eu/echo/index_fr
- Le centre de coordination de la réponse d’urgence (ERCC) : https://ec.europa.eu/echo/what/civil-protection/emergency-response-coordination-centre-ercc_fr
- Le mécanisme de protection civile de l’Union (MPCU) : https://www.consilium.europa.eu/fr/policies/civil-protection/
- Le réseau de connaissance du mécanisme de protection civile de l’Union (UCPKN) : https://civil-protection-knowledge-network.europa.eu/
- La plateforme régionale de dialogue de l’UpM en matière de protection civile : https://ufmsecretariat.org/fr/platform/plateforme-regionale-de-lupm-sur-la-protection-civile/
[1] Décision 2001/792/CE, Euratom, du Conseil du 23 octobre 2001 (JO L 297 du 15.11.2001).
[2] Article 6 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.
[3] Décision (UE) 2019/420 du Parlement européen et du Conseil du 13 mars 2019 modifiant la décision no 1313/2013/UE relative au mécanisme de protection civile de l’Union.
[4] Innovation portée par la dernière réforme du MPCU et issue du Règlement (UE) 2021/836 du Parlement européen et du Conseil du 20 mai 2021 modifiant la décision no 1313/2013/UE relative au mécanisme de protection civile de l’Union