Des discriminations institutionnelles aux violences exercées à l’encontre des femmes algériennes

Ismahan Aït-Messaoud

Doctorante chercheuse

En Algérie, les femmes sont confrontées chaque jour à de multiples violences qui, malgré les programmes institutionnels contre les discriminations sexuelles, sont confortées par le cadre juridique. Il s’agit donc d’une violence institutionnalisée et presque normalisée, à laquelle les femmes algériennes doivent faire face chaque jour, en montrant une capacité de résilience, d’adaptation et de solidarité hors du commun. Aussi bien le code de la famille que le code de la santé ou le code pénal présentent de nombreuses failles qui doivent être corrigées au regard des droits des femmes, afin que celles-ci, après avoir subi de douloureuses luttes internes, familiales et sociales, n’aient pas alors à entreprendre la lutte contre les pratiques légales et légitimées, comme c’est le cas aujourd’hui. De ce fait, de nombreuses victimes finissent par retirer leur plainte car elles se considèrent coupables de la violence exercée contre elles. En dépit de toutes ces contraintes, il faut souligner le rôle des militantes et des activistes du féminisme algérien, qui ne sont pas disposées à renoncer à la lutte pour l’égalité entre les hommes et les femmes.


Trente années après le lancement du Processus de Barcelone, où quinze pays membres de l’Union européenne, douze pays du sud, dont l’Algérie, et de l’est de la Méditerranée adoptaient la Déclaration de Barcelone aboutissant à un partenariat euro-méditerranéen fort prometteur qui concernent trois volets de coopération : politique et sécuritaire, économique et financier, social et humain, les droits des femmes sont toujours bafoués.

D’ailleurs, en Algérie, les femmes subissent à ce jour des violences qui sont, de manière directe ou indirecte, confortées par des textes de loi en dépit des programmes mis en place dans ce pays pour lutter contre les discriminations basées sur le genre. Ces discriminations sont institutionnelles, quasi-normalisées et font entrave à l’émancipation des femmes considérées comme des sous-citoyennes et des mineures à vie.

Face aux multiples discriminations et aux différentes violences sociales perpétrées contre les femmes, qui sont visibles dans les us et les coutumes, dans les traditions, ainsi que dans l’ensemble des pratiques rétrogrades qui tirent leur légitimité d’un système patriarcal profondément ancré dans la société sur lequel l’éducation est bâtie au sein même du cocon familial, les femmes algériennes opposent une résistance en développant des capacités d’adaptation, d’organisation et de solidarité hors du commun.

Aujourd’hui, en Algérie, les discriminations législatives forment le socle générant et/ou confortant les cinq types de violences suivants : physiques, sexuelles, psychologiques, économiques et institutionnelles. D’ailleurs, ces discriminations se transcrivent dans plusieurs domaines, comme celui du droit juridique, et nous pouvons déjà citer le Code de la famille.

Le Code de la famille

Arrêt sur quelques contradictions institutionnelles

Le Code de la famille algérien est générateur de multiples discriminations légitimées, puisqu’il fait entrave à toute forme d’égalité entre les deux sexes. Bien que désacralisé en 2005, ce code porte à ce jour des articles de loi considérés comme de véritables discriminations institutionnelles. En outre, les articles de loi qui fondent le Code de la famille sont en totale contradiction avec certains articles qui composent la Constitution algérienne, puisqu’ils rejettent toute forme de discrimination, quel que soit son fondement.

Dans le Code de l’infamie abondent les violences faites aux femmes

Vous l’avez compris : le Code de la famille ou le « Code de l’infamie » est l’antre de tous les maux où abondent les violences faites aux femmes. Malgré cela, les femmes s’adaptent et adoptent des stratégies de libertés suivant des situations bien déterminées. À ce sujet, nous pouvons citer le cas d’une femme dont l’identité restera anonyme pour des mesures de sécurité. Celle-ci a pu éviter de justesse la discorde grâce à la mobilisation de l’Association féministe algérienne Tharwa n’Fadhma n’Soumer.

En effet, cinq ans auparavant, l’Association TNFS s’est mobilisée pour faire reconnaître par voie légale les enfants d’une ressortissante algérienne qui était partie vivre au Kenya, où elle s’est mariée avec un Kényan. Le jour où elle a décidé de revenir en Algérie, elle s’est retrouvée face à une véritable impasse, puisque le gouvernement algérien n’a pas voulu reconnaître ses enfants comme étant issus d’un mariage, mais comme les enfants d’une mère célibataire.

Les nouveaux textes de loi peuvent être considérés comme une avancée, puisqu’ils introduisent la notion de harcèlement sexuel et punissent toutes les formes d’agressions

L’Association TNFS s’est donc mobilisée pour trouver un moyen de contourner ces dispositions violentes et, dans la foulée, elle a eu l’idée de faire appel aux maires élus du parti politique du Front des Forces Socialistes pour faire passer la demande de reconnaissance. Cette démarche a permis aux enfants de cette jeune maman d’être reconnus comme étant légitimes et issus d’un mariage.

Le Code pénal

Lorsque le pardon est loi

Le Code pénal a fait objet d’amendement vers la fin de l’année 2015 pour criminaliser les violences faites aux femmes. Les nouveaux textes de loi peuvent être considérés comme une avancée, puisqu’ils introduisent la notion de harcèlement sexuel et punissent toutes les formes d’agressions, de violences verbales, psychologiques ou maltraitances envers les femmes, notamment en cas de récidive ; mais dans les faits, ils constituent un recul monumental, puisque le législateur leur a ajouté la Clause du pardon.

Afin de perpétrer au mieux les violences envers les femmes, l’article 8 de loi n° 140 assure aux victimes la possibilité de saisir la justice, lorsqu’elles subissent une atteinte à leur droit, y compris la discrimination. À cela s’ajoute l’article 9 de loi n° 40 de la Constitution algérienne, adopté le 30 décembre 2020, qui garantit aux femmes victimes de violences l’accès aux structures d’accueil.

Les femmes victimes confrontées à un processus violent

Ce schéma forme un cercle vicieux qui emprisonne les femmes dans un processus extrêmement violent. Ce processus débute lorsque des violences de nature physique, sexuelle ou économique sont commises. Ces violences influent doublement sur le mental car elles ont lieu généralement au sein du cocon familial. Ce schéma est à ce stade extrêmement violent, mais le summum n’est atteint que lorsque les victimes se saisissent des pouvoirs publics et qu’elles font finalement face à des violences perpétrées par l’Institution même qui doit protection à chaque citoyen et citoyenne.

Ces femmes victimes de violences, dont le nombre diffère d’une plateforme à une autre, doivent avant tout mener un combat contre ellesmêmes, afin de s’affranchir de la loi du silence. Ces victimes vont ensuite à contre-courant d’une société très conservatrice en faisant face à la morale ambiante et à la pression familiale. En cherchant un soutien, celles-ci se tournent souvent vers des associations et finissent par formuler la volonté d’aller vers un dépôt de plainte pour se heurter finalement à la clause du pardon.

Une fois la lutte intérieure, familiale et sociale terminée, la lutte contre les pratiques légales et légitimées peut commencer. Le parcours de la combattante débute, comme la pratique le veut, chez l’agent de police qui tente de dissuader la victime d’aller vers un dépôt de plainte contre son bourreau car il s’agit soit de son mari, de son père, de son frère ou d’un autre membre de sa famille ; « Il s’agit rarement d’un inconnu ». Quant à la femme victime, le mieux est de tenter de régler les choses en restant Sabra, autrement dit patiente. Un schéma générateur de féminicides La femme victime résiste tout de même en déposant et en maintenant sa plainte. Viennent ensuite les pratiques familiales, qui tentent de régler la situation à l’amiable ; puis la société avec le poids des traditions, des lois coutumières, de la morale ambiante, pour finir avec « les conseils et la sagesse du juge » qui tente de la sensibiliser en lui demandant de pardonner à son bourreau « pour ne pas lui gâcher la vie, car après une condamnation, il aura des difficultés à se réintégrer dans la vie, etc. ».

Le summum n’est atteint que lorsque les victimes se saisissent des pouvoirs publics et qu’elles font finalement face à des violences perpétrées par l’Institution même qui doit protection à chaque citoyen et citoyenne

Finalement, ces femmes victimes sont traitées comme des agresseuses et subissent la clause du pardon de la part du juge lui-même. La victime finit souvent par retirer sa plainte, se considérant elle-même comme étant la coupable. Conformément à ce schéma, nous pouvons dire que cette attitude, adoptée au vu et au su de tous et de toutes, constitue l’une des pratiques génératrices de féminicides en Algérie.

Les femmes victimes livrées à elles-mêmes

Les femmes victimes de violences ne cèdent pas toujours sous le poids de la pression et décident de ne pas pardonner ; et là encore, nous faisons face à une difficulté qui concerne leur placement et leur hébergement. Les associations féministes orientent souvent les victimes vers le Centre SOS Femmes en Détresse pour être placées, mais le Centre SOS ne peut combler la forte demande.

Souvent, les militantes et activistes féministes proposent leur propre domicile pour abriter ces victimes, ce qui s’est avéré, dans bon nombre de cas, extrêmement dangereux. En effet, ces femmes ne peuvent être protégées et, dans ces conditions, les militantes volontaires sont également exposées aux violences et risquent aussi d’en subir les conséquences, si le père, le frère ou le mari décide de forcer la victime à regagner le domicile familial ou conjugal.

Le système en place présente des programmes prometteurs pour lutter contre les violences faites aux femmes qui constituent un fléau social quasi normalisé

À ce sujet, il faut savoir que le système en place présente des programmes prometteurs pour lutter contre les violences faites aux femmes qui constituent un fléau social quasi normalisé. Toutefois, ces programmes ne connaissent pas, dans les faits, une traduction concrète. En effet, les centres d’hébergement pour les femmes victimes de violences sont quasi inexistants. Six ans auparavant, le gouvernement a procédé à la fermeture du centre DARNA, ce qui rajoute une pression terrible sur les centres étatiques existants, qui ne sont qu’au nombre de deux. À noter que ces deux centres se présentent beaucoup plus sous forme de prisons carcérales que de centres offrant sécurité, suivi et réinsertion socioprofessionnelle.

Le Code de la santé

Lorsque les pratiques obscurantistes font obstacle aux avancées

En Algérie, le Code de la santé assure l’avortement thérapeutique, aussi appelé interruption thérapeutique ou médicale régie par la loi n° 18-11 du 2 juillet 2018 relative à la santé selon les cas cités par voie réglementaire. Cette dernière indique explicitement l’exemption de l’avortement thérapeutique visant à préserver la santé de la mère en cours de grossesse. Cependant, la procédure est si longue que la femme perd son droit à l’avortement, puisque le bébé peut arriver à terme, compte tenu du temps pris par l’intervention des médecins, des juges et des imams, qui doivent donner leurs avis et leurs accords sur la demande.

Des violences supplémentaires pour les femmes violentées

Durant les années 2000, plusieurs militantes individuelles et associations féministes algériennes, à l’instar de l’Association TNFS, se sont mobilisées afin de prendre en charge le cas des viols collectifs des filles commis dans le maquis d’Aine Defla, suite à quoi ces militantes organisées ont demandé à ce que les victimes puissent accéder à l’avortement. Le Haut Conseil islamique a refusé.

Afin d’inciter le Haut Conseil islamique à revenir sur sa décision, les militantes algériennes ont donné l’exemple de ce qui s’est produit en Yougoslavie durant le conflit. Le Haut Conseil islamique avait soutenu que l’avortement leur avait été accordé car elles avaient été violées par des non-musulmans et, qu’en Algérie, les violeurs étaient de confession musulmane. Les activistes ne se sont pas lancées dans un bras de fer avec les décideurs. Cependant, elles se sont adaptées à la situation en cherchant une solution rapide : elles ont procédé sans leur aide, comme d’habitude, en faisant des collectes, des prises de contact avec les militantes en Tunisie pour que les femmes victimes accèdent au droit à l’avortement dans les meilleures conditions.

Récemment, en 2022, une jeune Congolaise venue étudier en Algérie s’est retrouvée seule dans la cité universitaire Bey Houcine de Bab Ezzouar durant l’été. La jeune femme a été violée ; elle a essayé de déposer plainte, mais en vain, car la police a refusé sa plainte. Une femme membre de l’Association TNFS a eu l’idée de lancer un appel au don, ce qui a été fait. Et grâce à la cagnotte et aux militantes tunisiennes, la jeune femme victime a pu accéder à son droit à l’avortement.

Les femmes victimes recourent aux réseaux d’avortements clandestins

Certains médecins pratiquaient aussi l’avortement en Algérie, mais en cachette, en traitant avec des associations. Malheureusement, ces dernières années, il y a eu beaucoup d’arrestations, ce qui a interrompu cette pratique qui pouvait aussi constituer, dans l’urgence, une véritable solution. En Algérie, il existe des réseaux qui pratiquent l’avortement illégal et parfois les femmes, n’ayant aucun choix de recours, passent entre les mains de véritables bouchers, dans des conditions lamentables, sans anesthésie et sans suivi médical. En définitive, les droits des femmes en Algérie sont de plus en plus fragilisés et les textes de loi ne peuvent que témoigner de toutes les violences subies par les femmes, auxquelles aucune réponse adéquate n’est apportée. Ces violences ne font malheureusement que s’accentuer et ne connaissent aucune limite en raison du système institutionnel, du poids des mentalités, des us et des coutumes et des traditions.

En Algérie, il existe des réseaux qui pratiquent l’avortement illégal et parfois les femmes, n’ayant aucun choix de recours, passent entre les mains de véritables bouchers

Néanmoins, face à ces contraintes, à ces freins, à ces obstacles qui entravent les libertés les plus élémentaires, face à ces discriminations légitimées et à ces violences perpétrées, les militantes et activistes engagées et les associations féministes ne renoncent pas ; bien au contraire, elles continuent et continueront de se développer tant que l’égalité entre les femmes et les hommes ne sera pas atteinte.