Le Hirak algérien à l’heure de la pandémie

Expression d’une fracture nette entre gouvernants et gouvernés, la résilience dont fait preuve le Hirak, malgré les contraintes, fait face à la résistance du pouvoir toujours en place.

Louisa Dris-Aït Hamadouche, professeure à la faculté des sciences politiques, Alger 3.

La crise sanitaire provoquée par le coronavirus a toutes les caractéristiques d’une crise : la surprise, la dangerosité, la capacité de propagation, les tensions, le déséquilibre de plusieurs systèmes en même temps (la santé, les transports, l’économie…). « Consécutive à une rupture d’équilibre avérée, suivie d’une déstabilisation d’un ou plusieurs systèmes, une situation de crise s’observe par un état de désordres profonds de ses acteurs et/ou de désintégration organisationnelle, impliquant des dommages et générant des nécessaires prises de décision dans un contexte d’ambiguïtés et d’incertitudes » (Ratinaud Dufès, « Situation de crise : une réponse modélisée en 3D », 2014).

L’analyse étymologique du terme permet une autre compréhension de la crise. Le mot « crise » vient du grec krisis qui renvoie aux idées de jugement et de décision. La crise correspond donc au moment où il est nécessaire de prendre des décisions qui correspondent à une évaluation sans concession de la situation qui l’a produite. En totale complémentarité avec cette idée, la philosophie chinoise conçoit la crise comme un danger, mais aussi une opportunité. L’opportunité consiste alors à prendre les bonnes décisions.

De toutes ces définitions, nous retiendrons quelques mots clés en rapport avec l’objet de notre article: rupture, désordre des acteurs, décisions nécessaires et incertitudes. Face à la crise sanitaire, le Hirak est privé de son mode d’expression spectaculaire, à savoir les marches populaires hebdomadaires. Enclenché le 22 février 2019, le soulèvement populaire est-il en danger, menacé de démotivation et d’essoufflement ? A contrario, cette crise peut-elle constituer une opportunité susceptible de pousser le Hirak à évaluer ses propres points forts et ses points faibles pour produire des formes additionnelles de militantisme ?

La pandémie, une contrainte pour le Hirak

Lorsque les appels à la suspension des manifestations populaires commencent, les arguments favorables et défavorables à cette initiative fusent. Dans la catégorie des arguments défavorables figuraient déjà la crainte que les autorités ne profitent de l’absence de la contestation visible et audible pour accentuer la répression. Dans le camp adverse, cette crainte était amenuisée, ne serait-ce par le fait que la répression du Hirak avait commencé en juin 2019. Rétrospectivement, la politique répressive peut être scindée en trois phases avec un objectif précis pour chacune d’elle.

La première phase commence lorsque le chef de l’Étatmajor de l’époque, Ahmed Gaid Salah, décide dans l’un de ses discours bi-hebdomadaires, de criminaliser le port de l’emblème amazigh. Sans fondement juridique, décidée de façon unilatérale et ciblant une pratique largement répandue dans le Hirak, mais également dans les manifestations sportives, culturelles et politiques, cette décision a justifié des centaines d’arrestations qui ont donné lieu à des décisions totalement contradictoires : des libérations, des acquittements, mais aussi des condamnations à des peines de prison et des amendes. Elles révélent surtout une volonté de diviser le soulèvement populaire sur une base identitaire et linguistique. En effet, parallèlement à cette interdiction, apparaissait sur les réseaux sociaux une campagne anti-amazighe d’une virulence extrême. Menée par des hommes politiques, des pages Facebook et même des médias audiovisuels, cette campagne a distillé une campagne de haine contre la population amazighophone. En gros, il s’agissait de dénigrer, de criminaliser et de diaboliser une partie de la population, accusée d’être à la solde des puissances étrangères, ou héritières de la puissance coloniale. « El takhouine », l’action qui consiste à accuser une personne ou un groupe d’être un traitre à la communauté, s’est répandue pendant des mois.

Une deuxième vague de répressions a eu lieu après l’annonce de la tenue de l’élection présidentielle. Les arrestations ont alors ciblé des figures emblématiques du soulèvement populaire comme Karim Tabbou, Fodhil Boumala, Abdelwahab Fersaoui, Samir Belarbi et bien d’autres encore. Ces arrestations suscitent une très forte polémique car leur modus operandi ressemble plus à des enlèvements qu’à des arrestations en bonne et due forme. Elles se font dans la rue, sans convocation préalable, par des agents des services de renseignements en civil. Le lieu de la détention n’est pas connu et les familles restent sans nouvelles. À cette période, les arrestations ciblées visent à semer la terreur au sein des militants, priver le soulèvement populaire de leaders potentiels et de démobiliser le Hirak au moment où se prépare l’élection présidentielle du 12 décembre 2019.

La répression au temps de la pandémie

La troisième phase répressive est celle qui s’exerce durant la crise sanitaire. Les autorités profitent de la pause (inespérée) du Hirak pour resserrer l’étau sur lui et empêcher la reprise des manifestations populaires. Ainsi a-t-il imposé la fermeture de tous les espaces de mobilisation des foules : mosquées, stades, salles de réunion… La rationalité médicale eut été totale si, en parallèle, des contradictions de taille n’étaient pas venues se multiplier. À titre d’exemple, les mosquées ont été ouvertes, sauf pour la prière du vendredi, point de départ des manifestations.

Dans le chapitre de la liberté d’expression, le couvrefeu exige des autorisations de circulation qui sont octroyées de façon différentiée, puisque les journalistes de la presse électronique en ont été exclus. Pis, des dizaines de sites électroniques d’information sont censurés, sans aucune notification officielle, à l’image de Maghreb Emergent et sa Radio M, du site Tout sur l’Algérie TSA ou encore Casbah Tribune. Dans tous les cas, les autorités choisissent une communication basée sur la stratégie de la négation : il n’y a pas de détenus d’opinion ; il n’y a pas de censure dans les médias. Une stratégie de communication, renforcée par le durcissement considérable de l’arsenal juridique tendant à lutter contre les fausses nouvelles.

La politique discriminatoire s’exerce aussi sur les partis politiques. Ainsi l’administration a-t-elle interdit aux partis de l’opposition d’organiser leurs activités (la session ordinaire du Conseil national pour le Rassemblement pour la culture et la démocratie, le 25 septembre 2020 à titre d’illustration). Au même moment, des partis comme le Front de libération nationale (FLN), le Rassemblement national démocratique (RND) ou encore Tajamou Amel El Djazaïr (TAJ) étaient autorisés à organiser des meetings pour appeler les Algériens à aller voter pour la Constitution, le 1er novembre 2020.

La vague d’arrestations, de poursuites et de convocations s’est poursuivie durant la période de la crise sanitaire: le 27 mars 2020, le parquet place en détention provisoire le journaliste de Radio M, et correspondant de Reporters sans frontières, Khaled Draréni (libéré le 19 février 2021) ; le 20 avril, le tribunal de Sidi Mhamed à Alger condamne à un an d’emprisonnement Abdelwahab Fersaoui (il sera libéré le 17 mai), le président de l’association Rassemblement Jeunesse et Action (RAJ) ; le 27 avril, Walid Kachida, fondateur de la page facebook « Hiramemes » est mis en détention provisoire et condamné par la suite à un an de prison dont six mois ferme, assorti d’une amende de 30 000 Da ; il est libéré le 21 janvier 2021.

À la fin de l’année 2020, les organisations de défense des droits humains publient des rapports factuels significatifs : près d’une centaine de détenus d’opinion en prison, et 10 fois plus de convocations. La situation s’est aggravée lorsque des détenus et des avocats ont commencé à dénoncer les conditions d’incarcération des détenus. De la privation de contacts avec l’extérieur, l’isolement et la nourriture insuffisante, la maltraitance a atteint la privation de soins pour des pathologies graves et la torture. Cette escalade répressive a suscité moult condamnations, mettant les autorités politiques dans une situation extrêmement inconfortable. En effet, le discours officiel vantant les mérites de « l’Algérie nouvelle » – slogan officiel adopté par Abdelmadjid Tebboune depuis son élection, pour désigner l’Algérie de l’après règne de la voyoucratie (la « issaba ») –peut difficilement s’accommoder de tels scandales. Ces derniers ne plongeant pas l’opinion publique dans les souvenirs de la gouvernance de la « issaba », mais dans celle du parti unique et de la lutte antiterroriste. Deux périodes durant lesquelles les atteintes aux droits humains comme les disparitions forcées, la torture, les emprisonnements et les condamnations arbitraires avaient eu lieu.

La pandémie, une opportunité de redéploiement pour le Hirak

En le prenant de court, la crise sanitaire a mis le Hirak face à la nécessité de s’adapter, de se redéployer pour non seulement continuer à vivre mais aussi pour rester visible et maintenir la mobilisation. Ce redéploiement a emprunté trois voix : la solidarité, les réseaux sociaux et les initiatives politiques.

– Le redéploiement sur terrain de la solidarité

La crise sanitaire a créé des besoins auxquels personne n’était prêt à répondre. Du jour au lendemain, des milliers d’Algériens ont perdu leur emploi et se sont retrouvés privés de leurs ressources quotidiennes, sans aucune compensation ou alternative. En effet, tous ceux qui travaillaient de façon informelle dans les transports en commun, les cafés, les restaurants, les chantiers de construction ont été les premiers impactés par les mesures de confinement, de fermeture obligatoire des commerces et arrêt brutal de leurs activités. À ces besoins liés aux moyens de subsistance, se sont ajoutés les moyens de protection : gel hydro-alcoolique, masques, gants, combinaisons… Autant d’objets devenus nécessaires et très difficiles, sinon impossibles à trouver sur le marché.

Des chaînes de solidarité se sont alors constituées. Les réseaux de hirakistesdans les quartiers se sont investis dans la collecte de médicaments, de produits de première nécessité et des moyens de protection. Sur les réseaux sociaux, des appels à contribution pour la fabrication de blouses et de masques par des volontaires se sont multipliés. Les étudiants ont fabriqué des gels désinfectants pour pallier au manque sur le marché. Des ateliers de confection se sont créés avec des volontaires pour fabriquer des masques à la chaîne.

À l’Ouest du pays, le groupe Solidarité Covid-19 Oran a mobilisé 80 personnes, dont beaucoup d’étudiants, pour mener des actions citoyennes : désinfection de lieux publics, sensibilisation à la nécessité de se protéger contre le coronavirus et la conduite à suivre en cas d’apparition des symptômes. Il a aussi confectionné du gel hydroalcoolique, en suivant les instructions de l’Organisation mondiale de la santé. Il s’est enfin mobilisé sur un autre plan pour soutenir les familles tombées dans la précarité en raison du chômage induit par le confinement. Des paquets de provisions étaient aussi constitués et distribués jusqu’au domicile des familles nécessiteuses en toute discrétion.

– Le redéploiement dans l’espace virtuel comme terrain politique

Faute de tribunes médiatiques, à l’exception de quelques journaux papiers, sites électroniques et quelques chaînes privées, les Algériens se sont rabattus sur l’espace virtuel comme tribune, mais aussi comme moyen de prolonger un activisme politique cadenassé dans l’espace réel. Cette pratique n’a pas fait son apparition avec le Hirak, mais elle l’a précédé.

De part les possibilités qu’ils offrent, comme outils de connexion sociale, d’engagement civique, de participation politique, et de mesure des préférences électorales ayant été éprouvées dans différents pays, les réseaux sociaux s’imposent de fait comme un nouveau terrain politique, mais désinstitutionalisé. La campagne contre le quatrième mandat en a été la première illustration. Cependant, avec le soulèvement populaire du 22 février 2019, l’espace virtuel s’est mu en un véritable terrain politique, où les expressions plurielles se sont déclinées, à travers une multitude de formes d’engagement allant des forums de discussions jusqu’à la dissidence la plus exacerbée. Ainsi aux premières semaines du Hirak, plusieurs pages Facebook ont été créées, destinées essentiellement à encourager la mobilisation des Algériens contre le cinquième mandat ou encore à les inciter à exprimer leurs attentions quant au projet politique qu’ils entrevoient. Dans ce sillage, on peut citer, la page « Ecris ta Constitution », lancée par le chanteur et leader du groupe Gnawa Diffusion, Amazigh Kateb. Ou encore des pages comme « HirakDz », « Algérie Hirak » qui fournissent des informations sur les manifestations et encouragent la mobilisation populaire. La dissidence est plus remarquée chez des youtubeurs, exilés à l’étranger. Citons dans ce registre Amir Dz (860 000 abonnés), Larbi Zitout (686 000 abonnés) du mouvement Rachad, Abdou Semmar (129 000), Hichem Aboud (209 000 abonnés) ou encore Said Bensedira (172 000 abonnés). Anciens diplomates, anciens officiers des services algériens de renseignement ou encore journalistes, ces derniers et tant d’autres, font pour la plupart objet de condamnation en Algérie ou de mandats d’arrêts internationaux. Ces youtubeurs se sont imposés comme des influenceurs, n’hésitant pas à user d’un ton virulent voire radical à l’égard des responsables algériens. Leurs lives sont largement suivis, tout particulièrement durant la pandémie où le verrouillage médiatique s’est davantage accentué. Que ce soit pour dissuader les gens d’aller voter lors du référendum pour la Constitution du 1ernovembre 2020, pour commenter la maladie du président Abdelmadjid Tebboune, ou encore pousser au retour des manifestations, ces youtubeurs sont devenus pour des milliers de connectés la première source d’information. Même si certaines de leurs informations se révèlent infondées ou mensongères, ces dissidents de l’espace virtuel ont révélé les limites d’une stratégie de communication officielle, conçue selon des référents surannés. À telle enseigne que les autorités algériennes, civiles et militaires, sont allées jusqu’à mobiliser tout un arsenal médiatique pour discréditer ces plateformes et mettre les Algériens en garde contre l’influence négative de certains youtubeurs.

-Le redéploiement par la production d’alternatives

Le soulèvement populaire algérien a plusieurs particularités. Depuis le début, il s’agit d’un mouvement politique, pacifique et auto-organisé. Il a démarré sur des appels anonymes et s’est poursuivi sans discontinuer pendant 13 mois. Lorsque la pandémie commence, des appels – quasiment tous individuels – sont lancés pour suspendre les manifestations.

Dans la semaine qui suit, les manifestations sont interrompues. Onze mois plus tard, ce sont encore des appels individuels qui fusent sur les réseaux sociaux pour reprendre les manifestations populaires. Cette intelligence collective qui a permis au Hirak de se pérenniser n’a toutefois pas répondu à toutes les questions. Elle en a même posé un certain nombre. Parmi les questions récurrentes : quelle solution pour sortir de l’impasse ? comment donner aux slogans scandés dans les marches un contenu politique qui puisse permettre leur concrétisation ? quel rôle pour les partis politiques, pour l’élite ? comment dépasser les clivages idéologiques qui ont bipolarisé la société dans les années quatre-vingt-dix ? le Hirak a-t-il besoin de leaders, de représentants ? si oui, comment les identifier ? si non, comment faire sans ?

Durant cette période, les autorités ont poursuivi leur feuille de route dont l’événement clé a été le référendum pour la réforme de la Constitution. De son côté, le Hirak a continué de résister avec les moyens qui étaient les siens. Face à la campagne médiatique et partisane pour la réforme de la Constitution, il choisit le boycott. Les personnalités impliquées dans le soulèvement invitées – officiellement et par écrit – à se prononcer sur le projet constitutionnel, refusent. Le jour du scrutin, organisé le 1er novembre, la population déserte les rues aussi bien que les centres de vote. Le taux de participation atteint officiellement 23 % et le « Oui » ne convainc pas plus que 67 % des votants. Parallèlement au boycott, des initiatives apparaissent au sein du Hirak. En octobre, un groupe de figures du mouvement, des avocats, des anciens détenus, des universitaires, des journalistes, des militants, de différents bords idéologiques lancent Nida22. Il comprend également des organisations comme Nabni, Ibtikar, plusieurs ligues de défense des droits humains… Cette initiative pluri-idéologique propose d’organiser des débats à l’échelle locale et régionale pour parvenir à une conférence du Hirak, dotée d’une feuille de route consensuelle.

À l’occasion du deuxième anniversaire du Hirak, Nida22 lance « la semaine des mobilisations pour le Hirak » à travers des lives et des rencontres thématiques. Des initiatives à connotation idéologique affichée sont aussi apparues. Du côté des progressistes, citons le Caman, Collectif des amis du manifeste algérien. Dans le camp idéologique adverse, est apparu « le congrès national du Hirak », considéré comme proche de Rashad. Il prône la « confrontation pacifique » avec les forces de l’ordre et une stratégie d’escalade telle que la désobéissance civile. Du côté des partis politiques de l’opposition préexistants, deux tendances se sont dessinées durant cette période. La première est constituée de partis qui sont restés dans le refus de la feuille de route constitutionnelle choisie par les détenteurs du pouvoir. Ils ont rejeté catégoriquement tous les scrutins, considérant qu’ils ne pouvaient apporter une réponse à la crise politique.

À la place, le RCD (Rassemblement pour la culture et la démocratie) a proposé une conférence nationale souveraine réunissant tous les acteurs politiques, afin de dégager les pistes de sortie de crise. Le MDS (Mouvement pour la démocratie sociale) est resté fidèle au concept de la double rupture, qui suppose un changement radical de système politique et le rejet du courant islamiste. Le PT (Parti des travailleurs) a continué de plaider pour une assemblée constituante, tandis que l’UCP (Union pour le changement et le progrès) s’est illustré en demandant une présidentielle anticipée. La seconde tendance est constituée des formations qui avaient une position ambiguë durant l’élection présidentielle de décembre 2019.

Ambiguë, car elles n’y ont pas participé directement, mais n’ont pas appelé au boycott actif. Durant l’année qui a suivi, leur position s’est affinée en se rapprochant du pouvoir en place. Le parti qui illustre le plus clairement cette volte-face à 180° est Jil el Jadid. Farouche opposant au quatrième mandat de Bouteflika, aux premières lignes du Hirak en février 2019, il soutient quelques mois plus tard le président Tebboune, participe au référendum de la révision de la Constitution et appelle à voter « oui ». Le MSP (Mouvement de la société pour la paix) et el Adala, eux aussi partie prenante du Hirak à ses débuts, choisissent aussi l’option participationniste mais appellent à voter « non » le 1er novembre. À la veille des élections législatives et locales, le FFS (Front des forces socialistes) pourrait rejoindre les partis participationnistes.

Conclusion

Au moment où ces lignes sont écrites, le soulèvement populaire a déjà deux ans. La situation sanitaire s’est stabilisée, la campagne de vaccination a commencé et le Hirak a recommencé à battre les pavés. C’est la première fois qu’un soulèvement populaire reprend avec les mêmes slogans et le même élan, après une interruption de près d’un an. Cette nouvelle phase saura-t-elle capitaliser les acquis de deux ans de militantisme sous différentes formes ?

La résilience dont fait preuve le Hirak fait face à celle du pouvoir toujours en place. Un face à face d’usure qui oblige les acteurs du soulèvement populaire à une perpétuelle évaluation, remise en question et projection. La pandémie a confirmé deux hypothèses importantes concernant le Hirak. La première est qu’il s’agit bien d’une lame de fond et pas d’un épiphénomène éphémère. Ses revendications sont l’expression d’une fracture nette entre gouvernants et gouvernés, ce qui signifie que la solution passe par une profonde refonte du système de gouvernance et non par des mesures superficielles.

La seconde hypothèse validée concerne les contraintes qui continuent de peser sur le soulèvement populaire. La non émergence de nouvelles forces structurées et organisées, le rejet de toute représentation, les clivages qui divisent une partie de l’élite et l’incapacité des partis politiques et organisations syndicales préexistantes à constituer un relais crédible, sont autant de difficultés à relever. La concrétisation des objectifs politiques du Hirak dépend en partie du dépassement ou du contournement de ces contraintes.