Ghada Abdel-Aal est une écrivaine, bloggueuse et pharmacienne égyptienne. En faveur de l’égalité dans le mariage et la société, elle se voit comme « une représentante des 15 millions de femmes entre 25 et 35 ans forcées à se marier, même si elles ne contrôlent plus la situation ». Mais Ghada ne s’engage pas seulement pour les droits des femmes. Elle représente également la liberté d’expression en Égypte qui s’est développée au cours des dernières années grâce aux nouvelles technologies. L’entretien ci-dessous, réalisée par la journaliste algérienne Nafissa Lahrache, a eu lieu dans le cadre de la Rencontre Préparatoire du Forum de Femmes organisé par la Fondation Anna Lindh à Casablanca en 2012. Les deux femmes y ont fait la connaissance et discuté le best-seller de Ghada ainsi que sa particulière vision de la femme arabe.
Le phénomène des jeunes écrivaines dans le monde arabe en est encore à ses balbutiements, mais on ne peut ignorer la découverte de véritables plumes féminines. Un phénomène qui a permis l’émergence de beaucoup de femmes auteures reconnues au-delà du monde arabe mais peu de ces écrivaines telle que Nawel el Sadawoui, Ghada Essamane, Ahlem Mostghanemi… ont pu interagir efficacement contre les discriminations et les souffrances quotidiennes des femmes arabes.
Peut-être que l’expérience limitée dans la vie de la femme arabe l’a empêché de connaître de nombreuses étapes importantes dans le développement de la société. Peut être aussi que l’expérience des femmes dans leur relation avec les hommes a été de nature plus sexuelle et sentimentale ce qui entrave son émancipation dans d’autres domaines. Cette expérience récente fait que les femmes ont besoin de davantage de temps et de lutte permanente pour pouvoir se frayer d’autres chemins, pour mieux s’exprimer, pour prendre toute leur place dans la société.
Aujourd’hui avec les nouvelles technologies et les moyens de communication, une nouvelle génération de jeunes écrivaines est née et, avec elles, une nouvelle façon de voir et d’écrire le quotidien des femmes. Ce qui est à noter c’est que l’accès aux nouvelles technologies de communication et aux réseaux sociaux a permis aux jeunes de s’exprimer librement cassant tous les tabous, permettant ainsi un échange d’expériences et l’ouverture d’un débat sur les questions de société.
Dans cette nouvelle vague beaucoup de noms ont vu le jour entre autres celui de Ghada Abdel-Aal, jeune égyptienne qui grâce à un langage simple et direct a abordé les problèmes du mariage tardif et la difficulté de trouver l’âme sœur, ainsi elle a pu exprimer la souffrance d’une grande partie de jeunes hommes et femmes. Le livre de Ghada Ghada Abdel-Aal intitulé « aiza atgawiz : je veux me marier », est traduit en plusieurs langues et adapté en série télévisée qui a eu un très grand succès dans les sociétés arabes.
Nafissa Lahrache: Qui est Ghada Abdel-Aal? Comment en est-elle venue à l’écriture?
Ghada Abdel-Aal: Je suis une jeune égyptienne, pharmacienne, âgée de 34 ans, j’ai commencé a écrire mon journal intime en 2006 au début ce n’était qu’une manière de vider mon cœur et après cela a pris une autre forme, plus structurée, plus littéraire et j’ai fini par le publier en 2008.
N.L.:En lisant votre livre sur Internet, on constate qu’il est très intime, est ce un récit personnel qui parle de votre propre vécu ? Quel est le message que vous voulez transmettre à travers votre livre?
G.A.A.: Au départ j’écrivais d’une façon très intime, puis quand j’ai vu l’engouement des lectures et leur envie de débattre sur la question du mariage en Egypte., puis les choses ont pris une autre tournure et c’est devenu une responsabilité de transmettre le message des femmes égyptiennes. Considérées comme les premières responsables du mariage tardif. Or cela est, en réalité, dû en premier lieu aux problèmes socio-économiques auxquels font face les jeunes dans la société égyptienne et dans les sociétés arabes en général.
N.L.:Si votre livre parle du problème des vieilles filles dans le monde arabe, pensez vous qu’il contribuera a un changement dans les mentalités?
G.A.A.: Je n’ai jamais utilisé le terme de vieillesse en parlant des filles car je le considère comme une humiliation et un qualificatif dégradant les femmes, je considère que le vrai problème réside en ceux qui voient la femme comme un produit avec une date de péremption. Mon écrit a encouragé les femmes à se voir autrement, à se considérer comme un être libre et capable d’exister seul, pas besoin d’être complétée par autrui. Mon rêve c’est que cet appel arrivera a toutes les femmes du monde arabe même si je sais que ça demandera des années de travail ardu et un effort considérable pour changer les mentalités très attachées aux traditions et coutumes révolues.
N.L.:Ce que vous avez écrit va-t il contribuer à changer l’image des femmes ou celle des hommes?
G.A.A.: Je souhaite que ça change le regard de l’un vers l’autre… et que chacun regarde l’autre comme un compagnon et partenaire de sa vie, non pas pour combler un vide, ou seulement pour faire taire ou satisfaire le reste de la société.
N.L.:Comment vos lecteurs ont réagi avant et après que le livre ait été adapté a la télévision?
G.A.A.: Le livre a eu un très grand succès, il est a sa dixième publication, il a même été traduit en cinq langues. A ma grande surprise les lecteurs des deux sexes l’ont vraiment beaucoup apprécié. Le feuilleton a eu à son tour un énorme succès en 2010 il a été primé pour la meilleure réalisation et interprétation au cour du Festival du Caire des médias arabes. Il a eu aussi obtenu le prix du meilleur scénario comique, il a été également classé par un sondage d’opinion parmi les premiers feuilletons les plus regardés à cette période.
N.L.:Y’a-t-il une différence dans la façon de voir les choses chez les hommes et les femmes célibataires et ou réside-t- elle?
G.A.A.: Je ne peux pas m’avancer sur la façon dont l’homme en général voit les choses avant le mariage, mais tout ce que je peux dire c’est que la majorité des hommes chez nous se contente des critères de beauté et de famille pour choisir leur épouse, sans vraiment chercher les compatibilités intellectuelles et spirituelles entre les deux. Par contre chez les femmes je pense que les choses ont évolué car elles cherchent de plus en plus à bannir les vieilles méthodes du mariage et veulent réellement construire leur couple sur des bases plus solides et faire une vraie connaissance avec leur futur conjoint, choses alors que la société rejette cette démarche.
N.L.:Avez-vous réussi à travers votre œuvre à déterminer les différences entre les deux sexes ou est-ce que vous avez seulement essayé de dénoncer le tabou des relations sexuelles dans les relations hommes –femmes orientales?
G.A.A.: je n’ai pas abordé l’aspect sexuel dans mon livre, je me suis intéressée beaucoup plus au coté sentimental et à la complémentarité entre les personnes.
N.L.:À quel point pensez vous avoir réussi à faire évoluer le regard de la société orientale envers les femmes célibataires malgré toutes leurs compétences?
G.A.A.: J’espère avoir réussi à transmettre ma voix et mes convictions aux femmes, c’est elles qui m’intéressent en premier lieu avant même le reste de la société. Mon premier objectif c’est qu’elles ouvrent les yeux sur leur vraie valeur, qu’elles vivent leur vie pleinement et qu’elle ne la considère pas seulement comme une introduction ou une préparation à une vie conjugale. Dans ma prochaine aventure littéraire je compte m’adresser à toute la société pas uniquement la femme.
N.L.:À votre avis où réside le problème du mariage tardif dans le monde arabe, chez la femme, l’homme, la famille ou toute la société?
G.A.A.: J’ai été invité a l’université américaine au Caire pour intervenir dans un cours sur « le problème du mariage en Egypte au 19ème siècle » et j’ai constaté que c’est toujours la junte féminine qui est pointé du doigt, A mon avis on devrait se pencher sur les problèmes économiques très difficiles qui entrave le chemin des jeunes qui aspirent à une vie de couple , et aussi s’intéresser aux traditions souvent exagérées qui viennent aggraver la situation des jeunes qui aspirent a une vie meilleure au-delà de ces considérations dépassées ,la plus part du temps.
N.L.:Le mariage des femmes arabes a-t-il une date de validité? Cette situation ne provoque t elle pas chez la femme le besoin de chercher une solution ou un échange pour combler sa vie?
G.A.A.: Supposons que le fait que la fille arabe doive se marier à un certain âge varie d’une région a une autre, il peut se faire à l’âge de 18 ans dans une région et à 20 ans dans une autre et même à 35 ans ailleurs, mais toutes ces régions s’accordent sur le fait que si la femme dépasse cet âge limite du mariage, elle va se renfermer sur elle-même comme si son existence n’a plus d’intérêt.
Il faut dire que le rôle de la religion et l’emprise des traditions rend les choses plus difficiles mais la vie comprend d’autres horizons qu’on ne doit pas négliger, il ne faut pas se focaliser sur un seul aspect qui est le mariage, et si ça ne se concrétise pas c’est pas la fin du monde.
N.L.:Avec votre livre et le feuilleton pensez vous avoir apporté un plus dans le domaine intellectuel et culturel du monde arabe? Et avez-vous d’autres projets pour le futur?
G.A.A.: J’espère avoir ouvert le chemin pour que d’autres jeunes écrivaines puissent écrire et publier et je pense que c’est le cas. Et j’espère que j’ai réussi à transmettre ce message à mes lectrices, Mon souhait c’est de pouvoir expliquer, dans mes prochains livre, le tort que causent nos société aux femmes, intentionnel soit il ou pas.
N.L.:Pour conclure quel est le message que vous aimeriez véhiculer aux jeunes et aux femmes de la rive nord de la méditerranée à travers cette expérience? Quelles sont selon vous les voies du dialogue susceptibles d’ouvrir le débat et permettre le rapprochement entre les cultures, et comment compter-vous défendre les femmes arabes?
G.A.A.: Je pense qu’on doit créer plus d’opportunités de rencontres et de partages entre les deux rives car à travers mes voyages je constate et je découvre qu’on n’est pas aussi différents qu’on le pense, au contraire on est très proches. On aspire tous et toutes au bonheur et on lutte contre tous ces obstacles qui nous bloquent, on a besoin de plus de contacts et de rapprochement par le biais de manifestations et activités culturelles pour voir à quel point on est semblables.